Une nuit chaude coulait sur les façade décorées du palais. Les appartements de l’Impératrice, perdus au fond d’un jardin délicat, éclairaient l’obscurité souveraine. Sethy se glissa entre les fougères et les massifs de fleurs, il avait retiré ses sandales pour faire le moins de bruit possible. Petite ombre mouvante parmi celles, immobiles, des palmiers, il s’approcha peu à peu du balcon illuminé. Soudain, il trébucha sur une racine, il manqua de tomber mais se rattrapa. Soulagé, il voulut repartir, mais la racine n’était de cet avis. Elle s’éleva devant lui pour lui barrer le passage.
— Zahur, c’est moi, chuchota l’enfant.
La racine, une trompe, en réalité, émit un son grave. L’éléphant auquel elle était pendue darda ses yeux ourlés de longs cils sur le petit humain qui lui faisait face.
— Chut, ne fais pas de bruit, grimaça le garçon.
Le pachyderme secoua ses immenses oreilles, envoyant une rafale circonspect à Sethy. Le prince lui envoya un regard courroucé avant de continuer son chemin, guettant la silhouette de sa sœur sur le balcon. Heureusement, celui-ci était vide, elle semblait n’avoir rien entendu.
Les pas du garçon s’accompagnèrent d’autres, bien plus lourd. Il se tourna vivement vers l’éléphant qui le suivait.
— Qu’est-ce tu fais ? Tu vas me faire repérer, gros bêta !
Il mit une main sur sa bouche, tendu, et glissa un œil en direction de la chambre. Les rideaux de soie étaient toujours fermés. Il poussa un soupir soulagé. Il se trouvait au pied de la façade, désormais.
Attachant ses sandales à sa ceinture, il commença son ascension en s’aidant du lierre qui serpentait sur le mur pâle. Les lianes crissaient doucement, commençant à se détacher. Il serra les dents. Encore un effort, il était presque arrivé.
Le lierre ne fut pas collaboratif. Une des branches qu’il tenait se détacha, il se retrouva pendu par l’autre bras, se mordant les lèvres pour se pas crier. Tremblant, il tenta d’atteindre une autre prise, mais celle qu’il occupait déjà menaçait de céder. Alors qu’il se résignait à appeler à l’aide, il sentit qu’on le soulevait. Un coup d’œil vers le bas lui indiqua que Zahur le soutenait avec sa trompe. Sethy prit appuis dessus avec un sourire reconnaissant, et se hissa jusqu’au balcon. Il fit un signe à l’éléphant qui agita fièrement ses oreilles.
— Je peux savoir ce que tu fais là ?
Le prince sursauta et manqua de tomber. Il se tourna vers l’ombre qui se détachait derrière les rideaux presque transparents. Ces derniers s’écartèrent brusquement pour laisser place à l’Impératrice et son air furieux.
— C’est dangereux, Sethy, combien de fois faudra-t-il que je te le dise ?
— Je… je sais, mais Shaffra ne me laissa pas entrer par la porte !
Hedverêt s’approcha et le saisit pas le bras pour le mettre sèchement du bon côté de la rambarde du balcon.
— Tu aurais dû en déduire que je voulais être seule.
Le jeune garçon rentra la tête dans les épaules, levant vers elle des prunelles larmoyantes.
— Mais… je voulais te voir, moi…
Sa sœur soupira doucement.
— Entre, tu sortiras par la porte.
Il passa les rideaux sous son regard sévère, trainant ses pieds sur le sol de marbre.
— Ça fait des jours qu’on s’est pas vu, à cause de ces étrangers qui accaparent tout ton temps… bougonna-t-il.
— Je sais, je suis désolée.
— Je resterai pas longtemps, promis.
L’Impératrice fronça les sourcils devant son air suppliant. Puis, elle soupira à nouveau, vaincue. Sethy se retint de sourire et alla s’asseoir dignement sur le grand lit à baldaquin de sa sœur.
— Il parait que tu vas épouser l’héritier de Naotmöt, lâcha-t-il d’une voix faussement nonchalante.
