Une fois le choc passé, la colère prit le dessus. Elle enflait dans sa poitrine, grossissait au fur et à mesure que la réalité s’imposait à lui. Une rage brûlante grondait dans ses veines, les faisant palpiter. Ses pupilles se rétrécirent. Les moindres détails de la scène s’imprégnaient dans sa rétine. Il revit les hématomes qui coloraient le bras de Nohan. La honte qui le faisait rougir. Son refus d’en parler. Par les dieux, il aurait dû comprendre !
Pourquoi est-ce que Camille avait décidé de harceler Nohan ? Était-ce par égo ? Ou dans le but de l’atteindre ? Thalion avait l’habitude d’encaisser. Camille se serait lassé et aurait cherché un nouveau moyen de le blesser ? Avec son propre harcèlement, Thalion ne s’était préoccupé que de lui. L’idée que Nohan puisse vivre la même chose ne lui avait même pas effleuré l’esprit. Quel abruti égocentrique il était !
La culpabilité lui donnait envie de hurler. Si Nohan ne s’était pas rapproché de lui, il n’aurait pas attiré l’attention de Camille. Thalion comptait bien faire regretter à ce dernier sa méchanceté.
C’était aussi l’occasion de voir si, malgré ses difficultés, il était capable de botter les fesses des persécuteurs comme lui. Il espérait que ses efforts pour parfaire ses sorts de bas niveau lui seraient utiles. Et si ce n’était pas le cas, si Camille s’en tirait trop bien, Thalion utiliserait la même arme que les amagériens : les poings.
Aucun des deux n’avaient encore remarqué sa présence. Nohan avait la main posée sur son nez ensanglanté, dissimulant la moitié de son visage, mais son regard était un cocktail de peur, de culpabilité et de détermination adressé à son bourreau.
— T’arrête pas de me répéter la même chose, je pense que j’ai compris… marmonna Nohan.
— Parle plus fort, j’entends rien, se moqua-t-il.
— Il a dit que tu ferais mieux de fermer ton clapet maintenant.
Camille se retourna vivement vers Thalion en entendant sa voix. Ses lèvres s’étirèrent en voyant la colère qui brillait dans les yeux du magérien.
— Tiens, Corvus. Je ne m’attendais pas à te voir ici.
— Les toilettes sont ouvertes à tous. Tôt ou tard, quelqu’un allait forcément venir. Tu n’es pas très malin.
— Dixit celui qui n’a pas remarqué que son pote souffrait.
— Je l’avais remarqué ! s’énerva-t-il sans trop savoir si c’était contre Camille ou lui-même.
— Donc tu l’as observé souffrir sans rien dire ? T’es aussi méprisable que lui.
Le dédain dans sa voix ne fit qu’envenimer la colère de Thalion. Au lieu de perdre son temps à parler, il s’avança vers Camille en sortant sa baguette. Loin d’être intimidé, le magérien éclata de rire.
— Tu veux te battre ? Toi qui ne sais même pas lancer un sortilège d’immobilisation ? C’est une blague ?
— Absolument pas.
— Pourquoi j’accepterais ?
— Pourquoi refuserais-tu ? Aurais-tu peur de perdre ?
La remarque fit mouche, faisant ressurgir sa compétitivité.
— Contre toi ? Sûrement pas. Mais ne viens pas pleurer après ta défaite.
Sans perdre plus de temps, Thalion brandit sa baguette. En une fraction de seconde, le premier sort fut lancé.
— Bubobou !
Une boule de boue jaillit de sa baguette et s’écrasa contre le visage de Camille tel un boulet de canon. Aveuglé, il tituba en tentant de retirer la boue dans ses yeux pour contre-attaquer. Mais Thalion ne comptait pas lui en laisser l’occasion.
— Klédonéro !
Cette fois-ci, ce n’était pas son adversaire qu’il visa, mais le robinet juste à côté de lui. Le robinet se déverrouilla et un puissant jet d’eau vint propulser Camille dans l’une des cabines des toilettes, le cul dans la cuvette.
Thalion ricana devant l’air désorienté de son adversaire. Avec ses difficultés, on avait du mal à l’imaginer avoir l’avantage. Mais c’est justement en le sous-estimant que Thalion parvenait à imposer son rythme et à avoir la main mise sur l’affrontement.
Les traits déformés par la rage et les vêtements tachés de boue, Camille surgit de la cabine avec un regard meurtrier.
— Sale goblin ! Igmopa !
— Prostésia !
