CHAPITRE 14

Par itchane


CHAPITRE 14



À peine la porte ouverte, un nuage de fumée noire émergea de la pièce et leur brûla les narines. Le groupe dut reculer de plusieurs pas, toussant et crachant, agitant leurs mains devant leur visage pour tenter de disperser les émanations.
Une troupe de pompiers restée pour sécuriser les lieux se précipita pour prendre les devants. Il firent se replier le groupe de plusieurs couloirs en arrière et, masque sur le visage, passèrent eux-mêmes la porte.

Il fallut attendre leur retour. Grive piaffait et finit par s’approcher de Sorc.
― C’était quoi ce tissu, comment on passe de mur de pierre à chiffon en une formule magique ?
― Le tissu n’a rien d’exceptionnel, comme vous pourrez le constater. C’est la formule qui fait tout. Elle permet d’ensorceler une étoffe pour lui faire prendre l’esthétique et la texture d’une autre surface.
Grive ne répondit pas. Visiblement, il ne s’attendait pas à une réponse aussi platement et franchement fantaisiste. Ses yeux lançaient des éclairs mais le reste de son corps se retenait d’exploser.
― Vous essayez de me dire qu’il s’agit d’un tissu “magique” ? dit Grive dont le visage s’était contracté sur le dernier mot.
― Ensorcelé, oui. Je ne suis qu’à moitié surpris, comme je vous le disais, les krats font le commerce de tout, et entre autre choses d‘objets magiques.
Grive n’eût pas le temps de réagir.
Les pompiers étaient de retour dans le couloir.
― Un cadavre de plus, dit l’un d’eux au capitaine Grive. On a évacué le gros de la fumée, vous pouvez y aller. L'électricité fonctionne encore, on a allumé.

Grive s’élança à grandes enjambées vers le fond du couloir, suivi de Sorc et de Malisé. Ils passèrent la porte et s’arrêtèrent net une fois le pas derrière eux. 
La pièce était lugubre et l’atmosphère suffocante. En son centre, un corps calciné d’être humain, recroquevillé sur lui-même, entouré de bombes de peintures. Sur les murs arrondis tout autour de lui, une immense fresque peinte rendue illisible, recouverte de suie et lacérée de coups de griffes. 
Le cœur de Sorc se souleva, il reconnut le style et la signature du peintre dont il avait admiré l’oeuvre la veille, le graffeur Peet.
Il ne fut pas le seul à reconnaitre la patte de l’artiste. Une policière fit la réflexion au capitaine Grive qui prit note et envoya la recrue au dehors pour appeler le commissariat.

La sorcière s’approcha des parois, la fresque était indéchiffrable. Qu’avait-il tenté de peindre ? Pourquoi ici, dans cette pièce verrouillée ? Quel était son rapport avec les krats ? Protégé, ou prisonnier ?
Les griffures étaient énormes, mesurant parfois plus d’un centimètre de large et elles recouvraient toute la surface du mur. Quel forcené avait pu s’acharner ainsi sur un dessin ?
― Le meurtrier a enfin fait une erreur, dit Sorc à Grive.
― Oui. Je ne sais quels calculs étaient derrière la mort des précédentes victimes, mais ça, c’est personnel. Un mélange de vengeance et de peur. Reste à savoir ce que cette peinture représentait.
― Le meurtrier peut-être.
― Ou n’importe quel indice sur son identité.
― Les krats auraient été assez fous pour tenter de faire commerce d’une information concernant les crimes ? se demanda Sorc.
― Ils font commerce de tout me disiez-vous.
― Il faut absolument retrouver les traces de vie de ce peintre, à commencer par son logement, avant qu’il ne parte lui aussi en fumée.
― Et que croyez-vous qu’est partie faire ma collègue ? 
La policière revenait justement, un carnet à la main.
― J’ai l’adresse ! s’écria-t-elle.

 


*


 

L’appartement de Peet, minuscule studio du quartier ouest posé au dessus d’une pizzeria, réservait deux surprises. La première, il avait déjà été visité. Il n’avait que quelques mètres carrés à offrir et cette surface était sans dessus dessous. Les tiroirs ouverts, les étagères vidées sur le sol, le matelas du lit retourné. Tout ce qui pouvait être pris avait disparu, il ne restait qu’une coquille vide et quelques meubles. 
Mais la surprise ne venait pas que de là. 
Les murs de l’appartement étaient aussi couverts d’une immense peinture, réalisée par Peet lui-même. Une peinture qui n’avait pas encore été détruite par le feu ni les griffures, laissant toute possibilité de l’admirer.
Elle courait sur toute la surface de la pièce principale, s’étendait jusque dans la salle de bain et les toilettes. Une fresque sombre, toute de noirs et de gris, animale. Des griffes, des crocs, des poils, des plumes. Des flammes. Par certains aspects - la couleur, la répétition - cette oeuvre faisait penser aux fresques pariétales des temps anciens.

