« C’est magnifique ! »
Neila sautillait, parcourant les rues depuis son scaphandre. Les gens s’écartaient vivement, craignant une quelconque intoxication au contact de cette énergumène enveloppée d’une épaisse camisole. Le tout surmonté d’un grand casque, au verre opaque.
« Vas-tu un jour arrêter de courir dans tous les sens ? s’exaspéra Noah, qui lui courait après tel un parent perdant patience. C’est pas en ville que je veux t’amener, mais en bas.
— En bas ? Oh non, je sens encore le mauvais plan arriver… »
Elle suivait Noah depuis une heure, sans avoir pu se reposer au labo. La lettre qu’elle avait reçue lui avait redonné toute l’énergie nécessaire pour rentrer, mais son corps ne tenait plus. Son ventre hurlait famine. Ses paupières chutaient. Mais le jeune homme avait insisté, souhaitant lui montrer quelque chose « en rapport avec Victor Owlho ». Elle n’avait pas hésité un instant, pressée qu’elle était de retrouver Shelly. Si elle pouvait piéger l’énergumène qui se prenait pour son père et l’obliger à la relâcher, elle économiserait beaucoup d’efforts. Obéir à cette lettre n’allait pas être de tout repos…
Parler avec Joshua ne l’avait pas été non plus. Quittant Mercy, Will rappela avec justesse que Noah n’aimerait sûrement pas voir le jeune noble en leur compagnie. Neila lui avait donné le détecteur du robot, et ordonné de se cacher, afin qu’il pût la retrouver le lendemain. Elle allait avoir besoin de lui, et cela semblait réciproque, mais le jeune noble avait eu du mal à l’entendre. Il les avait quittés peu avant que Will ne l’accompagnât auprès de Suzanne, qui dévorait un gros gâteau (chipé ?) sur un banc de Pontmarchais.
De nouveau, Neila se retrouvait près de Solstille, et cette fois avec Noah. Les gens autour gardaient une distance raisonnable, les voyant arriver ainsi affublés. À travers son scaphandre qui se remplissait de buée, elle peinait à observer les alentours obscurs qui l’entouraient. Ce machin était lourd, et l’air lui manquait, elle crut bien s’évanouir plus d’une fois !
« On s’approche des mines, devinait-elle.
— Tout juste ! L’odeur te rappelle de beaux souvenirs ?
— Les bruits, surtout… Je me demande bien quel rapport peut avoir cet endroit avec Victor. »
Noah ralentit l’allure, relevant sa visière pour y essuyer la buée. Elle en fit de même, profitant de leur baisse d’allure et de cet instant de silence, peu avant qu’il ne reprît. « En vérité… notre expédition n’a rien à voir avec le musicien que tu cherches. »
Illico, Neila freina. Elle garda la visière ouverte pour fustiger Noah d’un courroux dévastateur, qu’il crut bon d’ignorer en pressant le pas. Elle tenta de lui attraper l’épaule mais, malin, il s’en échappa aisément.
« Tu te moques de moi ! le blâma-t-elle. J’ai autre chose à faire que de te suivre dans tes combines, et en plus, je suis crevée.
— Ah oui ? Eh bien, tu iras dire ça au Doc : il attend un loyer de ta part. »
Gros blanc.
« Un loyer ? Quel rapport ?
— Tu ne comptais quand même pas crécher chez nous gratis, si ? Et j’ose imaginer que tu n’as plus un rond sur toi pour payer un hôtel. Et je te déconseille fort de dormir dehors, avec la météo qui approche, et encore moins près de Solstille. N’espère pas quitter le quartier dans cette tenue et à cette heure, ça va grouiller de gardes. » Il la nargua avec le détecteur qu’il tenait en main, le même que Will avait utilisé pour la retrouver. Qui menait, l’avait-il dit, à sa lunette, mais également au sinistré lui-même, actuellement bloqué avec Suzanne. « Sans moi, tu rentres pas. »
Elle ouvrit la bouche pour répliquer, puis la referma. Elle trouva une pique bien placée, entama sa lancée, mais se ravisa encore. Enfin, elle plaqua sa visière, d’un coup sec ! déterminée à le bouder. Elle détestait être trompée, encore plus par des gens envers qui elle avait placé sa confiance.
Confiance, hein… La lettre de Victor était un ramassis d’immondices qu’elle ne comptait pas écouter – mais il était difficile d’oublier le fait qu’il savait des choses. Et, plus encore, sur Noah lui-même.
« Méfie-toi de lui, et de ceux qui l’entourent », qu’il disait. Il prétendait que Noah recevait des ordres de quelqu’un, et que cela n’avait rien à voir avec lui. Pourquoi l’incitait-il tant à se méfier de ses seules connaissances ? Suzanne n’avait pas l’air louche ! Le garçon au bandana, si, mais pas au point d’être menaçant.
