Extrait de communications :
Tremblement de magnitude 5,6 enregistré.
Demande d’une enquête.
Demande approuvée.
Archives de l’Apsû, branche Française, 1996
Je martèle la sonnette de la maison de Sacha !
« Allez, allez, ouvre… »
Une série de bruits de loquet finit heureusement par se faire entendre, avant que la porte ne s’ouvre sur la face ronde d’un Mathieu aux yeux encore englués par le sommeil.
« Diane… ? Qu’est-ce qu’il se passe ? »
« Je vais t’expliquer, mais d’abord laisse-moi rentrer s’il te plaît ! »
Devant mon ton pressé, il ne pose pas plus de questions et se pousse sur le côté.
Je me précipite dans l’interstice et mon camarade à la présence d’esprit de reverrouiller derrière moi.
« Ne fais pas trop de bruit, Sacha dort encore… »
Je le coupe : « Mathieu : le pyromane a mis le feu chez mon oncle ! »
Il se fige.
Son expression paniquée m’informe sans équivoque de la question qui lui brûle les lèvres.
« Non, il ne m’a pas suivi. Ou du moins, il a perdu ma trace. »
« Tu en es bien certaine ? » souffle-t-il alors qu’il se tord les mains, son inquiétude étant palpable.
« Je… oui. J’ai reçu de l’aide… »
« De l’aide… ? »
« Oui, de… de madame Wodan ! Oui, oui, j’ai moi-même encore du mal à y croire ! Je suis tombée sur elle, elle m’attendait, je ne comprends toujours pas bien comment elle a su que je passerais par-là ce soir, mais elle savait que j’étais poursuivi et elle m’a aidée à passer inaperçu, avant de me guider jusqu’ici ! Elle… elle… »
Je peine à reprendre une respiration normale.
« Damn it, Mathieu… Je crois qu’elle avait un Anneau ! Je suis pratiquement certaine que c’en était un à son doigt ! »
Il me saisit par les épaules et m’entraîne jusqu’au salon où il me force à m’asseoir dans le canapé.
Le calme naturel de mon camarade m’apaise progressivement, assisté par ma chevalière dont je sens les bonnes ondes remonter le long de mon bras.
Après quelques profondes inspirations, je commence enfin à retrouver une respiration régulière et stable.
Mathieu me presse l’épaule patiemment, tandis qu’il me demande doucement enfin : « Donc, maintenant que tu es calmée, est-ce que tu peux m’expliquer, posément, ce qu’il s’est passé ? »
Je commence à raconter, depuis l’instant où j’ai vu le pyromane, jusqu’à mon arrivée ici, en passant par ma fuite et ma rencontre avec notre professeur de SVT.
Mon ami m’écoute en silence, attentif, sa main ne lâchant pas mon épaule, comme pour me fournir un point d’ancrage dans ma vie qui vient de voler en éclat.
À la fin, je me tourne vers lui, l’interrogeant : « Tu savais pour Wodan ? »
« Non. Je ne l’ai jamais vu avec un Anneau. Si ça se trouve, tu te trompes et elle n’en a pas… Mais tu as cependant raison : son comportement était plus qu’étrange et inexplicable. Je… je n’aime pas ça, je t’avoue. Si jamais elle décide de devenir ton ennemie : elle sait où tu es, après tout ! »
Shit, je n’y avais pas pensé… En plus, je mets Mathieu et Sacha en danger, en restant ici !
La main de mon camarade se raffermit sur mon épaule.
« Eh. Ne crois pas que je ne devine pas à quoi tu penses. Ne songe même pas à t’en aller toute seule. On est déjà dans le même bateau. Partir en croyant nous protéger ne servira à rien. On sera d’autant plus en danger si nous sommes séparés les uns des autres. On est plus fort en groupe. »
« …Sacha et moi on a nos Anneaux, mais toi tu n’as rien… tu es exposé… »
Il me coupe vivement : « C’est rabaissant ce que tu me dis, là. Ce n’est pas parce que je n’ai aucun pouvoir, que je suis inutile et sans défense ! Sans compter que ma famille avait un Anneau ! Ce qui fait de moi une cible. »
Mince… je suis vraiment idiote quand je panique…
Mon Anneau n’est pas censé me distiller du courage ?! C’est de l’arnaque…
« On va réveiller Sacha. Il faut que l’on le mette au courant, lui aussi. »
Je ressens sa réticence à sortir du lit l’irascible maître des lieux, mais je ne relève pas.
« Je t’accompagne, si tu veux bien. »
Je doute qu’il ait besoin de mon aide, je risque même de le gêner, compte tenu de ma relation houleuse avec notre camarade… mais j’ai l’impérieux besoin de faire quelque chose, n’importe quoi, si je ne veux pas recommencer à ressasser en boucle les évènements de la soirée.
