Chapitre 14

Notes de l’auteur : Warning :
* Chapitre parlant de Travailleuses / Travailleurs du Sexe, chapitre avec une Maison Close
* Mention de torture et de réseau d'esclavage / prostitution
* Mention NSFW (j'avoue ne pas trop savoir comment tourner le warning autrement XD disons que les personnages vont parler très brièvement de certaines pratiques sexuelles)

Lien illustration du chapitre 14 : https://www.instagram.com/p/Cvjng3MtQHA/?img_index=1

 

     Si Zhen YuJin avait eu la certitude, durant la matinée, que la journée allait être mouvementée, il ne pouvait que confirmer cette impression. Elle n’était pas seulement mouvementée, elle le prenait sans cesse de court et il n’aimait pas du tout cette sensation de ne rien pouvoir contrôler du tout. D’abord, il y avait Chan YinMai on ne peut plus affaibli par les derniers jours et pour lequel il s’inquiétait beaucoup. Puis Zhang JingXi qui lui achetait des épingles et ornements pour cheveux le plus tranquillement du monde. Ensuite, il y avait eu ce Liu XiLun qui avait jailli de l’arrière-boutique comme si de rien n’était pour leur servir un récit qui n’avait pas convaincu Chan YinMai. Et pour finir, il apprenait que Zhang JingXi semblait très bien connaître le bordel du secteur, impression qui s’était confirmée à leur arrivée. En effet, son ami avait très bien su trouver l’établissement, sans avoir besoin de demander son chemin. Dès qu’ils étaient entrés, il avait fusé droit vers une femme vêtue d’une robe jaune avec un impressionnant décolleté. Debout derrière un comptoir, elle servait des boissons, néanmoins il apparaissait qu’elle devait également avoir d’autres fonctions. L’entrée donnait directement sur une salle avec quelques tables occupées par des consommateurs fort enclins à profiter de la bonne compagnie des dames et messieurs travaillant en ces lieux. Un escalier juste à côté du comptoir menait certainement aux chambres.

     Le temps que Zhen YuJin traverse la salle à son tour, il trouva son ami et la femme déjà en pleine conversation. Cette fois-ci, Zhang JingXi ne devait nullement adresser des sourires rayonnants et chaleureux, il n’avait donc pas tourné autour du pot et son interlocutrice ne paraissait pas surprise une seule seconde. Zhen YuJin remarqua qu’elle ne cherchait pas non plus à amadouer son compagnon de route avec ses charmes et il en conclut qu’ils devaient déjà se connaître et avoir l’habitude de traiter d’affaires courantes. Du moins, il le pensa jusqu’à ce qu’il l’entende dire :

     — Le chef m’a demandé de te transmettre toutes les informations que je pourrais trouver. Je ne t’ai jamais vu dans le coin, mais je suppose que tu dois compter à ses yeux.

     Zhen YuJin resta interdit devant cette information. Soit il y avait plusieurs tenanciers à ce poste, soit quelque chose lui échappait. À son comportement, il aurait mis sa main à couper que leur interlocutrice, répondant au nom de Madame Hu, occupait pourtant cette place dans la majorité du temps. Son regard voyageait de table en table, tout en paraissant impliqué dans la conversation. Elle ne ratait aucunement tout ce qu’il se passait dans sa salle. Donc si Zhang JingXi était déjà venu ici, ne devrait-elle pas le connaître ? Ou alors, il était venu lorsqu’une autre occupait sa place ? Ou bien…

     Il ne put s’empêcher de se focaliser sur l’information qu’il venait d’entendre. L’établissement appartenait à « un chef » qui connaissait suffisamment Zhang JingXi pour le laisser interroger ses employés à sa guise. En plus, son ami « comptait à ses yeux ». Il sentit son cœur brûler de jalousie en imaginant ce que Zhang JingXi avait pu tramer ici, avec « le chef ». Il tenta ensuite de se convaincre que si le Cultivateur avait l’habitude d’enquêter, peut-être qu’il ne faisait qu’échanger des informations avec « le chef » en question.

     — Il n’est pas là ? demanda Zhang JingXi.