Hedverêt se figea brièvement, avant de le rejoindre. Elle s’assit à ses côtés et posa une main sur son épaule.
— C’est nécessaire à notre survie.
— Je suis pas d’accord !
Il repoussa sa main caressante.
— C’était avec moi que tu devais te marier, tu me l’avais promis !
L’Impératrice baissa les yeux sur les draps diaphanes de sa couche. Elle ne répondit pas, simplement attristée. Sethy vit rouge.
— Hêk va nous abandonner si tu mêles ton sang à celui d’un impur !
— Ne parle pas du Dieu des dieux sur ce ton ! tonna-t-elle.
Elle releva ses iris émeraudes et les planta dans ceux, semblables, de son frère.
— Hêk sait ce qui se trame, Il sait que je n’ai pas le choix. Et toi aussi, tu devrais le savoir.
Le jeune garçon sentit les larmes lui piquer les yeux malgré tous les efforts qu’il fournissait pour les retenir. Il secoua la tête rabattant sur son visage ses innombrables tresses pour cacher sa honte.
— Mais… je l’ai vu, c’est un homme horrible…
— Sans doute, mais cela importe peu.
Hedverêt saisit doucement les joues de son frère.
— Ce qui importe, c’est que nous survivions.
Cette phrase acheva d’attirer les larmes hors des paupières du prince.
— C’est si grave que ça… ? balbutia-t-il.
Elle ne répondit pas, se contentant de l’étreindre puissamment.
— Tout ira bien, promit-elle.
Sethy se serra contre elle, tremblant. Chaque mot qu’elle disait résonnait d’une vérité implacable, pourtant, en cet instant, il avait cru que ses paroles se briseraient avant d’arriver à leur terme.
*
La mer de Totzün se détacha par son obscur bleu qui couvrait, indolent, la ligne d’horizon. Les Sylviens admirèrent la côte sud de Heddish, ils allaient franchir une étape décisive dans leur voyage. Au loin, tapi entre deux falaises dorées, le port de Jimbara les attendaient. La dernière journée de leur voyage sur la terre de sable s’acheva lorsqu’ils franchirent les portes de la petite cité.
Une foule bruissante les accueillit, déboussolant les Sylviens. Camma les mena alors à un recoin caché sous un éperon de roche. Là, à l’ombre des falaises dormaient un groupe de tentes fourmillant de vie. Les Galates déjà installés accueillirent les nouveaux venus à grand renfort d’étreinte et d’exclamations de joie.
Camma et Jildaza firent signe aux Sylviens de les suivre et marchèrent à grands pas en direction d’un homme dont la stature, semblable à celle d’Andraz, se détachait du reste de ses camarades. Sa chevelure fournie et ébouriffée descendit jusqu’à sa taille tandis que sa barbe, non moins volumineuse, s’arrêtait au niveau des clavicules. Il ouvrit son sourire et ses bras aux visiteurs, Camma s’empressa d’y plonger.
— Haha, ça faisait longtemps que j’avais pas vu votre frimousse ! s’exclama-t-il d’une voix forte.
— Ça fait plaisir de te voir ! répondit l’Assal’i.
Jildaza se contentant d’un regard cinglant en direction de son ancien mentor.
— Il parait que t’as fait faire un détour à ton convoi ? lâcha-t-elle d’un air dur.
Padparazil ignora sa mauvaise humeur.
— Haha oui, j’ai rendu service à des voyageurs. Rien de bien grave, on a perdu que quelques semaines !
— C’est n’importe quoi, tu aurais pu rater la migration.
— Eh dis donc, tu ne vas pas me gronder en plus ?
Il lui offrit une bourrade qui la secoua de la tête aux pieds. À cet instant, il aperçut Andraz et le groupe de Sylviens qui se tenaient un peu en retrait.
— Eh bien, je ne pensais pas qu’on se reverrait un jour !
Il s’approcha du Rauraque et échangea une poignée de bras chaleureuse.
