Chapitre 14

Par Saphir
Notes de l’auteur : Dans ce chapitre, il y a une petite avancée dans la relation de Nausicaa et Karan !

Bonne lecture :)

Peu à peu, la forêt se transforme en marécage, et l'herbe verdoyante se mue en boue visqueuse. A chaque pas que je fais, mes pieds s'enfoncent dedans, accompagnés de désagréables bruits de succion. J'ai l'impression dérangeante d'être observée, encore et toujours. 

 

Le ciel commence à se couvrir. Nous avons prévu de continuer à avancer pendant une heure puis de s'arrêter pour la nuit, même si je ne vois pas bien où on pourrait faire une pause, dans cette étendue de boue. Je demande à Rafael où est-ce qu'on fera une pause.

– Ne t'inquiètes pas, me répond-il, tout est prévu. Non loin d'ici se trouve un village sur pilotis, Neir. Nous pouvons nous y arrêter.

– Très bien.

La pluie commence à tomber, noyant les environs sous un brouillard opaque.

– Combien de jours reste-t-il avant qu'on arrive à Stëlle ? je questionne.

– Hum… À notre rythme ? Entre deux et trois jours, je dirais. Nous avons juste à traverser le marais et nous y serons.

Je hoche la tête.

Liberté se rapproche de moi.

– Tout va bien ? je lui demande.

Comme elle ne peut pas écrire sur son petit carnet à cause de la pluie, elle fait des gestes pour se faire comprendre. Elle désigne le brouillard autour de nous, puis se désigne et imite un frisson. Je ne peux m'empêcher de rire. Elle fronce les sourcils et grimace.

– Tu n'aimes pas le brouillard ? je devine.

Elle acquiesce.

– Moi non plus. Une bête ou même un humain peut nous sauter dessus.

– Ne parle pas de malheur ! s'écrie Rafael devant. Il ne manquerait plus que ça arrive, par ce temps…

Liberté sourit, amusée.

 

Nous arrivons enfin au village de Neir. À cause du brouillard, je ne distingue pas grand-chose, à part des bâtiments de bois montés sur pilotes et des passerelles faites du même matériel, sur lesquelles nous guide Rafael. Nous entrons dans une maison au toit pointu et très haut. 

C'est une auberge, bondée à cause du brouillard de dehors. Rafael, Liberté et moi nous glissons entre les tables et nous nous rendons au comptoir. Rafael n'arrive à nous louer qu'une seule chambre avec deux lits, faute de place. Elle n'est pas la plus grande de toutes, mais ça sera suffisant.

– Je peux dormir par terre, dis-je une fois que nous avons rejoint la chambre. Ça ne me pose pas de problème. Et puis, si c'est toi, Rafael, tu vas encore te plaindre de ton mal de dos pendant des heures.

– Oh, ça va hein ! grogne le principal intéressé. 

Il pose son sac sur le lit le plus près de la porte.

– Je vais chercher un plat chaud, nous dit-il en quittant la chambre.

 

Plus je passe de temps avec elle, plus je me dis qu'elle ressemble à Vanille, excepté la différence d'âge, évidemment. Vanille avait huit ans, et Liberté a l'air d'être majeure.

Vanille me manque, parfois. La plume blanche est toujours dans la pochette au niveau de mon cœur. Si elle n'était pas morte ce jour-là, elle serait avec moi aujourd'hui. J'aurai tellement aimé…

Je soupire. Ça ne sert à rien de ressasser le passé.

Liberté tousse à côté de moi, assise sur le bord du lit. 

– Ça va ?

Elle hoche la tête avec un petit sourire et écrit sur son carnet pour me répondre. 

Elle dit qu'elle a dû tomber malade à cause du brouillard. Logique et normal, il faisait froid et humide. 

Je sors mes affaires de ma sacoche. Je nettoie ma dague, celle que Tristan m'a donnée. 

“N’abandonne pas,” souffle Karan.

Je fronce les sourcils, perplexe. Elle sait lire le rhadien ?

“Oui.”

J’aurai aimé qu’elle m’en dise plus, mais elle ne parlera pas plus.

 

Je me tourne vers Liberté.

– Dis-moi…, je commence.

La jeune fille met un moment à comprendre que je lui parle. Elle se tourne vers moi. Elle est assise sur le lit, moi sur le sol. Elle penche légèrement la tête sur le côté, prête à m’écouter..

– Pourquoi ne peux-tu pas parler ? Enfin, je ne veux pas être indiscrète, mais je posais cette question depuis longtemps.

Liberté sort son carnet, hésitante, et met un petit moment à écrire sa réponse.

Je la lis à voix haute.

– "Je suppose que je peux tout t'expliquer, maintenant que je te connais mieux et que je peux te faire confiance. Ma voix est maudite"

Je cligne des yeux, éberluée, mais je continue à lire tout haut.

– "Ma voix détruit la vie… Enfin, comment expliquer ?"

Je remarque plusieurs ratures sur la page.

