Chapitre 12 : Oriana – Opération risquée

Oriana ouvrit les yeux sans se souvenir les avoir fermés. Elle était allongée, dans son lit, sous la… Dans son lit ?

Elle se releva brusquement. Elle était dans sa chambre, dans son appartement, dans son lit. Les murs recouverts d’une tapisserie sale qui se décrochait par endroits. La moisissure à quelques endroits stratégiques. Les rideaux lourds ne masquant pas totalement la lumière extérieure. Le plancher en faux bois. Le petit lit grinçant. Les draps tâchés. La couverture trouée. Elle se trouvait bien chez elle.

Elle toucha son ventre, son corps, sa tête. Aucune douleur, aucune migraine, aucune sensation de fatigue. En revanche, elle avait faim et soif.

Elle se leva, passa devant la table de chevet sur laquelle trônaient les photos de sa mère et de la famille de son frère puis se rendit dans la salle de bain où elle avala trois grands verres d’eau, dont elle trouva le goût ignoble.

Dans le miroir, elle se retrouva, égale à elle-même, dans les vêtements qu’elle portait le jour de son arrivée à la Clinique.

La Clinique ? Cette fable avait-elle jamais existé ? Avait-elle rêvé ? N’était-ce qu’un cauchemar long et compliqué ? En tremblant, elle alluma la télévision sur une chaîne d’information juste pour y avoir indiqué la date du jour. L’année avait changé. Elle n’avait pas rêvé.

Elle s’assit sur son canapé, le cœur battant à mille à l’heure, la respiration rapide. Il ne faisait aucun doute qu’elle faisait une crise d’angoisse. Elle était en vie. Elle avait survécu. Il lui avait rendu sa liberté.

La sonnerie de son téléphone la fit sortir de ses pensées. Son téléphone ? Dans son sac. Son sac ? Sur la table basse. Elle en tira l’appareil qui afficha un numéro qu’elle ne connaissait pas. Elle appuya sur le bouton vert.

- Bonjour, Oriana.

- Baptiste, frémit la jeune femme en reconnaissant la voix du médecin.

- Tu as survécu. Mes équipes et moi-même analyseront toute ta grossesse et fouilleront dans tous tes examens à la recherche de l’explication. Grâce à toi, je l’espère, plus aucune femme ne mourra dans ma Clinique.

Oriana n’en fut pas heureuse. Elle pleura.

- Je ne t’ai jamais menti, insista Baptiste. J’ai toujours respecté mes marchés. Tu trouveras dans ta boîte mail ce que nous t’avions promis. Prends soin de toi, Oriana et encore merci.

À ces mots, il raccrocha. Oriana enregistra le contact, mettant « docteur » en nom de famille et « Baptiste » en prénom, n’ayant pas mieux en stock. Puis elle resta prostrée un long moment sur le canapé devant la logorrhée de la télévision qu’elle n’écoutait pas.

Affamée, elle se leva et mit à réchauffer un plat tout prêt. Le frigo était plein. Les placards aussi. Rien n’était proche d’une date limite de consommation, ce qui était rare en temps normal. Ils n’avaient pas fait les choses à moitié.

Lorsqu’elle plaça la première fourchette dans sa bouche, le goût immonde la prit par surprise. Le retour du paradis ne se ferait pas sans mal. Oriana se força à finir, consciente que le mauvais goût ne venait pas du repas mais de ses papilles, trop habituées à un luxe irréel.

Enfin repue bien qu’insatisfaite gustativement, elle ouvrit son ordinateur portable et se connecta pour découvrir ses mails. Deux seulement étaient marqués non lus. Tous les autres, bien classés, étaient indiqués comme « pris en compte ». Aucune publicité n’apparaissait.

Elle compulsa le premier. Il indiquait l’horaire et le lieu de son travail du lendemain. Elle fit quelques recherches sur l’entreprise en question et constata, sans surprise, qu’elle correspondait parfaitement à ses critères de sélection.

Le second mail indiquait un horaire et un lieu de rendez-vous avec un psy. Oriana admit qu’elle en aurait sûrement besoin.

Elle secoua la tête. Baptiste faisait vraiment beaucoup d’efforts. Elle ne pouvait pas se plaindre. Pourtant, ce mec tuait des centaines de femmes tous les ans. Oriana se mit la tête entre les mains. Elle s’en était sortie, certes, mais toutes les autres… toutes les autres qui étaient mortes et celles qui allaient mourir. Elle pleura longuement et finit par s’endormir sur le canapé.

