Un hurlement provient de la salle où se trouve Elena. Je reconnais directement la voix de ma cheffe. Mon corps réagit avant mon esprit et je me rue à l’intérieur. Je me stoppe net en découvrant ma supérieure gisant au sol, inconsciente. Vincent est à ses côtés et tente vainement de la ranimer en l’appelant et lui tapotant la joue. Il remarque ma présence.
- Viens m’aider ! m’ordonne-t-il
- Que lui avez-vous fait ? lui demandé-je sur la défensive.
- Absolument rien. Elle vient de faire une crise d’angoisse.
Puis sans rajouter quoi que ce soit, il relève ses jambes. Pour ma part, je m’empresse de dénouer son chignon pour lui alléger le crâne.
- Tiens-lui ses jambes, me demande-t-il.
Je m’exécute.
- Cela lui arrive souvent ? m’alarmé-je.
- La dernière fois remonte à longtemps. Je pensais que c’était de l’histoire ancienne.
Une inquiétude apparait brièvement sur son visage. Je n’ai pas le temps d’en voir plus qu’il me tourne le dos pour aller chercher de quoi réveiller ma supérieure. Il revient et dispose un flacon sous le nez de ma cheffe. L’effet est immédiat et Elena émerge directement après. Elle se redresse brusquement, manquant de peu de me donner un coup de pied en ramenant ses jambes au sol. Comme si Vincent savait ce qui allait se passer, il rapproche un seau. La jeune femme s’en empare violemment et vomit dedans. J’attrape ses cheveux lâchés pour éviter qu’elle les salisse. Un hoquet traverse les lèvres d’Elena. Puis soudain, elle éclate en sanglot. Je n’ai pas encore bien saisi ce qu’il lui arrive.
- Voilà, respire. Tout va bien, essaye de la rassurer Vincent.
Tout en gardant son attention rivée sur le contenu du seau, les doigts de ma supérieure s’agrippent à la manche du docteur. Elle semble avoir bien du mal à calmer les tremblements qui se sont emparés d’elle.
- Ses yeux, articule-t-elle finalement. Ils me fixaient sans que je puisse faire quoi que ce soit.
- Ne t’inquiète pas, c’est fini, lui répond son médecin avec sang-froid.
Sentant que je suis une intruse, je m’éloigne le plus discrètement possible. Elena continue à sangloter tout en tenant des propos incohérents. C’est bien la première fois que je la vois dans un état pareil, elle qui est toujours si impassible. Cependant d’après Vincent, cela lui est déjà arrivé. Avec précaution, je referme derrière moi et me retrouve dehors. Ici, tout n’est que calme et ordre. En attendant le retour de ma cheffe, j’observe ce qui m’entoure. Un médecin court avec une farde sous le bras et manque de buter contre moi. Deux infirmières rigolent en prenant un café. J’ai cessé de compter le nombre de patients qui circulent dans la pièce quand la porte à côté de moi finit par s’ouvrir. Elena sort la première, suivi directement après par son médecin. Elle a refait un chignon à la va-vite, mais avec ses yeux rougis et ses mèches en bataille, elle fait peine à voir. Elle se retourne vers Vincent pour le saluer.
- N’oublie pas ce que je t’ai dit, lui rappelle son interlocuteur.
Elena ne répond rien et se contente de hocher la tête mécaniquement. Sur ce, elle tourne les talons et s’en va. Je me dépêche de me mettre à sa suite. À peine sommes-nous sorties de l’hôpital que ma supérieure s’arrête brusquement. Je manque de peu de lui renter dedans. Sans se retourner, je l’entends me demander d’une voix frêle :
- Isis, je te donne quartier libre. J’ai besoin d’être seule.
- Tu es sûre que ça va ? m’inquiété-je.
- Je vais bien. C’est juste que…
- Tu ne me dois aucune explication, lui assuré-je.
Ma cheffe me jette un coup d’œil reconnaissant. L’instant d’après, elle me salue d’un pauvre sourire aux lèvres avant de continuer son chemin. Je me retrouve seule au milieu de ce couloir avec de nombreuses incertitudes. Je me décide finalement à bouger. Il a beau être tard, je ne suis nullement fatiguée. Je vais voir si Liam est encore dans son bureau. Je frappe à sa porte. On m’invite à entrer. Je le retrouve derrière son ordinateur. Lorsqu’il m’aperçoit, un sourire illumine son visage.
- Entre, Isis, m’invite-t-il. Je sauvegarde ce dossier et je suis à toi.
Je me hâte de lui demander :
- Je ne te dérange pas, j’espère ?
Il détache son regard de son écran pour le poser sur moi.
- Pas le moins du monde. Je viens de finir mes tâches de la journée. Ne reste pas debout. Installe-toi ! Que me vaut l’honneur de ta visite ?
- Discuter de tout et de rien.
Son expression se fait plus sérieuse.
- Un problème ?
- Je suis juste un peu morose, lui avoué-je.
Il se laisse aller contre le dossier de son siège.
- Ta famille te manque ?
- Pas vraiment. C’est surtout cette base qui me fout le cafard.
- Il est vrai que je connais plus joyeux, mais je te garantis qu’avec le temps on s’y habitue.
Je lui jette un regard en biais pour savoir s’il plaisante, mais son sourire compatissant reste le même.
- Je crois que je ne m’y ferai jamais, soupiré-je. Et toi ta journée ?
- Oh, rien d’extraordinaire, je n’ai fait que ranger et travailler sur quelques petites bricoles.
- Toi aussi ! m’exclamé-je un peu désespéré. Elena et Luna ne font que ça.