     — Pas aujourd’hui, répondit Madame Hu. Il mène aussi ses propres petites affaires de son côté et d’après ce qu’il m’a dit, il va être absent quelques jours. En attendant, il faut passer par moi, il m’a donné des instructions précises te concernant.

     Zhen YuJin crispa légèrement ses doigts sur le bord du comptoir. Pourquoi le fameux chef avait-il laissé des instructions ? Voulait-elle dire qu’il s’agissait d’un ordre général qui concernait Zhang JingXi le reste du temps également ? Ou bien venait-il de la prévenir, aujourd’hui même, de se montrer aussi coopérative que possible ? À l’intonation de sa voix, Zhen YuJin avait la certitude que cette deuxième option s’appliquait, auquel cas cela signifiait que le « patron » savait qu’ils allaient venir. Mais comment ?

     Il coula un regard vers son ami qui paraissait déçu d’apprendre l’absence de l’autre homme, mais pas particulièrement surpris.

     — Très bien, reprit le Cultivateur. On a besoin de savoir si certaines personnes sont venues ici ou non, ces derniers jours.

     Aussitôt, Madame Hu sortit un épais registre de sous son comptoir et l’ouvrit à la fin :

     — Je vous écoute.

     Ce fut Zhen YuJin qui prit la parole, tâchant de rester concentré sur leur affaire et non sur ce que pouvait faire Zhang JingXi de son temps libre :

     — Liu XiLun aurait été présent ici récemment. Un Cultivateur répondant au nom de Ping Yu serait venu le trouver, il le cherchait. Mais je ne suis pas sûr qu’il ait… euh… consommé.

     Comme si elle prenait soudain conscience de sa présence parce qu’il venait de s’adresser à elle, Madame Hu leva les yeux vers Zhen YuJin. Ce dernier fut convaincu qu’il s’agissait d’une feinte et qu’elle avait déjà remarqué qu’il était sous son nez depuis le début. Elle le dévisagea d’un air appréciateur, avant de se tourner vers son ami :

     — Nous sommes d’accord que ce bel homme t’accompagne ?

     — Tout à fait, répondit Zhang JingXi avec beaucoup d’amabilité.

     La tenancière le contempla à nouveau si intensément qu’il se sentit rougir. Il avait la sensation qu’elle pouvait voir à travers ses vêtements et qu’elle le déshabillait du regard.

     — Mais il a déjà quelqu’un dans sa vie, reprit le Cultivateur avec un charmant sourire. Sans compter qu’il est très fidèle à son compagnon qui peut se montrer quelque peu jaloux.

     Incapable de se contrôler, Zhen YuJin sentit le rouge gagner l’intégralité de son visage et descendre dans son cou, tandis qu’il croisait les yeux pétillants de son ami qui semblait en même temps très sérieux.

     Mais qu’est-ce qu’il… ?!

     — Quel dommage… murmura Madame Hu en revenant à son registre.

     Une feinte, c’est juste une feinte. Il a dit ça uniquement pour qu’elle cesse de me reluquer comme un morceau de viande appétissant.

     Il tâcha de s’en convaincre, non sans difficulté, tant il avait l’étrange impression d’avoir perçu un vague sous-entendu dans la phrase de son compagnon de route.

     — Ah le voilà. Effectivement, nous avons eu ce fameux Liu XiLun. En vérité, il vient très souvent ici depuis quelques semaines, tous les deux-trois jours environ, il passe quelques heures chez nous.

     Intéressé, Zhang JingXi posa le regard sur les documents :

     — Seulement quelques heures ? Pas quelques jours ?

     — Laissez-moi vérifier.

     Consciencieuse, Madame Hu revint plusieurs pages en arrière, arrêtant régulièrement son doigt sur certaines lignes.