Cela dit… Lyza m’a trahie. Le commissaire aussi. Je ne peux être sûre de rien. Repensant à son meurtre, elle fut rassurée de porter un tel accoutrement. Personne ne pourrait la reconnaître. Mais, si d’aventure elle se retrouvait seule dans la rue, en pleine nuit (façon de parler, la ville se nimbant de lumière même lors des heures de sommeil), elle se ferait sûrement attrapée par une horde de gardes, comme promis par Noah. Ils finiraient bien par découvrir son visage, et son crime serait révélé.
Bon, je vais le suivre, pas le choix. Si ça peut me permettre de dormir à l’abri, je ne dis pas non.
Repenser à la lettre la ramena à sa bonne humeur. Les belles écritures sur papier doré, les mots sucrés qui y étaient écrits, l’espoir qu’elle renfermait… Neila avait été aux anges. Et l’était toujours, se retenant de sautiller en marchant, malgré le mélange d’humeur qui l’inondait. Shelly. Shelly lui avait écrit, depuis Atélia. Et elle allait pouvoir la revoir !
Aussi ineffables que fussent ses sentiments, elle aurait voulu les hurler, pour qu’elle l’entendît. Mais se retint – tout particulièrement en regardant à sa droite.
Ils longeaient les stations minières. Au loin, flashs électriques et flammes grondantes. L’idée d’y finir ses jours lui traversa l’esprit : Noah voulait-il la vendre, pour quelques billets ? Idée saugrenue, mais qu’est-ce qui ne l’était pas, ici ?
« Dis-moi, osa-t-elle briser le silence, pourquoi on s’est trouvés là-bas, tous les deux ? »
Le jeune homme se tourna vivement en sa direction, incrédule sous la buée de son scaphandre.
« Tu ne te poses cette question que maintenant ! Tu n’as pas l’habitude de réfléchir ou tu le fais exprès ?
— Tu peux aussi me répondre sans te moquer !
— C’est fou… Bon, eh ben je n’en sais pas plus que toi. Normalement, on finit dans une grande gare, avec une deuxième sélection. Ceux qui échouent se retrouvent ici, ceux qui réussissent à Mercy. Tout est fait pour que chacun reste à sa place. On promet aux nouveaux mineurs une belle vie s’ils fournissent suffisamment d’huile de coude pour mériter de monter. Mais tu t’en doutes, cela n’arrive jamais. S’échapper comme on l’a fait, ce n’est possible que si l’on sait trafiquer les listes. Et l’Doc est le seul à savoir faire ça.
— Il m’a l’air un peu spécial votre docteur, avoua Neila.
— Complètement allumé ! Une véritable tête de pioche en plus de ça. Mais il ne faut pas le sous-estimer. Pendant un temps, il est resté en concurrence directe avec le sénateur Swaren. Tu sais, l’araignée dans le train.
— Haha ! Oui, il était drôle, lui !
— C’est pourtant loin d’être un enfant de chœur. Il a quasiment toute la ville dans ses mains – pas pour rien qu’il en a autant. Il contrôle une majeure partie de l’information. Le moindre fax, le moindre télégramme, la moindre feuille tapée à la machine. On le soupçonne même de surveiller le Time News. Forcément, le Doc était en conflit avec ses ordinateurs et son réseau privé. Mais il a fini par perdre, seul qu’il était à gérer ses nouvelles technologies. Le progrès et le Sénat, ça fait deux. Mais pour répondre à ta question d’origine… je n’en sais pas plus que toi. Je dirais que le sénateur nous a démasqués et nous a envoyés là-bas pour y mourir. Pour autant, nous tuer aurait suffi, et c’est ce qu’il a tenté de faire dans le train. C’est pour ça que je soupçonne plutôt la Chouette. »
Neila plongea dans un silence réfléchi, continuant sa descente auprès de Noah. Le paysage infernal qui l’avait accueillie à son arrivée à Everlaw ne la préoccupait point, plongée qu’elle était dans ses souvenirs. Elle repensait à la lettre qu’elle avait reçue, toujours dans sa poche. Puis, à la chouette qui la lui avait amenée. Enfin, à Victor.
« Les chouettes… ce n’est pas Swaren ? »
Il ralentit l’allure, hésitant à répondre.
« Les deux ont l’air ennemis. Il semble que ce soit quelqu’un d’autre.
— Une chouette m’a observée, quand j’étais… avec Will. Et avec une amie, aussi.
— Tu as une amie toi ? pouffa l’autre.
— C’est le même genre d’oiseau qui t’a fait peur l’autre fois ?
— Alors… Primo, je n’ai pas eu peur ! Secundo, oui. Tous ces oiseaux appartiennent à un même individu. On l’appelle le Maître des Chouettes, mais personne ne sait de qui il s’agit. Depuis plusieurs semaines, il me traque également. Il semble vouloir entrer dans la partie… »
Ça pourrait être Victor ? pensa Neila. Ça expliquerait qu’il me traque. Quant à l’origine de la lettre… Le Doc devrait en savoir plus. Demandons à Noah avant.
« Dis-moi, Noah. Tu reçois des lettres, toi aussi, non ? »
Le garçon sembla s’étouffer, alors qu’il était sur le point de sortir de la grande poche de sa combi une lampe. Elle se brisa au sol, suivant le juron de son propriétaire, qui dut se baisser trois fois avant de réussir à la reprendre. Puis, Neila vit en sa direction adressés deux yeux fébriles, derrière une visière sale, celle d’un scaphandrier vouté et alerte.
