Chapitre 13 : Oriana - Résurrection

- D’où t’est venue cette envie soudaine ? demanda Violette.

- À la clinique… où j’ai été soignée… marmonna Oriana.

- Celle dont tu ne veux pas nous parler, critiqua sa mère d’un ton acerbe.

Oriana hocha la tête.

- J’en avais assez de ne pas comprendre quand les médecins parlaient et comme je m’ennuyais beaucoup et qu’ils proposaient une bibliothèque très fournie, j’ai profité de mon énorme temps libre pour apprendre.

- La médecine ? s’étrangla Violette. Ouah ! finit-elle épatée.

- Je comprenais enfin ce que disaient les médecins et comment ils réussissaient à me soigner. En sortant, j’ai postulé pour une étude en alternance. Un grand professeur de l’université a accepté de me rencontrer et j’ai dû faire bon effet car il a accepté de me former. Cinq ans après, j’avais mon diplôme.

- Tu travailles à l’hôpital voisine ! s’exclama sa mère, ravie.

- Non, maman. Je travaille à la clinique Satory.

- La clinique Satory ? Jamais entendu parler, annonça sa mère.

- Moi si. J’ai vu un reportage à la télévision. C’est un endroit où les très riches vont pour se faire soigner… C’est spécialisé dans le cancer, non ?

Oriana hocha la tête.

- Où se trouve-t-elle, cette clinique ? demanda sa mère.

- À Villmert, répondit Oriana. C’est dans le district B.

- Le… mais… la taxe carbone pour venir ici doit être… bafouilla sa mère.

- 3000 balles, annonça Oriana.

Sa mère en fut bouche bée.

- Je gagne 300 000 balles par mois maman, alors franchement, je m’en fous.

Voilà pourquoi elle n’avait rien dit. Sa mère haïssait les riches. Elle n’avait de cesse de se plaindre de ce monde où les pauvres ne pouvaient aller qu’à 100 km de chez eux et les riches faire le tour du monde.

- Tu pourrais… commença Violette.

- Non, Violette, répondit immédiatement Oriana.

Elle n’ignorait rien des problèmes d’argent de son frère mais cet argent, il puait. Elle l’utilisait pour acheter des médicaments, du matériel, de la nourriture, des vêtements pour les pauvres. Elle espérait ainsi l’illuminer un peu, lui qui venait de la noirceur. Cela ne changeait toutefois pas grand-chose. C’était tout le système qui était à revoir et sur celui-là, Oriana n’avait aucune prise.

- Tu dois avoir rencontré plein de riches hommes célibataires ! commença sa mère les yeux brillants.

C’en fut trop pour Oriana. Elle se leva, fit le tour de la table, embrassa tendrement son neveu puis tendit la main à Violette :

- Adieu, chère belle-sœur. Je souhaite un prompt rétablissement à Fyllis et dit s’il te plaît de ma part à Thibault que je l’aime.

- Oriana ! s’exclama sa mère. Non ! Ne pars pas !

- Adieu, maman. Je ne peux plus… vivre comme ça. C’est trop dur.

Deux univers trop différents, mentir à ceux qu’elle aimait le plus, cela lui pesait trop. Elle rejoignit son hélicoptère pour rejoindre sa ville d’habitation. Là, elle demanda à voir un notaire et sa célébrité ainsi qu’un gros paquet d’oseille lui permirent d’être reçue dès sa sortie de son bus.

- Je voudrais rédiger mon testament, annonça Oriana.

- Bien sûr, madame Delbran.

Le notaire pianota sur son ordinateur puis annonça :

- Vous en avez déjà rédigé un… il y a huit ans.

Il tourna son écran pour qu’elle constate par elle-même. Il était daté du lendemain de son entrée à la clinique de Baptiste. Les bénéficiaires étaient à part égale son frère et sa mère. À l’époque, elle ne possédait pas grand-chose mais ils avaient tout de même pris la peine de s’assurer que ses possessions resteraient dans sa famille.

- Souhaitez-vous le conserver ? demanda le notaire.