     — Pendant à peu près six mois, il venait tous les trois ou quatre jours. Toujours à la même heure, il arrivait dans la soirée, passait la nuit ici et repartait au petit matin. Et puis, il y a environ un mois, il n’est plus du tout venu. Ce monsieur Liu a recommencé à fréquenter les lieux il y a à peine plus d’une semaine. Il s’installe toujours à une table pour commencer, puis il commande à boire tout en prenant son temps pour choisir avec qui il va passer ses prochaines heures. Un soir, un Cultivateur est venu. Je suppose qu’il s’agit de votre Ping Yu, car il n’a pas marché jusqu’à moi, il a tracé droit vers la table de monsieur Liu lorsqu’il l’a vu. Ils ont longuement discuté, suffisamment pour que je doive leur rappeler que l’endroit n’est pas gratuit. Le Cultivateur s’est excusé, il n’a pas pris à boire, mais il a payé comme s’ils commandaient tous les deux un menu complet. Bien qu’il ait bien précisé qu’ils ne voulaient ni les plats, ni personne à leur table.

     Zhang JingXi tourna les yeux vers son ami, le laissant continuer la conversation. Il ne connaissait pas le Musivateur aussi bien que Zhen YuJin qui paraissait bien plus apte à gérer la suite de la discussion. Celui-ci lui en fut reconnaissant et en profita aussitôt pour enchaîner, préférant ne pas demander ce qu’était censé inclure le « menu complet » :

     — Est-ce que vous avez noté un comportement en particulier lors de cette conversation ?

     — Aucunement. Je ne peux pas dire qu’ils avaient l’air amis, mais leur échange semblait cordial.

     — Est-ce que vous vous rappelez à quel moment il y a eu cette rencontre ?

     — Bien sûr ! s’exclama Madame Hu sans hésitation. Ils se sont vus le soir du Nouvel An. Je m’en souviens parce qu’une fois que votre ami Cultivateur m’a payée, je dois avouer avoir été soulagée de le voir insister pour me dire qu’il ne voulait pas de fille ou de garçon à leur table. Nous étions particulièrement chargés, ce soir-là. Nous avons perdu des employés depuis quelque temps, alors je craignais de ne pas avoir assez de monde pour satisfaire tous les clients.

     Les deux hommes échangèrent aussitôt un regard à la mention du manque de personnel. Zhang JingXi ressortit sa liste de noms, tandis que Zhen YuJin continuait :

     — Et vous vous souvenez si Monsieur Liu s’est empressé de rentrer chez lui ou non ?

     — Il ne s’est pas pressé du tout, il a fait comme les autres fois, il a passé la nuit ici. Le lendemain matin, il est parti comme à son habitude, en compagnie de votre ami. Je crois qu’il est venu le chercher. Ils avaient apparemment prévu de se rendre quelque part ensemble. 

     Zhen YuJin plissa les yeux en faisant le calcul dans sa tête. À partir de ce jour où Ping Yu était parti avec le jeune joaillier, il n’avait plus donné signe de vie à Chan YinMai. Liu XiLun leur avait menti sur toute la ligne. La seule chose vraie dans son récit étant qu’il fréquentait cet endroit. Pourquoi leur avait-il d’ailleurs parlé de cette Maison Close ? Ne se doutait-il pas qu’ils allaient venir enquêter ?

     À nouveau, le Musivateur laissa les questions et suppositions revenir à son esprit. Est-ce que Madame Hu aurait vraiment répondu à leurs interrogations si Zhang JingXi ne connaissait pas le « chef » ? Il eut l’intuition que non. Les bordels savaient, en général, se montrer discrets sur leur clientèle. Divulguer les noms de ceux qui venaient fréquenter les lieux n’était pas un risque qu’ils voulaient courir, surtout lorsque la plupart d’entre eux trempaient dans des affaires suspectes. La confidentialité était le mot d’ordre, peu importe la Maison Close concernée. Par conséquent, Liu XiLun pouvait très bien assumer ses visites ici puisque normalement personne n’était censé communiquer des informations supplémentaires sur lui.

     Le Maître du Feu se demanda quelle relation Zhang JingXi entretenait avec le grand patron du « Joyeux Lapin » pour qu’il ait ainsi le droit de contourner les règles habituelles. Comment est-ce qu’il se retrouvait à fréquenter le plus naturellement du monde ZiaHo ZaYing, mais également le chef de ce lieu quelque peu obscur ?