Thalion étant plus rapide, le petit bouclier bleu le protégea contre le sortilège d’immobilisation avant de disparaître. Fou de colère, Camille répéta plusieurs fois son sort, mais le maudit se défendit à chaque fois de la même façon. Il fut ravi de constater que ses entraînements durant les vacances d’été ne s’avéraient pas inutiles. Il avait bien fait d’utiliser son temps libre pour optimiser tous les petits enchantements qu’il connaissait. Et pour combler ses lacunes, il pouvait miser sur sa rapidité et ses sorts défensifs. Avoir un tuteur doté du signe de la souris, donc spécialisé en magie bleue, avait ses avantages.
Un sourire jubilatoire s’étaya sur le visage de Thalion qui continuait de se défendre sans relâche, ignorant les migraines qui ne manquaient pas une occasion de l’importuner. Devant ses tentatives vaines, Camille jura, le visage rougit par la fureur. Bien décidé à répliquer, il changea de stratégie.
— Nychtéria !
Une myriade de chauves-souris blanches faites de fumée naquit de la paume du magérien et s’élancèrent vers Thalion. Il réitéra Prostésia pour parer l’attaque, mais elles se contentèrent de tournoyer autour de lui. Lorsqu’elles créèrent une tornade duveteuse, il comprit trop tard l’objectif de ce sort. La nuée de chauves-souris n’avait pas pour but de s’en prendre à lui, mais de lui brouiller la vue. Camille était donc capable de réfléchir un peu. Thalion n’eut pas le temps de s’en émouvoir car son adversaire en avait profité pour se déplacer. Avec hargne, il cria :
— Molopisos !
Déstabilisé par les chauves-souris et pris de court par ce sort inconnu, Thalion ne put se protéger à temps et le reçut dans le dos. Les chauves-souris se dissipèrent pendant que Thalion fut projeté en avant. Le plus douloureux ne fut pas le sol qu’il se mangea de plein fouet, mais les dizaines de coups qu’il eut l’impression de recevoir dans tout le corps. Il grimaça en se relevant tant bien que mal pendant que Camille se réjouissait d’avoir réussi son attaque.
— Molo…
— Sékipodi ! lança Thalion avant que le magérien ne réitère le sortilège.
Ses jambes se mirent alors à bouger toutes seules, et le regard ahuri de Camille lui procura une immense satisfaction.
— Qu’est-ce que… commença-t-il en réalisant que son corps ne lui répondait plus et s’agitait dans tous les sens. Finor…
Camille ne put finir l’incantation car, ses jambes ne lui obéissant plus, il heurta brutalement contre le mur. Son nez se mit à saigner.
Avec un sourire sardonique, Thalion savourait le spectacle. Camille se cogna plusieurs fois contre le mur, les cabines et un des éviers qui s’enfonça dans son ventre. Thalion annula le sort et son adversaire s’écroula au sol, la respiration sifflante.
— Tetaclak !
Impuissant face à l’attaque, Camille subit une dizaine de claques invisibles et successives, si bien que la fureur ne fut plus la seule cause de ses rougeurs. Allongé au sol, son adversaire n’était plus en mesure de se battre, mais ce n’était pas suffisant pour Thalion. Il voulait que Camille souffre autant que Nohan. Autant que lui. C’était presque un besoin.
Comme un prédateur s’approchant de sa proie pour l’achever, Thalion s’avança vers Camille, toujours à terre. Ses sorts de bas-niveau suffisaient à maîtriser un élève de première année, mais Camille n’avait pas pris assez cher à son goût. Sa colère était loin d’être assouvie, au contraire. Thalion avait la sensation qu’une entité insatiable le déchirait de l’intérieur et ne demandait qu’à se déchaîner. L’impression d’être en transe, empêtré dans une vague de violence prête à déferler. Comme une boule de neige dévalant une pente enneigée, sa rage grossissait au point de l’aveugler. Emporté par cet ouragan émotionnel, Thalion ne se rendit pas compte de ce qui, terré dans un coin de son être, en avait profité pour attiser les flammes de son courroux.
— Regarde-le comme il est pathétique… et son air suppliant… Pitoyable !
— Pourtant, il ne fait que récolter ce qu’il a semé !
La voix ténébreuse perçut lors de l’incident avec Pradel était de retour, et en avait amené une deuxième avec elle. Leur nombre semblait croître à chacune de leur visite dans l’esprit de Thalion, mais l’adolescent n’en avait que faire. Il ignora royalement leurs mots empoisonnés en enjambant le corps de Camille et posa ses genoux au sol, de part et d’autre de son corps.
— C’est l’heure de la vengeance ! s’enjaillèrent les voix perfides.
Un coup. Deux coups. Trois coups. Il avait délaissé sa baguette et abattait ses poings dans le visage de Camille. Thalion sentait à peine la douleur irradier les jointures de ses mains, ni les migraines qui compressaient son crâne. Il n’entendait même pas les geignements de Camille. Les sons autour de lui s’étouffaient peu à peu. Un voile sembla progressivement obscurcir sa vue. Thalion savait que quelque chose d’anormal se produisait, mais une force inconnue endormait peu à peu sa conscience.
