Moulin de Luhan, Paimpont – Bretagne
Le courant était revenu depuis quelques minutes dans le moulin où Alice et Noémie se prélassaient. Cette dernière, croquant négligemment un chocolat, posa son paquet de cartes sur ses genoux.
— Ça fait quand même un moment que Léa est partie, j'espère que tout va bien... s'inquiéta Noémie.
Alice, surprise également par l'absence prolongée de son amie, jeta un coup d'œil rapide sur son téléphone, resté silencieux. Prenant un sourire rassurant, elle répondit à Noémie :
— Ne t'inquiète pas ! Si elle a entendu une voix en pleine nuit et qu'elle n'est pas revenue directement, il est possible que cette personne ait eu un accident. Léa est bien du genre à accompagner quelqu'un aux urgences et à oublier de nous prévenir dans le feu de l'action.
— On est quand même en pleine nature, et si elle s'était blessée elle-même dans le noir, c'est super boisé dans le coin, s'alarmait Noémie.
Alice posa ses cartes en soupirant.
— Pour l'instant, on n'a aucune raison de flipper. Nous sommes justement dans un coin super tranquille, comme tu dis. Tout ce qu'elle pourrait croiser, c'est un randonneur qui a campé dans les bois.
— Et si un sanglier l'avait attaquée, et que c'étaient ces bruits ? suggéra Noémie, inquiète.
— Tu t’angoisses pour rien ! C'est de Léa dont on parle. Si une personne peut garder la tête froide en cas d'attaque de sanglier, c'est elle ! De toute façon, si d'ici une heure elle ne donne pas de nouvelles, j'irai la chercher, d'accord ? affirma Alice, essayant de calmer Noémie.
Cette fois-ci, l'inquiétude disparut des yeux bleus de la brunette.
Elles tentèrent de regarder une vidéo pour passer le temps, mais elles n'arrivèrent pas à entrer dans l'histoire. Alice, l'insouciante du groupe, sentait que quelque chose clochait et était du genre à écouter son instinct, qui lui donnait souvent raison.
Elle se redressa, prenant une voix enjouée pour rassurer son amie.
— Bon ! Léa a dû oublier qu'elle avait des amies, je vais aller la chercher par la peau des fesses.
— Je viens avec toi... C'est plus prudent de rester ensemble, non? Proposa Noémie timidement.
— Il vaut mieux que tu restes si Léa revient entre temps ! Ne t'en fais pas, je prends mon téléphone, on se tient au jus.
Alice se leva rapidement, avant que Noémie ne remarque son inquiétude. Après avoir exagérément pesté contre ses chaussures pour détendre l'atmosphère, elle fila avec son sac en bandoulière, rempli de toutes sortes d'objets que Noémie avait fourrés dedans « au cas où» .
Elle afficha son sourire en coin, s'éloignant, téléphone à la main.
— Avec ça, je pourrais tenir en pleine nature deees jours. À tout à l’heure, ma belle !
Allumant sa lampe torche pour bien éclairer son chemin, elle se mit à siffloter une vieille chanson traditionnelle irlandaise que son grand-père adorait. Malgré son attitude courageuse devant son amie, elle n'était pas totalement rassurée, et penser à son grand-père un peu loufoque lui donnait du peps.
Elle fouilla les environs en appelant Léa à de nombreuses reprises, puis s'éloigna en suivant le chemin le plus proche de leur propriété. C'était incroyablement calme, et seuls les chants d'oiseaux nocturnes ponctuaient sa recherche. La lune était énorme, éclairant parfaitement son chemin ; elle n'avait même plus besoin de sa torche, qui, au contraire, créait des ombres portées.
Léa envoya un message à Noémie pour la prévenir qu'elle continuait de chercher.
Au bout de quelques minutes à suivre le chemin, des petits craquements retentirent, suivis de rires d'enfants qui résonnèrent autour d'elle. Alice eut la chair de poule ; elle avait entendu tout un tas de contes bretons et dans sa famille, elle écoutait depuis toute petite les légendes irlandaises. Ce ne seraient pas des rires qui lui couperaient le sifflet.
