Chapitre 14 - Narhem - Malédiction

Tandis qu’Abeba se préparait à fêter la fin des pluies torrentielles, Narhem, Mynard et Olivier, qui avaient terminé leur mission aux camps de larves pour revenir à Abeba, distribuaient des outres de Fenshy à tous les combattants humains, leur expliquant les consignes.

Toute la nuit, les tambours avaient frappé et les danses secouées les elfes noirs qui se reposaient maintenant après une nuit de débauche. Alors que le soleil pointait son nez à l’horizon, Narhem vit Khala débarouler en trombe dans sa hutte.

- Majesté ! Il s’est passé quelque chose de terrible à Adama !

- Quoi donc ? demanda Narhem d’un ton feignant admirablement bien la surprise.

- Les eoshen… Ils couchaient avec les femmes soi disant à leur demande.

Narhem se retint de sourire mais il jubilait intérieurement. Il écarquilla les yeux, feignant l’horreur.

- Ils accusent les femmes d’être à l’origine de cette infamie ! Les traîtres ! Ils n’ont peur de rien ! s’écria Narhem, en tapant un poing dans sa paume. Ils les ont ensorcelées, sans aucun doute, profitant de leur position près d’elle pour leur soutirer leurs faveurs.

- De nombreux elfes noirs ont franchi les portes des palais de coton. Les Tewagi de garde se sont interposés. Ils n’ont pas tenu sous le nombre. Le bain de sang a été terrible. Les femmes ont pris la fuite. Certaines ont été trop lentes. Celles-là ont été violées sauvagement et sont mortes sous les assauts du peuple.

Narhem avait toutes les peines du monde à ne pas hurler de rire. Des générations de frustration venaient de brutalement être relâchées et les conséquences étaient brutales.

- Tous les eoshen du palais sont morts, annonça Khala. Il n’y a aucune trace d’attaque magique. Les eoshen ne se sont pas défendus.

Protecteurs du peuple, ils avaient tenu leur serment jusqu’au bout. Finalement, c’était peut-être vrai que la demande venait des femmes.

- Eoshen ? appela Narhem.

L’homme en noir n’apparut pas.

- Il est mort à Adama, lui apprit Khala. Il est venu en renfort mais n’a pas survécu à l’attaque. Des rumeurs indiquent qu’il aurait permis aux femmes de s’enfuir en se mettant entre elles et leurs agresseurs.

Narhem hocha la tête. Un de moins. Cela se passait à merveille.

- Il nous aurait été bien utile. Tant pis, nous ferons sans lui, lança Narhem en fronçant les sourcils. Il faut monter des équipes de recherche au plus vite. Nous partirons à l’aube. Je veux que toute la caste des Tewagi nous rejoigne au plus vite.

- Toute la caste ? répondit Khala, stupéfait.

- Ceux qui sont ici, à Abeba, partiront immédiatement avec moi à la recherche des femmes. Il faut les retrouver, les protéger et leur trouver un refuge le temps que le calme revienne. Les autres devront nous rejoindre au plus vite.

- Tu veux… envoyer… tous les Tewagi, bafouilla Khala, ahuri.

- Tu penses que j’ai tort ? Tu crois que retrouver les femmes ne mérite pas un tel déploiement de force ?

Khala frémit.

- Bien sûr que si. Je vais faire passer le message.

Khala sortit donner les ordres et Narhem se permit enfin un immense sourire. Cela se passait à merveille ! Narhem plaça son épée et sa dague de métal noir à sa ceinture puis sortit pour constater que les Tewagi rejoignaient en rangs serrés la sortie de l’oasis. Narhem les rejoignit.

- Où cherchons-nous ? demanda Khala.

- Un eoshen aurait pu nous l’indiquer. Dommage qu’ils ne soient plus disponibles. Si tu étais une femme apeurée, où irais-tu ?

- Vers l’ouest, annonça Khala. Le désert se termine rapidement dans cette direction et les montagnes offrent de l’eau et de la nourriture, avec peu de villages.

