Pour Armand, sodomiser Shekil avait quelque chose de hautement satisfaisant.
Outre le sentiment de domination que cela prodiguait faire l’amour à l’Aria lui donnait une enivrante sensation de toute puissance, nourrie à la fois par le goût du sang de l’humain, et par le fait de le voir ployer sous ses coups de reins. A genoux, dos à lui, le jeune homme se retenait au mur pour ne pas basculer en avant sous les assauts du Vampire dont les dents labouraient les chairs de son épaule, lui faisant parfois la grâce d’un gémissement sourd ou d’un râle de plaisir étouffé.
Pour arriver à cette situation, l’Ancien avait dû prendre son mal en patience, attendre que les effets du manque deviennent insupportables à son calice, mais le résultat dépassait toutes ses espérances.
Shekil était venu le trouver sans un mot en milieu de nuit, deux jours après le départ de Syphax et Béatrice pour le village en bas de la montagne.
Sa chemise était restée à l’entrée, son pantalon au milieu de la pièce, et son caleçon aurait suivit le même chemin si Armand ne lui avait pas bloqué les poignets. Avec un sourire amusé, le Vampire lui avait demandé ce qu’il voulait, mais l’Aria était resté silencieux, tendu comme un arc. Tout, dans son attitude, montrait sa réluctance, cependant, l’odeur de son corps, ainsi que son érection bien visible, chantaient une toute autre chanson. L’Ancien l’avait attiré contre lui, et c’était la seconde fois depuis qu’il lui faisait l’amour, à chaque fois à l’initiative de l’humain. Alors que ce dernier parvenait à la jouissance, Armand s’émerveilla encore une fois du rugissement du sang dans ses veines, du parfum exsudé par sa peau, de la chaleur de de son corps, de la musique de ses muscles se crispant et se décrispant à mesure que le plaisir les nouait puis les relâchait… la vie était si bruyante… si enivrante à entendre…
Lentement, le Vampire bascula sur ses talons, puis sur les fesses, tout en maintenant un Shekil haletant contre son torse. Le jeune homme avait renversé la tête en arrière, la faisant reposer sur l’épaule du surnaturel qui admira un moment son profile perlé de sueur avant s’occuper de lui avec délicatesse, soignant ses plaies, nettoyant sa peau, tout en le gardant serré contre lui. C’était… étrangement agréable…
L’Aria respirait avec lenteur entre ses bras, sa chaleur se diffusant dans le corps glacé de l’immortel, et son coeur raisonnait dans leurs deux poitrines, donnant à Armand l’impression d’en avoir un de nouveau.
- Voilà qui était… intéressant.
- Silence.
Le Vampire eut un petit rire contre la peau du chasseur qui tenta de se dégager de son étreinte, ce que le surnaturel empêcha sans vraiment faire d’efforts.
- Reste là.
- Laisse-moi partir.
- Non. J’aime t’avoir dans cette position. D’autant que tu m’as bien évité ces derniers jours.
L’humain ne lui répondit pas, et Armand s’amusa à entremêler leurs doigts puis à porter leurs mains jointes à ses lèvres pour pouvoir embrasser ceux de Shekil qui grogna de dégoût. Leur petite cession avait apaisé les symptômes du manque, lui laissant l’esprit plus clair malgré la fatigue, et la honte commençait à l’envahir, tout comme la nausée à l’idée qu’il s’était volontairement donné au surnaturel. Le Vampire déposa un léger baiser au creux de son cou en murmurant :
- Depuis le temps… ça te dégoûte toujours ?…
De nouveau, seul le silence lui répondit, et l’Ancien leva les yeux au ciel.
- Je suis quand même plus doués que celles de votre minable programme de reproduction non ?
Sa phrase à peine finie, Armand comprit qu’il avait fait une erreur. L’Aria s’était raidit, et d’un mouvement brusque, se libéra des bras du Vampire qui ne fit rien pour le retenir. Accroupit sur le lit, le regard sombre et une expression hostile sur le visage, le jeune homme le toisa un moment avant de se glisser en bas de la couche. L’Ancien en profita pour se rincer l’oeil et admirer le jeux des muscles sous la toile des cicatrices marbrant la peau de son calice. L’entraînement avec Béatrice avait fait beaucoup de bien à l’humain.