— Bonsoir ? Qui que vous soyez, avez-vous vu mon amie ? Demanda Alice d'une voix forte masquant ses tremblements.
Les bruits s'arrêtèrent et une petite voix sortit des bois.
— Est-ce que tu tiens beaucoup à elle ? Demanda la voix enjouée.
— Oui ! Sinon, je ne serais pas là en pleine nuit à la chercher en forêt, répondit Alice le cœur tambourinant dans sa poitrine.
— Peut-être qu'on peut t'aider ! Ricana une seconde petite voix.
Alice sentait son cœur s'accélérer à l'idée qu'elle puisse réellement avoir affaire à des créatures mystiques. Se rappelant les histoires de son grand-père, elle répondit prudemment.
— Ce serait sympa, oui... Et quelles sont vos conditions ?
Les deux voix piaillèrent de joie.
— Ah ! Bien, bien, tu connais les règles !
— Suis-nous, humaine ! Hihi !
Léa suivit les voix jusqu'à arriver dans une clairière baignée de lumière. Trois petites créatures, comme des lutins, se trouvaient au centre d'un grand cercle formé de milliers de champignons luisants. Leurs rires malicieux résonnaient, créant une ambiance terrifiante et enchanteresse.
" C'est vrai... les histoires de grand-père sont vrai... " pensa Alice, tremblant d'excitation, sentant l'adrénaline monter.
— Bienvenue, humaine aux cheveux de feu ! Je suis le doyen, Alaric. Si tu souhaites faire un vœu, tu devras réaliser notre souhait.
Alice s'avança et détailla chacun des trois créatures qu'elle pensa être des Korrigans. Celui qui s'était exprimé semblait avoir une certaine autorité, avec un chapeau pointu et de longues chaussures recourbées. Son petit visage était si ridé que ses yeux étaient à peine visibles, pourtant, elle sentait qu'ils la fixaient intensément. Les deux autres, hilares, se dandinaient comme des enfants impatients, une lueur de malice dans leurs yeux.
L'un d'eux prit la parole de sa voix sifflante.
— Mon frère et moi voulons savoir s'il existe ici des créatures plus amusantes et incroyables que les nôtres ! Décris-nous ce que tu connais.
— D'accord ! Ça me paraît raisonnable.
Alice se demanda si elle devait traiter leur demande comme celle d'enfants curieux et décida qu'elle pourrait en faire un sketch : le top 10 des animaux les plus bizarres ou étonnants à la manière d'un times up.
Elle commença par l'éléphant, qu'elle décrivit avec beaucoup de mimiques, puis elle continua avec le crocodile, en passant par le kangourou et également le fourmilier. Elle imitait exagérément le mouvement de la langue dévorant des fourmis dans leur habitat et ces dernières qui organisaient leur défense en envoyant leurs soldats attaquer la langue meurtrière.
Mais c'est celle des poux qui finit par les faire se rouler par terre, même Alaric eut quelques soubresauts de rire.
— Ah ah ! Une nouvelle planète à coloniser ! Aller les amis, allons répandre la bonne parole. Ce nouvel habitat est chaud et accueillant. Sautoooonnnssss ! Youhou ! yaahh ! (Elle imitait différents plongeons et reprit son sérieux subitement) Et c'est comme ça que la conquête de notre planète démarra.
Elle termina son imitation de l'exode des poux par une révérence.
— Alors, est-ce que ça vous a plu ? Demanda Alice essoufflée de ses pitreries.
Un des farfadets, encore au sol après s'être tordu de rire, leva difficilement la tête vers elle, des larmes coulant sur ses joues.
— Oui ! Oui ! Nous pouvons réaliser un souhait.
Alice retint son souffle. Il fallait qu'elle formule son souhait de la bonne manière, sans se presser. Elle avait lu assez d'histoires où une mauvaise formulation finissait en drame.