Narhem sourit. C’était précisément la direction qu’il comptait prendre. Il savait que les femmes étaient parties plein sud vers le paradis imaginaire crée par Narhem et transmis par Dolove. Il ordonna le départ vers l’ouest, ravi d’emmener les Tewagi loin de leur objectif.

Il savait qu’au moment où il passerait l’horizon, Mynard et Olivier soufflerait dans le sifflet qu’il leur avait donné, donnant le signal aux esclaves de boire l’outre de Fenshy, de prendre les armes et de se soulever.

Narhem avait été clair : pas de prisonniers. Pas de retour de bâton. Il était hors de question de mettre les elfes noirs en esclavage mais bien de les exterminer, tous, jusqu’au dernier, eux et leurs fidèles orcs qui les défendraient. Les esclaves étaient enthousiastes à l’idée de prendre leurs terres aux elfes et de s’y installer. Retourner à Eoxit et Falathon qui n’avaient rien fait pour eux, à quoi bon ? Créer son propre paradis plaisait bien davantage !

L’armée, soutenue par des dizaines de milliers d’orcs portant nourriture et équipement, traversa le désert. En chemin, elle s’agrandit, de nombreux Tewagi les rejoignant. Ils atteignirent les montagnes sans trouver trace des femmes.

- Elles savent bien masquer leur passage, gronda Khala. Les pisteurs ne trouvent rien.

- Ça ne veut pas dire qu’elles n’ont pas pris cette route, répliqua Narhem. Elles ont peur. Normal qu’elles se cachent et masquent leur pas. Sont-elles éduquées ? Savent-elles où se termine L’Jor ? Sont-elles conscientes du risque qu’elles prennent si elles traversent les montagnes, du danger qui les attend de l’autre côté ?

Khala blêmit.

- Si elles tombent entre les mains des eoxans…

Narhem ne finit volontairement pas sa phrase, se retenant à grand peine de sourire sous le regard horrifié de Khala. La marche reprit, le chef des Tewagi ordonnant une cadence plus élevée, vitesse qui permettait encore moins aux traqueurs de dénicher la moindre piste… qui n’existait de toute façon pas.

Un matin, de simples paysans humains cultivant leurs terres virent débarquer sur eux des dizaines de milliers d’elfes noirs armés. Les démons étaient en marche. Les paysans fuirent de tous côtés.

Narhem sourit. Il était de nouveau chez lui. Exterminer les elfes noirs, oui, mais autant les utiliser d’abord. Le fonctionnement de L’Jor faisait rêver Dolove. Ce n’était pas sans raison. Narhem observa son pays.

Simple tonnelier, il n’en connaissait pas grand-chose mais le seul qu’il en savait était une haine profonde de la part du peuple vers le roi. Les brigands attaquaient sans cesse et le royaume ne protégeait guère ses paysans.

Si la sécheresse ou les inondations frappaient, la famine suivait sans que nul n’intervienne pour aider. Les précepteurs venaient à l’heure chaque année récupérer les impôts, emportant avec eux quelques jeunes hommes pour la guerre, de la main d’œuvre en moins, jamais compensée.

Narhem secoua la tête. Son pays méritait mieux. Il avait besoin d’aide, de renouveau, de soin. Narhem était roi des elfes noirs à la tête d’une immense armée portant du métal noir. Nul n’oserait s’interposer.

Il allait prendre la tête du royaume et serait le meilleur roi que ces terres aient jamais vu. Les paysans l’aduleraient. Les nobles courberaient le dos. Enfin, il serait acclamé par des humains l’appelant Narhem Ibn Saïd et non par ces saletés d’elfes noirs n’ayant jamais cessé de le surnommer « cul à orc ».

- Contentez-vous de blesser les premiers combattants qui viendront vous affronter puis reculez, indiqua Narhem à Khala. Qu’ils constatent l’effet du métal noir. Ensuite, croyez-moi, ils ne se battront plus et nous pourrons chercher les femmes en paix.