– "Cependant, je suis amnésique… Je ne sais pas d'où ça vient…"

Je lui sourit doucement, lui montrant que je comprends. Après tout, je suis maudite, moi aussi… Peut-être est-il temps que je le lui dise ?

– Donc, je continue, tu ne peux pas parler, mais tu peux chanter…?

“C’est vraiment bizarre… Elle cache quelque chose, cette fille !”

J’ignore le commentaire inutile de Karan. Je fais confiance à Liberté. 

Elle écrit une réponse sur son carnet. Je la lis.

– “Je ne sais pas, je suis aussi perplexe que toi mais… ma voix n’est pas normale, j’en suis certaine. Et je ne veux rien risquer.”

Je la regarde, compatissante.

– Je comprends.

Bon, je pense vraiment que c’est le bon moment pour le lui dire, puisqu’on est lancées sur le sujet. Je prends une inspiration.

– Moi aussi, je suis maudite, dis-je d’un seul coup.

Je ne laisse même pas à Liberté le temps de réagir, je lui tourne le dos et descend ma chemise blanche du côté droit et je suis montre la marque noire, qui a encore grandi et qui me recouvre l'omoplate. 

Liberté pousse un petit cri. Quand je me retourne vers elle, elle a plaqué sa main sur sa bouche, interdite. En même temps, je comprends bien que ça doit être surprenant à voir. 

– La marque s'agrandit de jour en jour, recouvrant lentement mon corps. Je ne sais pas ce qu’il va se passer, mais…

Je laisse ma phrase en suspens, hésitante. 

– Arrivée à Stëlle, je me renseignerai sur les moyens possibles pour dissiper cette malédiction. Stëlle est connue comme la cité des mages.

“Et moi, je deviens quoi dans ton plan ?” marmonne Karan.

Je n’en sais rien. Et honnêtement ? Je m’en fiche.

Je remets ma chemise.

– Si tu veux, je t'aiderai à trouver une solution à ton… problème de voix.

Liberté acquiesce. 

 

Rafael revient dans la chambre après quelques minutes. 

– Bon, les filles, je n'ai pas trouvé de plat chaud, mais j’ai des sandwichs… Je ne sais pas ce que vous aimez, alors désolé si quelque chose à l’intérieur ne vous plait pas…

– Ne t’inquiète pas, pour moi ça ira, répond en prenant l’un des trois sandwichs.

Il est au poulet et autre chose, une sorte de légume vert clair qui s’écrase quand j’appuie dessus. Rafael me dit que c’est de l’avocat. Je goûte avec appréhension, mais je suis étonnée en en avalant un morceau. C’est plutôt bon.

Liberté me tapote l’épaule et me tend une lamelle de jambon, le regard suppliant.

– Tu n’en veux pas ? je devine.

Elle hoche la tête.

Je prend le morceau de viande et le glisse dans mon propre sandwich. Elle me remercie d’un petit sourire. 

Le reste du repas se déroule dans le silence. Nous sommes tous les trois fatigués. Nous allons nous coucher tôt, je pense.

 

Je regarde par la fenêtre, accoudée au rebord. Il fait froid et humide. Liberté et Rafael dorment déjà. Avec la buée que produit mon souffle sur la fenêtre, je dessine sur le verre avec mon index. Je trace une plume, une dague, puis le symbole de ma médaille. J'espère que j'en apprendrai plus sur lui bientôt.

Je tremble. Le climat est si différent de Selka, par ici…

Je me tourne vers mes compagnons, un sourire aux lèvres. Je ne pensais pas me dire ça un jour, mais je n'aurai vraiment pas aimé être seule dans ce voyage.

 

Je réprime un bâillement, puis quitte enfin le rebord de la fenêtre. Je m'installe sur ma couchette au sol, formée d'une simple couverture et un gilet à moi plié servant d'oreiller. J'espère que je n'aurai pas trop froid et que j'arriverai à dormir, sans couverture.

Je mets longtemps à fermer les yeux et à trouver le sommeil, non pas à cause de la dureté du sol, dont j'ai l'habitude, mais de l'humidité ambiante.

 

L'eau m'arrive aux genoux. Elle monte doucement, lentement, comme une fin dont je ne peux réchapper. Autour de moi, quelques nuages de vapeur se forment.

Je me rends soudoan compte que l'eau est bouillante. Je me met à courir pour essayer de sortir de là, peut importe le moyen, mais l'eau m'arrive déjà au ventre. Elle me ralentit dans ma course, semble presque me retenir. Elle me brûle la peau. 

C'est un rêve, je le sais, mais il est vraiment prenant, si bien que je commence à avoir peur. Je ne sais pas nager.

L'eau m'arrive au cou. Ma gorge se serre, je suffoque. Il fait trop chaud.

L'eau m'a engloutie. Je voulez lentement, mes dernières réserves d'air quittant mon corps. Je ne cherche même pas à me débattre. 

 

Je me réveille en criant, et je plaque aussitôt ma main sur ma bouche pour ne pas alerter mes compagnons. Je me redresse brusquement. Tout va bien. Calme-toi, Nausicaa. Tu n'es pas dans l'eau, tu es dans l'auberge, tout va bien.