- Tu sais que ta chute de reins est particulièrement agréable à regarder ?
Shekil ne lui fit même pas l’aumône d’un regard, se contentant de se draper dans sa chemise avant de demander :
- Quoi d’autre ?
Armand s’installa plus confortablement sur le lit pour l’observer.
- Quoi donc ?
- Quelles autres informations personnelles as-tu prélevé dans mon esprit ?
- Via les sondages ? Pas grand-chose. Depuis que nous sommes liés ? … Eh bien… des petits riens je dirais. Comme cette histoire d’orgie annuelle. Ou le nom de ta mère. Très joli, Azurée, d’ailleurs. Et puis le fait que tu es plus sucré que salé. Ça, c’est une information qui m’a surpris.
Le Vampire souriait de toutes ses dents, moqueur, tandis que les yeux bleus de chasseurs se chargeaient d’orage. Furieux, le jeune homme se détourna pour de bon, l’immortel se prenant alors de plein fouet sa colère d’être tourné en dérision, de ne plus avoir d’intimité mentale, et d’avoir cédé aux pulsions du manque. Comme d’y avoir prit plaisir d’ailleurs. Sous le choc de la déflagration émotionnelle, Armand resta figé tandis que Shekil quittait la pièce et gagnait la fraîcheur apaisante du lac.
Il y resta un long moment, le temps de se rincer de l’odeur du Vampire et de la sensation de son toucher sur sa peau… mais aussi d’évacuer le trop plein de colère et d’émotions qui lui broyaient les tripes. Lorsqu’il revint vers le bord, Armand l’y attendait, tranquillement installé sur un rocher avec du thé, et de quoi sécher son humain. Ce dernier l’ignora, lui passant devant pour remonter en direction du chalet. Mais la main du Vampire se referma sur son poignet, l’empêchant d’aller plus loin.
- Ça suffit.
- Lâche-moi Armand.
Le Vampire resserra sa prise lorsque Shekil tenta de se libérer.
- Non.
- Armand. Je ne peux pas te tuer, mais je peux toujours t’en mettre une.
L’Ancien serra un peu plus fort, sentant les os de l’humain crisser sous sa poigne. D’instinct, son calice posa son autre main sur la sienne pour essayer de se libérer
- Arrête.
Mais le surnaturel ignora l’injonction, tout comme il ignora l’impulsion qui l’incitait à obéir à son calice. Entré en résonance avec la colère de son humain, la Bête en Armand poussait avec fureur contre les parois de sa cage, ses ténèbres se propageant un peu plus loin dans ses veines. Le Vampire pouvait sentir ses crocs pousser contre ses lèvres.
- Toute cette colère… je comprends qu’elle te permette de rester sain d’esprit. Mais il serait peut-être temps de la diriger vers les vrais responsables tu ne crois pas ? Envers ceux qui t’ont bourré le crâne avec toutes ces conneries. Qui t’ont conditionné au point de te faire accepter de coucher avec n’importe qui pour augmenter leur cheptel. (le poignet de Shekil céda sous la pression, mais Armand ignora la douleur) Qui font qu’aujourd’hui encore tu penses devoir me haïr simplement parce que je suis un immortel (le surnaturel tourna sèchement le poignet brisé pour mettre son calice à genoux) alors même que tu m’es lié. J’en ai assez de toute ta colère. Lâche prise Shekil. Tu ne peux pas mourir, tu ne peux pas me tuer, dans moins de deux ans, j’aurais accès à tous tes souvenirs.
- Je… trouverai… un moyen… d’empêcher ça… d’ici là.
- Bon sang… tu es tellement borné ! (Il repoussa l’humain d’un méchant coup de pied en pleine poitrine qui l’envoya rouler au sol) Tu as fais ta part Shekil. Lâche l’affaire.
Le jeune homme lui lança un regard assassin, sa main valide refermée sur son poignet brisé qui se remettait douloureusement en place de lui-même. Lentement, il se remit debout.