— Moi non plus, répondit le Hekaour, plus calme. Mais les Esprits en ont décidé autrement.
— Et t’amènes du monde en plus ! Bienvenue à vous !
Padparazil s’arrêta brièvement en avisant les cheveux roux de Rhun.
— Dis-moi, ce ne serait pas…
— Mon fils, si.
— Ça alors !
Il éclata de rire.
— Je t’ai connu dans le ventre de ta mère, mon petit gars !
Il donna une de ses bourrades puissantes au jeune homme qui accusa le coup avec une grimace.
— Enchanté… grinça-t-il en se massant les côtes.
— C’est donc vous qui avez guidé Mádha ? s’enquit Ealys.
— C’est ça. Elle voulait rencontrer son totem, le ratel. On a mis du temps à en trouver un !
— C’est comment, les ratels ? demanda Gala.
— Mmmmh, ça ressemble un peu à vos blaireaux, je dirais.
— C’est comme ma mère, compléta Rhun. Petit et teigneux.
Andraz poussa un soupir exagéré.
— Je vais faire comme si je n’avais rien entendu…
— Haha, ça me rappelle ce voyage, une véritable épopée ! rit Padparazil. C’était…
— Non ! le coupa Jildaza. Ça va, j’ai déjà entendu l’histoire cent fois, ce sera sans moi.
Sur ces mots, elle les planta là pour aller saluer d’autres de ses amis. Son ancien mentor se gratta la barbe, l’air pensif, mais il reprit vite son immense sourire.
— Venez, installez-vous autour du feu, je vais tout vous raconter !
*
Lohan soupira en sortant de la Salle du Conseil. Hedverêt, ses ministres et les représentants des cinq castes s’y trouvaient encore. L’Ordre des Prêtres Noirs était arrivé aux portes de la ville la veille. L’armée d’Hek-Rê envoyée pour les vaincre n’avait pas réussi à les retenir.
La capitale et ses milliers de réfugiés était désormais à leur merci.
Le rebelle se massa les tempes. Il avait convenu avec l’Impératrice qu’il devrait quitter la ville le lendemain, avec ses adelphes et le prince Azad. Mais il ne pouvait s’y résoudre.
Il s’approcha d’une fenêtre qui donnait sur la misère surpeuplée d’Hekkora. Jamais la ville ne pourrait tenir un siège. Les puits qui l’alimentaient s’étaient presque asséchés et la nourriture y était plus rare que les pierres précieuses. Il broya le rebord de la fenêtre entre ses phalanges blanchies.
Soudain, il perçut un mouvement furtif dans le couloir. Il se retourna vivement tandis qu’une silhouette se cachait derrière une gigantesque amphore.
— Qui est là ? grinça-t-il, une main sur le pommeau de son sabre.
Des froissements de tissu lui parvinrent.
— Répondez, ordonna-t-il d’une voix orageuse.
À sa grande surprise, ce fut un enfant qui émergea de la cachette. Richement vêtu, son imposante chevelure était nouée d’innombrables tresses auxquelles pendaient des têtes de cobra dorées. Il foudroya Lohan du regard, se dressant de toute sa hauteur relative face au jeune homme.
— Tu n’as pas à me donner d’ordre, étranger, déclara-t-il, le menton haut. Un mot de plus, et j’ordonne aux gardes de te faire pendre.
— Prince Sethy, je présume ?
— Lui-même ! J’attends des excuses pour ton insolence.
Lohan sourit malgré lui. Le visage du jeune garçon devint cramoisi.
— Co… comment oses-tu ? Gardes !
Un soldat apparut, il s’agissait de Shaffra, l’un des gardes du corps de la famille impérial.
— Altesse ! Je vous retrouve enfin !
Sethy ignora ces derniers mots et pointa le rebelle du doigt.
— Il faut lui couper la main, il n’a pas conscience de parler à un demi-dieu !
Shaffra jeta un regard désolé à Lohan.
— Altesse, Messire l’Ombre est un invité très important. Nous ne pouvons pas lui couper la main.