— Épithès !
Une lumière blanche au coin de son œil clignota juste avant que Thalion soit projeté sur le côté dans l’une des cabines. Le bord de la cuvette s’enfonça dans ses hanches, lui arrachant un râlement de douleur. Ce soudain choc l’ébranla, mais parvint à le sortir de son état secondaire.
— C… corvus ! Ça suffit ! Si tu continues, tu… tu…
Nohan ne finit pas sa phrase. La peur qu’il pouvait lire dans son regard clair agit comme un électrochoc sur Thalion. Par les dieux, que venait-il de se passer ? Ses yeux se posèrent sur le corps inerte de Camille. Le seul réconfort qu’il trouva en voyant son visage contusionné était de constater qu’il était toujours conscient. Thalion devint blême en prenant peu à peu conscience de ce qu’il avait fait. De ce qu’il avait ressenti. Jamais il n’avait vécu une telle crise de colère. Les voix lui revinrent en mémoire. Avaient-elles… essayer de prendre possession de lui ? Étaient-elles à l’origine de ce déferlement de haine ?
Camille se redressa. Hormis son visage sérieusement amoché, il n’avait pas de blessures graves. Il se releva en vacillant. Les trois magériens se toisèrent ensuite pendant de longues secondes, chacun se remettant peu à peu de ses émotions. Personne ne dit mot, mais un accord implicite pour garder le secret sur cette histoire se scella dans le silence.
Camille gratifia une dernière fois Thalion d’un regard meurtrier, quoi que teinté d’une certaine crainte, avant de se diriger vers la sortie des toilettes. Quand la porte claqua, Thalion se releva, appuyant sur sa hanche pour soulager la douleur térébrante. Il allait avoir un sacré bleu demain.
Debout devant lui, Nohan passa une main sur sa nuque. Pendant un instant, Thalion supposa que son camarade, terrifié par la scène à laquelle il avait assisté, allait s’enfuir à toute jambe. Qu’il ne voudrait plus jamais s’approcher de lui. Thalion comprenait, mais durant ce court laps de temps où il se l’imagina, il crut que la peine et le regret avaient empoigné son cœur entre leurs mains pour le tordre comme un torchon. Encore une fois, la réaction de Nohan fut bien différente.
— Désolé pour l’attaque, murmura-t-il. Je…
— Stop. C’est bon. Ça… m’a remis les idées au clair.
Nohan hocha la tête, la mine sombre. Les deux jeunes hommes parurent subitement submergés par l’épuisement. La situation aurait pu être normal si le robinet ne continuait pas de fuiter et d’inonder les toilettes. Pourtant, aucun d’eux ne fit l’effort de s’en occuper.
Thalion se releva et alla ramasser sa baguette. Son corps lui faisait payer les coups reçus à chacun de ses mouvements.
— Tes migraines ? s’inquiéta Nohan en pensant que c’était la cause de ses grimaces.
— Ne t’en fais pas, elles se dissipent. Par contre, ton nez…
Le magérien lésé porta une main à son nez, comme pour cacher à sa vue les stigmates de sa persécution.
— Il n’est pas cassé et l’hémorragie s’est arrêtée…
— On devrait quand même aller à l’infirmerie…
Nohan secoua la tête avant de lui tourner le dos.
— Ce n’est rien, vraiment, je vais m’en occuper. On se retrouve à la bibliothèque…
Sans lui jeter un regard, il se dirigea vers la porte. Sauf que Thalion ne comptait pas en rester là. Ni une, ni deux, il enjamba les flaques d’eau qui se répandaient au sol et attrapa son poignet pour le retenir. Surpris par son geste, Nohan se retourna vers lui et remarqua l’exaspération qui crispait le visage de Thalion.
— Tu te moques de moi, Nohan ? Tu vas me planter là, sans explication, et continuer de fuir ?
— Y’a rien à dire, tout est réglé, non ? Donc tu ne peux pas juste, je ne sais pas, oublier…
— Oublier quoi ? le coupa-t-il sèchement. Que ça fait des semaines que tu souffres en silence ? Que si je n’étais pas entré dans ces toilettes, ça aurait continué sans que je n’en sache rien ? Toi et Eris insistez pour que j’accepte votre soutien, mais vous n’êtes pas capables d’en faire de même ! C’est franchement culoté !
Quand ces mots franchirent ses lèvres, Thalion le regretta en voyant les yeux de Nohan s’embuer de larmes et ses joues rougir. Le maudit savait plus que quiconque la honte qu’on pouvait ressentir dans cette situation où l’on se sentait seul et impuissant. La difficulté d’en parler. Faire des reproches était la dernière chose dont Nohan avait besoin.
Blessé, la peine de Nohan se mua en agressivité.