« De quoi tu me… Comment tu connais mon nom ? Comment tu sais pour les lettres ?!
— Eh, eh, tenta de le calmer Neila, ne panique pas… C’est Suzanne qui m’en a parlé. »
L’excuse ne le convainc qu’à demi, tandis qu’il mettait de l’huile dans sa torchette. Le liquide coula largement à côté – Neila comprit ensuite qu’il s’agissait d’un isolant, pour éviter que l’ampoule cassée de cette lanterne électrique ne l’électrocutât.
« Ça te concerne pas. Vraiment pas.
— Oui, ce n’est pas mes oignons, se justifia la jeune femme, mais je cherche juste à comprendre…
— Tais-toi et suis-moi. On finit ça rapidement, et on rentre. »
Il ne parlait plus, poursuivant à grands pas. Neila refusait de croire en la lettre de Victor, mais son attitude ne l’intimait pas à l’absolue confiance. Un simple mot de travers pouvait la compromettre. Sans oublier qu’il peut très bien être un ennemi… Lui donner trop d’informations, ça serait trop dangereux. Autant changer de sujet.
« Tu m’emmènes loin », remarqua-t-elle en voyant les fours disparaître au loin, tandis qu’ils se faufilaient dans des recoins inconnus des gardes sinistrés.
« La suite est plus éloignée encore, mais on y arrivera assez vite.
— “La suite”, c’est où ? Je commence à croire que tu vas me déclarer ta flamme dans un recoin sombre et isolé, à force. Un garçon a déjà essayé et il a chié ses dents le lendemain.
— Ça t’arrive d’être élégante, par moments ? Je t’emmène dénicher des babioles à vendre. Le Doc est… comment dire ça poliment… dans une situation économiquement difficile ? Il fait une… hm, il considère une levée de fond ? Non… Bon, il est au chômage technique quoi.
— Ça a le mérite d’être clair. Mais, pourquoi aller aussi loin, à pied, et avec ça sur le dos ?
— L’air n’est pas très respirable. Ici non plus d’ailleurs, si tu te souviens bien, alors remercie-moi. Enfin, les moyens de transport traditionnels ne nous y emmènent pas, mais quand on sait où aller… c’est un jeu d’enfant.
— Comme… monter dans un four ? » Neila devinait déjà dans quel pétrin elle était en train de plonger.
« Un peu. Ah, on y est. »
Pendue à une passerelle, au-dessus du vide, une chaîne rouillée se tenait devant eux. Noah tira dessus avec conviction, avant d’être assuré qu’elle était solide. Il se tourna ensuite en direction de Neila, la main tendue.
« Non, gémis Neila, ne me dis pas que… »
Elle hurla tout du long, jusqu’à ce que la chaîne cassât, trois minutes après le début de leur descente. Par chance, ils se trouvaient juste au-dessus d’un amas de déchets, ce qui devint une curieuse habitude pour elle.
« C’était génial ! », s’exclama-t-elle, tandis que Noah retirait son scaphandre pour s’aérer. Il avait la fâcheuse tendance à être l’initiateur de leur escapade, et celui qui la regrettait ensuite « On descend encore, ou c’est bon ?
— Non, soupira Noah en allumant sa petite lampe, c’est bon. Tu peux retirer ton scaphandre, mais pas trop longtemps. »
Elle déclipsa les attaches du scaphandre, et le balança en arrière telle une capuche, ce qui la fit tomber en arrière. Devant ce spectacle, Noah secoua tristement la tête, admirant une Neila qui tentait de se relever malgré le poids de l’équipement.
« Bon, tu sais quoi, je le garde ! râla-t-elle en remettant son gros casque, contente d’échapper à l’odeur des poubelles.
— Comme tu veux. Bon, on n’est pas loin. Pour ainsi dire, on est arrivé… Je ne t’emmène pas dans un endroit précis.
— C’est à di-AAAH !! »
Elle hurla, devant la silhouette fantomatique qui se tenait devant eux. Une carcasse de métal, sans yeux, qui marchait les bras devant elle. Un robot rongé et troué, qui tentait de retrouver son chemin. Il passa devant eux sans les voir, ni les entendre.
La lumière de Noah porta un petit peu plus loin, tandis qu’il avançait, Neila à ses côtés. Autour d’eux, aucune lumière. Seulement celle apportée par le voleur, accompagné de sa dame à scaphandre. Le sol était poisseux, recouvert d’une vase sans doute odorante. Les murs tombaient en lambeaux, déchirés par la rouille et le temps. Les silhouettes qui se tenaient dans cet endroit étaient d’une mise identique aux bâtiments : abandonnés.
Il s’agissait d’une ville. Ou plutôt, d’un autre monde. Les fondations du monde. La ville sous la ville.