- Et porter la responsabilité des milliers de morts qui découleront de la destruction de mon clan ? Non merci.
- Quelques humains qui meurent bouffés par des prédateurs, la belle affaire ! Tu ne peux pas bouleverser l’ordre naturel des choses !
- Vraiment ? C’est pourtant ce que font les Aria depuis quelques siècles non ? Vous êtes de moins en moins nombreux.
Les crocs d’Armand jaillirent de sa bouche sous le coup de la colère, et Shekil eut un mouvement de recul sur le sable, invitant la peur dans leur lien. Alimentée par cette dernière et par la fureur du surnaturel, la Bête se mis à gronder de plus belle, ses marques noires envahissant progressivement les épaules et la mâchoire du Vampire.
La proie avait peur.
La proie sentait le sang.
La proie osait la défier.
La proie devait apprendre sa place…
- En effet… (la voix d’Armand était glacée) nous sommes de moins en moins nombreux. Un jour, nous n’aurons plus notre place en ce monde. Mais avant ça, j’aurais détruit l’intégralité du clan Aria.
- Pas avec mon aide.
- Bien sûr que si.
Et il fut sur Shekil avant que ce dernier ne puisse réagir. La mâchoire proéminente se referma sur son épaule, la broyant pour le compte, tandis qu’une main griffue se refermait sur le visage du chasseur. La seconde d’après, une puissante vague d’énergie psychique ravageait le cerveau de l’humain, lui faisant perdre conscience.
La pièce sent l’urine, la folie et la peur.
Ce n’était pas un souvenir.
Meublée uniquement d’un lit, tiré vers les fenêtres grandes ouvertes, elle donne sur un paysage qu’il ne connaît pas.
Ça n’en avait pas la texture. Ni le goût. Il en était certain.
Les cheveux blanchis de Shekil brillent à la lumière de la lune. Il est recroquevillé contre le battant, une couverture jetée sur ses épaules osseuses. Immobile dans l’air glacé de la nuit. Lorsqu’Armand avance enfin, son calice se tourne vers lui, comme s’il l’avait sentit à défaut de pouvoir le voir : là où il y avait jadis des yeux bleus, il n’y a plus que deux balafres encroûtées. Il se les ai arraché lors d’un moment de démence. Comme ce n’étaient pas les siens, son corps s’est montré incapable de les reconstituer.
Un sourire vague étire les lèvres craquelées de l’humain.
- Armand.
Il tend les bras vers lui, des bras squelettiques aux mains émaciées dont les articulation ressemblent à des nœuds de bois. Il n’y a plus sur sa carcasse qu’une mince toile de peau et de tissus.
- Je suis là.
Il s’assoit sur le lit, Shekil l’effleure du bout des doigts, remonte jusqu’à son visage, caresse les stigmates laissés par la Bête avant qu’elle ne le quitte pour mieux habiter l’esprit de son calice.
- Est-ce que c’est finit ?…
La question fatidique. Celle qu’il redoutait. Posée si vite, si tôt dans leur entretient. Et il ne peut pas lui mentir. Pas à lui. Il le saurait.
- Oui.
- Tout mon clan ?
- … sauf les enfants. Des nourrissons à ceux ayant dix ans. Plus parfois, s’ils étaient sauvables. Mais les autres sont morts.
Il espère. Il espère, à en avoir mal, que cette annonce va tout changer entre eux.
- Oh…
Il effleure la joue creuse de Shekil, sent la chaleur fiévreuse de sa peau sous ses doigts.
- Béatrice leur trouvera une bonne famille Shekil. Ils vivront en paix.
- C’est finit alors ?
- Oui.
Un sourire s’épanouit sur son visage. L’esprit vide en face du Vampire se fait joyeux, presque serein.
- Alors tu vas me laisser mourir.
- Shekil…
- Tu as promis ! Quand tout serait finit, j’aurais le droit de mourir. TU AS PROMIS !
L’humain s’agite. Les mains sur les joues d’Armand se transforment en griffes, ses orbites creuses se mettent à saigner. Le Vampire, lui, à l’impression d’étouffer.
