Chapitre 13 : Hadjira - Voyage

Le village tout entier se réunit pour la regarder partir et ils lui firent de grands signes de la main. Il était évident qu'ils levaient les yeux sur elle mais tout le monde trouva cela normal. Après tout, ils ne reverraient jamais leur fille, sœur, cousine, amie.

Hadjira adressa un dernier regard à sa mère avant de partir. La jeune prêtresse en devenir était triste, mais elle n'avait pas peur. Après tout, elle n'était pas seule. Kamel était avec elle. Il devait l'escorter pour la protéger d'un danger dont Hadjira n'avait pas la moindre idée.

Bientôt, ce fut l'arbre mort, celui qui symbolisait la fin du territoire sécurisé. Les enfants n'avaient pas le droit de dépasser seuls ce point. Puis, ce fut les herbes hautes. Là, c'était le territoire des chasseurs. Plus loin, les trois acacias majestueux, dont une grande girafe dégustait les plus hautes feuilles. Le territoire de son clan s'arrêtait là.

Au-delà, c'était le clan Baj'hir. Ils croisèrent quelques cueilleurs qu'ils saluèrent.

Ils dormirent dans une hutte du clan Caba, le troisième dont ils avaient foulé les terres ce premier jour. Comme tous les membres du peuple du bien, le chef leur avait proposé lui-même l'asile, ainsi que le repas du soir.

Lorsqu'ils entrèrent deux jours plus tard sur les terres du clan Kili, Hadjira sentit la tristesse monter en elle. C'était l'endroit le plus éloigné où elle était jamais allée. Hadjira se renferma dans la contemplation du paysage, mélange de jaune et d'orange. Cela allait rapidement changer car la saison des pluies arrivait et enfin, on verrait du vert partout et ils pourraient se nourrir d'autres choses que de racines sèches.

Hadjira s'en voulut d'avoir désirée que les pluies arrivent car bientôt, elles furent là, et bien là. Les averses ne cessaient pas mais Coumba n'octroya aucune pause. Elle continuait, se moquant apparemment des éléments déchaînés. La savane reverdit. Les rivières se gonflèrent d'eau, ce qui ne facilita pas leur traversée.

Finalement, éreintés d’avancer dans la boue, sous la pluie et dans un silence constant, ils parvinrent au lac Jor'mar. Ce lac symbolisait la fin des terres du peuple du bien. Au-delà, c'était l’Égypte, cette terre dont Hadjira n'avait entendu que du mal. C'était tout l'inverse de son peuple, lui avait-on répété sans cesse. Et voilà qu'elle allait devoir rencontrer le chef de ce pays, un homme qui devait forcément refléter le mal de son peuple.

L'avancée en terres égyptiennes ne fut pas de meilleure qualité, au contraire. Ils évitèrent les habitants, peu désireux de se mêler à eux, craignant quelque hostilité. De plus, Coumba leur avait demandé de se vêtir. La prêtresse avait expliqué que les égyptiens ne toléraient en aucune façon la nudité.

Hadjira avait donc dû revêtir une longue robe serrée guère pratique pour avancer. Elle devait également porter des sandales et trouva cela particulièrement inconfortable. Kamel, de son côté, se contenta d'un simple pagne et de sandalettes fines.

Hadjira maudit les égyptiens. Pourquoi fallait-il porter cette chose ridicule qui excluait toute notion de praticité ? La nudité était tellement plus simple !

- Normalement, les femmes égyptiennes restent dans leur village ou ville de naissance. Elles ne se déplacent pas librement, comme nous, expliqua Coumba. De plus, elles portent des perruques qui, selon la longueur des cheveux, indiquent leur rang.

- C’est quoi une perruque ? demanda Hadjira.

- Une fausse chevelure qu’on pose sur sa tête, expliqua gentiment Coumba.

- Elles coupent leurs vrais cheveux ? demanda Hadjira, peu désireuse de couper sa longue crinière.

- Certaines oui, mais ça n'est pas obligatoire. Elles portent la perruque par-dessus leurs vrais cheveux qu'elles laissent visibles.