— Ramenez-moi mon amie Léa Moreau, disparue dans la soirée, dans l'état où elle était avant de disparaître, soit avec son intégrité physique et morale.
Les trois petits êtres la fixèrent, se regardant entre eux alors qu'Alice retenait son souffle, tétanisée.
— Nous ne pouvons pas ramener ton amie, répondit Alaric.
Alice sentit son sang se glacer.
— Pourquoi ? demanda-t-elle sentant une boule se former dans sa gorge quand elle déglutit.
— Ton amie est passée à travers la barrière vers notre monde. La seule chose que nous pouvons faire c'est de te faire traverser à ton tour, mais sur place, il faudra trouver une solution pour rentrer, répondit le vieux korrigan.
— Est-ce que vous savez comment elle va ?
— Elle n'est plus là où elle a atterri, donc vivante.
Alice soupira.
— Comment allez-vous m'emmener dans votre « monde» ?
— Est-ce que tu sais danser ? Demanda un des farfadets en sautillant, cassant l'atmosphère tendue.
L'autre lutin ricanait en se tapant le ventre.
— Oui, une danse irlandaise ça irait ? demanda Alice.
Les deux korrigans lui prirent les mains de chaque côté. La sensation de leurs petites mains griffues était étrange, entre une main humaine et la patte d'un chien, mais elle se laissa entraîner au cœur du cercle.
— Attendez ! Je dois prévenir mon autre amie de mon absence ? Est-ce que vous pensez que je pourrai revenir rapidement ?
Les lutins riaient, l'attirant cette fois-ci avec une force surprenante, sans s'arrêter.
— On ne sait pas ! Mystère ! Ricana l'un d'eux, le regard farceur.
Avant même qu'elle ait pu se dégager de leur mouvement entraînant, elle se retrouva à danser avec eux, comme prise d'une envie irrépressible, jusqu'à ce que sa tête commence à lui tourner. Là, d'un coup, le sol se déroba sous ses pieds.
Elle cria, sans discontinuer, alors qu'elle avait l'impression de glisser dans un tunnel à grande vitesse, comme sur le wagon d'un grand 8 de parc d'attractions.
Elle atterrit en roulant sur un gros buisson moelleux.
— Oh, merde !
Elle se redressa d'un bond, sortit son téléphone de son sac et téléphona à Noémie. PAS DE RÉSEAU. Elle poussa un grognement d'impuissance, maintenant coupée de son monde ou du moins, c'est ce qu'elle en déduisait.
Plus le choix, il ne lui restait plus qu'à retrouver Léa et un moyen de revenir sur Terre.
***
Alice regarda autour d'elle malgré l'obscurité. Elle voyait tout de même qu'elle n'était plus dans une clairière, mais dans une zone boisée. Allumant sa lampe torche, elle s'attendait à voir des créatures comme les petits lutins qu'elle avait croisés et qui lui avaient donné un billet aller pour le pays des gnomes. Elle commençait à en avoir plein le dos et se trouva un coin tranquille au creux d'un arbre pour s'asseoir et voir le contenu du sac donné par Noémie... Qui aurait cru qu'elle aurait réellement besoin d'un sac de randonnée rempli pour retrouver Léa.
Elle reconnu le kit de camping que Léa leur avait offert à elle et Noémie en cas de "fin du monde" avec un opinel multifonction, une couverture de survie, de l'eau, une pharmacie de secours et en plus un ajout de Noémie qui était toujours prévenante : un paquet de cacahuètes et une tablette de chocolat, les deux snacks préférés de Léa et d'elle-même.
Elle eut envie de verser une larme en pensant à son amie qui l'avait littéralement sauvée en lui donnant ce sac. S'installant du mieux qu'elle put, Alice s'enveloppa de la couverture de survie et utilisa le sac comme oreiller. Il fallait qu'elle dorme pour se lancer à la recherche de Léa et ses yeux se fermèrent d'épuisement sans qu'elle ne s'en rende compte.
