XIII
Juliette, Jean-Luc et Anne-Sophie sont effarés des événements de l’après-midi. Il nous a fallu deux bonnes heures pour consoler Sarah qui culpabilise d’avoir laissé l’AVS maltraiter Viviane, alors qu’elle avait des doutes sur la prise en charge de la soignante. Ce sentiment, je le connais et je suis bien placée pour savoir à quel point il est douloureux.
Quand à Hélène, elle nous a certifiées qu’elle allait faire le nécessaire pour lui retirer son diplôme et l’interdire d’exercer. Elle en a référé le service d’aide à domicile qui n’enverra personne ce soir, prétextant l’indisponibilité de Joëlle. Pour Sarah, ce n’est pas un problème. Elle prendra le relais jusqu’à l’arrivée d’un remplacement.
Manie est épuisée et sous le choc. Elle a besoin qu’on prenne soin d’elle et les colocataires le font à la perfection. Je me propose donc d’épauler Sarah. Il faut préparer la chambre et faire les soins de Viviane. Autant suis-je incompétente dans la seconde étape, autant la première est à ma portée.
La chambre de Viviane est décorée avec goût dans le style des années 30. Seul dénote quelques pièces de mobilier, essentiellement le lit médicalisé et un drôle d’engin crochu que Sarah appelle un « monte-personne ». Sous ses ordres, je m’attèle au changement des draps pendant qu’elle sort des armoires le nécessaire à la toilette et à l’habillage. Je l’observe. Il est évident qu’elle sait ce qu’elle fait.
Le lit est terminé lorsque Sarah amène Viviane. Elle place le monte-personne au dessus de la vieille dame et attache les sangles entre le recouvre fauteuil et la machine, avant d’actionner la manette qui la soulève délicatement. La vieille dame est suspendue dans le vide et nous roulons l’engin crochu au dessus du lit. Puis, la machine redescend et nous veillons à positionner confortablement Viviane.
Bien ! Je vais pouvoir partir maintenant.
- C’est bon ? Demandé-je. Je peux te laisser ?
- Ben écoute, me répond Sarah. Si t’as le temps, je veux bien que tu restes. Vivi sera moins fatiguée si on la manipule à deux.
Celle-là, je ne m’y attendais pas ! Trop tard, je ne peux pas me débiner…
J’essaie quand même :
- Je ne sais pas faire. Je risque d’être plus un boulet qu’un soutien.
- T’inquiète, je vais te guider.
Ça se tentait !
On commence par déshabiller Viviane. Je suis extrêmement gênée. J’ose à peine l’effleurer de peur de lui faire mal et j’ai cette sensation désagréable de violer son intimité. Désormais, je comprends ce que ressentait le personnage d’Omar Sy dans Intouchable.
Je me laisse diriger par Sarah. On tourne doucement Viviane d’un côté du lit, puis dans l’autre sens. On répète l’opération plusieurs fois et je prends confiance. Il ne reste que la robe de chambre à enfiler.
Viviane est allongée sur le côté face à moi. La première manche est passée, je m’attèle à la seconde. L’amplitude du tissu est juste, je risque de la blesser en atteignant sa main. Je tire vers moi la robe de chambre pour gagner quelques centimètres en forçant délicatement. Pour m’aider, Sarah relève légèrement Viviane. Un peu trop vite. La pression sur le tissu cède et je bascule en arrière.
Le désastre aurait pu se stopper là, si je ne me prenais pas les pieds dans ce fichu monte-personne. Je perds l’équilibre. Dans ma chute, mes mains s’accrochent aux sangles au dessus de mon crâne. Me voici suspendue à cette machine de malheur.
Au moins, je suis entière.
Sarah rit à gorge déployée et je l’accompagne aussi bruyamment. En m’extirpant de mes chaines, je bloque sur le visage de Viviane. Je ne sais pas comment je le sais (certainement une micro-expression qui traverse son visage) mais elle rit ! En silence, certes, mais aussi intensément que Sarah et moi.
Je ne rêve pas ! Viviane est en train de se foutre de moi !