— C’est un scandale ! Je vais en parler à ma sœur et vous verrez !
— Altesse, et votre leçon d’écriture ? fit le garde Le scribe vous attend.
Sethy se figea brièvement. Puis il fit volte-face et s’éloignant en courant.
— Altesse !
Le grade s’élança à ses trousses sous le regard amusé de Lohan. Ce dernier vit depuis la fenêtre le prince passer par le jardin et se perdre dans la végétation tranquille. Il avait réussi à semer son poursuivant qui s’époumonait toujours dans les couloirs. L’exécuteur décida de prêter main forte au pauvre homme. Après tout, lui-aussi avait reçu pour mission de protéger le prince turbulent. Il rejoignit le jardin d’un pas silencieux. Là, il étendit doucement ses ombres sur le sol jusqu’à sentir les contours des semelles d’un humain.
Il se tapit entre les fougères et se glissa doucement jusqu’à sa cible. Il écarta brusquement les feuilles d’un palmier, faisant sursauter Sethy qui émit un petit cri. Des larmes brillaient sur ses joues, il bondit sur ses pieds.
— Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
— Vous pleurez ?
— Qu… quoi ? Non, pas du tout !
Le prince voulut s’enfuir, mais un mur d’ombres qui barra le passage.
— Qu’est-ce que…
Lohan attrapa son bras d’une main ferme.
— Dites-moi ce qui ne va pas. Pourquoi ne voulez-vous pas aller à cette leçon ?
— C’est pas tes affaires !
Le jeune garçon lui écrasa le pied. Surpris, l’exécuteur ne put maintenir la barrière d’ombres qui se délita pour laisser passer le fuyard. Ce dernier disparut rapidement dans la végétation. Lohan grommela, et relança son pouvoir à sa recherche. Mais des cris lui parvinrent.
— Lâche-moi ! Je vais te faire écarteler !
— Peut-être, mais vous aurez votre leçon d’abord ! résonna la voix de Shaffra.
Le rebelle soupira en entendant ça, il s’appuya contre un tronc. Sur le sol, il remarqua une petite tête de cobra qui devait être tombée de la coiffe du prince. Elle s’était brisée sur une pierre.
*
Après un nuit de repos aux côtés riants de Padparazil et de son convoi, les Sylviens durent prendre la mer pour continuer leur périple vers le sud. Quitter Heddish signifiait également quitter la compagnie chaleureuse des Galates, à l’exception de Jildaza qui leur servirait de guide jusqu’au Pilier, situé dans l’inconnu plein de légendes de Téta, aussi appelée Terre morte.
Peu pressés à l’idée de ce deuxième voyage en bateau, les Sylviens se rendirent sur les quais en trainant des pieds, accompagnés par Camma, Azelion, Padparazil et Jildaza.
— Ça va nous coûter cher, cette traversée, commenta cette dernière tandis que son mentor négociait avec des humains.
— Cher ? s’enquit Keira.
— On doit leur donner de l’argent pour qu’ils acceptent de nous mener jusqu’à la Terre morte.
— Ah… Le truc qu’on a donné aux humains, la dernière fois.
— Comment peuvent-ils accorder leur confiance à ses morceaux de métal ? souffla Ealys. Ça me dépasse.
— C’est un système plutôt pratique, en fait, déclara Camma. On l’utilise beaucoup puisqu’on commerce avec eux.
Padparazil revint alors, ses pas faisaient grincer le ponton de bois.
— C’est bon, vous avez votre aller-retour. Il ne faudra pas rater le rendez-vous, ils viendront vous chercher à votre point de débarquement dans trois mois — c’est-à-dire trois lunes — après votre arrivée. Si vous le manquez, vous risquez d’être bloqués sur l’île.
Keira frissonna rien qu’à cette idée. On racontait beaucoup de chose sur la Terre morte, peu étaient positives.
— On peut leur faire confiance pour qu’ils viennent nous chercher ? demanda Ealys, dubitative.