Le lendemain, un petit vent frais chatouilla le nez d'Alice, qui se réveilla en éternuant. En ouvrant les yeux, elle vit qu'elle était couverte de pétales de la tête aux pieds. Elle se releva en s'époussetant.
— Hé ! Qui a fait ça ? Je suis encore vivante, pas besoin de m'enterrer sous les fleurs. (Un petit rire résonna) Montrez-vous si vous l'osez ! Assumez votre blague, les Schtroumpfs !
Un petit être sortit des buissons et s'approcha d'elle.
— Je m’appelle Gwennol, pas Schtroumpf ! Tu es humaine, pas vrai ?
— Moi c'est Alice une humaine. Et toi, qu'est-ce que tu es ?
— Je suis une fière Korrigan ! Qu'est-ce que tu fais ici ?
Alice se rassit sur le coussin formé de milliers de pétales, récupérant son sac.
— Je cherche mon amie humaine qui a disparu. Elle s'appelle Léa, elle est un peu plus grande que moi, avec des cheveux blond foncé et des yeux noisette. Est-ce que tu l'aurais vue ?
— Non, on se cache depuis ce matin ! Deux géants se sont battus, il vaut mieux les éviter. Ici, c'est le territoire de Garen et il dit que tous les humains sont horribles. Est-ce que tu veux nous faire du mal et détruire la forêt ?
— Bien sûr que non, pourquoi je ferai ça !? Est-ce que toi ou les autres habitants de la forêt voudriez me faire du mal ?
— Humm... Les korrigans sont plutôt gentils, mais il faut connaître la forêt. Je ne sais pas si tous les Brocéliandins apprécient ceux de l'extérieur.
— Et ce Garen, pourrait-il me blesser ?
— Dara ! Cadoc ! Venez, l'humaine est gentille ! interpella Gwennol.
Deux nouvelles têtes apparurent entre les buissons, puis les trois korrigans piaillèrent entre eux.
— Bonjour ! Je cherche mon amie Léa et j'ai déjà croisé des korrigans sur Terre, l'un d'eux s'appelait Alaric.
— Oh oh ! Le vieux ! Ça fait longtemps qu'on ne l'a pas vu, ricana l'un des nouveaux Korrigan.
— Il était avec deux petits et j'ai joué avec eux, avant d'arriver ici, répliqua Alice.
— Tu as réussi le défi du vieux ??
— Hehe oui ! Ils ont bien rigolé ! répondit-elle en bombant la poitrine.
Les trois korrigans reprirent leur discussion animée, comme impressionnés par son exploit. Alice but un peu d'eau à sa gourde et croqua une cacahuète grillée. Gwennol se colla à elle et la fixa.
— Ça a l'air bon ! Je peux goûter ?
— Bien sûr, tiens, Gwen !
Les oreilles de la petite korrigane bougèrent de contentement lorsqu'elle croqua l'oléagineux.
— Ouahhh ! C'est meilleur que les noisettes !
— J'aime bien ça aussi, grillé c'est délicieux et c'est encore meilleur avec du chocolat !
— Du chocolat !! Je n'ai jamais mangé ça, mais les vieux disent que c'est amer... il faut mélanger avec du miel.
Alice pouffa de rire et se mit à caresser la tignasse blonde en bataille de Gwen. Elle entama sa tablette et offrit un morceau à chacun des korrigans, dont l'un scrutait d'un œil méfiant son carré.
— Goûtez ! C'est mon snack préféré, je vous promets que ce n'est pas amer, il est au lait et aux cranberries.
Gwen dévora son morceau, pendant que les deux autres reniflaient prudement avant d'en goûter un bout, puis gobèrent à leur tour la sucrerie.
— Viens ! On va te montrer notre maison ! S'exclama Dara, la petite au chapeau vert orné de glands, lui prenant la main.
Alice se redressa, rangeant ses affaires dans son sac.
— Merci Dara, c'est bien ça ? (Elle acquiesça avec un sourire) vous n'avez pas peur de moi ?
