Chapitre 13 : Secret

Le reste de la journée s’était terminé paisiblement. Pour une fois, les anciens lui avaient accordé une soirée de repos. Après avoir écrit à sa famille, elle avait profité de ce moment de détente pour discuter avec Angeline et finir la lecture d’un roman qui trainait depuis des mois sur sa table de chevet. Elle devait reconnaitre que depuis qu’on lui avait annoncé sa prise de fonction très prochainement, c’était la première fois qu’elle était aussi sereine. Une fois dans son lit, le sommeil ne tarda pas à la cueillir. Toutefois, elle fut réveillée vers minuit par son estomac qui criait famine. Cela lui était déjà arrivé. Lydia ne comptait plus les nombreuses de fois où elle s’était introduite en douce dans les cuisines pour se remplir le ventre. Son pouvoir requérait énormément d’énergie. Habituellement après ses entrainements, elle engloutissait quantité de nourritures pour récupérer ses forces. Malheureusement, depuis que les anciens s’étaient résolus à la faire jeuner, elle se levait souvent la nuit pour faire des allers-retours entre ses appartements et la cuisine. Après une brève hésitation pour savoir si son estomac valait la peine de quitter la chaleur des draps, la jeune fille décida de se lever après un nouveau gargouillement sonore. Elle enfila une couche supplémentaire avant de sortir sa chambre sur la pointe des pieds. Les cuisines se trouvaient au sous-sol. À cette heure-ci à part les gardes, elle ne risquait pas de rencontrer grand monde. Habituée à faire ce trajet et connaissant les endroits à éviter, elle atteignit rapidement sa destination. Madame Pott, la cuisinière en chef, n’ignorant rien de ce qui se passait dans son royaume culinaire et sachant pour les appétits nocturnes de la jeune fille lui mettait toujours des restes de côté. Lorsque Lydia découvrit cacher au fond d’une armoire une assiette composée de charcuterie et d’autres aliments ainsi que d’une pomme et d’une pâtisserie, sa gratitude pour madame Pott fut immense. Elle était en train de picorer avec avidité dans le plat quand elle entendit des bruits de pas qui se dirigeaient vers elle. Un sentiment de panique l’envahit. Non qu’elle commît un crime grave, mais elle n’avait aucune envie de se faire prendre. Sans demander son reste, elle se réfugia dans un renfoncement dissimulé derrière un tissu. Au fur et à mesure que les pas se rapprochèrent, elle perçut deux voix. Elle reconnut instantanément celles de Cassia et de Hogg. Inconsciemment, Lydia se terra davantage dans son trou. C’était bien sa veine de tomber sur ces deux-là, toutefois elle était curieuse de connaitre la raison de leur venue. Elle fut surprise d’entendre Cassia gloussée de rire. Elle n’avait encore jamais vu la prêtresse se comportait de la sorte. Elle qui était toujours d’une humeur massacrante.

- Nous ne devrions pas être là, murmura celle-ci.

Lydia risqua un regard discret et vit Hogg embrasser Cassia. Cette nouvelle fit l’effet d’une massue chez Lydia. Outre la surprise d’apprendre que la prêtresse et le soldat étaient amants, elle ne put s’empêcher de se rappeler les lois auxquelles en vertu de sa fonction Cassia était soumise. Il lui était interdit d’entretenir des relations avec qui que ce soit.

- Je voulais te voir et puis j’avais faim, dit Hogg en s’écartant.  

Comme pour prouver ses propos, il prit une grappe de raisin qu’il avala goulument. Lydia n’était donc pas la seule à avoir des appétits nocturnes. Cassia gloussa de plus belle.

- Tu es bête.

Pour toute réponse, Hogg l’embrassa avec passion. C’était la première fois que la jeune fille découvrait un visage aussi doux au soldat.

- Avec la cérémonie de passation et le banquet de la semaine prochaine, je n’ai pratiquement aucun instant à te consacrer, regretta le capitaine.

L’expression de Cassia se fit plus ferme.

- Tout ça, c’est à cause de ce traitre de Mati. S’il n’avait pas réveillé Oya, nous aurions pu avoir plus de temps pour préparer Lydia. J’aurais dû t’écouter quand tu m’as avoué tes doutes.