- Je ne peux pas…
- TU AS PROMIS !
- Je suis désolé Shekil, je ne peux pas !
Un long hurlement strident s’échappe de la gorge de l’humain, et il est obligé de battre en retraite tandis que son calice convulse, son corps se déformant sous le coup de la colère, de la terreur et de la haine.
- TU AVAIS PROMMMMIIIIIIIIIIS !
- JE NE PEUX PAS SHEKIL ! Je ne peux pas…
Il sort de la pièce, la vision brouillée par ce qui lui semble être des larmes alors que son Shekil continue de hurler des malédictions, trop faible pour tout ravager autour de lui, mais encore assez fort pour lui faire mal avec des mots.
Dans le couloir, Syphax le regarde sans mot dire.
Paniqué par la vision, l’esprit d’Armand cherchait à s’en extraire, ruant de toutes ses forces contre la volonté de la Bête qui continuait de fouiller avidement dans l’esprit de l’Aria sans aucune considération pour ce dernier.
Sur la toile des pensées du Vampire, la scène continuait.
Le crépuscule descend lentement derrière les montagnes, illuminant la pièce de ses rayons orangés. Assit sur le lit, Armand en supporte la morsure sans broncher, les bras passés autour de Shekil qui somnole doucement contre son torse, le visage offert au soleil. Pour une fois, il a bu toute l’eau que le Vampire lui a apporté, et même accepté de manger un peu.
Il n’y a plus de trace de folie dans son esprit. Juste de l’apaisement.
Son corps est détendu. Sa respiration superficielle mais calme. Sereine.
A mesure qu’il s’endort, elle se fait plus lente. Plus légère. Plus ténue.
Jusqu’à ce qu’elle s’arrête.
Armand ne bouge pas un cil. Comme transformé en pierre.
C’est ainsi que Syphax les trouve alors que l’aube se lève.
La folie est partie. Le lien calice-vampire est rompu.
- Armand…
- C’est toi qui a mis le poison dans son eau. Tu savais que je la lui donnerai…
- C’était le seul moyen pour rompre le lien.
- Tu aurais dû le tuer de tes mains. Nous serions morts tous les deux.
- Tu ne sais plus ce que tu dis Armand.
- Nous aurions pu…
- Tu sais que non.
- Il… il aurait…
Une main se pose doucement sur son épaule. Ferme et froide. Compatissante. Ils savent tous les deux qu’il se ment.
Alors, tandis que les premiers rayons du soleil caressent la terre, il se laisse aller à pleurer…
Lorsque Béatrice et Syphax rentrèrent en fin de nuit, ce fut pour trouver Armand prostré sur la plage, le corps inerte de Shekil serré contre sa poitrine. Ce dernier avait les lèvres et les tempes barbouillées de sang échappé de ses oreilles et son nez et un instant, Béatrice le cru mort. Ce qui aurait été pour le mieux, de son point de vue : elle avait beau en être venue à apprécier l’Aria en tant qu’adversaire, il demeurait à ses yeux un danger. Et un signe de plus de la folie gagnant Armand.
Restée en arrière, elle observa son Lord s’agenouiller lentement auprès de l’autre Vampire qui ne broncha pas, même quand Syphax passa une main gantée dans ses cheveux ébouriffés. Le vent contraire ne lui permettait pas d’entendre ce qu’ils se disaient, mais l’aube rasante lui permit de voir clairement le visage d’Armand lorsqu’il se tourna vers son Lord, et elle ne pu s’empêcher de frissonner de frayeur.
La Bête.
Le visage du surnaturel était marbré de sa présence. Les veines courant sous sa peau étaient maintenant visibles, aussi noires que des traits faits à l’encre. Ses crocs saillaient hors de sa bouche à la manière de défenses, déformant sa mâchoire de façon hideuse. Et ses doigts avaient virés au bleu sombre, tout comme ses griffes qu’il ne parvenait visiblement plus à rétracter.
