Une semaine plus tard, en arrivant à son poste de travail, Ianto découvrit un paquet posé en évidence sur son clavier.
— C’est ton anniversaire ? demanda Andy, intéressé, en regardant par dessus l’épaule du Gallois.
— Mon anniversaire est passé. C’était le dix-neuf août, répondit-il sobrement en déchirant le papier. Euh, Andy, tu m’excuses une seconde ?
Comprenant le reproche implicite, le blond s’éloigna et fit mine de s’intéresser à son travail en cours, le traitement des données d’exploration des cellules Vingt à Trente-neuf, tout en jetant des coups d’œil insistants dans sa direction. Ianto l’ignora et examina le carnet à couverture en cuir qui apparut entre ses mains. Une petite carte était glissée à l’intérieure.
« Pour garder une trace de tes rêves, de tes angoisses, mais aussi des petits trucs qui te rendent heureux. Tu verras, c’est pas mal comme exutoire.
A. »
Un sourire naquit sur ses lèvres et il dériva son regard vers Angie, quelques pas plus loin. Elle capta son regard et fronça les sourcils, l’air de ne pas comprendre ce qu’il lui voulait. Il s’approcha nonchalamment, le carnet entre les mains.
— Merci, dit-il en arrivant à sa hauteur. Pour ça.
— Oh, ben, je vois vraiment pas de quoi tu parles, Jones, répondit la jeune fille d’un ton qu’elle voulait cassant, mais que démentaient ses joues rougies par l’embarras.
Soudain, une voix caverneuse à l’accent prononcé résonna au-dessus d’eux, les interrompant.
— Jantojaune ! Est-ce qu’un certain Jantojaune travaille pour moi ?
— Je suis là, miss Brown, fit Ianto en levant le regard vers la créature dont la tête semblait flotter au-dessus de lui, derrière son rideau de cheveux noirs.
Ianto avait fini par s’habituer à la créature arachnéenne et à son caractère évanescent. La plupart du temps, elle se souciait à peine de son équipe, et quand enfin elle semblait les remarquer, c’était pour écorcher leur nom ou pour oublier les avoir déjà rencontrés. Mais il n’y avait pas plus douée qu’elle pour classer les informations, numéroter les mondes et améliorer le logiciel de traitement des données. Angie avait raconté à Ianto que miss Brown avait été recrutée dès la création du Cristal, dans les années Cinquante, et déjà, la machine qu’elle avait conçu à son arrivée avait donné à toutes ces archives poussiéreuses, vieilles de quelques dizaines de siècles pour certaines, une seconde vie qui leur était bien utile aujourd’hui.
— Vous êtes Jantojaune ?
— Ianto Jones, à votre service, répondit le Gallois sans se départir de son sérieux, tandis qu’à ses côtés Angie se retenait de rire. Que puis-je faire pour vous, miss Brown ?
Il était assez rare que leur chef les sollicite. La plupart du temps, c’était pour tester telle ou telle fonctionnalité de la base de traitement, trouver un antique dossier dans une allée perdue ou l’aider à ranger une section.
— Yentojons, Dame Biive vous demande. Vous êtes attendu à l’infirmerie, chambre 203, aussi vite que possible.
Elle avait parlé d’une voix égale, monotone, en clignant plusieurs fois de ses grands yeux globuleux, et se détourna sans attendre la réponse, apparemment peu désireuse de rester plus longtemps en compagnie de ses employés.
— Bizarre que Beve ne t’ait pas contacté directement par télépathie, fit remarquer Andy tandis que Miss Brown s’éloignait.
Ianto rougit légèrement et détourna les yeux.
— Jane m’a appris à bloquer les appels télépathiques il y a quelques temps, et j’ai entraîné mon esprit à le faire h24.
— Tu veux dire qu’on ne peut pas te contacter par télépathie ? Mais… tu vis dans quel monde, Ianto ?
— Fous lui la paix, Andy, répliqua Angie d’un ton plus agressif qu’à l’ordinaire.
Dans l’autre univers, Owen aurait déballé une remarque acide pour clouer le bec d’Angie, mais Andy n’était pas Owen, et il se contenta de hausser les épaules.
— Ben, tu fais comme tu veux, mon vieux, marmonna-t-il, à moitié pour lui-même, tout en reportant son attention sur l’écran.
— À ton avis, qu’est-ce qu’elle te veut ? continua Angie sans prêter plus d’attention au blond, qui n’afficha aucune vexation apparente.
— Aucune idée, répondit Ianto, mais je passerais bien mon tour.
Un semblant de sourire apparut sur le visage de la brunette.
— Hey, t’en as vu d’autres, non ?
Ce fut sans conviction que le Gallois répondit un « peut-être bien » en glissant le carnet dans la poche intérieure de sa veste, avant de s’éloigner dans l’obscurité du couloir.
Avant de toquer à la porte de la chambre, Ianto réajusta son costume. Plus que jamais, celui-ci formait un bouclier derrière lequel il pouvait se retrancher. Le « entre, Ianto » qu’il entendit confirma son intuition. Jane était là, et ça n’était pas une bonne nouvelle pour lui. Il n’arrivait toujours pas à se sentir à l’aise en compagnie de l’aveugle, et le regrettait profondément. Par de nombreuses facettes, elle lui faisait penser à Toshiko Sato. La même propension à se dévaluer, la même volonté de faire plaisir à autrui et de bien faire son travail. Son double s’entendait bien avec Tosh, et ils s’étaient même considérablement rapprochés depuis leur expédition aux Brecon Beacons. Alors, pourquoi ne parvenait-il pas à ressentir la même sympathie pour Jane, qui l’avait sauvé des ténèbres avant qu’elles ne l’engloutissent tout à fait ?
Parce qu’elle a vu le côté le plus sombre de toi-même et qu’elle t’a jugé pour cela. Tosh, elle, l’aurait accepté sans jugement, répliqua une petite voix dans sa tête qu’il s’empressa de faire taire, tandis qu’il s’introduisait dans la chambre.