Elle fut réveillée par une sonnerie. Son téléphone avait été programmé en mode « réveil ». Elle grogna. Ils la prenaient vraiment par la main. Elle se débarbouilla dans la salle de bain, se changea rapidement puis sortit pour son bar préféré.

- Madame Delbran ! s’exclama le serveur. Ça fait plaisir de vous revoir ! Qu’est-ce que je vous sers ce matin ?

- Chausson aux pommes, Eric, s’il te plaît.

- Avec plaisir, madame !

Il revint avec la viennoiserie et le café. Oriana en but une minuscule gorgée, se délectant du goût fort et puissant. Enfin un truc qui lui avait manqué et qu’elle ne regrettait pas d’avoir perdu là-bas !

Une fois son estomac satisfait, elle prit le bus indiqué dans son agenda et descendit à l’arrêt proposé puis suivit le petit plan jusqu’à une grande entrée dans laquelle elle s’engouffra.

- Vous devez être madame Delbran ! Bonjour !

L’homme en costume lui serra la main, se présenta puis lui fit faire le tour des locaux. Oriana savait qu’avant, cela lui aurait plu. Elle aurait dû apprécier. Pourtant, elle observait avec recul et dédain, lassitude et ennui. Elle prit son poste avec un sourire feint et commença à réaliser ses premières actions.

Le travail était répétitif, monotone et facile. Elle appréciait énormément cela avant. Pourtant, ce soir-là, en rentrant du travail, elle se trouva déprimée.

Le lendemain fut l’exacte répétition de la veille, routine ronronnante et apaisante. Oriana sortit une heure plus tôt du travail pour se rendre à son rendez-vous chez le psy. Elle découvrit avec bonheur qu’il s’agissait de la même femme qu’à la Clinique. Au moins, elle n’aurait pas à mentir, à cacher, à chercher ses mots.

- Bonjour, madame Delbran. Asseyez-vous. Comment vous portez-vous ?

- Physiquement, merveilleusement bien.

- Mentalement pas tellement ? supposa la psy. Je suis là pour ça. Vous avez vécu un traumatisme. C’est normal de vous sentir mal. Racontez-moi.

- Je suis déprimée, je crois. Tout est fade.

- La nourriture, c’est normal, assura la psy.

- Je parle de la vie. Je m’ennuie, je crois.

- Allez voir votre mère ! proposa la psy. Organisez un rendez-vous chez elle dimanche avec votre frère et sa famille. Vous verrez ! Cela vous fera du bien.

- J’ai peur de cette rencontre, indiqua Oriana. Ils vont forcément me poser plein de questions auxquelles je n’ai pas envie de répondre. Je vais devoir leur mentir.

- Vous pouvez leur dire ce que vous voulez, la contra la psy.

- Y compris que votre Clinique laisse mourir une centaine de femmes par an ?

- Madame Delbran, nous ne vous avons jamais demandé de faire de la publicité pour notre établissement. Nous ne cherchons pas à recueillir des commentaires élogieux sur Internet. Vous pouvez dire à votre mère combien notre clinique est mauvaise et à quel point vous lui déconseillez de s’y rendre. Nous ne vous avons jamais interdit de dire quoi que ce soit.

Oriana resta figée, interdite face à cette réplique.

- Ceci dit, vous avez raison, continua la psy. Nous sommes vraiment mauvais. Nous vous avons juste sauvé la vie. Un cancer au cerveau de type 4 métastasé, tout le monde peut soigner ça.

Oriana baissa les yeux, un peu honteuse. Elle leur devait la vie, sans aucun doute.

- Allez voir votre famille, reprit la psy d’une voix douce et chaleureuse. Racontez-leur ce que vous voulez ou rien. Ayez confiance. Ils sentiront votre réserve et sauront vous laisser votre jardin secret. Ils n’insisteront pas, croyez-moi.

- Vous ne ferez rien si je leur dis toute la vérité ?

- Vous voulez vraiment finir à l’asile, madame Delbran ?

Oriana pinça les lèvres. La psy continua :

- J’avais un cancer généralisé et ils m’ont soignée, après m’avoir emmenée à bord d’un engin volant dans un endroit où cent autres femmes portaient elle-aussi des bébés génétiquement modifiés. Bon courage pour vous faire entendre.

Oriana grimaça. Effectivement, dis comme ça, c’était peine perdue.

- Madame Delbran, avez-vous été si mal traitée que cela durant votre séjour ?