C’était une catastrophe…
Avec beaucoup de douceur, Syphax aida Armand à se relever, puis arrangea le corps de l'humain dans ses bras avant de les raccompagner jusqu'au chalet en silence. La guerrière leur emboîta le pas, de plus en plus inquiète. L'Ancien semblait complètement absent de lui-même, comme si son esprit était parti battre la campagne. Si la Bête avait pris trop d'espace dans sa tête, Syphax n'aurai d'autre choix que d'éliminer son ami... et elle savait combien cela affecterait son Lord. Bien que ce ne soit pas vraiment de sa faute, elle se surprit à maudire Shekil pour leur situation : son entêtement allait coûter à la société Vampirique l'un de ses membres les plus important...
Ce qui le réjouirait sûrement, elle en était sûre.
Enfin. S'il reprenait un jour connaissance. Et à voir l'état dans lequel il se trouvait, rien n'était moins sûr. Syphax et elle étaient descendus dans la cave à la suite d'Armand, refermant la trappe sur eux pour se protéger du jour naissance. Le Lord avait ensuite allumé une lampe, bien qu'il n'en ai pas besoin, afin qu'elle puisse voir les détails de la scène, et la condition de l'Aria n'était pas bonne.
L'un de ses bras pendait selon un angle bizarre, à cause d'une épaule broyée qui ne guérissait pas, son visage barbouillé de sang était livide, et sa poitrine était à peine soulevée par un souffle laborieux qui sifflait désagréablement à leurs oreilles.
Meurs. C'est le mieux que tu ai à faire...
- Syphax...
- Je sais. Soigne-le du mieux que tu peux, veux-tu ? Je m'occupe d'Armand.
Tout en parlant, le Lord avait délicatement enlevé le calice des bras de l'autre Vampire pour l'allonger à l'intérieur d'une des alcôves de la cave. Lorsqu'elle se pencha sur l'Aria, la jeune femme regretta amèrement de ne pas pouvoir tout simplement l'étouffer pour abréger leurs souffrances à tous. Résignée, elle commença à palper le corps anormalement froid pour se faire une idée des dégâts tandis que Syphax entraînait Armand à l'écart.
- Armand. Armand, regarde-moi.
L'autre Vampire ne décollait pas ses yeux de l'alcôve.
- Armand...
~ J'ai vu quelque chose Syphax. ~
Le Lord sursauta en entendant la voix mentale de son compagnon. Ce dernier ne bougeait pas, comme figé dans le marbre, le regard fixe et le visage déformé par la malédiction qui portaient tous les Enfants de la Nuit.
~ J'ai vu ce qui allait se passer ~
- Armand ?
Cette fois Syphax n'avait pas réussi à cacher l'inquiétude dans sa voix. Le don de prescience était aussi rare qu'imprécis, et il ne faisait absolument pas partie des nombreux talents d'Armand.
~ J'avais réussi à éliminer tous les Aria. J'avais épargné les enfants. Pour lui. Et pourtant... pourtant ça n'a pas suffit à le guérir. ~
- Le guérir de quoi ?
~ La maladie. La folie. La Bête... elle en lui aussi tu sais ? A cause de moi... ~
- Armand. Ce dont tu parles n'est pas possible.
Brusquement, les yeux écarlates se posèrent sur lui, et il dû réprimer un mouvement de recul. En tant qu'Ancien vieux de presque deux millénaires, Syphax n'avait pas peur de grand chose, et pourtant... pourtant là... la façon dont la Bête en Armand le regardait. Ce qui restait de son cœur se glaça.
~ Tu l'as tué ~
Il sentit la formidable puissance mentale d'Armand peser sur son esprit et esquissa une grimace de contrariété : il détestait qu'on lui force la main. Et qu'on le sous-estime.
Repoussant sans peine la Bête hors de son crâne, il répliqua avec douceur :
- Il est vivant. En mauvais état par ta faute. Mais vivant.
~ Dans ma vision. Tu l'as tué ~
- Le futur n'est pas écris Armand. Il vit pour l'instant. Qu'est ce qu'il s'est passé ?...