- Non, annonça Oriana. Je veux tout léguer à une association nommée « Charité ».

Le notaire se crispa mais ne s’opposa pas. Il chercha et trouva rapidement l’association. Il se contenta d’un « Tous vos biens ? Immobiliers et financiers ? Vous êtes sûre ? » auquel elle répondit sobrement « Oui ».

En sortant, elle avait l’esprit à l’envers. Elle venait de rompre les ponts avec sa famille. Elle s’était éloignée d’eux depuis… qu’elle était entrée à la clinique de Baptiste. C’était là-bas qu’elle avait commencé à mentir, expliquant comment ce bus l’avait percutée de plein fouet, lui causant de multiples fractures et des organes explosés.

Toute sa famille l’avait crue mais devoir mentir la blessait. Comment leur expliquer ce soudain intérêt pour le cancer ? Baptiste ne lui interdisait pas de dévoiler la vérité. Oriana ne comptait pas prendre le risque d’être considérée comme folle par les gens auxquels elle tenait le plus. S’éloigner, ne plus jamais les revoir, c’était la meilleure solution. Se concentrer sur son travail pour gagner un maximum d’argent et l’utiliser pendant ses jours de repos pour soigner le plus de gens possible dans les bidonvilles.

Oui, c’était le mieux à faire. Améliorer ce monde, même un peu, valait tout l’or du monde. Elle se sentait redevable. Cet argent ne lui appartenait pas. Elle l’avait mal acquis. Ce savoir, il ne venait pas d’elle. Quelqu’un d’autre avait fait des recherches pour l’obtenir et ses expériences tuaient.

La douleur fut déchirante. Elle ressentit le contact avec l’asphalte sans y donner de sens. Elle se sentit rouler sur plusieurs mètres et le goût du fer envahit sa bouche. Par ses yeux voyant trouble, elle vit un bus et des gens courir vers elle, d’autres figés de stupeur et le noir se fit.

 

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Oriana avait froid. La sensation intense parcourait tout son être, de l’intérieur de ses os au bout de ses cheveux. Elle ouvrit les yeux pour se découvrir dans une pièce sombre. Elle se trouvait sur un brancard d’hôpital. Un simple drap recouvrait son corps nu par ailleurs.

La salle silencieuse respirait la mort. Lumières éteintes. Appareil débranchés. Aucune perfusion. Pas d’infirmier de garde. Pas de moniteur connecté à son cœur.

Oriana entendit des éclats de voix depuis l’extérieur. Elle s’approcha des portes battantes, se mettant sur la pointe des pieds pour voir dehors depuis les hublots.

Sa mère criait sur un homme en blouse blanche.

- Vous n’aviez pas le droit !

- Si, madame. Votre fille n’a pas indiqué son désaccord. La législation dans ce cas est clair. Le prélèvement est possible sans demander l’accord de la famille.

« Prélèvement ? » répéta Oriana en pensées. Sa mère voulut parler mais le médecin la prit de vitesse.

- Elle va sauver quatre vies, madame Delbran.

- Que lui avez-vous pris, boucher ?

- Ses reins, sa rate et son foie, annonça froidement le médecin hospitalier.

Oriana se recula, choquée. Elle toucha son corps. Pas la moindre cicatrice. Elle palpa son abdomen. De ce qu’elle ressentait, ses organes étaient présents et bien à leur place. Entendait-elle mal ? Parlaient-ils de ce qu’ils comptaient faire et non d’un évènement passé ?

Sous le brancard, elle avisa ses vêtements et son sac à main. Elle s’habilla rapidement, passa son sac en bandoulière puis retourna à la porte. Sa mère pleurait sur l’épaule du médecin que cela ennuyait visiblement. Il fit appel à une infirmière afin qu’elle prenne le relais, libérant le docteur qui avait sûrement d’autres occupations plus importantes que de consoler une mère éplorée.

Oriana choisit ce moment-là pour sortir dans le couloir. Le médecin, l’infirmière et la mère d’Oriana se figèrent. Sa mère fut la première à réagir.