Oriana sentit une larme couler sur sa joue. Tout le monde avait été adorable. Elle avait passé une année au paradis et les autres femmes aussi. Avant de mourir, elles avaient vécu un vrai bonheur. Baptiste aurait tout aussi bien pu les enfermer, les torturer, les priver de liberté. Il semblait réellement tenir à leur bien-être. Leur mort lui pesait peut-être vraiment.

- Merci, docteur. Je vais aller voir ma famille.

La psy sourit et la séance prit fin. Oriana retrouva son appartement. Son frère et sa mère acceptèrent avec enthousiasme de se réunir dimanche autour d’un déjeuner. Oriana s’endormit l’esprit apaisé.

 

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- Vous semblez aller mieux mais à peine, fit remarquer le psy la semaine suivante. Qu’est-ce qui ne va pas ?

- Ma vie n’a aucun but. Rien n’a de sens.

La psy se tut, écoutant, laissant sa patiente réfléchir.

- Je ne sais pas comment le trouver, admit Oriana.

- Vous vous sentiriez plus utile en étant médecin ? proposa la psy.

Oriana leva un regard interloqué vers elle.

- Vous avez passé une année à étudier la médecine alors que personne ne vous y forçait et que bien d’autres activités vous étaient proposées. Vous avez forcément de l’appétence dans ce sujet-là en particulier.

Oriana n’avait jamais, étant jeune, su ce qu’elle voulait faire. Elle avait suivi sans investir les propositions des conseillers d’orientation qui se basaient sur ses notes à l’école. Elle avait accepté, n’ayant de toute façon rien de mieux à proposer. Cet épisode de sa vie l’avait amenée à s’intéresser au fonctionnement du corps humain et elle devait admettre avoir adoré.

- Nous pourrions vous donner un diplôme de médecin reconnu dans le monde entier, indiqua la psy. C’est dans nos cordes. Cependant, nous doutons que ça soit le mieux à faire car autant vos connaissances théoriques sont immenses, autant la pratique est au point mort.

Oriana pencha la tête en souriant. Elle admit volontiers que son interlocutrice avait raison. La psy lui tendit une pochette cartonnée bleue. Oriana l’ouvrit et découvrit un dossier complet d’admission à la fac de médecine d’une ville voisine.

- Nous nous occuperons de clôturer votre bail auprès de votre propriétaire actuel ainsi que de déménager vos lignes. L’assurance sera également changée. Voici votre nouvel appartement.

La psy lui tendit une pochette cartonnée violette. Tous les documents nécessaires se trouvaient là, ainsi que les clés.

- Pourquoi faites-vous cela ? demanda Oriana.

- Parce que nous le pouvons, répondit la psy.

- Me suivrez-vous là-bas ?

- Ma présence sera inutile. Vous avez trouvé votre voie. Vous vous épanouirez aisément seule.

Oriana en eut les larmes aux yeux, de joie cette fois.

- Je vous suis infiniment reconnaissante.

La psy sourit tendrement.

- Donnez-moi vos clés d’appartement. Nous nous chargerons du déménagement. En sortant, prenez l’ascenseur pour monter sur le toit. Une navette vous mènera jusqu’à votre nouveau lieu de vie, vous évitant ainsi de payer la taxe carbone liée à ce déplacement.

- Merci, répondit Oriana, abasourdie par autant de gentillesse.

Ils ne lui devaient rien. Ceci était largement hors contrat. Elle se sentit redevable. Peut-être était-ce leur but ? L’acheter pour qu’elle leur reste acquise. Si c’était le cas, cela marchait fantastiquement bien.

Oriana rejoignit la navette posée sur le toit qui devint visible à son approche. Comme la fois précédente, elle n’entendit aucun bruit de moteur ni ressentit le moindre mouvement. Pourtant, lorsque la rampe descendit, elle dévoila un parking en périphérie urbaine.

- Bus 59, annonça une voix désincarnée en provenance de la navette au moment où Oriana atteignait le sol bétonné.

Elle se retourna pour ne trouver que le vide derrière elle.

- Arrêt « Faculté », dit la voix sortant du néant.

La navette était là, mais invisible, comprit Oriana. Elle hocha la tête puis avisa l’arrêt de bus proche. Elle attendit sur le banc, appela le bus 59 et monta dedans. La reconnaissance faciale se chargerait de retirer ce déplacement directement sur son compte.

Elle descendit à l’arrêt demandé, en ayant pris soin sur la route de repérer les commerces proches. Elle découvrit son nouvel appartement, pour le moment vide. Dans une demi-heure, elle avait rendez-vous à la faculté de médecine pour rencontrer son tuteur.