Hadjira hocha la tête. C'était étrange, mais pourquoi pas, après tout.

- Les femmes égyptiennes sont très coquettes. Elles aiment porter des bijoux ou se maquiller.

- En ça, elles nous ressemblent, dit Hadjira en souriant.

- Oui, tout le monde aime être beau, répondit Coumba. La différence est qu'elles choisissent plutôt, quand elles le peuvent, de porter des bijoux en or ou en pierres précieuses.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda Hadjira.

- C'est un métal précieux, plutôt courant en Égypte, mais qui demande d'innombrables efforts pour être récupéré. C'est pour l'or que des milliers d'ouvriers meurent chaque année, répondit Coumba.

- Pourquoi utiliser un matériau si difficile à obtenir ? ne comprit pas Hadjira pour qui les bijoux étaient surtout faits en os.

- Les Égyptiens pensent qu'il faut rendre hommage à leurs dieux qui ont crée le monde en représentant ce monde dans toute sa diversité. Donc, ils doivent posséder un peu de tout ce qui existe dans le monde. Ils vont partout, fouillent, cherchent, commercent avec d'autres pays, d'autres mondes, pour obtenir tout ce qui existe dans la nature.

- C'est une tâche impossible, souffla Hadjira à qui une telle perspective donna le tournis.

- Pourtant, les Égyptiens font tout pour y parvenir. Évidemment, pour les paysans, c'est plus difficile mais tous essayent de mettre un maximum de choses dans leur tombe, même en petite quantité. Ainsi, un bijou en or est la garantie que leur âme sera conservée dignement par leurs dieux.

- Qu'est qu'un dieu ? interrogea Hadjira.

- Nous pensons que le monde – la terre, le ciel, les plantes, les animaux, nous – avons toujours existé et nous suivons la voie de nos ancêtres pour y mener la vie la plus harmonieuse possible. Les Égyptiens, eux, pensent que des êtres supérieurs ont créé le monde et ils les honorent sans cesse. Leur chef, pharaon, est adulé tel un dieu. Naturellement, continua Coumba en voyant l'air effaré d'Hadjira, ils savent qu'il ne l'est pas mais considère que Mâat parle par sa bouche.

- Mâat ? intervint Kamel. Je croyais que c'était la déesse de la justice ?

- Mâat désigne beaucoup de choses et, entre autres, la justice. Mais elle reflète également l'ordre, l'harmonie et la vérité, toutes les valeurs que nous défendons.

- Et Mâat parlerait par la bouche de pharaon, dit Hadjira qui n'essayait même pas de cacher à quel point elle trouvait cela ridicule.

- C'est plus fort que ça : pharaon doit faire en sorte de suivre les préceptes de Mâat. Il est obligé d'être juste, de dire la vérité, de faire régner l'ordre et l'harmonie car il est la voix de Mâat. Tu comprends ? Pharaon doit être juste et bon. Les égyptiens savent que leur pharaon n'est pas un dieu mais en l'adulant comme s'il l'était, ils le forcent à agir comme s'il l'était et pharaon se doit donc d'être parfait.

Hadjira commençait à comprendre. Elle hocha la tête. C'était plutôt malin.

- Cependant, précisa Coumba, pharaon est un dieu et compte bien être considéré en tant que tel. Les pharaons sont généralement supérieurs, hautains, méprisants et présomptueux, alors, ne t'attends pas à voir un homme parfait.

- Ce pharaon-là l'est-il ?

- Je n'en ai aucune idée, lui apprit Coumba. Aucune prêtresse n'est jamais allée le voir. C'est la première fois depuis le début de son règne qu'un problème est suffisamment important pour qu'une rencontre avec le chef suprême soit nécessaire.

Hadjira hocha la tête et remercia la prêtresse pour ses enseignements. Pendant tout le trajet, Coumba continua à expliquer ce qu'elle savait des règles des égyptiens, de leurs coutumes, de leurs joies, de leurs peines et Hadjira écouta avec attention.

Un soir, peu avant le coucher du soleil, ils arrivèrent devant une immense rivière, rapide, puissante. Jamais Hadjira n'en avait vu de telle.