— Tu veux que je te réponde quoi ? asséna-t-il. Que je pensais pouvoir gérer et qu’ensuite, j’ai eu trop honte de ma faiblesse pour demander de l’aide ? J’ai pas besoin d’humiliations supplémentaires ! Et honnêtement, si je t’en avais parlé, rien ne m’assurait que tu m’aiderais !
Thalion s’apprêtait à contester, mais son attitude renfermée adoptée ces dernières semaines le força à reconnaître qu’il n’avait pas envoyé les meilleurs signaux. Eris et Nohan étaient ouverts à lui dès le début, mais lui n’avait jamais esquissé le moindre pas vers eux.
La culpabilité comprima la cage thoracique de Thalion. S’il avait été moins égoïste, moins têtu, plus perspicace, les choses auraient pu se passer autrement…
Quand il ouvrit la bouche pour formuler sa réponse, la porte s’ouvrit brutalement. Les deux magériens sursautèrent et trouvèrent sur le seuil Roxanne. Son souffle était saccadé, comme si elle avait couru pour venir jusqu’ici. Des élèves avaient sûrement entendu leur grabuge, et avec la rumeur de Nohan qui aurait pleuré dans les toilettes, quelqu’un avait dû la mettre au courant. Savoir qu’elle était dans les toilettes des garçons était sans doute le cadet de ses soucis. En les voyant, son visage afficha un air menaçant, et pour cause, la scène prêtait à confusion. Thalion tenait d’une main sa baguette et de l’autre, le poignet de Nohan, tandis que ce dernier avait le nez en sang et des yeux brillants de larmes. Autant dire que le maudit ne passait pas pour le gentil de l’histoire.
Il relâcha son poignet et chercha à détromper au plus vite la magérienne.
— Roxanne, ce n’est pas ce que…
— Grothia !
La fin de sa phrase ne vit jamais le jour car le sortilège « Coup-de-poing » s’abattit sur sa joue. Thalion avait l’impression qu’un poing invisible venait de le mettre K.-O. Ah, non, ce n’était pas une impression. Il était véritablement allongé au sol avec les oreilles sifflantes et une vision trouble. La jeune fille avait mis toute son âme dans ce sort pour produire un tel effet.
— Je le savais ! s’époumona-t-elle, je savais que tu étais dangereux ! Espèce de corbeau putride, je vais te faire manger le sol !
Elle s’avança vers lui avec la ferme intention de mettre ses menaces à exécution, mais Nohan lui barra le passage.
— Roxanne, calme-toi…
— Nohan, n’essaye même pas de m’arrêter ou de lui trouver une excuse !
— Mais ce n’est pas lui ! C’est Camille !
Roxanne se figea en fronçant les sourcils.
— Camille ?
— Oui… Et Corvus l’a… remis à sa place.
Le concerné se relevait tant bien que mal en se massant la joue. Ses sens restaurés, il fit la moue devant la mine dubitative de la magérienne.
— Si t’es pas convaincu, je peux te montrer les traces laissés par « Molopisos ».
Il illustra son propos en remontant le manche de son uniforme, et les contusions qui coloraient son bras ne laissèrent plus aucun doute à Roxanne. Si son haussement de sourcils traduisait sa surprise, la grimace furibonde qui suivit annonçait les pires présages pour Camille.
— Alors les hématomes… C’est pour ça qu’il m’en a parlé, évidemment qu’il était au courant… Que les dieux en témoignent, je vais réduire ce laideron crapuleux en charpie !
Qu’elle fasse donc, Thalion n’allait pas l’en empêcher. Il aurait même été ravi de l’aider mais on sauterait sur l’occasion pour pointer du doigt ses tendances « meurtrières » et exiger son renvoie.
— Depuis combien de temps ça dure ? finit-elle par demander après avoir marmonner un tas de menaces.
Nohan soupira, abandonnant sa résistance devant les deux magériens déterminés à savoir.
— Depuis le premier cours d’alchimie, il y a quelques semaines. C’était juste de l’intimidation, au début, mais en voyant que je tenais bon, il a adopté une approche plus… violente depuis quelques jours. Il s’amusait à tester certains sorts sur moi…
— Alors, la fois où tu as vomi…
Nohan détourna le regard, acquiesçant implicitement à la question de Thalion. Son visage se durcit. Il regretta le jour où les deux magériens avaient été mis en équipe pour préparer la potion. S’il avait su…
— Pourquoi tu n’es pas venu me voir ? l’interrogea-t-elle. Je t’ai toujours aidé, à l’école Bélathus…
— C’est précisément pour cette raison que j’ai voulu prendre mes distances avec toi !