— À eux, non, mais à leur envie d’argent, certainement.
L’Arsalaï soupira en réponse.
— Bon, je crois qu’il est temps de se dire au revoir, souffla Camma qui avait déjà les larmes aux yeux.
Elle étreignit chacun de ses nouveaux amis un à un.
— Je sais pas si on se reverra, mais en tout cas j’ai été très heureuse de partager ce voyage avec vous.
— Merci beaucoup pour votre aide, répondit Andraz alors que son groupe qui hocha la tête.
— Vous pouvez garder les habits, fit Azelion sans quitter son air renfrogné. Que les Esprits vous guident.
— Et qu’Ils protègent vos Liens, répondit Keira.
Près d’elle, Jildaza pousse un cri de protestation quand Camma lui bondit dans les bras.
— Tu vas m’étouffer !
— Mais on va pas se voir pendant longtemps !
— Je sais, c’est pas une raison pour me briser les côtes !
— Tu vas encore risquer ta vie !
— Lâche-moi !
Camma consentit enfin à laisser son amie respirer.
— Je reviendrai, promit cette dernière d’une voix plus douce. Tu sais très bien que tu peux me faire confiance.
L’Assal’i fit la moue.
— Depuis ce jour-là, j’ai l’impression que je ne peux plus te lâcher des yeux, confia-t-elle avec un regard en direction du moignon de Jildaza.
Cette dernière posa une main franche sur son épaule.
— C’est vrai que je t’en dois une bonne. Je compte bien étaler la vie que tu as sauvée sur des décennies, ne t’inquiète pas.
Un silence complice s’écoula entre les deux jeunes femmes. Puis, les humains les appelèrent. Après un dernier adieu, les Sylviens et leur guide embarquèrent. Agrippée au bastingage, Keira fixa leurs robes pourpres qui se diluaient peu à peu dans le paysage rétrécissant. Jildaza se glissa à ses côtés, ses yeux en amande accordèrent un dernier regard à Heddish. Sans un mot, elle se détourna.
— Ça ne te donne pas le vertige ? demanda-t-elle à la jeune femme en désignant l’horizon uniforme qui s’étendaient au-delà de la proue.
Keira contempla un instant cette immensité vide, son cœur s’emballa. Dans le détroit de Siffrig, il y avait toujours une île en vue. Ici, rien ne percutait le regard.
— Si. C’est effrayant, tout cette eau, mais en même temps…
Jildaza sourit, défiant le vent qui venait fouetter son visage.
— …. C’est beau, compléta-t-elle.
*
Des sourires. Des larmes. Des embrassades. Une foule.
Daïré promenait ses prunelles grises sur les innombrables visages qui les accueillaient. Les Laevis étaient enfin parvenus à Bibracte. Ils touchaient au terme de leur épuisant voyage, entourés de milliers de personnes, pourtant jamais elle ne s’était sentie aussi absente.
Isbail, Oanell et Kurtis vinrent l’étreindre. Ce dernier pleurait, comme toujours. Elle leva une main pour lui ébouriffer les cheveux. Il avait grandi.
Au milieu de l’assemblée qui les couvrait de présents, Daïré remarqua le visage de son frère jumeau. Dâlan s’avança, timide. Elle recula. Elle s’était décidée à le repousser. Elle ne voulait pas lui pardonner. Mais sa colère fondit devant son sourire. Ses bras plein de chaleur l’entourèrent. Il sentait le saule et le crin de cheval. La jeune femme leva ses yeux brouillés vers le ciel de l’aube. Elle rendit l’étreinte dans un sanglot.
Une troisième personne arriva. Son père. Dâlan lui sauta dans les bras. Des mots enthousiastes s’échappèrent de ses lèvres ravies.
— Venez, je vais vous présenter ma famille !
Le sourire Daïré se craquela. Il la prit par la main, et elle se laissa faire. Ses iris perçants avaient déjà saisi les silhouettes vers lesquelles il la guidait. Cette femme. Son doux visage la brûlait. C’était pour elle que son frère l’avait abandonnée. Et ces gosses, souriant jusqu’aux oreilles.