     Au moins cette particularité, bien qu’inquiétante à ses yeux, trouvait un gros avantage ici.   Le Musivateur le regarda prendre les noms des trois employés qui avaient cessé de venir travailler brutalement du jour au lendemain, et qui n’avaient plus donné de nouvelles. Deux filles et un garçon. Tous trois étaient des Cultivateurs. Les deux premières avaient disparu depuis maintenant deux mois, tandis que le troisième ne donnait plus signe de vie depuis un peu plus d’une semaine.

     — Si ce monsieur Liu revient ici, vous pourrez nous informer, je vous prie ? demanda poliment Zhang JingXi.

     — Bien sûr ! Je préviendrais également le patron que nous avons un client à garder à l’œil.

     Le Cultivateur acquiesça et rangea sa liste de noms. Au même instant, une lettre surgit sous le nez de Zhen YuJin qui reconnut immédiatement la signature de Chan YinMai à sa façon de plier la missive. Intrigué, il s’empressa de l’ouvrir et pâlit en se tournant vers son ami :

     — On doit rejoindre Chan YinMai aussi vite que possible.

     Aussitôt, le regard de Zhang JingXi se fit alerte et il tendit machinalement la main pour prendre le courrier que l’autre homme lui donnait. Il n’y avait que quelques lignes. L’écriture manquait d’assurance, mais le Musivateur annonçait brièvement qu’il avait failli se faire enlever à l’auberge, qu’il allait bien, qu’une personne venait de l’aider et qu’il leur donnait rendez-vous à un endroit précis.

     Inquiet, il rendit la lettre à Zhen YuJin qui se précipita à l’extérieur du bâtiment. Zhang JingXi resta quelques secondes en retrait, remerciant chaleureusement Madame Hu et déposa de l’argent sur le comptoir. La femme écarquilla les yeux, puis le lui restitua aussitôt en souriant :

     — Non, non, je ne peux pas accepter.

     Surpris, le Cultivateur insista :

     — Mais j’ai pris sur votre temps, vous aviez sûrement mieux à faire, ma Dame.

     Le visage de Madame Hu s’illumina face à cette appellation prononcée avec un respect qui n’était pas feint. Touchée, elle refusa à nouveau d’un signe de tête :

     — Le chef est intransigeant sur les secrets de notre Maison, mais il te les offre sur un plateau. Ce n’est pas quelque chose que j’ai vu souvent, mais je sais que peu de personnes en ce bas monde auraient droit à un tel traitement de faveur de sa part. Pouvoir rencontrer l’une d’elles et l’aider dans sa quête est un honneur. Maintenant file, mon joli, tes amis ont besoin de toi.

     Comprenant qu’insister pour payer serait pris comme un outrage, Zhang JingXi offrit une gracieuse révérence à Madame Hu pour la remercier de son aide précieuse. Ensuite, il s’empressa de tourner les talons pour rejoindre Zhen YuJin qui s’impatientait dehors.

     Ils sautèrent sur leurs épées, mettant le cap sur la direction donnée par Chan YinMai.

     Profitant du trajet, Zhang JingXi ressortit ses papiers pour les étudier :

     — Elle nous a dit que Liu XiLun avait été absent plusieurs semaines, dernièrement. C’est à ce moment-là qu’il a été noté comme disparu sur ma liste et que Ping Yu a dû en entendre parler, je suppose ?

     Zhen YuJin rapprocha son épée de la sienne pour pouvoir voler à sa hauteur et jeter un coup d’œil sur les feuilles :

     — Oui, c’est exact. Quand il a pris l’affaire en main, il ne donnait plus de nouvelles depuis environ trois semaines, d’après A-Mai.

     — Et il est revenu au « Joyeux Lapin », il y a une semaine, sauf que son père n’était pas au courant de son retour. D’après Chan YinMai, on pouvait plutôt se fier à ce dernier.

     — Donc ça veut dire qu’il est parti on ne sait où, faire on ne sait quoi, pendant presque un mois et qu’à son retour il continuait à jouer les disparus officiels ? Tu crois qu’il a fait exprès de ne pas rentrer chez lui ? demanda Zhen YuJin. Pour faire en sorte d’attirer l’attention de quelqu’un comme Ping Yu et pour potentiellement le tuer ensuite ?