- Vous m’aviez dit qu’elle était morte ! Que son cœur s’était arrêté ! Que son encéphalogramme était plat. Vous dites avoir prélevé ses organes et… Vous êtes un putain de menteur !

- Non, non, se défendit faiblement le médecin abasourdi. J’ai opéré moi-même. Je… Je ne comprends pas. Comment est-ce possible ? Madame Delbran ? Comment vous sentez-vous ?

- Très bien, je vous remercie, répondit Oriana. Je vais rentrer chez moi.

- Non, dit le médecin. Vous avez besoin d’un suivi, qu’on vous examine.

« Qu’on vous étudie », finit Oriana à sa place. Ça, c’était hors de question ! Elle s’était rendue compte qu’elle guérissait à une vitesse anormalement haute. Les petites coupures se soignaient instantanément et les profondes en une heure tout au plus. Oriana, bien qu’en présence de nombreux malades, surtout dans les bidonvilles, n’avait rien attrapé, pas même un rhume.

Oriana ignorait si Baptiste lui avait fait quelque chose ou si elle avait réagi à son expérience malsaine en dehors de sa volonté à lui. Cela était sûrement la cause de sa survie lors de l’accouchement. Cependant, peu désireuse d’attirer l’attention sur elle, de Baptiste ou de n’importe qui d’autre, elle avait gardé le secret, consciente de l’effet d’une telle découverte.

Elle n’avait pas envie de retourner à la Clinique, mais pas non plus de devenir le résident permanent de l’équivalent d’une zone 51. Voilà qu’elle se trouvait sous les projecteurs. C’était mauvais. Très mauvais. Elle le savait.

À peine venait-elle de penser cela qu’une alarme retentit. Tout l’hôpital se mit en branle. Oriana n’attendit pas. Elle fonça, poussant le docteur sur son passage, pour se retrouver dans la cage d’escalier. Elle descendit une volée de marches, sortit pour se retrouver dans un couloir, le suivit jusqu’au bout, tourna à droite puis emprunta un autre escalier.

Là, elle monta un étage pour ressortir immédiatement et recommencer un peu plus loin. Ses leçons de survivalisme et de fuite portaient leurs fruits. En passant devant une fenêtre, elle constata sur le parvis une foule immense tenue en respect par une quantité ahurissante de policiers.

Oriana secoua la tête. L’hôpital évacué, elle devenait une proie facile. Bientôt, l’endroit grouillerait de flics. Elle s’engouffra dans une cage d’escalier. Des bruits de pas vinrent d’en bas. Des voix d’en haut. Elle retourna dans le couloir, avisa une réserve, entra, ouvrit une armoire métallique, y entra et referma derrière elle.

Cette cachette la protégerait un moment. Ne la trouvant pas, ils utiliseraient les visions thermiques ou les chiens. Ce n’était que partie remise. Oriana ne pourrait pas s’en sortir. C’était impossible. Elle n’avait pas le choix.

En tremblant, elle sortit son téléphone de son sac, se rendit dans les contacts et appuya sur le deuxième nom. La sonnerie retentit, prouvant que le numéro fonctionnait toujours.

- Oriana ? s’exclama la voix de Baptiste sortant du haut parleur. Que se passe-t-il ?

Elle n’eut rien le temps de dire qu’il lança :

- Des gens te cherchent. J’en compte… au moins cinq.

Comment pouvait-il le savoir ? Écoutait-il les ondes de la police ? Dans ce cas, que comptait-il exactement ?

- Où es-tu ?

- À l’hôpital, répondit Oriana. Baptiste, aidez-moi, s’il vous plaît.

- Oriana, calme-toi. Quel hôpital ?

- Je ne sais pas, admit-elle. Il y a des policiers partout.

- Mes équipes ont trouvé. La vache ! Tu as déclenché un dispositif gigantesque. Que s’est-il passé ?

- Votre putain de mensonge s’est produit, voilà quoi ! s’écria Oriana, en colère.

- Comment ça ? Quel mensonge ?

- Je me suis pris un bus ! hurla-t-elle en pleurant, à la fois de rage et de tristesse.