« Je te présente : les bas-fonds. »
Noah ne dit rien de plus, laissant les bruits ambiants habiller sa phrase. Les pas métalliques du spectre de métal sur le sol boueux. Le vacarme d’une structure qui s’effondrait. Les gémissements d’une femme errante. La gorge étouffée d’une silhouette informe. D’autres grondements sourds venus de loin, sans origine connue. Une atmosphère sonore qui compressait les deux intrus.
Noah s’avança au milieu de la place, tentant de l’illuminer au mieux. Les habitants, effrayés par la lueur qui souhaitait les dévorer, s’éloignèrent. Pas suffisamment pour retirer à l’endroit son âme de ville fantôme. Les restes d’une immense fontaine se tenaient là, au milieu de la place, remplis d’une eau poisseuse dont se nourrissait un enfant assoiffé.
Au-delà de la vision lugubre de l’endroit, ou même des bruits hantés de ce monde, Neila y ressentait principalement une immense chaleur. Ce lieu était une fournaise. Le ventre du diable. Un monde dévoré par une créature, lentement digéré, jusqu’à disparaître sous une chaleur infernale. Ne tenant pas plus longtemps sous la pression de sa combinaison, Neila retira son scaphandre, s’appuyant sur Noah, mais finit sur les genoux. Non pas à cause du poids du casque. À cause de l’air.
Une odeur de soufre et de fumée embrassa ses poumons, la forçant à tousser toute son âme. À chaque inspiration, son corps brûlait. Il épousait l’endroit, par ses bruits, son aspect, son odeur et sa chaleur. Cet endroit tentait de faire sien son corps, encore plein de vie. Cet endroit était les ténèbres. Un gouffre qui absorbait toute âme.
Tentant de s’habituer à l’air ambiant, plaçant sa main devant son visage, elle vit que l’enfant s’était approché. Il tenait plus de la momie que du petit garçon : ses jambes et ses bras n’étaient que deux bâtons d’ossement, et son ventre disparaissait sous ses côtes. Aucun vêtement pour l’habiller, seulement une fine peau d’une pâleur livide.
« Maman », pleura l’enfant, du peu de larmes qu’il possédait. Il se grattait le crâne d’une férocité accablante, cherchant de ses yeux blancs quelque chose aux alentours. Il ne voyait pas la lumière. Il ne voyait rien.
Neila retint un hoquet d’horreur. Elle tendit la main vers le garçon, qui l’entendit.
« Maman ! », geignit-il, fonçant en sa direction. Elle voulut reculer, mais le garçon lui enlaça la jambe, aussi fermement qu’en dépendait sa survie. Il tremblait, et surtout, était glacé. Le frisson macabre qui traversa sa jambe lui donnait envie de le repousser, mais elle ne pouvait bouger. Le noir autour de l’enfant l’isola de tout décor et, en lieu et place de son petit visage livide, elle perçut celui de Julie.
« Ça suffit, surgit la voix de Noah, qui attrapa ses épaules. On s’éloigne. »
Il força Neila à bouger, ce qui fit gémir l’enfant. Sentant sa possession s’éloigner, il hurla. Hurla. Appelant sa mère, il hurla à la mort. Alors qu’elle, qui s’enfuyait avec la faible lumière, se bouchait les oreilles, fuyant la nuit.
« Sors-moi d’ici, marmonnait-elle, remettant son scaphandre d’un geste précipité. Cinq deux trois… un six huit… Aaah… Sors-moi d’ici, vite…
— Désolé, Neila. »
Elle ne prêta pas attention à son excuse, quand elle fut poussée à terre. Le choc l’étourdit, un instant, ou ce qui sembla être des heures entières, la joue posée contre la vitre moite et chaude du scaphandre. Elle voulut se redresser, mais ses mains étaient fermement serrées contre son dos. Elle voulut gigoter pour s’extirper de la chose qui l’attaquait, mais son poids la maintenait contre le sol poisseux, avant de lier ses chevilles. Elle marmonnait de peur, ses lèvres prises dans ses cheveux, désormais trempés par la sueur et l’angoisse.
« À… à l’aide !
— Tu es trop louche. J’ai pas le choix. » Noah se releva, sa lanterne éblouissant l’intérieur du scaphandre.
« Noah ! On m’a attachée, aide-moi !
— Avec un peu de chance, tu t’évanouiras par asphyxie… Ça ne devrait pas être trop long.
— Comment… Non, dépêche-toi ! geignait-elle, remuant comme un ver.
— Désolé », se brisa d’un souffle la voix de Noah, avant de fuir avec la lanterne, la laissant en pleine obscurité.
——
Doc se frottait les rides du front, tandis qu’il lisait le quotidien. Ses lunettes zoomaient avec insistance sur la une du Time News, plus qu’il ne devrait en avoir besoin pour lire. Noah savait bien que l’âge rendait la lecture difficile, mais pas à ce point – de plus, il ne bougeait pas. Seulement ses doigts, plissant la peau de son visage déjà meurtri de vieillesse. Fatigué de l’observer se ronger les sangs, il le dérangea afin de le stimuler quelque peu :
« Dis, Doc, t’étais passé où tout à l’heure ? Toi qui ne sors jamais à moins d’acheter des matériaux rares, je ne t’ai pas vu revenir avec quoi que ce soit dans les mains ! Même pas de sacoches d’ailleurs. Quoi, ta trouvaille était trop lourde pour toi ? »
Aucune réaction. Il continuait de fixer le papier, comme léthargique avant l’heure.