- Ce n'est pas une rivière, expliqua Coumba. C'est le Nil. Le fleuve d’Égypte. Le cœur de l’Égypte. Sa vie. Tous les égyptiens, ou presque, vivent à ses abords apportant eau et nourriture. Ouel Djavir est plus au nord. Nous devrions y être dans une lune. En attendant, on évite la population. Je ne tiens pas à me faire remarquer. Les gardes de pharaon sont partout.

- Ne sommes-nous pas censées apporter la justice au peuple ? Comment le faire si nous les fuyons ?

- Nous… Hadjira, écoute-moi bien, nous n'avons pas le droit de rendre la justice en Égypte. Seule Mâat le peut, par la voix de pharaon ou des prêtres de Mâat. Le peuple n'accepte pas que quelqu'un d'autre puisse posséder la vérité et surtout pas un non Égyptien. Si le peuple trouve une prêtresse…

Coumba ne termina pas sa phrase, se contentant de frissonner. Hadjira comprit que le sort de la prêtresse n’était pas bon.

- Comment rendons-nous la justice en ce cas ? interrogea Hadjira.

- Dans les autres pays, nous le faisons librement mais ici, en Égypte, nous devons aller voir les prêtres de Mâat en cachette, leur dire qui nous sommes et nous agissons dans l'ombre.

- C'est terrible. Vous… Mais alors vous ne pouvez pas avoir de famille ! comprit Hadjira.

- Exactement, mais comme l'endroit où nous rendons la justice est libre, tu ne seras pas obligée de rester en Égypte. Nous allons simplement révéler ton don, j'irai voir pharaon puis tu choisiras le pays de ton choix.

- Je ne choisirai pas l’Égypte, assura Hadjira.

Coumba sourit.

- Pourquoi l'avez-vous fait ? intervint Kamel.

- Mes raisons me regardent, répondit Coumba et il était parfaitement clair qu'elle ne désirait pas que quiconque insiste.

Nul ne le fit donc. Coumba repartit et ses deux compagnons la suivirent. Ils ne croisèrent pas un Égyptien et Hadjira trouva cela extraordinaire. Coumba la maternait vraiment bien. Pas un danger en vue. Kamel jouait souvent l'éclaireur pour déterminer quel chemin prendre. C'est ainsi qu'ils avancèrent pendant une lune, en terre égyptienne, sans jamais croiser le chemin d'un de ses habitants.

Coumba, Kamel et Hadjira arrivèrent en vue de Ouel Djavir en fin de soirée. Le soleil était déjà couché et les abords de la capitale étaient vides et silencieux. Chacun était rentré chez soi pour la nuit. Le groupe s'avança vers l'entrée protégée par quelques gardes.

- Hadjira, ne les regarde pas, ils pourraient mal le prendre et laisse-moi parler.

Hadjira hocha la tête et baissa les yeux. Ils passèrent devant les gardes sans même que ceux-ci ne s'intéressent à eux et Coumba n'eut même pas à leur adresser un mot. Elle en sautillait presque d’allégresse. Elle mena le groupe jusqu'aux abords du Nil.

- Nous allons passer la nuit là, annonça Coumba.

- Dehors ? À la belle étoile ? lança Hadjira, surprise.

- Oui, pourquoi ?

- Nous sommes en plein milieu d'une ville avec plein de maisons et nous dormons dehors ? Ne pouvons-nous pas demander l'hospitalité ?

- En ville ? s'exclama Kamel. Si tu fais ça, tu seras accueillie… en prison ! On ne bouge pas et surtout, on reste silencieux. Il s'agit de ne pas attirer l'attention sur nous.

Hadjira hocha la tête, surprise par une telle terreur dans les yeux de son grand-père. Ces gens étaient-ils si agressifs que ça ? L'asile était pourtant une pensée essentielle dans le peuple du bien. Hadjira préféra ne rien dire et se coucha sans se plaindre.