     — Va savoir… répondit le Cultivateur en plissant le front sous la réflexion. En attendant, il est le dernier à l’avoir vu en vie, donc il va falloir qu’on retourne le voir pour qu’il réponde à nos questions. On doit comprendre ce qu’il se passe !

     Il replia ses feuilles et sentit le regard de son compagnon se poser sur celles-ci avec insistance. Relevant les yeux vers lui, il agita les papiers :

     — Quelque chose te tracasse ?

     Étonné, il vit l’autre homme rougir en détourant le visage et bafouiller :

     — Ce n’est rien, je m’interrogeais juste sur les trois noms que tu viens d’ajouter… Je… Disons que j’ai été surpris d’apprendre qu’il s’agissait de Cultivatrices et Cultivateur. Je ne pensais pas qu’on en trouvait dans les Maisons Closes, du moins pas en tant qu’employés…

     Zhang JingXi rangea ses papiers et lui adressa un sourire, amusé de le voir soudain si embarrassé :

     — Tu n’avais pas l’air très à ton aise, là-dedans.

     Et toi, tu l’étais peut-être un peu trop, faillit rétorquer le Musivateur qui se contenta de formuler à voix haute à la place :

     — Ce n’est pas le genre d’endroit que je fréquente. Il y a eu trop d’histoires de prostitution à mon goût, du temps de Ming YanShi, alors tout ce qui s’en rapproche n’est pas vraiment ma tasse de thé.

     Tout en parlant, il réalisa qu’il risquait peut-être de se montrer extrêmement vexant envers son compagnon de voyage, puisque ce dernier semblait ne pas particulièrement choqué par les Maisons Closes.

     — C’est vrai, je comprends ce que tu veux dire, répondit Zhang JingXi en hochant la tête. Il faut admettre que les bordels ont rarement bonne réputation, c’est un fait. Toutefois, ces établissements et le réseau de prostitution de Ming YanShi n’ont rien à voir. Il faisait enlever des citoyens qui n’avaient absolument rien demandé, se moquait de l’âge qu’ils pouvaient avoir, et les vendait à n’importe qui en se fichant bien qu’ils soient maltraités. Pire, il aimait lui-même en torturer certains personnellement.

     Zhen YuJin l’écouta avec attention, la tête tournée vers lui. Le visage de son ami s’était fermé tandis qu’il lui fournissait les explications.

     — Ici, tu as un établissement qui emploie des personnes qui ont volontairement choisi ce métier. Elles sont consentantes, aiment leur travail, sont bien payées, ne sont pas forcées à quoi que ce soit et elles sont même protégées. Les clients ont des limites à ne pas dépasser. S’ils le font, le patron s’occupe lui-même de les mettre dehors. Le registre que tu as vu est un accord établi entre le client et l’établissement ; tu donnes ton vrai nom et tu n’as rien à craindre si ton comportement est correct, personne ne racontera que tu es venu trainer dans les lieux. Si tu donnes un faux nom, sans raison valable, tu n’es pas accepté parce que l’établissement ne veut pas d’ennui avec la justice. Et si tu donnes ton nom, et que tu fais l’imbécile malgré tout, tu en payes les conséquences. Autant te dire que ce gros livre aide à sélectionner une clientèle respectueuse. Ajoute à ceci que selon les régions de notre pays, les homosexuels ne sont pas toujours bien tolérés. Ici, c’est un endroit où ces personnes peuvent être ce qu’elles sont, en toute tranquillité, que ce soit en tant qu’employés ou comme clients. Il n’y a pas de jugement.

     Le Musivateur acquiesça vaguement du menton, en songeant que présenté comme ça, le bordel semblait effectivement moins terrible que l’idée qu’il s’en faisait.

     — Mais pourquoi des Cultivateurs… ?