— Elle n'a pas de raison d'avoir peur ! Je peux la protéger, dit le petit korrigan restant, Cadoc, en se tapant le torse du poing.
Alice rit imaginant mal un korrigan pouvoir la battre si elle avait de mauvaise intentions, puis elle se rappela les griffes et son sourire se fanna. Elle s'épousseta pour se débarrasser des pétales et suivit ses nouveaux compagnons.
Tout au long du chemin, ils énuméraient les noms d'arbres intéressants comme le douran, dont les feuilles accumulaient l'eau pure, le tanet avec ses fruits dorés et juteux ressemblant aux pommes, ou le kalan, un buisson produisant des baies rouges qui réchauffaient, poussant près de l'eau. Ils l'avaient également avertie de ne pas approcher l'arbre dervenn, dont les feuilles tranchantes blessaient à moins de 3 mètres, et de surtout éviter les buissons de bleun autour desquels volait une nuée de Tylwyth Teg, des oiseaux colorés, car ils protégeaient leur nid. Il y en avait justement un dans le coin qu'ils observèrent de loin, à couvert.
Arrivés devant un grand chêne, dont les branches se courbaient exagérément vers le sol, les Korrigans firent un sifflement semblable à un chant d'oiseau et une superbe créature à l'apparence d'une femme glissa le long du tronc.
— Ohh ! Une humaine, ça faisait une éternité !
Alice s'avança avec son habituel sourire.
— Bonjour ! Je m’appelle Alice.
Dara sautilla vers la femme qui l'assit sur son épaule.
— C'est une gentille, il ne faut pas le dire à Garen. Elle cherche son amie humaine, c'est Alaric qui l'a laissée venir sur Aldaria. (Puis se tournant vers la jeune femme) Alice ! Voici Skrign, mon amie dryade ! C'est l'esprit de notre maison.
— Enchantée Skrign ! Je recherche en effet mon amie, puis un moyen de revenir sur Terre. Nous sommes trois et ma seconde amie est restée sur Terre et doit mourir d'inquiétude. Je sais que c'est beaucoup vous demander à tous alors que je n'ai rien à vous offrir en échange à part ma reconnaissance et quelques cacahuètes.
Gwennol la Korrigane rit entre ses mains, alors que la dryade restait très sérieuse.
— Alice, si mes amis korrigans veulent t'aider, je ne m'y opposerai pas, mais sache que tu es dans le territoire d'un géant qui n'aime pas les humains. Ce matin, il a déraciné plusieurs arbres dans sa colère et je ne veux pas que tu mettes en danger les petits.
— Je ne veux faire de mal à personne, mais je dois retrouver mon amie...
— Un Tylwyth Teg a vu Garen se mettre à dos un gardien car il avait tenté d'attraper une humaine dans la grande plaine. J'ai cru qu'il divaguait jusqu'à ce que je te voie.
— C'était peut-être Léa ! Je n'ai croisé aucun géant pour ma part.
— Si tu n'as pas peur, Gwennol pourra t'y conduire.
— Merci ! Je vais me cueillir des fruits de tanet et nous pourrons y aller. Est-ce que les sources d'eau d'ici sont potables ?
La dryade acquiesça et Alice partit, Gwennol la devançant en sautillant.
Elle grimpait sur des rochers et, comme un enfant espiègle, revenait vers Alice avant d'observer une fleur ou de discuter avec un oiseau. Après leur cueillette, l'air devint d'un coup froid et plusieurs créatures surgirent pour s'enfuir. Le sol tremblait légèrement et Alice lança un regard interrogateur à la korrigane.
— On y est... Tu es sûre de vouloir explorer par-là ? Demanda Gwen hésitante.
— Si je veux trouver des traces de Léa, il faut bien que j'aille où elle aurait été repérée.