Ses prédictions s’avérèrent justes. Ce fut sans la moindre difficulté qu’ils parcoururent les terres, leurs pas les portant étrangement vers la capitale d’Eoxit.

- Il nous sera plus facile de nous déplacer et de chercher si nous ne rencontrons plus aucune résistance, indiqua Narhem. Aidez-moi à prendre le pouvoir. Cela simplifiera les recherches.

- Bien sur, Majesté, dit Khala.

Il n’y eut aucun combat. Tous craignaient les armes et les démons qui les portaient. Finalement, Narhem posa le pied dans l’immense salle du trône sur lequel reposait un vieil homme barbu et chauve à peine capable de tenir debout.

- Qui es-tu ? demanda-t-il.

- Je suis Narhem Ibn Saïd et je prends la tête du royaume d’Eoxit.

Il dégaina sa lame de métal noir pure et trancha la tête du roi qui affronta la mort avec honneur et fierté. Il ne supplia pas, ne tenta pas d’esquiver. Sa tête roula sur le sol dans un silence de mort. Des gardes portèrent le corps et la tête et disparurent avec. Narhem monta sur le trône.

- Laisse-moi une poignée des meilleurs Tewagi ici, pour ma protection personnelle, dit Narhem à Khala.

Aucun humain ne parlait l’amhric alors il se savait libre de parler.

- Coordonne les recherches. Il faut les retrouver, continua Narhem. De mon côté, je vais faire en sorte que nul ne se mette en travers de votre chemin et que toute ressource nécessaire vous soit fournie sans contrepartie.

- Merci, Majesté, dit Khala avant de sortir.

- Les elfes noirs vont parcourir ce pays, annonça Narhem d’une voix forte. Aucune porte, aucun mur, aucune barrière, aucun cours d’eau ne saurait se dresser devant eux. S’ils demandent des armes, de la nourriture, des vêtements ou quoi que ce soit d’autre, qu’ils le reçoivent sans contrepartie. Faites passer l’information à tout le pays.

Un homme hocha la tête avant de s’éloigner.

- Majesté ? Le précédent roi était en train de tenir audience. Le peuple venait faire ses doléances. Souhaitez-vous poursuivre la séance ou la faire annuler ? demanda un jeune homme en se penchant à son oreille.

- Je serai heureux de répondre aux besoins de mon peuple. Que le suivant s’avance.

Un appareilleur lui exposa son problème. Narhem ignorait tout de son métier. L’homme usait de termes techniques qui le dépassaient totalement. Il n’avait pas la moindre idée de la réponse à apporter. Il se tourna vers les experts pouvant le renseigner… Il était seul. Tout le monde le regardait. Il était censé savoir, lui-même, sans aucune aide. À L’Jor, il recevait de nombreux conseils. Ici, il était seul. Nul ne pouvait décemment tout savoir sur tout !

- Où sont mes conseillers ? chuchota Narhem au jeune homme lui ayant précédemment adressé la parole.

- Souhaitez-vous parler avec le grand intendant afin de déterminer quelle somme d’argent le royaume peut débloquer pour cet homme ?

- Je ne suis pas certain que l’argent soit la solution, répliqua Narhem qui, en plusieurs lunes à la tête de L’Jor, n’avait jamais résolu un seul problème de cette manière.

- L’argent résout tout, répliqua le jeune homme.

Narhem fronça les sourcils.

- Je ne veux pas parler au grand intendant mais à quelqu’un s’y connaissant dans le métier de cet homme, capable de me traduire son souci en termes simples, de me proposer des solutions adaptées.

- Posez-lui vos questions, répondit le jeune homme en désignant l’appareilleur du menton. Il sera ravi de vous éclairer.

Narhem gronda. Cet homme venait lui demander son aide. Il n’avait cure d’expliquer son métier à son roi.

- Soit, admit Narhem tandis que la foule attendait avec impatience la décision de ce nouveau roi. Donnez-lui une pièce d’or en compensation de son problème.

La foule hoqueta. L’appareilleur ouvrit de grands yeux ahuris.

