Si un jour quelqu'un lui avait dit qu'il cohabiterait avec une humaine, il lui aurait ri au nez ou se serait énervé. Et pourtant, c'est exactement ce qui se passait. Une minuscule humaine aux cheveux de feu et aux yeux saphir, Alice, occupait littéralement son domaine depuis hier.
Il entendait son rire alors qu'il grognait dans son coin, essayant d'occulter sa présence malgré les sauts d'une petite korrigane qui la suivait comme son ombre. Elle ne semblait aucunement terrifiée par lui, vivait sa vie comme si c'était naturel, se moquait même de lui, mangeait ses provisions et invitait les Brocéliandins du coin pour faire la fête ce soir-là. Et le pire, c'est que derrière son agacement et sa méfiance, il était incapable de se fâcher contre elle et de la chasser. Son sourire avait quelque chose de contagieux, et dès que le feu montait en lui, ses yeux bleus, qui se plissaient en demi-lunes, l’éteignaient aussitôt.
Elle l'avait soigné alors qu'elle ne le connaissait pas, et rien que pour cela, il lui était reconnaissant. Ses seules demandes étaient d'être logée et de retrouver son amie Léa. Il gardait le silence, limitant ses interactions avec Alice plutôt que d'avouer qu'il l'avait malmenée car il se doutait qu'elle réagirait mal.
Une question lui trottait dans la tête depuis son réveil : Est-ce que sa méfiance envers les humains était justifiée ? Il n'avait jamais rencontré d'humain, mais les histoires en parlant étaient si terribles qu'il avait développé une haine envers eux depuis son enfance. La vieille dryade, maintenant disparue, qui l'avait élevé parlait d'abattages de forêts entières ou pire d'incendies provoqués, de la chasse au petit peuple où les korrigans étaient traqués par des chiens, de fées se faisant arracher leurs ailes pour voler leurs pouvoirs, ou encore des oiseaux magiques enfermés en cage pour amuser les nobles. Ces images de cruauté n'étaient pas en adéquation avec ce qu'il voyait aujourd'hui.
Il décida de parler à Alice alors qu'elle raccompagnait les invités hors de son domaine.
— Bon ! Garen, je vais voir où en est ta blessure, il faut bien que je mérite mon lit.
Il s'assit sans broncher pendant qu'elle déballait les bandages de son abdomen.
Grimaçant, elle fronça son nez constellé de taches de rousseur.
— Ça ne me plaît pas trop... ça suinte beaucoup et je n'ai presque plus de désinfectant. Comment est-ce que vous vous soignez ici ?
— Les druides.
— Mais bien sûr ! Panoramix va préparer une potion magique.
— Il s'appelle Eilif, pas Panoramix, c'est un ami.
Alice essaya de garder son sérieux, mais le coin de ses lèvres se releva malgré elle.
— Ookk ! Et comment est-ce qu'on peut le contacter pour lui demander des remèdes ?
— Il faudrait aller le voir, il n'habite pas loin.
— Tu tiens à peine debout, gros malin, et ce n'est pas en allant se balader en forêt que ça va s'améliorer. Comment aurais-tu fait dans ton état si on ne t'avait pas ramené ici avec le crocoyach ?
— Probablement qu'un Brocéliandin aurait amené un druide... Et c'est un équorix. (Garen prit une grande inspiration) Eilif voudra me voir pour choisir le remède, je peux demander à l’équorix de m’emmener.
Alice le regarda brièvement dans les yeux, touchant délicatement son abdomen blessé avant de refaire son pansement. Elle poussa un grand soupir.
— D'accord, mais tu as intérêt à tenir dessus, je serais incapable de te relever si tu tombais du croc... équorix. Puis je n'ai aucune piste pour chercher Léa, ça ne fera pas de mal d'aller à la pêche aux informations.
Garen se sentait coupable de profiter de la gentillesse d'Alice alors qu'il était peut-être le dernier à avoir vu son amie et se décida à raconter ce qu'il savait.
— J'ai croisé ton amie hier à l'aube.
— Je sais ! Les korrigans m'ont justement dit que toi et un autre géant vous étiez battus.