Elle se tendit, s’arc-bouta. Dâlan lui jeta un regard interrogateur. Elle se dégagea d’un mouvement brusque. La foule s’agitait autour d’eux, se convulsait. Elle tourna les talons, et s’y noya. La sueur de la peau et le frottement des tissus l’entourèrent alors qu’elle se fraya un chemin à coups de coude rageurs. Elle entendit Dâlan l’appeler. Elle l’ignora, des larmes orageuses zébraient ses joues rougeâtres.
Enfin, elle s’extirpa de la foule. Elle courut. La prairie aux chevaux défila dans un dégradé incertain. Quelques maisons filèrent, ainsi que des regards étonnés. Elle courut, elle courut jusqu’à ce que ses genoux cèdent. Ses poumons hurlaient, l’acide venait lécher son palais aride. Ses mains allèrent convulsivement tâter son visage barbouillé qu’elle griffa, enragée.
— Connasse, gronda-t-elle en s’écorchant jusqu’au sang.
La douleur enfla, elle l’ignora. Elle se courba, le torse agité de soubresauts.
— Daïré.
Elle se figea, se retourna. Dâlan s’approcha, essoufflé.
— C’est que t’es revancharde, hein, fit-il en tentant un sourire entre deux inspirations.
Elle rabattit ses cheveux sur son visage blessé, sans répondre.
— Teigneuse, en plus, continua-t-il en s’approchant.
Il s’assit près d’elle.
— Mais je t’aime quand même.
— Casse-toi.
— Nope.
Il poussa un soupir difficile et perdit son regard dans la végétation ambiante.
— Tu m’as manqué, lâcha-t-il.
Elle ne bougea pas.
— Je suis content de te voir, même si c’est pour que tu me fasses une crise.
Il n’obtint pas plus de réaction. Mais il savait son attention acquise.
— Tu sais… j’aurais aimé être là pour Maman…
Elle lui jeta un œil au travers de son rideau de cheveux. Elle vit une larme perler au coin de ses yeux.
— Parfois je me demande… si ça n’a pas joué dans son…
— Arrête.
Elle se redressa, tentant tant bien que mal de cacher ses tremblements. Elle lui donna une pichenette hésitante. Il la fixait, son expression balançait entre le rire et les larmes.
— Ça ne fait pas très mal, commenta-t-il. Tu as perdu la main.
Elle lui asséna une claque furieuse sur la tête qui le fit chanceler.
— Et là, j’ai perdu la main ?!
Il se mit à trembler. Très vite, un rire émergea de ses soubresauts.
— C’est trop facile de te provoquer !
— Oh, ta gueule !
Il l’étreignit, brusquement. Ses mains agrippèrent ses habits, les froissant dans leur frémissements saturés d’émotion. Elle en eut le souffle coupé.
— C’est bon, concéda-t-elle alors que les larmes se remettaient à couler. Je te pardonne.
Elle lança ses bras dans cette étreinte éperdue. Elle s’y noya avec bonheur.
*
La nuit susurrait à la fenêtre, elle appelait au sommeil. Pourtant, malgré les bras doux d’Angelus autour d’elle, Amaya ne dormait pas. Elle fixait le bout de ciel par sa fenêtre, une pensée l’obsédait. La fraicheur du soir lui arracha un frisson, lui faisant comme un choc. Elle se redressa. Ses yeux noisette parcoururent la chambre sans y trouver la réponse qu’elle cherchait. À vrai dire, elle savait où la trouver. Et ce n’était pas ici.
Son pouls s’accéléra, ses prunelles revinrent sur le visage assoupi d’Angelus. Tremblante, elle se pencha pour déposer un baiser sur son front, et sortit doucement de la couche. Il ne se réveilla pas, il dormait comme un loir.