Elle s’y rendit à pied, se trouvant à deux pas de l’immense centre universitaire. Son tuteur lui posa plusieurs questions d’ordre général puis médicales. Il sembla satisfait car il hocha souvent la tête en faisait une moue épatée.

Finalement, il lui proposa de revenir le lendemain à huit heures pour sa première journée.

- Vous avez demandé à être exemptée des cours théoriques, arguant avoir reçu cette instruction par ailleurs. Au vu de notre échange, j’accepte pour le moment. Cependant, les premières semaines de pratique seront décisives.

- Je ne vous décevrai pas, promit Oriana.

Il acquiesça et Oriana retourna chez elle, pour découvrir que toutes ses affaires s’y trouvaient désormais. Elle secoua la tête. Mais qui étaient ces gens ?

 

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- Mais papa, j’ai mal au ventre ! gronda Fyllis.

- Mange ! gronda Thibault.

Oriana observa la scène entre son frère et sa nièce de huit ans. N’ayant pas d’enfant, elle se voyait mal se permettre un conseil. Ceci dit, la petite avait vraiment l’air mal.

Le déjeuner se passait bien. Oriana allait un dimanche par mois chez sa mère et son frère y participait avec sa famille une fois sur deux.

- J’ai vraiment mal ! pleura la gamine en appuyant sur son côté droit.

- Ça fait des jours que tu te plains ! En voilà assez de tes caprices ! File dans…

Thibault s’arrêta car Oriana s’était accroupie à côté de la fillette.

- Tu veux bien me montrer où tu as mal ?

Fyllis montra le bas de son abdomen.

- Tu veux bien que je touche doucement ton ventre ?

L’enfant hocha la tête tandis que Thibault soupirait en secouant la tête. Oriana palpa avec douceur mais la fillette gémit tout de même.

- Tu as mal depuis combien de temps ?

- Elle fait la comédie ! s’exclama Thibault. Elle fait toujours…

À nouveau, il stoppa en entendant Oriana dire au téléphone :

- Je m’appelle Oriana Delbran.

Elle déclina ensuite sa localisation puis expliqua :

- Une petite fille de huit ans fait une crise d’appendice. La situation est urgente. La rupture est proche. Envoyez-moi une ambulance au plus vite. Merci.

Elle raccrocha sur permission du centre puis se retourna vers Fyllis et lui dit :

- Tu veux bien descendre de la chaise, ma chérie ? Viens sur le sol, doucement.

- Oriana ? Mais que…

Toute la famille regardait, tétanisée, la scène en cours. Fyllis cria, le visage couvert de larmes. Oriana grimaça. Combien de temps l’ambulance mettrait-elle pour arriver ? Dix, quinze minutes ? D’ici-là, l’appendice se serait peut-être rompue, se déversant dans l’abdomen et alors la survie de Fyllis serait menacée. Elle risquait également de devenir stérile.

- Maman ? Tu as des gants en latex ? Des masques chirurgicaux ?

- Bien sûr !

Tout le monde en avait en ces temps de pandémies répétées.

- Amène m’en. Violette, j’ai besoin d’un couteau tranchant à petite lame. Trouve m’en un dans la cuisine et apporte-le moi.

Oriana avait constaté le mutisme de Thibault. Mieux valait ne pas s’appuyer sur lui.

- Je vais dégager ton ventre en remontant ton tee-shirt et en descendant ton pantalon, indiqua Oriana à l’enfant qui grimaçait de souffrance. Je vais aller me laver les mains. Je reviens.

Oriana se rendit à la cuisine, retira son gilet, ses bijoux, attacha ses cheveux et entreprit de se laver consciencieusement les mains.

- Ça te va ? demanda Violette.

- Très bien. Lave-le puis passe la lame sur une flamme. Ton briquet fera l’affaire.

Sa belle-sœur étant fumeuse, elle avait cet objet sur-elle. Elle obéit sans demander d’explication. Oriana mit un masque, passa une paire de gants puis attrapa le couteau tendu.

Elle s’accroupit près de la fillette et commença :

- Fyllis, écoute ma voix. Suis-moi. Je vais t’emmener ailleurs.

La fillette fut très réceptive. L’hypnose la plongea en plein rêve éveillé. Oriana approcha le couteau du ventre de l’enfant.

- Tu fais quoi là ? s’écria Thibault qui semblait enfin prendre conscience des évènements.

- Une appendicectomie, expliqua Oriana tout en incisant l’abdomen.