La porte s’ouvrit de nouveau, interrompant leur échange. Deux garçons pénétraient dans les toilettes en rigolant, avant de s’arrêter en les apercevant. Ils les dévisagèrent, Nohan avec son nez en sang, Roxanne qui n’avait rien à faire là, et Thalion parce qu’il était... lui. Il se rappela le lieu dans lequel ils se trouvaient. Ce n’était pas le meilleur endroit pour ce genre de discussion. Un professeur ou des élèves pouvaient débarquer d’un instant à l’autre
Roxanne parut du même avis car elle saisit la main de Nohan pour l’emmener ailleurs. Naturellement, Thalion les suivit.
— Faites attention, ça glisse, les avertit-il. Si vous pouviez faire comme si vous n’aviez rien vu… Ah ! Et réparez le robinet aussi, ce serait cool.
Puis il les abandonna pour rejoindre Roxanne et Nohan avant de les perdre de vue.
La magérienne les conduisit jusqu’à une baie vitrée donnant accès à un balcon si large qu’elle ressemblait plutôt à une plateforme blanche faisant office de terrasse. Thalion n’était jamais venu ici, mais les élèves désireux de discuter à l’abri des oreilles indiscrètes sans s’éloigner de l’académie appréciaient ce genre d’endroit. Enfin, ce n’était possible que les jours de beau temps. Lors des journées fraîches, les salons étaient privilégiés. Par de-là l’élégante balustrade se trouvait une vue panoramique de la forêt. En se penchant, Thalion prit conscience de la hauteur à laquelle ils se situaient.
Il reporta son attention sur Roxanne qui s’était postée devant lui. Son visage dur exprimait toute son antipathie à l’égard de l’adolescent.
— Pourquoi tu nous as suivis ? lui reprocha-t-elle. Cette discussion ne concerne que nous.
— Roxanne. Tu es si froide avec moi. Ça me blesse.
— Je ne fais pas ami-ami avec les futurs meurtriers.
Thalion s’accouda nonchalamment sur la rambarde, nullement froissé. Ça faisait longtemps qu’il ne se vexait plus pour si peu.
— Ça tombe bien, je ne fais pas non plus ami-ami avec les pestes.
La mâchoire de Roxanne se crispa, comme si elle retenait une flopée d’insultes de franchir ses lèvres. Derrière elle, Nohan se pinça l’arête du nez, désespéré par cette tension qui ne faisait que s’accroître.
Après un duel de regard intense, Roxanne croisa les bras sur sa poitrine sans se départir de son air sévère.
— Puisque t’es là, autant mettre les choses au clair. Tu n’es pas stupide, tu sais aussi bien que moi que t’es un vrai nid à problèmes. Nohan ne gagnera rien de bien en restant avec toi, alors s’il y a un semblant d’humanité en toi, fiche-lui la paix.
— Okay.
Sa réponse rapide et laconique prit de court Roxanne dont l’expression ahurie le fit ricaner.
— Je suis d’accord avec ce que tu dis, poursuivit-il. Mais en l’occurrence, ce n’est pas moi que tu dois convaincre, mais lui.
Il pointa du doigt Nohan qui se trouvait dans son dos.
— Merci de me donner la parole, je commençais à en avoir marre qu’on parle en mon nom.
La pointe d’agacement perceptible dans sa voix troubla Roxanne. Elle ne devait pas être habituée à voir son ami d’enfance se comporter aussi sèchement avec elle.
— Nohan… tu veux vraiment traîner avec lui ?
— J’espère que tu ne me poses pas la question parce que tu m’imagines sérieusement soumis à un sortilège de manipulation ? Tu me déçois. On se fréquente depuis l’enfance, tu es censée me connaître mieux que quiconque.
— Justement, je ne te reconnais plus. Tu as changé.
— Je n’ai pas changé. Je ne suis simplement plus le petit garçon que tu as couvé toutes ces années. Cet été, je t’ai expliqué maintes fois que je ne voulais plus me reposer sur toi. Ni sur personne d’autre. Et regarde l’état dans lequel ça te met ! Tu trouves ça sain ?
Roxanne se mordit la lèvre, ne sachant comment le contredire. De son côté, Thalion se demandait si Nohan avait voulu gérer seul son harcèlement pour se prouver qu’il était capable d’encaisser, de se débrouiller sans l’aide de quiconque.
— On a toujours été ensemble. Tu es le petit frère que je n’ai jamais eu. Je n’ai jamais voulu que ton bien… argua-t-elle.
— Sauf qu’en ce moment, rester avec toi me fait plus de mal que de bien. Tu m’étouffes, j’ai besoin de me détacher de toi.
Roxanne recula, comme si elle venait de se prendre un coup dans la poitrine. Thalion se sentait un peu de trop. Comme s’il suivait un règlement de compte familial qui ne le concernait pas.
Les bras de la magérienne finirent par retomber mollement le long de son corps.