     — Et pourquoi pas ? répondit Zhang JingXi en riant. Ça te choque ? Tous les Cultivateurs Itinérants ne le sont pas forcément par choix, mon ami. Pour certains, c’est un concours de circonstances et une fonction qui ne leur plait pas tant que ça. Tu ne sais pas nécessairement où tu seras demain, ni si tu auras assez pour manger. Les Clans ont déjà des disciples et ne recrutent pas souvent des nouveaux. Quelques-uns n’aiment tout simplement pas voyager. Dis-toi bien que toutes les personnes ici le sont par pur choix volontaire. En somme, des tas de raisons pourraient expliquer qu’un Cultivateur ait envie de faire autre chose, et si cet « autre chose » c’est de travailler ici, est-ce un mal ?

     — Je suppose que non…

     — Et il parait que certains clients veulent spécifiquement des Cultivatrices ou Cultivateurs. Ils ont des avantages, par rapport aux collègues. C’est quelque chose qui plait aux clients, il y a vraiment une demande à ce niveau-là.

     Intrigué et certain qu’il allait regretter d’avoir posé la question, Zhen YuJin ne put s’empêcher de répéter :

     — Des avantages ?

     Le visage de Zhang JingXi s’éclaira d’un sourire malicieux :

     — Le Qi, mon ami. Le Qi. Et les épées, pour celles et ceux qui ont gardé les leurs, il parait que ça en excite plus d’un. Tu peux aussi utiliser des talismans pour faire bouger certains objets, pendant que tes mains sont occupées à autre chose…

     Il se tut et étouffa un nouveau rire en voyant l’expression de Zhen YuJin se décomposer, puis son visage virer au rouge soutenu quelques instants plus tard. À n’en point douter, des images peu respectables venaient de lui traverser l’esprit.

     Bien qu’horriblement gêné, le Musivateur demanda du bout des lèvres :

     — Comment tu connais tout ça ? Tu as déjà… ?

     — Essayé ? compléta l’intéressé qui ressentait soudain le besoin de se justifier. Je connais l’endroit, parce que le patron est un ami, donc tu dois te douter qu’il maîtrise le sujet. C’est passionnant quand il en parle.

     Constatant que sa phrase n’apportait pas réellement une réponse claire, il prit le temps de réfléchir un moment. Sélectionnant avec soin ses mots, il reprit la parole d’une voix douce :

     — Je n’avais jamais mis les pieds précisément au « Joyeux Lapin ». Par contre, je suis déjà allé plusieurs fois dans la Maison Close de ZhenShen, mais pas pour consommer.

     Interloqué, Zhen YuJin l’observa en cherchant à comprendre le sens de ses propos. Zhang JingXi haussa ensuite les épaules, sans s’expliquer davantage et acheva :

     — Et si tu te demandes si j’ai déjà essayé certaines pratiques, la réponse est oui. Mais ce n’était pas dans un bordel.

     Pour une raison qui lui échappait, il fut ravi de voir la jalousie qui se dessina sur le visage de son compagnon de route. Pendant un instant, le Cultivateur avait craint d’être jugé sur ses paroles, mais Zhen YuJin ne semblait pas s’en formaliser. Il paraissait trop occupé à être gêné.

     Effectivement mal à l’aise, le Maître du Feu fixa l’ourlet du pardessus de Zhang JingXi, qui ondulait dans le vent. Le mystère s’épaississait autour de son ami. Il connaissait des gens peu recommandables, connaissait les adresses des Maisons Closes, mais ne profitait pas de leurs services… Quant à sa dernière phrase, il ne savait pas quoi en penser.

     Il faillit se gifler en se rappelant que, dans le fond, la vie privée du Cultivateur ne le concernait en aucun cas. Il n’avait pas le moindre droit dessus. Mais Zhen YuJin espéra de tout son cœur que la liste des personnes s’étant approchées intimement de son compagnon de route était très réduite.

     — On arrive. Il est là, regarde ! l’interpella celui-ci en lui montrant quelque chose de la main.

     Il vit effectivement Chan YinMai, seul, assis contre un arbre à l’entrée d’une forêt. Son inquiétude reprit aussitôt le dessus et il amorça immédiatement la descente pour le rejoindre, suivi de près par Zhang JingXi.

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