Sorc s’immobilisa au milieu de la pièce et se laissa emporter par la beauté brutale de la peinture. À force de parcourir les lignes, les courbes et les matières, son oeil s’affina, s’habitua et il vit se détacher de la masse des éléments qui passaient avant inaperçus. Étaient-ce des loups qui hurlaient dans le coin derrière le lit ? Sorc s’approcha. Son cœur se serra, lorsqu'il reconnu dans l’amas de coups de pinceaux et de bombe les formes plus larges et aux pattes épaisses non pas de loups, mais d’ours. Trois ours plus grands que des hommes qui semblaient mener bataille. Contre quoi ? Un être griffus, écailleux, à la langue fourchue.
― C’est quoi ? dit Malisé qui avait suivit le regard de Sorc.
― Je pense qu’il s’agit d’un dragon, dit la sorcière.
― Ça ? Un dragon ? 
La policière plissa les yeux et tordit son cou pour mieux apprécier la scène.
― Où sont les grandes ailes de chauve-souris ? demanda-t-elle.
― Les dragons n’avaient pas d’ailes, lui répondit Sorc.
― “ N’avaient ? ” Parce qu’ils ont vraiment existé eux aussi ?
―  Oui, répondit Sorc.
― Bon, intervint Grive d’une voix grave. Fini les idioties. C’est quoi cette fresque, pourquoi est-ce important, pourquoi l’artiste l’a-t-il peinte ? Et surtout, est-ce que cela peut nous aider à comprendre pourquoi il a disparu de la circulation pour être retrouvé mort dans les sous-terrains de la ville avec ses bombes de peinture en main ?
― Vous ne disiez pas que vous décodiez les graffitis ? demanda Malisé à Sorc.
La sorcière ne répondit pas tout de suite. Elle venait d’apercevoir un nouveau motif qui l’intrigua, puis la glaça.
Sur la gauche du Dragon, s’étalant sur une surface plus petite que dévoilait un meuble déplacé, Sorc cru repérer la forme d’un animal qui lui était plus que familier. Faite de coups de peinture vifs et sûrs, comme jetés sur le mur, se détachait la silhouette d’un chat noir à la queue cassée poursuivant une boule de poil hérissée que Sorc ne put voir que comme un krat.
Les battements de son cœur accélérèrent.
― Quand Peet a-t-il disparu ? demanda Sorc.
― On ne sait pas bien encore, dit Malisé, mais plusieurs semaines au moins, si ce n’est mois. Pourquoi ?
Une fois de plus, Sorc ne répondit pas. Il sortit un mouchoir de sa poche, avec lequel il caressa une petite surface de peinture avant de le retourner. Rien. Pas la moindre trace de pigment sur le bout de tissu. La fresque était sèche depuis un moment. L’escapade de la sorcière chez les krats remontait à la nuit dernière, l’oeuvre lui était donc antérieure. 
Peet avait anticipé la venu de Sorc en ville. 
Il était un Voyant. Voilà pourquoi il était si important, pourquoi il était, pour le criminel, si dangereux. Voilà pourquoi il était mort. Pour ce pouvoir qui permet de voir l’avenir par des visions plus ou moins envahissantes et plus ou moins faciles à décrypter. Des visions que l’artiste avait pris l’habitude de croquer et de peindre, peut-être pour les exorciser.
Qu’est-ce que Peet avait Vu d’autre ? Sorc se précipita vers les autres fragment de fresque. Des flammes, beaucoup de flammes, des animaux en tout genre, ici était-ce un oiseau ? Là, une souris ? D’autres gueules d’ours. Des points aussi, de nombreux points noirs essaimés sur tous les murs.
― C’est quoi là ? demanda de brut en blanc le capitaine Grive.
Sorc se retourna et vint voir. Le policier lui pointait un masse de touches épaisses peinte au dessus du chambranle de la porte.
― Une couronne, dit Sorc, prise dans les flammes.
― Le roi des krats ? demanda le policier.
― C’est une bonne hypothèse.
D’abord, Grive ne répondit pas. Il commençait lui aussi à prendre conscience de l’étendue et des tenants de cette découverte. Puis d’un coup, il se tourna vers son équipe.
― Je veux que tout soit pris en photo, chaque centimètre carré de cette peinture. Je veux une surveillance policière jour et nuit de ce studio. Je veux une équipe d’expert de l’art urbain ici une équipe de restaurateurs d’art dans les sous-terrains pour tenter de retrouver ce qui peut l’être de la fresque détruite. Monsieur Sorc, des commentaires ?
Sorc hésita.
― Faites attention à vous, Capitaine.
― Pardon ? s’exlama le policier dont les yeux s’étaient fait ronds comme des billes.
― Ici, là, dit Sorc en pointant au mur une silhouette animale entre deux motifs de flammes. Vous voyez cet oiseau avec le ventre moucheté ? C’est une Grive.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Raza
Posté le 13/03/2025
Oui, des dragons ! Au moins un ! <3
Pour un récit qui s'appelle feux, j'aurai pu le voir venir. :)
J'en oublie la politesse : bonsoir. Ou bonjour.
On commence à avoir des réponses, c'est fort agréable. J'avais oublié qu'ils étaient dans les souterrains, et donc j'ai aussi oublié quelles sont les circonstances. Je me demande si le peintre était seulement caché par les Krats, ou emprisonné.
"Grive piaffait" -> j'avoue, j'ai rigolé tout seul.
"les traces de vie" -> je n'ai pas compris la phrase. J'ai compris le sens, mais pas la phrase. Si ça a du sens?
Ce passage : "Il était un Voyant. Voilà pourquoi il était si important, pourquoi il était, pour le criminel, si dangereux. Voilà pourquoi il était mort. Pour ce pouvoir qui permet de voir l’avenir par des visions plus ou moins envahissantes et plus ou moins faciles à décrypter." m'a paru superfétatoire, car une fois qu'on sait qu'il est voyant, on a compris le reste. Je ne mets pas ma main à couper qu'il faut l'enlever, mais c'est le sentiment que j'ai eu à la lecture.
C'est tout, à part que j'aime vraiment beaucoup cette histoire !
A bientôt et merci pour le partage <3
itchane
Posté le 16/03/2025
Coucou Raza,