Gwennol hocha la tête et la prit par la main. Elles se dirigeaient vers la plaine où aurait eu lieu l'altercation et les vibrations du sol s'intensifièrent. Une créature aussi haute qu'une vache, mais longue comme trois, affublée de douze pattes, arriva vers elle.
Sa tête était un mélange étrange entre un reptile et un cervidé, un long museau écailleux aux yeux jaunes, recouvert de poils longs laineux d'où émergeaient deux bois imposants comme ceux d'un élan. Ces longues pattes écailleuses étaient pourvues de griffes et son long pelage couvrait également son dos et se poursuivait en queue terminée d'une touffe de poils, traînant jusqu'au sol.
Alice recula de quelques pas, ne sachant pas si l'énorme créature était hostile, mais Gwennol ne bougea pas, ce qui la rassura.
— Ssssil vous plaît, il a besoin de votre aide ! Siffla la bête d'une voix caverneuse.
Alice et Gwennol suivirent la créature, qui les mena tout droit vers une partie dense de la forêt. Un arbre brisé gisait au sol, et un homme massif y était adossé, le corps courbé vers l'avant. Alice s'avança prudemment et marcha dans une flaque boueuse ensanglantée. Gwennol poussa un petit cri.
— C'est Garen ! Il a l'air mal en point....
Alice hésita un quart de seconde, avant de s'accroupir face à Garen. Il était inconscient et ses blessures saignaient abondamment, surtout celle du ventre. Malgré l'avertissement sur sa haine des humains elle ne pouvait pas laisser quelqu'un mourir devant ses yeux.
La créature, toucha doucement Garen du museau pour tenter de le faire réagir, puis poussa un gémissement plaintif avant de s'adresser à Alice.
— Meeettez-le ssssur mon dos ! Demanda-t-il avant de plier ses 4 pattes arrière, pour donner accès à son dos.
Alice observa un instant le blessé pour réfléchir à la meilleure manière de soulever son corps massif. Le géant ressemblait à un basketteur de deux mètres sous stéroïdes, avec des cheveux blond vénitien.
Prenant son courage à deux mains, elle réussit à le faire rouler sans tirer sur son ventre. La plaie laissa malgré tout, une traînée sanglante sur les poils du Crocoyach (nom qu'elle donna à la créature).
Guidées par la bête immense, Alice et Gwennol transportèrent Garen jusqu'à un repaire caché, profondément enraciné dans la forêt.
Le refuge sentait la viande fumée et les champignons. Une ambiance chaleureuse s'en dégageait malgré sa taille gigantesque, avec des meubles en bois sculptés et des tapis partout, en peau de bête ou en étoffes tressées. La korrigane s'activa pour allumer un feu dans une sorte de cuisinière, tandis que le crocoyach déposa Garen sur le sol d'une grande pièce dotée d'un bassin. Alice sortit son kit de secours de son sac et commença à soigner les blessures du géant.
Elle déchira ses vêtements en lambeaux et nettoya ses plaies avec douceur, utilisant des langes humides. Elle passa sommairement le tissus sur toutes les parties visibles, rinçeant une série de coupures dont une sur sa tempe, rabattant ses cheveux en arrière.
Il était plutôt séduisant dans le genre baraqué si on faisait abstraction de sa plaie béante au ventre qu'elle décida de recoudre. Les strips qu'elle avait placés initialement glissaient à cause du sang. Gwennol dut tenir la peau alors qu'Alice, retenant un haut-le-cœur, réussis à coudre plusieurs points de suture avec un fil de nylon. Puis elle appliqua des compresses stériles et des bandages de fortune, tout en continuant de jeter des regards préoccupés à l'homme qui gisait inconscient devant elle.
Les heures passèrent, et Alice veilla sur son patient, le surveillant attentivement. Dans cet état, il ne semblait pas si terrifiant, et d'ailleurs, il n'était pas aussi grand qu'elle l'imaginait. En entendant parler d'un géant qui déracinait des arbres, elle pensait à une créature terrifiante haute comme une maison, comme dans la série animée, dont on voyait des publicités partout où des géants antropophages croquaient des humains comme des chips.