Il y eut un petit silence puis Baptiste murmura :

- C’est pas de bol.

Oriana l’aurait volontiers giflé.

- Et alors ? continua-t-il.

- Alors je suis morte, Baptiste, morte ! Mon cœur s’est arrêté et mon cerveau aussi. Comme je suis O négatif – au fait, merci de ne pas m’avoir prévenue que vous aviez changé mon groupe sanguin, ça aurait été la moindre des choses de me le dire – ils ont profité de ma mort cérébrale pour me prendre mes reins, ma rate et mon foie.

- Tu as l’air bien vivante pour une morte sans rein.

- Ils ont pensé la même chose, gronda Oriana.

- Je vois, dit-il sobrement. Mes équipes montent une extraction. Où te trouves-tu dans l’hôpital ?

- Je suis dans une réserve, cachée dans un casier.

- Sais-tu à quel étage… ah ! c’est bon. Sept minutes.

- C’est quoi cette valeur ?

- Le temps que mes équipes estiment qu’ils mettront à te trouver.

- Super, maugréa Oriana.

- Sors et rends-toi à droite en sortant de la réserve.

- Je ne bouge pas de là.

- Oriana, obéis-moi ! Fais moi confiance. La voie est dégagée. Sors maintenant et prends à droite en sortant.

En grondant, Oriana fit ce que Baptiste demandait.

- Stop, accroupis-toi. Attends…

Oriana secoua la tête. C’était du délire. Nul n’échappait aux forces spéciales.

- Relève-toi, reviens sur tes pas, entre dans la chambre sur ta droite, referme la porte. Compte jusqu’à cinq et ressors puis pars à gauche.

Il la guida ainsi, geste après geste. Oriana ne comprenait pas mais obéissait. Jamais elle ne croisa le moindre policier et bientôt, elle fut certaine que les sept minutes étaient largement écoulées.

Elle se retrouva dans une cage d’escalier.

- Monte, jusqu’en haut, le plus vite que tu le peux.

Depuis son passage à la Clinique, Oriana tenait une forme olympienne. Elle grimpa sans s’arrêter, respirant sans difficulté, se retrouvant sur le toit haletante mais certainement pas à bout de souffle. Deux femmes et un homme attendaient devant un hélicoptère aux pâles tournoyants vivement. Oriana recula.

- Baptiste nous envoie, précisa la blonde. Montez dans l’hélicoptère puis ressortez-en de l’autre côté.

- Fais ce qu’elle te dit, ordonna Baptiste dans le téléphone.

Oriana, un peu perdue, agit comme demandé. Elle grimpa, passa sur les sièges en cuir puis redescendit par l’autre porte coulissante ouverte et des mains invisibles la happèrent. Elle se retrouva dans une navette et vit devant elle l’hélicoptère décoller pour exploser devant l’immeuble suivant tandis que les deux femmes et l’homme pénétraient à leur tour dans la navette.

La rampe de la navette commença à se refermer.

- Non, non ! s’exclama Oriana en tentant de sortir.

Des bras fermes l’attrapèrent, la forçant à rester à l’intérieur et Oriana, vit, impuissante, le monde disparaître. Elle venait de mourir, officiellement. Baptiste venait de la tuer dans cet hélicoptère. La destination de la navette ne faisait aucun doute et Oriana en trembla de rage. Elle tenta de se dégager des bras forts mais ils la maintinrent sans difficulté.

Elle n’essaya même pas de parler avec ses geôliers. Cela n’aurait servi à rien. Ils n’étaient que des pions à la solde de Baptiste. Ils ne lui adressèrent pas non plus la parole, se contentant de la maintenir fermement sans brutalité.

Lorsque la rampe s’ouvrit pour dévoiler la Clinique, Oriana n’en fut nullement surprise. Elle tenta de résister mais la femme qui la maintenait était bien plus forte qu’elle et ce fut sans difficulté qu’Oriana fut menée jusqu’à son ancienne chambre, dans laquelle elle n’avait aucune joie de se retrouver.

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