— Tu veux ton indépendance ? Très bien. Mais trouve-toi un autre pote que lui, pitié.
Thalion ne comprenait pas sa supplication. Ne faisait-il pas un excellent ami ? Bien maudit comme il fallait, on ne pouvait pas rêver mieux.
— Franchement, pourquoi tu t’accroches à quelqu’un condamné par une déesse, qui utilise encore une baguette, haït et rejeté par la société et…
Elle s’interrompit, et son visage s’éclaira.
— Ah, j’ai compris. T’es vraiment culotté, Nohan. Tu me reproches de vouloir te protéger pour satisfaire mon égo, mais au final, tu fais pareil avec Corvus. Tu veux quelqu’un à protéger pour combler ton manque de confiance en toi.
— Non ! C’était avant tout pour le soutenir !
Nohan jeta à Thalion un regard, l’implorant silencieusement de le croire. Roxanne se tourna vers lui, un sourire narquois sur les lèvres.
— T’entends ça, Corvus ? Il t’a approché par pitié ! Tu lui fais tellement de peine qu’il a ressenti le besoin de te porter secours. Il n’a même pas été honnête depuis le début en te cachant son intérêt égoïste !
Thalion fit tournoyer sa baguette dans ses mains pendant que son regard oscillait entre le visage affligé de Nohan et l’expression railleuse de Roxanne. Pourtant, savoir que Nohan n’agissait pas uniquement par pure bonté le rassurait. Il y a quelques semaines, il se serait énervé, mais maintenant qu’il le connaissait, il ne pouvait nier son naturel bienveillant. Si Nohan avait voulu lui montrer que des gens pouvaient le tolérer tout en y gagnant quelque chose, Thalion n’allait pas le lui reprocher. Les humains étaient tous égoïstes, seulement à des degrés différents.
— Si je peux l’aider de cette façon, je ne vois pas le problème. On est tous les deux gagnants.
Le visage de Roxanne se décomposa tandis que celui de Nohan s’illumina. Le contraste avait quelque chose d’amusant. La sidération de la jeune fille laissa place à de la fureur. Elle se précipita si vite vers lui que Thalion recula, la rambarde en pierre s’enfonçant dans le bas de son dos. Elle s’arrêta à quelques centimètres de lui avant de déclarer d’une voix venimeuse :
— L’aider ? Non, ça ne va pas l’aider, ça va le tuer. Parce ce que c’est ce qui arrive quand on traîne avec un corbeau. Que tu le veuilles ou non, la prophétie se réalisera.
Thalion aurait aimé nier en bloc, mais le souvenir des voix ténébreuses qui s’étaient immiscées dans son esprit le poussa à garder le silence. Roxanne fit demi-tour. Elle dépassa Nohan sans même lui jeter un coup d’œil et s’en alla. Un lourd silence tomba sur le balcon. Le vent siffla. Nohan se gratta la nuque, l’air hésitant, avant de rejoindre Thalion près de la rambarde. Il s’appuya sur celle-ci en contemplant la cime des arbres.
— Je m’excuse pour elle, finit-il par dire. En vrai, c’est une fille sympa qui donne beaucoup, mais… seulement avec les gens qu’elle apprécie.
— Ils ne doivent pas être nombreux.
Un rire étranglé lui échappa.
Un silence pensif mais étrangement confortable persista. Le ciel s’était assombri depuis leur arrivée sur le balcon. Le vent caressait les boucles noires de Thalion qui se remémorait sa discussion avec Roxanne. Quand elle avait affiché son sourire narquois, il avait eu la fugace impression de voir Camille à sa place, d’autant que ses paroles lui avait fait penser aux mots du magérien juste avant son intervention dans les toilettes. D’ailleurs, n’avait-il pas parlé de mensonge et de trahison ? Est-ce que par hasard…
— Mon livre déchiqueté, mon devoir déchiré… c’était toi, pas vrai ?
À côté de lui, Nohan se crispa. Thalion soupira devant sa mine coupable. Quelle tentative pitoyable de Camille. Il espérait sincèrement provoquer une dispute entre eux de cette façon ? Le maudit ressentait plutôt des envies assassines, mais pas contre Nohan. Thalion songea à trouver une occasion pour se faufiler jusqu’à la salle d’Astrémi pour éviter de commettre un meurtre. Les étoiles étincelantes seraient en mesure de l’apaiser.
— Je suis désolé… commença à s’excuser Nohan. J’étais obligé de…
— C’est bon, je m’en fiche, maintenant. Et c’était un mal pour un bien, au final. C’est vrai, assura-t-il devant sa surprise. En refaisant mon devoir avec toi, j’ai eu une meilleure note que ce que j’aurais eu initialement.
Nohan pouffa, comprenant qu’il était inutile de s’attarder là-dessus.