Le soleil la réveilla. Hadjira constata que Coumba était déjà éveillée. Elle était assise et regardait l'agitation autour d'elle. Des hommes allaient et venaient, portant parfois de lourds fardeaux et parfois de simples parchemins. Les femmes lavaient leur linge dans le Nil. Les enfants se jetaient à l'eau avec entrain. Les rires et la joie résonnaient.

Pourtant, Hadjira ne voyait rien de cela. Tout ce qu'elle voyait était en noir et blanc. Chaque être vivant était entouré d'une aura allant du noir au blanc. Rapidement, ses yeux s'adaptèrent et elle put voir les gens. L'aura n'avait pas disparu mais elle était un simple liseré autour du corps, bougeant en même temps que lui.

- Ça y est, tu vois, dit Coumba et ce n'était pas une question.

- Je… Qu'est-ce que je vois ? interrogea Hadjira sans quitter le Nil et ses habitants des yeux.

- Le bien, et le mal, répondit Coumba. Plus l'aura est sombre, plus ils sont mauvais.

- Les enfants brillent, remarqua Hadjira en ne cessant de les contempler.

- Pas tous, répliqua Coumba. Celui qui vient de pousser sa petite sœur à l'eau n'est pas blanc.

Hadjira le regarda pour constater, que, effectivement, il brillait moins que les autres.

- Certes, mais… commença Hadjira en se tournant vers la prêtresse.

Elle dut stopper, éblouie. Elle ferma les yeux. Elle avait la sensation d'être soudain aveugle.

- Ne jamais regarder une prêtresse, sourit Coumba. Ça peut faire mal. Ne t'inquiète pas, tu vas t'habituer.

- Je brille comme ça ?

- Oui, une lumière au milieu de la nuit, lui apprit Coumba. Tu peux te voir, dans un miroir ou à la surface de l'eau.

- Pas quand je me regarde ? demanda Hadjira en regardant ses mains brunes.

- Non, répondit Coumba. Nous ignorons pourquoi.

Hadjira tenta à nouveau un regard vers Coumba et la lumière fut rapidement acceptable. Hadjira se tourna à nouveau vers le Nil et il lui sembla que tout avait changé.

- C'est parce que ton esprit rééquilibre sans cesse, expliqua Coumba sans qu'Hadjira n'ait besoin de demander.

- Comment cela ?

- C'est pour ça que tu ne voyais rien au village. Tout le monde est bon là-bas. Ils ont tous la même couleur, blanc, alors, ton esprit a assimilé cela à quelque chose de normal. Tu voyais l'aura sans la voir. Elle a toujours été là mais elle était quelque chose de normal pour toi. Pour que tu "vois", il a fallu te donner un autre point de comparaison. Tu viens de voir la pureté en me regardant et le mal en regardant certaines de ces femmes. Dis-moi, certaines ont-elles une aura noire, complètement noire ?

- Oui, dit Hadjira après avoir regardé, mais vous devez les voir aussi ?

- Non, lança Coumba. Laquelle par exemple ?

Hadjira désigna une femme qui lavait son linge en souriant.

- Je suppose qu'elle a oublié de souhaiter une bonne journée à son mari ce matin, s’amusa Coumba. C'est un drame, en effet. De quoi la condamner à mort !

- Pourtant, dit Hadjira, je la vois plus noire que la cendre.

- Parce que tu n'as pas de moyen de comparaison. Elle est la plus sombre qu'il t'ait été donné de voir, alors, ton esprit lui a donné la couleur la plus sombre. J'aimerais t'emmener à la punition publique d'un meurtrier.

- Pourquoi ? s'exclama Hadjira, dégoûtée.

- Pour que tu voies à quoi ressemble l'aura d'un meurtrier et que tu équilibres les autres en fonction de ça. Tu ne peux pas continuer à voir un crime aussi mineur que celui de cette femme comme le pire du monde !

Hadjira détourna les yeux. Elle n'aimait pas, mais alors pas du tout ça. Elle comprenait que c'était nécessaire mais n'appréciait pas.