comme je l'écrivais à Erwel.le, je suis dans le doute total à partir de ces derniers chapitres, j'ai vraiment l'impression de ne pas bien mener mon histoire... donc ton commentaire me réchauffe vraiment, je suis contente que ce chapitre ait fonctionné ^^"

Pour les "traces de vie", tu as raison ce n'est pas très clair, je voulais dire retrouver ses lieux et habitudes de vie... je changerai ça en réécriture : )

Merci à toi pour ta fidélité à la lecture et au commentaire : )
Le prochain chapitre est un retour sur "il y a fort fort longtemps" et tu auras enfin des réponses à plein de tes questions sur l'arc Tess, qui arrive à sa fin ^^

A bientôt !
Raza
Posté le 16/03/2025
Ah c'est marrant le ressenti d'auteurice ! Au contraire ici, je trouve qu'on avance bien droit, et qu'on va vers le but, la révélation. Peut-être quand tu auras tout bouclé tu voudras reprendre le plan pour accélérer par ci, décélérer par là mais indépendamment de toute structure globale, ce chapitre est très cool :) Et pour la structure, ça dépend un peu de tout le reste. Le fait que tu me dises que le second arc narratif va bientôt finir me laisse penser que celui là aussi ? Si c'est le cas, il faudrait resserrer le début je pense, pour arriver à cette révélation plus vite :)
A bientôt !
Erwel.le
Posté le 10/03/2025
Olala, dragon ? Alors peut-être que c'est un vrai, ou peut-être que c'est un symbole qui désigne quelqu'un d'autre, comme la grive pour le capitaine.
Franchement, je n'ai pas de retour utile à te faire sur ce chapitre, que je trouve dynamique, efficace, que j'ai lu d'une traite avec plaisir. La découverte du corps de Peet et de la fresque lacérée est effrayante à souhait. Cette image de la fresque qui court sur tous les murs du studio, j'adore. C'est triste que Peet soit mort, mais c'est chouette de le découvrir à travers les yeux de Sorc.

A bientôt :-)
itchane
Posté le 16/03/2025
Bonjour Erwel.le,

Oh merci pour ton message, ton retour devient vital pour ce texte car à partir de maintenant j'ai l'impression d'avoir fait n'importe quoi x'D
Cela me rassure à fond et me remotive d'avoir un commentaire positif comme cela. Ouf, je ne me suis pas encore trop égarée sur ce projet ^^"

Merci encore et à bientôt ! : D
Vous lisez