À la mention du déserteur, le cœur de Lydia manqua un battement. Avait-elle bien entendu ? Était-ce la faute de Mati si la cérémonie avait été avancée ?

- Il était sous ma responsabilité, rétorqua Hogg. S’il y a quelqu’un à blâmer dans cette histoire, c’est moi. Mon prédécesseur m’avait mis en garde sur le fait que le frère d’Oya n’avait jamais pleinement accepté le destin de sa sœur.

- Comment lui en vouloir ? lâcha Cassia d’une voix où pointait le regret. Je pense que j’aurais réagi de la même manière si cela avait été un membre de ma famille. Toutefois, nous n’avons pas le choix. Seule la Grande sage peut contenir le démon.

- Comment va Oya ? demanda Hogg.

- Très mal. Nous n’arrivons plus à la replonger dans un sommeil profond. Elle reste constamment réveillée et s’affaiblit de plus en plus. Le démon est devenu instable. Nous craignons à tout moment qu’il prenne le dessus.

La voix de la prêtresse se fit plus chancelante sur la dernière phrase.

- Ne t’inquiète pas, Cassia. Je vais m’occuper de renforcer le pouvoir de Lydia. Cette peste a la tête dure, mais je ressens en elle un grand potentiel. Ce n’est plus qu’une question de jour avant qu’elle se révèle. Je te promets qu’elle sera prête pour la cérémonie.

- Je sais que tu y arriveras, Ian, mais s’il te plait ne sois pas trop dur avec elle.

- C’est étrange de te voir t’inquiéter pour elle, fit remarquer le capitaine. D’habitude, tu ne la supportes pas.

La prêtresse émit un rire bref sans joie avant de reprendre :

- Comment veux-tu que je sympathise avec quelqu’un qui va être sacrifié ? Quand j’ai accepté ma fonction, je me suis toujours interdit de m’attacher à elle. Et pourtant, plus le temps avance, plus je la plains. J’espère sincèrement que Lydia sera l’élue qui nous débarrassera de ce monstre, mais honnêtement je doute de plus en plus de la réalisation de la prophétie.

- Cassia, regarde-moi, ordonna la voix autoritaire de son amant. Ce n’est pas le moment de flancher. Dans peu de temps, nous serons fixés, alors cesse de te prendre la tête avec ça et concentre-toi sur ton rôle. Nous ne pouvons rien faire d’autre pour l’instant.

- Tu as raison, comme toujours, lui concéda celle-ci. Je ne dois pas oublier ce à quoi l’on m’a désigné. Je préparerais Lydia du mieux que je peux. C’est tout ce que je peux faire pour le moment.

Hogg prit son visage en coupe. Sachant, ce qu’il allait se passer, Lydia détourna le regard. Elle n’avait pas à s’immiscer plus qu’il ne fallait dans leur intimité. Elle en avait déjà appris énormément. Le couple ne s’éternisa pas davantage dans la cuisine et se sépara peu de temps après. Lydia pour sa part ne bougea pas directement. Préférant attendre que Cassia et Hogg ne soient plus dans les parages. Elle en profita pour remettre de l’ordre dans ce qu’elle venait d’entendre. Cela expliquait pourquoi les anciens étaient particulièrement nerveux ces derniers jours. Oya n’allait pas bien. La jeune fille pensa à Mati. Elle devait le prévenir des derniers évènements, mais surtout elle aimerait avoir une explication sur ce qu’il avait commis. Après la discussion entre les deux amants, Lydia était plus incertaine que jamais. Le démon comme l’appelait Cassia devait être Elian et il semblait lui inspirer de vives craintes. La future Grande sage ne put s’empêcher de se demander. Qu’est-ce qui se passerait si cet être était libéré ? Pouvait-elle réellement fuir alors que ce démon pouvait bouleverser l’équilibre de leur monde ? Quand elle regagna sa chambre, ses questions étaient toujours sans réponse. Demain, elle devrait parler à Ugo. Elle devait impérativement entrer en contact avec Mati. Ils devaient mettre les choses au clair avant la cérémonie.