Le regard rouge se détourna de lui pour retourner se poser sur le dos de Béatrice qui s'agitait devant l'alcôve sans plus s'occuper d'eux. L'odeur douceâtre du sang flottait avec insistance dans la pièce.
~ J'ai voulu... je ne sais plus... j'ai... il devait comprendre... il devait plier ! Arrêter cette résistance idiote !! Pourquoi est-ce qu'il ne veut pas comprendre Syphax ?! ~
~ Syphax?~
~ Pas maintenant Akasha ~
~ Si, maintenant. Il faut qu ~
~ J'ai dit. Pas. Maintenant ~
Il interrompit la connexion mentale sans laisser le temps à la Vampire d'ajouter le moindre mot. Il la savait capable de gérer une urgence. La priorité, pour l'instant, c'était Armand. Ce dernier avait profité de son bref instant de distractions pour se rapprocher de l'alcôve, les yeux toujours fixés sur le peu qu'on pouvait apercevoir de l'Aria derrière le corps de Béatrice penchée sur lui. Le Lord posa doucement une main sur l'épaule de son ami et le tira gentiment en arrière.
~ Pourquoi est-ce qu'il ne veut pas de moi ?... ~
La détresse émotionnelle du Vampire était si forte qu'elle paralysa un instant Syphax. Jamais, au cours de sa longue existence, n'avait rencontré d'immortel capable de ressentir avec une telle intensité. Surtout quelqu'un d'aussi ancien, calculateur et froid que l'était d'ordinaire Armand. Pour que sa connexion avec Shekil l'ait aussi profondément changé, et en aussi peu de temps, c'est qu'ils devaient être allés plus loin et plus profondément qu'aucun couple calice-vampire.
Et vue la tournure des événements, ce n'était pas bon. Pas bon du tout.
- Armand (il se glissa entre le Vampire et l'alcôve, captant enfin le regard de son ami) je suis désolé.
La perplexité se peignit brièvement sur le visage de l'immortel avant d'être remplacé par de l'incompréhension : le bras de Syphax lui traversait la poitrine de part en part, la main gantée du Lord emprisonnant un cœur si desséché qu'il en était méconnaissable. Il rattrapa le corps d'Armand alors que ce dernier s'effondrait lentement, relogeant le cœur à l'intérieur au passage. La blessure, presque mortelle, allait mettre longtemps à guérir, laissant le Vampire sur le carreau pour la journée, voire la nuit suivante. Plus long s'ils le privaient du sang de l'Aria.
Sans se soucier du sang noir et collant qui allait souiller ses vêtements, il souleva Armand pour aller l'enfermer dans l'un des cercueils doublés d'argent et de plomb entreposés au fond de la cave. Il faudrait qu'il pense à remercier Akasha d'avoir gardé ces reliques.
Une fois le Vampire sécurisé, il retourna auprès de sa calice qui continuait de s'activer autour de Shekil avec sa tête des mauvais jours.
- Alors ?
- Alors j'espère qu'il mourras vite et sans reprendre conscience. Je ne sais pas ce qu'Armand lui a fait cette fois, mais je doute qu'il soit plus qu'un légume maintenant.
Le Vampire se pencha par dessus l'épaule de la jeune femme pour apercevoir l'humain. Ce dernier, pâle comme un mort, respirait à peine. Son visage, plutôt beau quoi qu'émacié, s'ornait à présent d'une brûlure ressemblant fortement à une empreinte de main. Et les griffes de la Bête avaient laissé des sillons sanglants sur ses tempes et son front.
- C'est mauvais...
- Très. Écoute Syphax... je sais que tu aimes Armand. Mais on est en pleine guerre contre les Loups. Nous n'avons pas le temps de nous occuper de ça. Il serait peut-être plus...
- Non. C'est hors de question.
- Les laisser en vie plus longtemps est une erreur !
- Que j'accepte de faire. Je dois contacter Akasha, elle a tenté de me joindre. Est-ce que je peux faire quelque chose d'autre pour toi avant ?
- Un café. Serré. Et faire couler un bain.