« Eh, j’te cause. Qu’est-ce qui t’a pris, d’acheter ça ? Donner de l’argent à un sénateur, tu n’as pas honte ! », continua-t-il de plaisanter.
Même situation. Noah alla même jusqu’à lui voler sa tasse de café glacé, sans plus de résultats. Il se pencha sur lui, vérifiant qu’il respirait toujours, puis tenta d’observer la une lui-même. Quand le vieil homme leva enfin ses binocles à son encontre :
« Ça va pas ? On ne lit pas par-dessus l’épaule de quelqu’un.
— Eh ben, enfin une réponse ! Qu’est-ce qui t’a pris ? Tu me fais encore la gueule parce que je t’ai évité pendant deux jours, c’est ça ?
— N’importe quoi, je ne fais jamais la gueule
— Oui, et moi j’suis un sinistré. »
Emil ne réagit pas et plia son journal, récupérant sa tasse dans le même temps. Il avala une grande gorgée – inhabituel ! – et s’enfonça dans son siège, fixant le gamin.
« Oui ? osa Noah, mal à l’aise par ce temps de silence.
— Tu sais que j’ai été sénateur, par le passé ? »
L’ambiance devint lourde, et surtout désagréable. Noah se frotta la nuque, déjà ennuyé par la discussion, et s’appuya sur le bureau, tâchant de ne pas toucher aux claviers qui l’envahissaient.
« Je ne vois pas en quoi ça nous regarde maintenant. C’est toi qui le répètes sans cesse.
— Cela pourrait avoir bien plus d’importance dès aujourd’hui que jamais. Tu me demandais pourquoi j’étais sorti ?
— Eh ben, pas si dur de la feuille, pépé.
— Je suis allé voir le maire. »
Avalant une gorgée, il laissa Noah bondir du bureau, comme frappé par un électrochoc. Les machines du Doc n’en étaient pas la cause : le jeune homme ne s’était simplement pas attendu à une telle annonce, sortie de nulle part.
« J’te demande pardon ?! Attends, explique-moi ! Quand ? Comment ? Pourquoi ?
— Allons-y étape par étape, veux-tu…
— Non, je ne veux rien savoir en fait ! le coupa Noah. Me dis rien, j’en ai assez entendu.
— Reste tranquille, je veux que tu m’écoutes. Je ne veux pas que Suzanne l’apprenne. »
Alors qu’il avait commencé à quitter la pièce, il revint vers Emil, le sourcil levé. Suzanne ? Quel rapport avec elle ?
« Elle est trop innocente pour ce que je vais te demander de faire. Je ne veux pas qu’elle entende parler de tout ceci. Je brûlerai ce journal après ça.
— Mais qu’est-ce qui te prend à la fin ? Je pige plus rien là…
— Finissons-en avant qu’elle ne revienne, tu veux ? Assieds-toi et écoute. »
D’un claquement de doigt, Emil ordonna à un des sièges robotisés de foncer sur Noah, l’obligeant à s’y poser. Ainsi déstabilisé, il laissa libre cours au vieil homme de continuer :
« Le maire m’avait invité pour me faire une proposition sordide, dont les détails t’intéresseraient fort peu. Plus important, il était avec Swaren, et un jeune homme que je ne connaissais pas.
— Swaren ?! Attend, tu…
— Laisse-moi finir ! Il ne sera pas un danger pour nous, qu’il m’ait vu ou non ne lui permet aucunement de s’attaquer à moi, ni de me localiser. Il n’a pas le talent des chouettes. C’est d’ailleurs de ça que je veux te parler. »
Il prit le journal, sans pour autant le déplier. Ses lèvres ne prononcèrent jamais aussi lentement ce qu’il tentait d’expliquer, laissant coi le jeune voleur, qui se redressait au fil de ses paroles.
« Première chose : le jeune homme m’a donné ceci. » Emil lui tendit un petit morceau de papier plié. Noah le prit, mais ne l’ouvrit pas, attendant qu’il terminât. « Je n’ai pu parler avec lui, ni l’entendre, je suis parti avant qu’ils n’entament leur conversation. Mais, en sortant, il m’a bousculé, et j’ai trouvé ça dans ma poche. Lis-le. »
Démangé de curiosité, Noah ouvrit le bout de papier. L’écriture d’enfant qui le parcourait était parfaitement illisible, et il dut s’y prendre à trois fois avant de parvenir à lire son contenu à voix haute :
« “En… chantier… probemeur…” Ouah, vivent les machines à écrire. “Enchanté professeur, iri…” non, “ici la Chouet…” » Il s’arrêta vivement, parcourant la fin du texte. Puis, il confirma son impression en questionnant du regard le Doc, qui opinait du chef.