Hadjira continua à regarder les égyptiens vivre autour d'elle jusqu'à ce que Kamel – qui était d'un blanc un tout petit moins étincelant que la prêtresse, mais à peine - se réveille et que Coumba annonce le départ du groupe. Ils partirent pour le grand marché, où ils étaient le plus à même de croiser beaucoup de monde et donc de permettre à Hadjira d'éveiller au mieux son don.

Le soleil avait à peine bougé dans le ciel qu’Hadjira avait une horrible migraine. Ils furent forcés de s'arrêter avant de replonger dans la foule.

Finalement, au début de l'après-midi, Coumba les mena jusqu'à une place secondaire.

- Le meurtrier va recevoir une peine répandue ici. On lui coupe la main qu'il a utilisée pour tuer et ensuite, chaque personne présente est invitée à lui donner un coup de bâton.

- Mais cette place est pleine de monde ! Le pauvre homme va recevoir des centaines de coups de bâton ! Ne va-t-il pas en mourir ?

- Ce n'est pas le but ultime mais disons que ça ne dérange pas spécialement les juges, répondit Coumba. C'est un meurtrier, après tout. Il mérite d'être puni.

- Vous le pensez ? demanda Hadjira. Vous pensez vraiment qu'il mérite cela ?

Coumba sourit devant le dégoût visible de sa jeune protégée.

- Hadjira, tu dois absolument comprendre une chose. Le bien et le mal sont des notions personnelles. Si tu considères que ce qu'a fait un homme n'est pas mal, alors tu le verras blanc comme neige. Fais attention et essaye le plus possible d'être impartiale. Ces juges appliquent la loi, celle de ce pays, celle de ce peuple, tu dois l'accepter. Aux yeux de ce peuple, cette punition est normale. Ce n’est pas ton rôle de juger cela. Ton rôle est simplement de déterminer qui est coupable, pas de choisir ni de juger la sanction.

- Comment savoir si quelqu'un est coupable ? Tous les gens ici présents sont particulièrement sombres ! Sont-ils tous coupables ?

- De quelque chose que tu considères comme un crime, oui. Ils sont tous là pour battre cet homme et à tes yeux, c'est un crime. Change de perspective et ils changeront de couleur.

Coumba se redressa pour voir arriver le meurtrier. Elle fit signe à Hadjira de le regarder afin d'équilibrer sa vision. Instantanément, tous les gens de la place s'éclaircirent et le meurtrier fut l'un des rares à être complètement noir, avec deux ou trois autres personnes.

- Tu vois le jeune homme, là-bas, contre le mur ? murmura Coumba.

Hadjira se tourna vers lui. Il n'était pas complètement noir mais son aura s'en rapprochait.

- C'est sûrement un voleur, continua Coumba. Ceci dit, je n'en suis pas certaine mais vu comme son aura est sombre et la façon qu'il a d'observer le monde à la recherche d'une bonne occasion, je pense que c'est le cas.

- Que peut-on faire ? demanda Hadjira.

- Rien. Pourquoi veux-tu faire quelque chose ? Cette ville a un système judiciaire bien fait. Des soldats. Des prisons. Des procès. Des juges. Des punitions déjà bien établies. On n'a pas besoin de nous ici. Cette ville se débrouille très bien toute seule.

- Ce voleur est en liberté, répliqua Hadjira.

- Il y aura toujours des criminels en liberté partout. Il faut savoir rester à sa place. Si tu veux condamner tout le monde, tu vivras malheureuse toute ta vie. Ne jamais juger plus que ce pour quoi on t'a payée.

Hadjira hocha la tête. Elle était heureuse que Coumba lui explique tout cela.

- Demain, annonça Coumba à voix haute, c'est la fête du Nil, qui vient d'entrer en crue. Osiris va être montré et pharaon, loué soit-il, sera beaucoup plus détendu. Nous avons audience avec lui demain, après le passage de la barque sacrée.

Hadjira ne répondit rien. Cela lui sembla étrange d'entendre une telle humilité dans la voix de Coumba lorsque celle-ci avait parlé de pharaon. Hadjira comprit qu'elle avait encore beaucoup à apprendre. Cependant, elle en savait assez pour ne pas demander d'explications en public à son mentor : Osiris ? Montré ? Elle n'avait pas compris mais ne demanderait pas cela ici. Cependant, elle n'oublierait pas de le faire plus tard.