- Une pièce d’or ? s’étrangla le jeune homme. Vous devriez consulter le grand intendant avant de…

- J’ai parlé, indiqua Narhem. La séance est terminée. Que les autres reviennent la prochaine fois.

À ces mots, Narhem se leva et quitta la salle par une porte arrière, collé par son escorte. Khala l’avait affublé de pas moins de dix Tewagi en qui Narhem avait toute confiance pour assurer ses arrières.

- Mène-moi à mes appartements, ordonna Narhem au premier serviteur qu’il croisa.

- Bien, Majesté.

Narhem, enfin seul, avec ses gardes invisibles, silencieux et stoïques, put réfléchir. Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire. À L’Jor, cela avait été tellement facile. Il était soutenu. Certes, il s’ennuyait dans des réunions dont le sujet ne l’intéressait pas, mais au moins, il en ressortait avec la certitude de la bonne décision à prendre. Dans son propre pays, il se sentit seul, désœuvré, incompétent, faible, pas à sa place.

Un coup léger sur sa porte le fit sortir de ses pensées. Il fit signe aux elfes noirs en garde d’ouvrir. Une jeune femme se tenait là, un sourire timide aux lèvres.

- Entre, proposa-t-il. Que puis-je pour toi ?

Elle s’approcha. Sa robe légère laissait entrevoir ses chevilles. Ses hanches fines portaient un buste orné d’une poitrine ferme. Ses longs cheveux blonds encadrait un visage doux et maquillé. Narhem ne put s’empêcher de sourire bêtement.

- Majesté, dit-elle d’une voix aguicheuse en faisant une légère révérence devant lui.

Elle s’approcha et caressa son pourpoint. Elle entreprit alors de retirer le premier bouton.

- Que fais-tu ? demanda-t-il en attrapant sa main, soudain soupçonneux.

- Ces vêtements ne sont pas dignes d’un roi ! s’exclama un homme en entrant, accompagné d’une dizaine de petites mains portant malles et tissus en tout genre.

Narhem observa les mouvements, essayant de tout suivre sans y parvenir. Sa veste tomba sans même qu’il ne s’en rende compte. Ses armes lui furent retirées puis le tailleur prit ses mesures avant de se lancer dans des essayages, parlant de teint, d’or et d’argent, de froid et de chaud, de soie et de cachemire, de bleu, de vert, de rouge, de fleurs, de points, de rayures, de symboles. Narhem en eut le tournis.

Finalement, la clique repartit avec la promesse du tailleur de revenir le lendemain avec des habits un peu plus dignes. La porte se referma et une main sur son dos l’informa que la jeune femme était toujours là.

- Vous êtes beau, Majesté, indiqua-t-elle. Quels bras durs et robustes ! Se faire enlacer par vous doit être si rassurant !

Narhem ne tint pas. Il la jeta sur le lit et la baisa, y prenant un plaisir intense. Depuis quand n’avait-il pas vu de femmes ? Trop longtemps ! Il avait toujours adoré ça mais là, ce fut… Il éjacula mais l’érection demeura. Lors de ses masturbations, il se passait la même chose et ce depuis qu’il avait consommé du Fenshy. Heureusement, son mandrin finissait par se calmer mais cela demandait un effort conscient qu’il n’avait aucune envie de faire pour le moment. Il comptait bien profiter, encore et encore, de cette créature de rêve.

Il la baisa encore, cette fois sur elle à quatre pattes. Elle l’avala puis il lui défonça le cul avant de revenir à son con, dans lequel il resta longuement, labourant, limant, jouissant trop de fois pour compter. La jeune femme ne se rebella jamais, ne demanda jamais grâce. Au contraire, elle criait son plaisir, en redemandait, s’offrait généreusement dans toutes les positions demandées, aussi honteuses et dépravées qu’elles furent, sans s’inquiéter du regard des gardes elfes noirs présents dans la pièce.

Narhem fut interrompu par des coups sur sa porte. Il avisa que c’était le matin. Il avait passé toute la nuit à baiser. Les gardes ouvrirent sur un geste de sa part.