— Je pense qu'elle est avec Donnon, le gardien.
Alice se raidit face à lui et le regarda suspicieuse.
— Qu'est-ce qui te fait penser ça ?
— J'ai certainement blessé ton amie et Donnon est intervenu pour nous séparer. Il ne l'aurait pas laissée seule. En tant que gardien, il protège les Brocéliandins et doit rendre des comptes à la Reine.
Alice respira calmement, ne le quittant pas des yeux, et il crut y voir une lueur de colère et de tristesse. Il n'aimait pas qu'elle le regarde comme ça, et elle reprit d'une voix presque trop basse.
— Et où peut-on trouver ce gardien ?
— Je ne sais pas, je ne croise pas souvent Donnon, il se déplace entre les différents territoires.
— Un géant itinérant accompagné d'une humaine, ça ne doit pas passer inaperçu !
Alice ferma les yeux un instant et retrouva une expression qui lui ressemblait plus, ses yeux retrouvant un peu de leur brillance.
— Je vais pouvoir me renseigner sur ce Donnon, et pour ça je te remercie de m'en avoir parlé. Par contre, j'aurais voulu que tu en parles avant. C'est un peu facile d'avoir attendu que je m'engage à t'aider pour ensuite me dire que tu as blessé Léa. Je m'inquiète encore plus pour elle maintenant, et j'ai l'impression d'avoir été manipulée. Ce n'est vraiment pas correct. J'avais annoncé que je t'emmènerais auprès du druide pour un remède, alors je respecterai ma parole, mais à moins que tu ne rattrapes le coup avec moi comme avec Léa, ne compte pas sur moi pour plus que ça. Tu disais te méfier des humains et de leurs mauvaises intentions, mais est-ce que j'ai une seule fois été malhonnête ou cruelle envers toi et les êtres qui vivent ici ? Je serai là demain matin, j'ai besoin d'être seule. Au revoir, Garen.
La jeune femme tourna les talons, le fouettant presque avec ses cheveux, et partit s'isoler dans une pièce pour la nuit.
Garen se trouva seul, tranquille... c'est ce qu'il voulait, non ? Pourtant, les propos d'Alice raisonnaient dans sa tête, le mettaient mal à l'aise, et il se sentait contrarié et honteux. Elle partirait dès qu'il aurait son remède, et elle s'attendait à ce qu'il prenne ses responsabilités.
Il resta un instant à réfléchir à ce qu'il voulait vraiment.
C'est ça, il aiderait Alice à retrouver son amie. Il fallait qu'il fasse amende honorable, qu'il lui montre qu'il n'était pas juste une brute qui avait profité de sa gentillesse.
Pour la première fois, il comprenait pourquoi il n'avait rien osé dire à Alice malgré l'invasion de son domaine. Il avait commis une erreur et tentait de s'aplatir par culpabilité, mais s'il voulait éviter d’en commettre une seconde, il devait se faire pardonner, et vite. Sinon, elle disparaîtrait aussi vite qu'elle était arrivée.
Allongé sur son lit, Garen se remémora les traits tendus et le regard assombri d'Alice. Il détestait cette sensation. Et cette nuit-là, il ne parvint pas à trouver le sommeil.
Et juste s'excuser d'avoir attaqué Léa? Il n'y pense pas le "petit" Garan! Ah, les mecs! Aucun tact!
Oui, le tact et Garen, ça fait 2 (et ne t'en fais pas pour les prénom, j'ai compris ;))
Oui, c'est ce que je me disais aussi, seulement le contexte fait que les deux géants sont blessés et je ne voyais pas trop comment "forcer" les géants à cohabiter avec les filles, sans qu'il n'y ait une raison qui les poussent à ne pas les laisser. J'ai le même soucis avec Valentina plus tard ou même Morgane qui se fait blesser à 2 reprises... Mes personnages n'arrêtent pas de se blesser =_= je dois avoir un petit côté sadique...
C'est moins redondant et ça me permettra de développer l'histoire de Léa et de rendre Donnon moins plat, le différencier de Garen.