Le Vampire hocha la tête avec un sourire désolé et s'éloigna en direction de la trappe de la cave avant de s'arrêter. Le soleil était levé. Il ne pourrait faire ni café, ni bain à l'étage. Il faudrait qu'il se rattrape plus tard.
~ Akasha ~
~ C'est pas trop tôt ! Ne me coupe plus jamais comme ça tu m'entends ?? PLUS JAMAIS ! ~
~... Je suis désolé Akasha. Armand a fait une crise ~
La colère de la Vampire disparut d'un coup.
~ Grave ? ~
~ Grave. Je leur laisse vingt-quatre heures... s'il ne s'est pas repris d'ici là, je ferais en sorte qu'il retourne aux cendres ~
~ … Bon sang. C'était bien le moment... ~
~ Akasha ? ~
~ Nous avons un problème Syphax. Les Aria. Ils n'ont pas fait alliance avec les lycanthropes. Ils sont les lycanthropes ~
~ Pardon ? ~
La révélation ébranla tellement le Vampire que sa calice releva vivement la tête à l'autre bout de la cave, sur le qui-vive. Sous le choc, Syphax se laissa tomber sur les marches menant au rez-de-chaussée du chalet, l'esprit tellement vidé que Béatrice abandonna son patient pour le rejoindre et lui prendre les mains. Accroupie devant lui, elle murmura d'une voix inquiète :
- Syphax...
- Je vais bien Béatrice. Laisse-moi juste une minute pour terminer avec Akasha.
- … Laisse-moi partager votre connexion.
Le Vampire hocha la tête, toujours sous le choc, et étendit la conversation mentale à sa partenaire.
~ Béatrice nous entends ~
~ Ah. Parfait. Pas besoin de réexpliquer. ~
~ Est-ce que tu peux tout de même me... confirmer ce que tu as annoncé précédemment ? ~
~ … Les Aria n'ont pas fait alliance avec les lycanthropes. Ils sont les lycanthropes ~
Le sursaut de Béatrice fut si violent qu'elle faillit basculer en arrière.
~ J'avais vraiment l'espoir d'avoir mal entendu la première fois... ~
~ Crois moi, j'ai espéré avoir mal vu. Mais l'étude des cadavres ne laisse aucun doute ~
~ Les cadavres ? Vous ne deviez pas faire des prisonniers ? ~
~ Nous avons dû... parer au plus pressé. Les deux Aria sont mortes. Leurs corps sont en cours de dissection par les soins des savants de la Communauté. Mais je peux t'assurer que celle qui m'a broyé le bras était bien sous forme lupine quand c'est arrivé ~
Aussitôt, Syphax s'alarma.
~ Est-ce grave ?? ~
~ Rien qu'un peu de sang ne saurait soigner. Je vais devoir vous laisser, je te fais parvenir un rapport complet par le biais de l'Intendante sous peu. Et... ~
~ Je te tiens au courant pour Armand ~
La vague de gratitude qui s'invita dans leur connexion arracha un sourire triste au vieux Vampire.
~ Merci Syphax ~
La conversation interrompue, le Vampire et sa calice restèrent un long moment à se regarder dans le yeux sans un mots, leurs mains toujours étroitement liées ensembles. Ils se connaissaient si bien, et depuis si longtemps qu'aucune parole n'était nécessaire pour parvenir aux conclusions de l'autre. Finalement l'Ancien se laissa aller à simuler un soupir pour manifester son extrême lassitude avant de murmurer :
- Je ne sais pas si c'est une bonne idée Béatrice...
- J'ai bien peur que ce soit notre seule option.
- Korb va être furieux.
La jeune femme se mit à rire.
- J'avoue plus redouter la colère de Lize. Mais nous n'avons pas vraiment le choix...
- Non. En effet.
Ils se penchèrent d'un même mouvement en avant pour poser leurs fronts l'un contre l'autre, puisant dans ce simple geste une profonde quiétude. C'était décidé. Dès qu'Armand et Shekil seraient en état de voyager, ils quitteraient la sécurité du chalet pour gagner les plaines de Srash centrale pour rejoindre Lize et Korb afin de leur demander de l'aide.
Et tant pis pour le secret.