« “Enchanté professeur”, reprit-il, “ici la Chouette. Je suis aussi arachnophobe que vous. Si vous avez besoin d’un coup de main, sortez à Mercy et buvez une tasse de café. Je vous verrai.” » Doc reprit le papier, le mâcha et l’avala, avant de faire passer le tout par une dernière gorgée de café. Confiant sa tasse à Noah : « Peux-tu m’en refaire ? Tu es gentil. Je vais avoir besoin de rester éveillé cette nuit.
— C’est qui, ce type que vous avez croisé ? demanda Noah après un moment, profitant du vacarme de la machine à café pour se dérouiller les méninges. Je veux dire, vous avez pu l’identifier un minimum ? Ses yeux, sa couleur de cheveux, sa taille ?
— Oui et non, soupira le Doc prenant la tasse glacée. Non, car je n’ai remarqué le papier qu’après qu’il ait fermé la porte derrière lui. Les droïdes surveillaient le couloir, je ne pouvais rien faire de suspect, j’ai donc vite lâché l’affaire. Oui, car… Voilà la deuxième chose dont je voulais te parler. Ce journal. »
Cette fois, Doc lui tendit le quotidien, daté du 20 thermidor 738 – il y avait tout juste six mois. À la une, un titre, « LAURÉATE DE LA PLUS JEUNE BACHELIÈRE », ainsi qu’une photo, celle d’une remise de prix. Trois personnages y figuraient. Noah s’attarda d’abord sur le vieil homme, identifié comme le proviseur du lycée Ernest de Belleville, serrant la main à un plus jeune. Celui-ci lui tapa dans l’œil.
« Je le connais ! s’exclama Noah. Il était au Dawnbreaker, avec Swaren. “Victor Owlho”… Pas de doutes.
— Avec le sénateur ? Je ne me suis pas trompé, alors…
— Comment tu en es venu à dégoter un journal aussi vieux, sans savoir ce que tu cherchais ?
— Ha ! pouffa Emil, posant sa tasse. Ce n’est pas ce jeunot le plus frappant. Regarde à côté de lui.
— À côté ? Le vieil homme, ou la jeune fille ? » Observant cette dernière, tenant son prix du bout des doigts, Noah crut manquer d’air. Son cœur manqua un battement, remarquant les cheveux d’argent, la fossette au coin des lèvres, le nez et le menton fins et discrets, le regard rond – bien que sinistre – de la trombine. Ce visage avait l’air de sortir d’un cercueil, mais était édifiant de ressemblance.
« Nei…
— Oui, un portrait quasi craché. Pas d’œil blanc, ni de cicatrice, mais en six mois, tout peut arriver. »
Il plongea le nez dans son café, et ne dit plus rien. Noah maintenait le regard braqué sur le portrait de la jeune fille. Il y avait de nettes différences, certes… Ses yeux étaient intacts, ses cheveux plus longs et bien coiffés, ses vêtements dignes d’une jeune dame de rang aisé, et aucune fibre de son être ne respirait la joie. Quant au prix, méritant la une des journaux, il témoignait d’une supériorité intellectuelle remarquable, en comparaison de la cowgirl de service qu’il s’était trimballé jusqu’à Everlaw.
« Ça ne peut pas être elle…
— J’étais dans le déni, moi aussi.
— Non, Doc, je t’explique… Ça n’a aucun sens ! Neila transpire la stupidité et la crasse, la comparaison est superficielle…
— Erreur, c’est la tienne qui l’est. Tu ne t’attardes que sur son apparence. Ne te fie jamais à cela pour déduire d’un danger !
— Oui, soupira Noah, je sais bien, avec le temps… Mais cette fois, tu te goures.
— Et si je ne me trompais pas ? »
Il ne sut que répondre, fuyant le regard en direction du papier. La Neila de la photo était bien différente, mais lui-même avait interprété plusieurs rôles, et pris maints noms, jusqu’ici. Et si c’était aussi le cas de cette gamine ?
« Lewis s’intéresse à la lanterne, reprit Emil. Et comme par hasard, cette fille en dégote une. Owlho, si c’est bien son nom, est venu discuter avec le consul. Et à la fin, que trouve-t-on sur la une des journaux ?
— C’est troublant, oui… Mais, Doc…
— Cet homme est malin, le coupa-t-il. Il lui suffisait de demander à sa fille d’actionner la lanterne pour se l’approprier, quitte à y perdre un œil. Et pour ne pas se trahir, connue des journaux qu’elle est, elle s’est travestie, déguisée en garçon de vache. Personne ne les démasque, le père et la fille, il apprend la combinaison et Owlho se retrouve avec un précieux outil. Une lanterne vierge que lui seul peut utiliser, au profit du maire. De quoi se retrouver parfaitement indispensable ! »
Ce fut au tour de Noah de se plier le front avec les doigts, perdu dans ses pensées. Sous le regard cynique du Doc, tout aussi déprimé, qui continuait sa tirade.
« Et avec une armée de chouette derrière lui, il se trouve être un allié de poids, irremplaçable. Devançant l’Araignée, comme cela semble être son but, il monte les échelons. Rusé et discret, le gamin. Et dire que je vais devoir l’aider pour ça.