C’est ainsi que nous empruntons ensemble l’escalier qui nous amène à l’étage.
À l’image du salon, l’endroit est absolument surchargé de souvenirs de voyages divers et variés.
Les couloirs sont, par conséquent, étroits, mais Mathieu s’y déplace avec l’aisance de l’habitude, là où moi je dois me concentrer pour ne pas heurter une statuette, une boule à neige ou un présentoir occupé par un quelconque objet !
Mais il y a cependant quelque chose qui diffère par apport au rez-de-chaussée : les photos.
Absentes en bas, elles trônent en revanche avec nature ici.
Prises à l’aide d’un vieux polaroid ou d’un appareil plus récent, elles montrent des décors visités par les propriétaires des lieux… mais ce n’est pas tant cela qui accroche mon regard, au final.
Aussi belles soient ces photos, je n’y aurais pas prêté beaucoup plus d’attention si certaines n’avaient pas représenté des personnes… des personnes, dont la finesse et les traits faciaux m’indiquent qu’il s’agit de membre de la famille de Sacha… et dont plusieurs présentent des difformités.
Rien de méchant, non ! Aucun boiteux, bossu ou que sais-je ! Non, c’est plus… anormal…
Ce souriant grand-père qui fait un V de la victoire en direction de l’objectif à clairement des écailles sur le bras, par exemple !
Ce petit garçon accroupi au bord d’un lac a sans nul doute une courte queue glabre qui lui sort du bas des reins !
Je ne peux pas ignorer le sabot fourchu et les poils qu’exhibe cette femme à sa jambe gauche pendant qu’elle randonne !
« L’Anneau de Loki laisse des traces lui aussi. »
Je sursaute, la voix de Mathieu me tirant de la contemplation dans laquelle je me suis enlisé sans même m’en apercevoir !
« Tu veux dire que… ? »
« Toute sa famille se faisait tourner l’Anneau et en usait selon ses envies. À force, il y a commencé à y avoir des apparences qui ne revenaient pas totalement comme elles auraient dû… et certains enfants sont nés avec des mal formations. »
« Sacha aussi ? »
« Non, cela n’a touché qu’une poignée d’enfants. Mais d’ici quelques générations… »
Il soupire.
« Je ne sais pas, honnêtement. En plus, eux ça ne m’a jamais semblé les déranger d’avoir des caractéristiques d’animaux. »
Il s’arrête devant une porte, alors qu’il ajoute dans un souffle : « Mais peu importe pour le moment… Ce n’est pas la priorité. »
Il abaisse la poigne et rentre sans plus attendre.
Je le rejoins à pas pressés, comme si je fuyais ces photos qui m’ont mise plus mal à l’aise que je ne veux bien l’admettre.
Heureusement, ou malheureusement, je ne sais pas trop, la chambre qui s’offre à ma vue chasse sans difficulté toutes les images d’attributs bestiaux qui s’étaient imprimés à ma rétine !
En effet, dans l’obscurité nocturne percée uniquement par la lumière du couloir, je découvre une chambre d’ado classique… si ce n’est le gros jaguar lové sur le lit.
Il dort comme ça, sérieusement ?!
…C’est peut-être pour cela que Mathieu était aussi hésitant à monter le réveiller.
Les griffes plantées dans le matelas sont, à elles seules, des arguments de poids pour laisser Sacha profiter encore du monde des songes !
Et pourtant, c’est d’une démarche résolue que je vois mon camarade s’en approcher !
…Ce garçon a plus de cran que je ne l’aurais supposé.
Il commence à avancer la main vers son ami… puis s’interrompt, tournant la tête vers moi.
« Promets-moi que tu ne lui avoueras jamais que tu as vu ce qui va suivre. »
« Euh… d’accord ? »
Que va-t-il donc faire ?
Il retend une nouvelle fois la main vers la masse de fourrure sombre assoupie et entreprend… de lui gratter le cou, comme un gros chat.
Je reste interdite, totalement ébahie par cette vision… qui marche en plus !
En effet, les yeux félins s’entrouvrent progressivement, brillant dans l’obscurité, et papillonnent un instant avant de se poser sur Mathieu.
« …Hein ? Quoi ? C’est le matin ? »
« Non, il fait nuit noire… mais on a un… problème, disons. »
Un silence passe, puis le regard de Sacha me découvre.
« Oh, toi… je jure que si t’as pas une excellente raison d’être là, je te transforme en steak haché… »
Je ne peux m’empêcher de grimacer à cette menace, qui a d’autant plus de poids compte tenu de sa forme toujours aussi prédatrice…
Mais notre ami commun l’arrête d’une pression apaisante de la main sur son épaule.
« Elle a une très bonne raison d’être là, rassure-toi. »
« Dommage. »
Décidément, j’adore ce gars…