Elle attrapa un manteau, des chaussures, et émergea dans l’air nocturne. Personne n’était débout à cette heure, une unique torche brillait au centre du village. Elle s’en servit pour se guider jusqu’à l’écurie. Sulpicia avait commencé à lui donner des leçons d’équitation, mais elles avaient arrêté quand le ventre d’Amaya avait trop grossi. Cela pouvait être dangereux.
La jeune femme serra la bride qu’elle avait saisi. Tant pis. Elle devait en être certaine.
Elle sella une jument et monta sur son dos. L’animal renâcla, peu enclin à cavaler au milieu de la nuit, mais elle parvint à le mener sur le sentier. Le mont Murafase dressait sa sombre masse sur le firmament lointain, il était couvert d’une forêt dense. C’est vers elle qu’elle se dirigea.
Après de longues heures de chevauchée, Amaya atteignit la forêt où elle avait vu la Maudite. L’obscurité dense l’enserra, elle retint un frisson. Peu à peu, elle sentit la peur monter en elle. Elle avait l’impression d’avoir perdu tous ses repères. Lorsqu’elle vit une lumière devant elle, elle pressa sa monture. Elle se retrouva face à la clairière par laquelle elle était rentrée dans la forêt.
Elle tourna la tête, cherchant une issue. Comment avait-elle fait pour se perdre si vite ?
Soudain, elle perçut une lueur dans l’épaisse pénombre des sous-bois. Elle crut d’abord rêver, mais après un temps, l’étincelle se confirma. Elle déglutit. Il devait s’agir d’un feu de camp.
Les yeux verrouillés sur cette objectif indistinct, elle retourna sous le couvert des arbres. Le décor sembla de nouveau se diluer, mais elle tint bon, gardant toujours la lueur en face d’elle. Peu à peu, cette dernière s’agrandit et se précisa. Aucun doute n’était possible.
Amaya mit pied à terre, malgré ses jambes flageolantes. Elle attacha sa monture à un arbre et continua le chemin vers le feu de camp. Un chant s’éleva alors qu’une silhouette assise apparaissait. Elle murmurait une douce comptine, tenant quelque chose dans ses bras.
— Daïfā zi-lé, õtôn voz çhé…
L’intruse se figea. C’était elle, c’était certainement elle. Elle était vivante. Malgré tout, elle ne parvint pas à calmer ses doutes. Elle fit encore un pas, une brindille craqua sous ses sandales.
La silhouette se glaça. Sa tête ébouriffée pivota lentement vers Amaya qui se sentit blêmir. Lentement, elle posa son paquet par terrer. Un babillage indiqua à la prêtresse qu’il s’agissait d’un nourrisson. Son cœur battait furieusement dans sa poitrine, mais elle ne put se résoudre à fuir. À vrai dire, elle n’était même pas sûre de le pouvoir.
Aussi vive qu’un serpent, la silhouette bondit vers elle. Amaya sursauta, et tourna les talons, mais elle n’eut pas le temps de s’échapper. Des pas puissants résonnèrent sur l’humus, l’ombre fondit sur elle. Elle fut violemment plaquée au sol, elle cria.
— Non… s’il te plaît… je suis enceinte… hoqueta-t-elle en sentant son ventre subir durement la secousse.
La Maudite lui maintint fermement la tête, elle ne pouvait qu’apercevoir, à la limite de son champ de vision, un bout de visage terrifiant. Un œil pâle qui se planta dans le sien comme une lance ardente.
— Tu fais partie du village, constata son assaillante.
— O… oui… je suis désolée…
La prise se resserra, elle gémit.
— Que je sois enceinte ne vous a pas empêchés de me tuer, gronda la Maudite.
Amaya sentit les larmes serpenter sur ses joues agitées de soubresauts.
— Je… je sais… je suis désolée… Vraiment… je m’en suis toujours voulu… C’est pour ça que je suis venue…
— Comment sais-tu que je suis encore en vie ? siffla l’ombre.
— Je… je vous ai aperçue…
Il y eut un silence.
— Je devrais te tuer, murmura la silhouette. Tu vas aller tout raconter à vos affreux prêtres.