Je tourne le regard vers les lits de Rafael et Liberté. Heureusement, mon cri ne les a pas réveillés. 

Je ne sais pas quelle heure il est, mais je ne pourrais pas me rendormir, j'en suis certaine.

Je décide de sortir sur le palier de l'étage où se trouve notre chambre pour m'entraîner avec la dague que m'a offerte Tristan. Elle est plus légère que ma dague habituelle, ce qui a des inconvénients comme des avantages. Je ne l'ai pas encore parfaitement en main.

"Tu ne penses vraiment qu'au combat."

– N'importe quoi.

Je peux lui répondre à haute voix, maintenant que je suis seule.

"Non, tu n'es pas seule ! Je suis là moi aussi, ne l'oublie pas. Nous partageons ce corps."

Karan ricane. Pas moi.

– Corps qui est le mien. Et il le restera.

"Je ne crois pas, non. Quand la marque sera plus étendue sur toi et que je serais en capacité de le faire, je pourrai prendre le contrôle de ton corps, Orinn."

– …Comment tu m'as appelée ? Orinn…?

"Tu n'as rien écouté de ce que j'ai dit ou quoi ?"

– La preuve que si, puisque j'ai relevé ça.

"On s'en fiche de comment je t'ai appelée."

– Vraiment…?

J'aimerai pourtant en savoir plus. Je ne connais personne qui se nomme Orinn. Qui est-ce ? Ce nom m'est familier…

– De toute façon, je me serai débarrassée de cette malédiction bien avant.

"Oh, crois-moi, ça ne sera pas si facile."

Je lève les yeux au ciel, continuant mes mouvements de dague. Puis une question pénètre dans mon esprit. Puisque j'ai enfin l'occasion de discuter avec l'ombre, je vais en profiter !

– J'aurai une question, Karan.

Elle reste silencieuse.

– Karan ? je répète.

"Quoi ? Vas-y, pose ta question, je t'écoute." marmonne-t-elle.

– C'est à propos de Shadow.

Je l'entends grogner d'avance.

– Tu sembles obligée de lui obéir, non ? La première fois qu'on s'est rencontrées, à Selka, dans ce bâtiment sombre…, je commence.

Certains souvenirs pas très agréables envahissent mon esprit.

– Tu exécutais ses ordres comme un petit chien, j'ajoute.

"Ne me compare pas un chien !" grogne-t-elle.

Je hause un sourcil sceptique en me passant la main sur le front.

"Ça paraît logique, non ? C'est à cause de sa magie… C'est lui qui m'a changée en ombre, il a donc le contrôle sur moi puisque je suis l'une de ses créations."

– Je vois… Et en ce moment ?

"Quoi, en ce moment ?"

– Il a l'ascendant sur toi ? je reformule.

"Non, grâce à la malédiction. Ça me laisse un peu de répit."

– Donc, en fait, cette situation t'arrange ?

"Absolument pas ! Tu rigoles ou quoi ? s'agace-t-elle. Tu crois vraiment que ça me plaît d'entendre tes pensées bruyantes non-stop ? Idiote." crache-t-elle.

– On n'avait jamais qualifié mes pensées de bruyantes auparavant. Et je ne suis pas idiote.

"Bref. Je ne te dis pas ça pour que tu ais pitié de moi."

– Moi, avoir pitié de quelque chose qui va peut-être me tuer ? Tu as cru que j'étais un ange ou quoi ?

"Te tuer ? répète-t-elle, la voix moqueuse. Tu disais pourtant que tu allais trouver un moyen de dissiper le sort à Stëlle, pas vrai ?"

– Cette discussion ne nous mènera nulle part, je souffle. Nous sommes obligées de rester ainsi pour le moment, de toute manière.

 

Je regarde par la petit fenêtre couverte de buée du palier de l'étage. Il semble que le brouillard soit toujours là… Ça va être compliqué de continuer le voyage dans ces conditions. 

Je me demande si Liberté et Rafael sont révélées maintenant. 

– Nausicaa ?

Tiens, quand on parle du loup. Je me tourne vers Rafael, qui a les cheveux en bataille. Il vient de se réveiller ?

– …Tu parlais tout seule ? demande-t-il, les sourcils froncés.

Mince. Il m'a entendu. J'espère qu'il n'a pas compris ce que je disais à travers les murs.

– Je réfléchissais à un truc en m'entraînant avec ma dague, c'est sans doute ça que tu as entendu… Il ne m'a pas semblé parler si fort que ça, pourtant.

Rafael n'a l'air de me croire qu'à moitié. Tant pis.

– Je vais prendre mon petit déjeuner, dis-je pour changer de sujet.

Je descends les escaliers qui mènent au rez-de-chaussée. Rafael ne dit rien. Il me regarde partir. Ou, plutôt, non, il fixe mon omoplate, là où ma marque est cachée sous mes vêtements. Et j'ai la certitude qu'il peut la voir.

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