— L’aider ?! (Noah bondit.) Tu n’y penses pas ! Cet homme me traque depuis des mois !
— Quel autre choix ai-je ? Si je peux me débarrasser de Swaren une fois pour toutes, je pourrais enfin prendre ma retraite sans laisser Suzanne en danger. De plus, sa fille elle-même est entrée ici, il peut apprendre à n’importe quel moment où nous nous cachons. Je déplace le labo tous les mois, mais cela ne suffira pas à tromper sa vigilance.
— Rien ne dit que c’est forcément sa fille…
— Je te le répète : et si c’est le cas ? Nous ne pouvons prendre aucun risque, Noah. En revanche… »
Il reprit de force le Time News et pointa du doigt le visage du musicien.
« Je ne souhaite pas qu’il devienne un Swaren numéro deux. Il est doué pour utiliser les gens, et n’hésite pas à le faire avec sa propre fille. Son visage ne transpire pas la joie, tu l’auras remarqué ! » Il alluma le gaz de la machine à café, et s’en servit pour brûler le journal, pour de bon. « Elle est douée pour jouer un rôle, mais la vérité se lit sur cette photo. On lui rendra service, crois-moi.
— Lui rendre service ? bafouilla Noah, admirant le papier prendre feu. De quoi tu parles, à la fin ?
— Se débarrasser d’elle. Sans laisser de traces. J’aimerais que tu t’en charges. »
Accusant le coup, Noah s’effondra sur son petit tabouret, quittant des yeux le visage de Neila qui brûlait.
« Tu déconnes, j’espère…
— Ce sera la dernière fois, promit Emil en jetant le journal enflammé dans le conduit à ordures. Après ça, tout redeviendra comme avant.
— “Comme avant” quoi ?! Je n’ai rien connu à part ça, depuis que tu m’as ramassé dans une décharge !
— Noah, je n’ai pas fini, calme…
— Non ! Et ce que tu dis n’a aucun sens. Neila était prête à se débarrasser de la lanterne, à Flicky Way. Elle n’avait aucune relique pour entrer à Everlaw. Le train était un piège. Et elle a fini dans les mines avec moi. La prétendue fille d’Owlho n’aurait rien fait de tout ça, et n’aurait pas risqué de mourir. »
Emil grogna et étendit ses lunettes télescopiques, comme il le faisait quand il était contrarié.
« Bon ! Eh bien, dans ce cas, explique-moi pourquoi elle t’a couru après pour la récupérer, cette lanterne ?
— Elle n’avait pas d’autres choix…
— Bien sûr ! Et quelle réaction a eu Owlho en la revoyant ? Comment a-t-elle réagi ? Se comportaient-ils comme de simples inconnus ?
— Non… (Il soupira.) Mais ça ne veut rien…
— Et à la fin, comment paraître innocente et s’infiltrer chez l’ancien sénateur Cosprow, à moins d’être envoyée dans les mines avec l’étranger ? Alors que Swaren surveille absolument tout ? »
À cela, Noah n’eut plus aucune répartie. Rien à rétorquer, à moins de deux yeux baissés, en guise de défaite.
« Sache, continua le Doc, que si cet homme paraît être l’allié du sénateur, il ne cherche que sa chute. Toutes ses actions le confirment jusqu’ici. Et j’imagine que tu ne me persuaderas pas du contraire, en les ayant vus discuter ?
— Non…
— Owlho ne te cherchait pas toi : il attendait sa fille. Tu n’étais qu’un prétexte pour accompagner Swaren. »
Noah désormais silencieux, Emil finit sa tasse, le temps de se calmer, de corps et d’esprit. Il tapota quelques lignes de code sur son clavier, vérifiant que ses brouilleurs GPS étaient intacts, qu’aucun traceur n’était installé sur son réseau. Une manière comme une autre de s’occuper l’esprit.
« Et si tu te trompes ? »
Emil plia ses doigts, le jeune homme insistant. Mais sa voix trahissait son incertitude. Il n’était pas certain que Neila était fiable. Peut-être le trompait-elle depuis le départ, peut-être était-elle une espionne, peut-être était-il naïf. Mais il ne voulait pas tuer une innocente. Qu’il avait connue, de surcroit.
« Il se peut qu’il y ait une chance sur deux, répondit Emil. Je ne veux prendre aucun risque. Sa vie met la nôtre en danger.
— Mais pourquoi aller jusqu’à la tuer ?
— Elle est trop dangereuse et a vu notre planque ! Nous n’avons pas le choix. Qu’Owlho cherche à nous tromper ou dise la vérité, il ne doit pas savoir où nous nous trouvons. Les brouilleurs empêchent les chouettes de nous localiser, mais s’il retrouve sa fille avant nous… Cela n’importera pas, que Swaren tombe, si nous perdons dans la foulée. Le maire n’est probablement pas au courant des lettres que tu reçois, mais Owlho n’aurait aucune raison de taire leur existence si Swaren n’est plus dans la course. Nous nous jetons dans la gueule du loup. Sauf si tu agis. »
Noah se leva, se frottant les cheveux. Il fouilla ses poches, à la recherche de la dernière lettre qu’il avait reçue. La poupée ! Il se souvint qu’il lui avait envoyé la position de Neila et Suzanne, après son message. Cela l’avait surpris d’abord, mais il n’avait pas perdu de temps. À l’heure qu’il était, elle était probablement en possession de la lanterne, quoi qu’elle lui servît.