— Non ! Ça fait des mois que je vous ai vue, et je n’ai rien dit ! Personne ne le sait, je vous jure !
Elle chassa la pensée de Sulpicia. Cette dernière avait cru à un rêve, de toute manière. Elle savait qu’elle ne le raconterait à personne.
Encore un silence, tordu. Qu’un vagissement, à quelques pas, vint briser. L’emprise de la Maudite se relâcha légèrement.
— S’il vous plaît… bégaya Amaya. Je… je veux donner vie à mon enfant…
L’œil lourd de son assaillante la considéra, muet. Puis elle se releva.
— Bien. Alors je ne vais pas te faire disparaître. Ça interpèlerait trop tes congénères.
La jeune femme se redressa en tremblant et hocha vivement la tête. Les vagissements se firent plus insistant. La mère alla calmer son bébé, lui murmurant des paroles sibyllines.
— Vous… vous l’élevez seule ? souffla Amaya.
— Oui.
— C’est très courageux…
— Je n’ai pas le choix.
L’intruse baissa la tête.
— Je comprends… vous avez dû fuir dans cette contré perdue à cause de votre Marque…
— Je n’ai pas de Marque.
— Co… comment ça ?
La mère se tournait vers elle, elle put voir son visage en entier. Il était doux, bien qu’empli d’une ombre indéfinissable.
— Je suis pas une Maudite. Je suis une fée.
— Une fée…
— Partez, maintenant. Rebroussez chemin et la forêt vous guidera jusqu’à sa Frontière. J’ose espérer que vous tiendrez votre promesse.
— D’accord… Au… au revoir.
La fée ne répondit pas, trop occupée à étreindre son enfant. Amaya le contempla un instant avant de tourner les talons. Comme promis, sa monture la mena droit vers l’espace découvert de la prairie qu’elle avait quitté. Elle jeta un œil en arrière.
Malgré son cœur encore affolé, elle se sentait plus sereine.
"Soudain, il trébucha sur une racine, il manqua de tomber mais se rattrapa" tu peux retirer "manqua de tomber" je pense haha dire qu'il se rattrape suffit
"son obscur bleu " bleu obscur plutôt non ?
"— Bien. Alors je ne vais pas te faire disparaître. Ça interpèlerait trop tes congénère" J'ai trouvé la réplique artificielle
En guise de remarques hahaha tant que j'y pense, que ça reste frais dans ma tête, la partie de Daïré est par exemple sans doute de trop. Cela rajoute des ramifications généalogiques, des enjeux etc alors que ça ne semble a priori pas trop hyper rattaché à l'histoire. J'ai aussi du mal à comprendre pourquoi Amaya a fait quelque chose d'aussi risqué, mais pour le coup, je crois que la réponse est dans ma mémoire haha et que j'ai juste oublié. Sinon, l'armée de l'Impératrice est déjà détruite du coup ? Ce fut bref haha la manière dont c'est annoncé, on a du mal à croire que ça a un impact, alors que ça doit être la cata intersidérale. En dehors de tout ces menus détails, je dois dire que j'aime bien le personnage de Sethy, il est touchant, on s'attache vite à lui ! Puis on se prend à vouloir voir l'Impératrice gagner et sauver son pays hahaha malgré le fait que ça soit pas un modèle d'égalité. J'aime bien aussi la construction que tu offres au peuple des Galates, leur histoire, leurs liens avec les humains, tout cela offre un prisme intéressant à la lecture et à la découverte de ton univers ! C'est riche de subtilités et de réalisme
Je comprends que ça donne une impression du superflu mais comme toutes les intrigues celle de Daïré jouera un rôle dans l'histoire principale, elle sera reliée à la trame globale dans la partie 3 :)
Hmm comment tu aurais montré l'impact de la défaite de l'armée de l'impératrice, toi ? En fait on en voit les conséquences dans les chapitres qui vont suivre.
Contente que tu aies aimé Sethy, c'est mon petit choupinou <3
Merci pour ton passage et ton com' <3