Gwennol inquiète, apporta de quoi manger à Alice, et elles déjeunèrent en silence, jusqu'à ce que Garen s'agite dans son sommeil. Alice se pencha vers lui pour voir s'il avait de la fièvre et tomba nez à nez avec deux yeux noisette magnifiques qui la fixèrent surpris.
Son visage se métamorphosa en un masque de rage, et le géant se redressa d'un bond, grandissant et s'élargissant, touchant presque le plafond de la pièce.
Alice faillit crier, levant la tête vers le géant furieux qui lui faisait face. Il tendit une énorme paluche comme pour la saisir, mais elle roula sur le côté avant de se planter devant lui, en colère, criant, en pointant un doigt accusateur dans sa direction.
— Hey, ça va pas la tête ? J'ai passé des heures à te soigner, et voilà comment tu me remercies ?
Elle croisa les bras, le regardant avec défi, ce qui était presque comique vu la différence de taille.
Garen, désorienté par la douleur et la confusion, semblait regretter son geste impulsif, laissant retomber mollement ses bras le long du corps. Il s'écroula au sol, vaincu par ses blessures, avant de rapetisser à taille d'homme. Du sang coulait sur son flanc. Alice, le cœur battant à tout rompre, s'approcha prudemment et s'assit à ses côtés pour regarder l'état de sa blessure.
— Ça valait bien la peine de faire des points... Bon, je vais devenir experte en couture à force ! dit-elle, essayant d'apporter un peu d'humour dans la situation.
Garen grogna en réponse mais se laissa faire. Il la fixait tellement intensément qu'elle sentait presque le dessus de son crâne la brûler. Imperturbable, elle continua à refaire le pansement et leva la tête à la fin pour le fixer dans les yeux, arborant son sourire de pirate.
— Au fait ! Je suis Alice.
Elle tendit sa main sans hésiter, il n'avait pas l'air de vouloir lui casser le bras. Il la saisit maladroitement, comme s'il ne savait pas quoi en faire, et l'emprisonna dans son énorme paume.
— Garen... c'est mon nom.
Elle éclata de rire, le voyant hésitant et gêné. Elle ne le sentait pas agressif malgré sa carrure de malabar et joua avec sa chance. Ses intuitions la trompaient rarement.
— Je suis au courant ! Ah, d'ailleurs, s'exclama-t-elle, je vais rester ici ce soir !
Et elle refit un sourire éblouissant sous le regard médusé du géant.
Sur ce début de chapitre, je trouve Alice bien inconsciente face à une Noémie, inquiète mais plus réaliste: les filles se trouvent pourtant dans un environnement inconnu et sauvage! En tout cas, à se séparer ainsi, elles n'auraient pas tenu longtemps dans un film d'horreur!^^
Je me demande si tu as fait beaucoup de recherches sur les légendes celtes (et ce n'est pas un reproche, juste de la curiosité), mais de manière générale quand on entend des rires d'enfant la nuit dans une forêt, on évite de s'en rapprocher. Je trouve d'ailleurs (sauf erreur de ma part) que les héroïnes ont l'air de réagir plutôt bien à l'incursion du surnaturel dans leur vie.
Plus bas, je ne comprends ce que tu veux dire par "Elle hissa sur l'eau dos du crocoyach", mais je pense que tu voulais dire "sur le dos". D'autre part, elle n'a pas peur de lui, sachant qu'il est hostile envers les humains?
Je pense que les "jeunes" générations, peuvent être assez terre à terre, mais ont aussi plus baigné dans une culture du fantastique et se sont déjà imaginé vivre dans un monde ou la magie/les aliens existeraient vraiment.
Après, peut-être que je fais des projections, mais c'est mon idée.
Alice est de nature a se fier à son intuition, même si ce n'est pas prudent... puis, elle ne l'a pas vu casser la tronche à son amie XD sinon, elle aurait été surement plus méfiante.
je vais corriger pour la coquille, merci !