L’air s’était rafraîchi. Un frisson les parcourut. Thalion se redressa.
— Sinon, j’espère que t’as compris.
— De quoi… ?
— Que si tu as un problème, tu peux m’en parler.
— Uniquement si tu fais de même. C’est donnant-donnant.
Un sourire sincère s’épanouit sur leurs visages qui avaient de quoi faire peur, entre le sang et les bleus. C’est pour cette raison que Thalion convainquit Nohan d’aller à l’infirmerie à condition de l’y accompagner afin qu’il n’esquive pas les soins. En s’y dirigeant, un agréable spectacle croisa leur chemin dans les couloirs : Camille poursuivit par Roxanne en train de lancer des flammes sur le magérien.
— Arrête ! J’recommencerai plus, promis ! Aïe ! Tu m’as brûlé les fesses ! geignit Camille pendant sa fuite.
— C’est ton âme que je vais brûler ! hurla Roxanne qui jeta des flammes encore plus ardentes.
Un peu plus loin derrière eux, M. Vandré pressait le pas pour les rattraper en rouspétant. Lorsqu’ils s’éloignèrent, Nohan soupira. Ils échangèrent un regard avant d’éclater de rire.
Un bon chapitre. Le duel entre Camille et Thalion permet de voir que le héros se sert bien de sa tête malgré sa faiblesse.
Elle enflait dans sa poitrine, grossissait au fur -- je mettrais plutôt : Elle enflait dans sa poitrine, "grossissant" au fur
Bonne journée !
Contente que leur duel t'ait plu ! Effectivement il est pas dénué d'intelligence donc autant s'en servir pour combler ses lacunes x)
C'est vrai que ça sonne bien, je vais y réfléchir dans ce cas !
Merci pour ton commentaire, et bonne journée à toi aussi !
La confrontation entre Thalion et Camille est très sympa à lire, les explications sur le harcèlement de Nohan sont aussi les bienvenues. Le thème du harcèlement n'est pas forcément facile à aborder dans une histoire, mais je trouve que tu t'en sors plutôt bien, surtout quand tu évoques la culpabilité et la honte ressenties par la victime.
C'est un chapitre somme toute assez émouvant, bien écrit, mais qui peut encore gagner en efficacité je pense.
Puis-je me permettre de te donner des pistes de réflexion ?
Pendant le combat, j'ai trouvé que les dialogues entre Camille et Thalion n'apportaient pas grand chose. Ce sont essentiellement des provocations niaises. À mon sens, soit tu fais le lien avec l'intrigue principale du corbeau et tu nous montres que Thalion pète vraiment un boulon (pour qu'on se demande s'il n'est pas en train de virer dark side malgré lui, tout ça...) soit tu vires complètement les provocations une fois que le premier sortilège est lancé, pour avoir un paragraphe avec purement de l'action et un duel encore plus captivant, plus dynamique. Un mixte des deux est possible : Thalion découvre Camille en train de maltraiter Nohan, il s'énerve, lui balance une vraie provocation bien méchante qui fait peur, et ensuite place au combat.
D'ailleurs, à la fin du combat, tu mentionnes :
"Thalion s’avança vers son adversaire encore à terre pour continuer de se défouler, mais la voix de Nohan l’arrêta dans son élan."
Moi, je trouve qu'au contraire, ce serait top si Thalion se jetait sur Camille et pendant un bref instant, continuait de s'acharner sur lui alors qu'il a déjà gagné, le tabassait dans une rage aveugle, ou qqchose comme ça. Et le cri de Nohan le ramènerait à la réalité.
Le lecteur se dirait "ok, il a l'air gentil, il découvre l'amitié, c'est triste que tout le monde le traite comme ça alors qu'il fait de son mieux pour ne pas devenir le monstre que tout le monde voit en lui... mais d'un autre côté, c'est vrai que quand il s'énerve, il est capable de complètement perdre les pédales et il est vraiment flippant". Et du coup, ça ajouterait du poids à la question "principale" du début de récit : Thalion va-t-il vraiment devenir un sorcier maléfique ?
En fait, ajouter une lutte intérieure au perso le rendrait plus intéressant.
Autre point, je trouve que la deuxième partie du chapitre (le dialogue entre Thalion et Nohan, une fois que Camille est parti) a un côté guimauve qui rend le tout un peu niais et enfantin par moments.
Par exemple, lorsque Thalion propose à Nohan "un câlin ?" et que tu en fais des tonnes sur le câlin qui réconforte, qui soigne les bobos, etc (j'exagère un peu mais c'est l'idée), je pense que tu pourrais te contenter de dire que Thalion prend maladroitement Nohan dans ses bras pendant un instant, qu'il est raide, mal à l'aise, puis il se recule rapidement. Mais sans la dose de sucreries en plus.