« Et où est Neila ? Toujours à l’hôtel ?
— Non, Suzanne l’a perdue. Mais pas d’inquiétude, elle a envoyé Will la chercher. Ils devraient rentrer d’un moment à l’autre. Que décides-tu ? L’horloge tourne. »
L’étranger parcourut sa lettre du regard, profitant des superbes écritures tracées sur le papier. À force d’être pliée et repliée, elle avait fini par se déchirer, légèrement. Il alluma le gaz et la brûla, avant de la jeter à son tour dans le conduit. Aucune lettre ne devait exister, après lecture. Sa mission était remplie, il lui en restait une dernière. Neila n’a plus le cube, en théorie. Si elle l’a toujours, je le récupère dans la foulée. Sinon, je n’ai effectivement plus rien d’autre à faire pour aider la poupée, à part ça…
Un doute persistait néanmoins.
« Si le propriétaire de la lanterne meurt, peut-elle avoir un nouveau maître ?
— Hein ? Ne me dis pas que tu t’intéresses encore aux demandes de la poupée ! Par pitié, nous en avons assez discuté. Il y a plus important à faire, tu ne crois pas ?
— Réponds-moi simplement, et je te donnerai ma réponse. »
Emil s’offusqua un court instant, puis abdiqua. Si l’affaire était entendue entre les deux, il ne devait pas avoir de raison particulière d’esquiver sa question.
« Sais-tu au moins à quoi elles servent ?
— Plus ou moins…
— J’en conclus un “non” – et c’est pas faute d’avoir évité le sujet. Mais nous y voilà. Les combinaisons de ces lanternes permettent de les transformer en lumière-guide. Elles pointent vers toute chose que son détenteur convoite. »
Toute chose qu’on convoite… C’est possible, au moins ? Pas étonnant que Lewis en veuille une, ça lui permettrait d’écraser tout le monde. De trouver des traîtres et des reliques pour s’enrichir. Noah en frémit d’angoisse, se demandant bien ce que la poupée pouvait bien vouloir en faire. Trouver la princesse, peut-être ? Si Noah obtenait lui-même le cube et la combinaison, retrouverait-il Alicia ?
« À chaque fois que quelqu’un s’en approprie une, continua le Doc, un autre le tue pour l’obtenir. L’avidité humaine est ainsi faite. Sais-tu alors pourquoi les lanternes non vierges deviennent si rares ?
— Parce qu’il faut la combinaison, et que les assassins ne prennent pas le temps de l’obtenir ? ironisa le jeune homme.
— En partie seulement. Si le possesseur d’une lanterne meurt, elle devient muette. Mais… il y a une chose que je sais. Je suis peut-être le seul à le savoir. J’ai déjà obtenu la lanterne d’un décédé, avec sa combinaison, et j’ai pu l’utiliser.
— Tu… tu avais une lanterne ?
— Je m’en suis vite fait débarrassé, encore heureux. Je ne suis pas fou au point d’attirer la mort sur moi, et ça m’a aidé à financer mes recherches. J’avais fait croire aux ingénieurs de Belleville qu’elle était vierge, et j’avais donné la combinaison. J’étais encore jeune – quelle belle époque… » Il sourit, chose rare, et finit sa tasse de café, croquant un glaçon. « Sais-tu donc comment j’ai compris cela ? (Il ne lui laissa même pas le temps de répondre, absorbé par son récit.) Son possesseur d’origine n’avait jamais utilisé la lanterne ! »
Emil tapotait son écran, qui avait commencé à grésiller, tandis que Noah réfléchissait. « Neila a dit qu’elle ne l’avait jamais utilisée…
— Tout juste. Sa lanterne est certes vierge, mais tant qu’elle ne s’en sert pas au moins une fois, n’importe qui peut s’en emparer, la tuer, et la faire sienne. Qu’Owlho sache cela ne serait pas étonnant, Swaren non plus, comme il m’épie depuis trente ans. Mais je doute qu’ils aient donné l’information au maire – et il ne faut surtout pas qu’il l’apprenne. »
Oui. Il ne vaudrait mieux pas que Lewis le sache.
« Pour finir, conclut Emil, si Neila meurt, elle ne sera plus liée au cube. Et n’importe qui pourra apprendre sa combinaison. »
Voilà qui m’arrange bien, tien… C’est presque trop évident. Comme si tout m’amenait à devoir commettre l’irréparable.
« Ça marche, se lamenta Noah. Je l’emmènerai en bas, ça devrait suffire.
— Largement suffire. Passe par des recoins obscurs et n’hésite pas à faire durer le trajet, qu’on ne puisse pas te tracer. Et bien entendu, fais en sorte qu’on ne vous reconnaisse pas.
— Je ne suis pas idiot, merci. Je sais déjà comment faire… »