Un haussement d’épaules accompagne mes propos.
- Que veux-tu ? Cette base représente plus la tête que le corps de l’armée.
- La tête ? répété-je, dubitative.
- Cette base est constituée uniquement de l’élite militaire. C’est un honneur pour tout soldat d’être ici.
- Comment ça ?
- Chaque personne qui compose cette base excelle dans un domaine précis. Ta supérieure se démarque pour les combats rapprochés alors que Hans est le meilleur dans les armes à feu. Luna est quant à elle un génie dans la stratégie. Ses propositions sont aussi ingénieuses que surprenantes. L’armée attend beaucoup d’elle.
Voilà donc l’explication de mes nombreuses défaites face à ma cheffe lors de nos entrainements. Pas étonnant qu’Elena se montre si sûre d’elle. Après qu’elle soit bonne ou non, je doute de pouvoir l’égaler un jour au combat. Liam a piqué ma curiosité, je continue :
- Et toi, Liam, c’est quoi ta spécialité ?
Il me désigne son écran et déclare non sans une certaine fierté :
- L’informatique. Je suis le seul ici.
- Toi ?
- Ça t’étonne ? se vexe-t-il. Pourtant je suis réputé dans le domaine.
Je me retiens de glousser bêtement quand il me fait un sourire vantard.
- Mais je n’en doute pas une seconde ! m’esclaffé-je avant de reprendre plus sérieusement. Non, c’est juste que cela me surprend qu’il n’ait qu’une personne pour ce secteur. C’est d’ailleurs le premier ordinateur que je vois ici. Elena écrit tout à la main.
- C’est pour éviter les cyberattaques, m’éclaire le capitaine. Nous avons très peu de contacts avec l’extérieur et ne rien faire circuler sur le réseau nous permet de restreindre au maximum le risque de divulguer des informations sensibles.
- Qu’est-ce que l’on te demande alors ?
- Secret, me répond-il un doigt sur ses lèvres.
- Décidément, il n’y a que ça, soupiré-je.
- C’est comme ça, Isis. Tout ce qui se trouve ici est confidentiel. Tout le monde risque sa place, voire la vie si le moindre renseignement est dévoilé. Si j’étais toi, j’éviterais d’en savoir plus. Je suppose que Darkan t’a déjà prévenue ?
- De nombreuses fois, confirmé-je
Le regard de Liam se teinte d’une certaine gravité.
- Je peux t’assurer qu’elle ne dit pas ça à la légère.
En entendant ses paroles, un sentiment de malaise me gagne.
- Je sais, mais mine de rien, je trouve que cette base est trop mystérieuse. Je parie que tu ne connais pas tous ses secrets.
- Je ne le nie pas. Je crois même que c’est nocif pour nous tous. Je ne supporte pas les non-dits, mais tu vois, je tiens à la vie. Pour la préserver, je suis prêt à jouer un rôle qui ne me correspond aucunement, me répond-il avec sérieux.
- Là, tu en as trop dévoilé ou pas assez, mais ne t’inquiètes pas, je laisse tomber ma curiosité pour aujourd’hui.
- Il vaut mieux, approuve mon interlocuteur.
Décidément, je déteste cet endroit. J’ai l’impression que quoi que je fasse, je serais constamment surveillée. Je crois que Liam a raison. Ici, tout le monde interprète un rôle pour se maintenir en vie. Elena n’échappe pas à la règle. La façon dont elle a réagi tout à l’heure montre que cela est particulièrement pénible. On ne hurle pas de cette manière si on va bien. Je suis inquiète pour elle. Malgré son sourire, une douleur profondément ancrée doit la tourmenter. Liam s’est levé et vient me donner un coup de coude pour me rappeler sa présence.
- Il commence à se faire tard. Je te raccompagne à ta chambre, me dit-il.
- Ce n’est pas la peine, assuré-je. Je sais me repérer désormais.
- Permets-moi d’insister, c’est sur mon chemin.
- Si tu veux, mais ne te sens pas obligé.
- Aucunement.
Liam range les quelques affaires qui trainent sur sa table et nous sortons. Je remarque que son armoire est aussi pleine que celle de ma supérieure. Nous ne parlons pas durant tout le trajet. J’ai la tête ailleurs. Les couloirs sont plongés dans le silence. Plus personne ne circule à part nous deux. J’arrive devant chez moi. Je salue Liam qui en fait de même. L’instant d’après, il tourne les talons et de s’éloigner. Je l’observe disparaitre avant de fermer ma porte pour m’adosser contre elle. Un sourire béat se dessine sur mes lèvres. Je suis vraiment contente de l’avoir rencontrée. J’entends Elena rentrer chez elle. Je me demande où elle s’est rendue. J’aimerais bien prendre de ses nouvelles, mais je me retiens. Je colle mon oreille au mur où je perçois un léger murmure. Je reste dans cette position un certain moment. Ne remarquant rien d’anormal, je me change et me couche.
Me revoilà ^^
Ce chapitre est agréable à lire. Le seul petit bémol que je soulèverais, ce sont les dialogues. Je trouve qu'ils ne révèlent pas assez des personnalités des personnages et qu'ils restent un peu trop dans les "clichés" de la politesse sans être propres à chaque relations. Cela dit, j'ai apprécié le fait qu'Isis se pose des questions et dise à Liam que lui-même n'en sait que très peu sur la base. N'hésite pas à développer ses réflexions et à ajouter des souvenirs. Je pense que c'est important car, dans la réalité, chaque nouveauté nous rappelle un détail, une chose ou une personne de notre passé ou de notre famille. On compare beaucoup, je crois.
A très vite ! :-)