À toi de voir, je te laisse le soin de la relecture, c'est ton histoire après tout ;)
De manière générale, je trouve qu'intégrer le thème du harcèlement est un bon choix, et de faire en sorte que Nohan soit la victime est une bonne idée également. On ne le voit pas vraiment venir (peut-être laisser transparaître un chouilla plus d'indices et/ou faire en sorte que ça dure plus longtemps / que les sévices soient plus durs pour ajouter de l'impact et justifier d'autant plus la colère de T ?).
Mais je pense vraiment qu'il faut que tu arrives à intégrer toute cette partie sur l'amitié naissante de tes persos et leurs relations (ça inclue le long chapitre dans la bibliothèque) à l'intrigue principale pour que les choses avancent et qu'on n'ait pas juste l'impression d'assister aux états d'âme d'une bande d'ados dans une cour de récréation.
En tout cas, j'aurai plaisir à continuer ma lecture.
À très vite donc,
Ori'
Je suis ravie que tu ais pris plaisir à lire cette confrontation ! Effectivement, c'est pas un des thèmes les plus faciles à aborder. J'ai parfois peur d'être trop maladroite, de ne pas exprimer suffisamment bien ce que peut ressentir une victime. Mais si tu trouves que je m'en sors bien, tant mieux ^^ !
J'ai lu avec attention tes suggestions pour le combat et je vais y réfléchir. Généralement, écrire l'action n'est pas mon point fort donc j'accepte tous les conseils.
Ensuite, je suis d'accord avec toi pour la deuxième partie, mais je ne savais pas trop comment rendre le tout moins niais. Je vais y réfléchir mais je pense suivre ton conseil.
Dire qu'à l'origine on voyait venir à dix kilomètres que c'était Nohan x) Pas facile de trouver un équilibre mais je verrai si je laisserai quelques indices en plus ou le faire durer un peu plus longtemps.
Je pense que tu as raison. Dès que j'aurai le temps, je me pencherai dessus pour trouver une solution.
Merci pour tes remarques et de prendre le temps de laisser un commentaire !
Ce passage est assez émouvant. C’est triste tout ce que Nohan a dû subir… Il a vraiment une personnalité intéressante, lui aussi, et c’est bien qu’il se soit enfin confié à Thalion. Thalion avait besoin d’entendre ce genre de chose.
Sinon j’ai adoré cette tirade : « Parce que je suis censé être méchant, et les méchants font des choses méchantes simplement parce que ça leur fait plaisir. Et qu’ils sont méchants. » x)
Il y a encore quelques alternances de temps, mais rien de bien grave.
Et au début du texte, 4e paragraphe, il y a deux fois la phrase : « Aucun des deux n’avaient encore remarqué sa présence. »
À bientôt !
Oui, même si on peut trouver ce passage un peu gnangnan, une discussion comme celle ci était nécessaire pour l'évolution de Thalion. En tout cas je suis contente que ce passage t'ait touché et que tu trouves Nohan intéressant ! Je voulais pas faire un personnage secondaire sans aucune profondeur et qui ne se contente pas simplement d'aider le personnage principal.
Ah j'avoue que j'adore aussi cette réplique ! x)
Merci de me l'avoir dit, je vais corriger ça !
A bientôt !
il consolide un peu plus l'amitié entre Thalion et l'ange; Le personnage de Thalion évolue et c'est cohérent.
Tu évoques le harcelement scolaire et la honte que les victimes ressentent. d'où la réaction de l'ange de ne rien dire.
Je ne dirais pas que c'est guimauve ou juste le passage qui concerne Roxane peut etre un peu. L'amitié est un sujet majeur de ton histoire et je trouve que tu l'amène bien à travers la relation de Thalion et l'ange.
J'ai repéré quelques coquilles: :
que ce n'étais pas grave.......était
Au lieu quoi......de quoi
ses pleures se tarirent.......pleurs
qu'il ne finisse trop blesser....blessé
c'était trés claire entre nous....clair
C'est vrai que c'est un des thèmes principal, c'est pour cela que je centre un peu le début de l'histoire sur ça. Je suis contente de savoir que tu trouves cela bien amené ^^
Je vais corriger les fautes, merci beaucoup !
Oh qu'il est vraiment vraiment méchant Camille-Voldy-Troll...
Le duel était sympa même si très statique.
j'avoue j'ai décroché sur le passage de guimauve après. XD (la guimauve c'est pas bon pour le diabète d'abord)
J'aime la touche d'humour à la fin.
On se revoit au chapitre suivant!
♫Salagadoola♪ mechicka ♫boola♪♫
Bibbidi-bobbidi-boo♫♪
J’aime trop l’humour pour alléger un peu les chapitres x)
Merci encore pour le commentaire et comme toujours j’espère que le chapitre suivant te plaira !