- En attendant, nous allons acheter à manger. Viens, finit Coumba.

Elle conduisit Hadjira et son grand-père jusqu'à un marché. La prêtresse y choisit un beau poulet qu'elle paya avec de l'argent qu'elle sortit d'une de ses poches.

- Vous avez de l'argent, Coumba ? lança Kamel.

- Évidemment, comment suis-je censée vivre en Égypte sans ? Je me fais payer pour rendre la justice. Ici, personne n'offre le couvert ou le logis gratuitement. L'hospitalité est une chose inconnue.

Kamel secouait la tête.

Alors qu'ils dégustaient leur volaille sur un muret face au Nil, Hadjira regarda passer les gens. Ils étaient plutôt gris, pour la plupart. Les enfants, surtout très jeunes, étant blancs mais ils noircissaient rapidement. Certains adultes étaient gris foncé et d'autres carrément noirs.

Hadjira ne fit rien, se contentant de regarder et d'améliorer sa vision qui lui donnait encore de temps en temps mal à la tête.

Ils passèrent l'après-midi à se promener parmi les gens, à s'arrêter pour admirer des maisons ou les abords du Nil. Il faisait beaucoup plus frais et doux ici que dans le désert où vivait le peuple du bien et Hadjira trouva cela très agréable.

Ils passèrent devant le palais de pharaon, un bâtiment majestueux et immense, avec des statues, des murs sculptés et peints qui rayonnaient, et également des centaines de gardes protégeant l'entrée.

Ils entrèrent dans la cour du temple d'Ishtar, dieu protégeant la maison et la famille, très prisé dans les grandes villes. De temps à autres, des autels permettaient aux habitants d'honorer d'autres dieux, moins importants.

Une fois sortis, Hadjira constata qu'ils étaient presque seuls. Elle se permit donc de poser les questions qui menaçaient d'exploser dans son esprit.

- Osiris, c'est un dieu ?

- C'est le dieu de l'agriculture et de la végétation, répondit Coumba. Or, ici, tout cela est lié au Nil donc, c'est plus ou moins la même chose.

- Combien y-a-t-il de dieux ? s'exclama Hadjira, déjà perdue.

- Des centaines, des milliers même, répondit Coumba. Les égyptiens mettent un dieu sur tout alors, ça en fait pas mal.

- Mais pharaon lui-même est un dieu, alors pourquoi permet-il qu'on vénère d'autres dieux ?

- Où est le problème ? Chacun vénère qui il veut mais tous les égyptiens doivent vénérer pharaon. Ils peuvent vénérer plusieurs dieux s'ils le souhaitent.

Hadjira hocha la tête.

- Ceci dit, pharaon n'aime pas quand un dieu prend une trop grosse ampleur. Si les adorateurs d'Ishtat, par exemple, devenaient trop nombreux ou trop demandeurs, pharaon pourrait faire interdire ce culte.

- Demandeurs ? répéta Hadjira.

- Il faut bien faire vivre les prêtres. Il faut bien réparer les temples ou en faire construire de nouveaux. Il faut bâtir des autels. Tout cela coûte cher. Si on demande trop à pharaon, cela peut devenir dangereux alors la plupart des temples fonctionnent sur les dons des adorateurs. C'est pourquoi ces religions ne peuvent pas trop se développer. Ce pharaon apprécie tout particulièrement Osiris, c'est pourquoi il sera présent lorsqu'il sera sorti.

- Sorti ? On peut sortir un dieu ? demanda Hadjira et la remarque fit sourire Coumba.

- Les prêtres d'Osiris sortent du naos la statue dorée qui représente Osiris, le cœur sombre du temple, où elle repose toute l'année. C'est une cérémonie importante, très ritualisée, qui se termine en grande fête et c'est surtout cela que recherche le peuple.

Hadjira sourit. Elle ne comprenait pas vraiment mais désormais, elle s'en moquait, se contentant d'accepter.

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