- Elle ne crie pas, murmura Violette.

Fyllis gémit. Oriana reprit sa logorrhée et la fillette repartit sans son beau rêve tranquille. Réaliser une opération tout en hypnotisant le patient était d’une rare difficulté. Oriana se souvint de sa première fois.

Se rendre sur les lieux avait été le plus compliqué. Elle ne voulait pas être vue, ni reconnue. Dans ce monde hyper numérique gouverné par les big data, se promener incognito lui demanda un sérieux apprentissage. Internet fut son ami. Elle découvrit tout un monde de survivalistes extrêmes, d’insoumis, d’anarchistes et avec eux, elle apprit à éviter les caméras.

Leurs emplacements étaient dans le domaine publique. Il suffisait de savoir où chercher. Oriana avait ainsi appris par cœur les zones invisibles autour de chez elle. Le second conseil était de passer par les égouts en entrant par une bouche dans un angle mort. Oriana en avait repéré sept dans ce cas autour de chez elle, lui permettant d’aller et venir sans crainte.

Ainsi, deux jours par semaine, elle empruntait la voie sombre et puante sous terre pour aller soigner les miséreux, exclus du système, les pauvres, les sans papiers, ceux dont la société ne voulait pas mais qui réalisaient tous les travaux pénibles.

Le reste de la semaine, elle opérait les plus riches, serrait les mains de ministres, de présidents et de milliardaires, vivait dans une villa luxueuse, consommait sans compter. La vie était trop courte.

Ce fut dans une pièce servant à la fois de cuisine, de chambre familiale, de bureau et de salle de jeu qu’Oriana réalisa sa première opération en dehors d’un bloc opératoire. L’homme arborait une splendide facture ouverte. Le faire plonger en hypnose fut simple. L’y maintenir tout en opérant beaucoup moins. Si Baptiste ne lui avait pas assuré cela possible, elle n’y aurait pas cru.

Pourtant, à force d’entraînement, Oriana y parvint car dans les bas quartiers, réaliser des anesthésies aurait été bien trop risqué. Toutes les hypnoses ne fonctionnaient pas et parfois, le patient revenait à la réalité en pleine opération, les viscères à l’air. La plupart du temps, foudroyés par la douleur, il mourait d’un arrêt cardiaque.

Oriana avait ainsi perdu de nombreux patients. Elle en avait également sauvé, trop pour compter. Aujourd’hui, il était hors de question d’échouer. C’était sa nièce dont il était question !

Enfin, Oriana trouva l’appendice. Avec un geste précis, elle trancha et retira l’organe, gorgé de pus. On était passé à un cheveu de la péritonite. Elle maintint la blessure entre ses doigts, n’ayant rien sous la main pour recoudre. Plusieurs minutes passèrent et enfin, les hurlements de l’ambulance se firent entendre.

Dès que les ambulanciers entrèrent, Oriana lança :

- J’ai besoin d’un kit de suture.

Les trois hommes évaluèrent rapidement la situation et en un instant, Oriana avait ce qu’elle avait demandé. Sous le regard incrédule de toutes les personnes présentes, elle recousit la plaie. Elle demanda ensuite un antalgique, décida elle-même de la dose, piqua sa nièce puis la fit sortir de son rêve. Elle gémit puis dit :

- J’ai beaucoup moins mal. Que s’est-il passé ?

- Elle est transportable. Thibault, va avec elle dans l’ambulance. N’oubliez pas de lui donner des antibiotiques, rappela Oriana aux ambulanciers.

- Vous êtes médecin, madame ? supposa l’infirmier.

- Chirurgien, indiqua Oriana avant de sortir sa carte.

- Jolie intervention, dit-il en souriant.

Les hommes partirent.

- Chirurgien ? lança la mère d’Oriana. Depuis quand ?

- Trois ans, répondit Oriana.

- Tu ne nous en as rien dit !

Oriana grimaça. Cinq ans de pratique auprès de son tuteur avaient été nécessaires pour obtenir le précieux sésame. Depuis trois ans, elle exerçait dans une clinique de haut vol, spécialisée dans les opérations compliquées. Oriana était rapidement devenue incontournable. Son salaire démentiel lui permettait toutes les excentricités.

Elle en profitait pour vivre, s’amuser, sortir, draguer, baiser, pour toujours repartir seule chez elle. Elle ne voulait pas d’une vie de famille. Sa vie lui convenait ainsi, au grand dam de sa mère dont l’insistance l’énervait prodigieusement.

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