- Petit déjeuner, annonça un homme d’une voix forte.

Des dizaines de serviteurs entrèrent, portant des plateaux couverts de mets aussi nombreux que divers. Narhem se jeta sur les poulardes farcies, les gâteaux au miel, les vins de framboise, les alcools de poire, les choux fleurs braisés, les sangliers rôtis. La nourriture à L’Jor était bonne mais jamais on ne lui en avait proposé dans de telles proportions. De plus, c’était la nourriture de chez lui. Il reconnaissait tout sans avoir besoin de demander le nom, l’origine, la forme naturelle. Il se sentait chez lui, comme de retour dans le ventre de sa mère.

Les plateaux vides furent remplacés par des jongleurs, des prestidigitateurs, des cracheurs de feu, des clowns, des dresseurs d’ours.

Puis, ce fut l’heure du déjeuner et Narhem engloutit de nouveau les plateaux proposés.

Le tailleur se présenta dès la dernière bouchée avalée. L’essayage prit tout le reste de l’après-midi. Narhem n’en revint pas de la beauté, la douceur, la précision des habits. Ils lui allaient à merveilles.

Ce fut l’heure du dîner et alors que la nuit tombait, de ravissantes jeunes femmes se présentèrent à sa porte. Plusieurs ? Narhem en frissonna de plaisir.

- Amanda nous a raconté sa nuit, indiqua la première à entrer.

En disant cela, elle se mordait la lèvre inférieure tout en souriant.

- Nous serions honorées de connaître à notre tour votre fougue et votre ardeur, lui susurra-t-elle à l’oreille.

Le doré, l’argenté, le rouge, le bleu, le vert, la soie et le cachemire s’éparpillèrent rapidement dans la chambre. Les murs tremblèrent sous les hurlements de plaisir et les coups de burin.

Le lendemain matin, après le petit déjeuner, trois assistants du tailleur apportèrent à Narhem sa tenue pour la journée. Il la passa volontiers puis un homme se présentant comme étant le duc Jean Bel lui proposa de le suivre dehors. Il lui montra un cheval, une monture magnifique, puissante.

- Il est à vous, Majesté. Essayez-le !

Narhem ignorait tout de l’équitation. Il n’était jamais monté à cheval. Il imita les hommes qu’il avait vu faire et se retrouva sans difficulté sur le dos de l’animal. Il attrapa les rênes et le cheval démarra, d’abord doucement, comme s’il sentait les difficultés de son hôte. Narhem ajusta rapidement sa position, utilisant ses cuisses, s’asseyant moins. La bête s’adapta et accéléra pour arriver au trot. Narhem suivit les mouvements et le galop le fit bondir de joie. Il ne rentra que parce que l’équidé, épuisé, refusait de le porter.

- Prenez-en bien soin. C’est une bête magnifique, indiqua Narhem au palefrenier.

- Souhaitez-vous le bichonner vous même ? proposa l’homme. La relation entre un cheval et son propriétaire se fait surtout pendant les soins.

- Très volontiers, dit Narhem. Montrez-moi !

Le palefrenier accepta et Narhem apprécia beaucoup ces moments en dehors du temps. Lorsque Selim fut enfin propre et nourri, Narhem sortit de l’écurie pour être informé que le déjeuner serait apporté dans quelques instants dans ses appartements. Avide de ce repas, il y retourna promptement et dégusta les excellents plats et boissons.

Après manger, les assistants du tailleur vinrent lui apporter ses habits pour l’après-midi.

- Encore ? s’exclama Narhem.

Un regard de l’assistant sur ses vêtements crottés de sa promenade avec Selim lui firent comprendre qu’il devait se changer. Nu, il allait passer ses nouveaux habits lorsqu’une main féminine l’arrêta.

- Vous devriez d’abord prendre un bain, susurra la femme avant de l’emmener dans la pièce voisine.

La baignoire remplit d’eau chaude fumait. Narhem y entra avec délectation.

- Tu me rejoins dedans ? proposa-t-il.

- Je propose d’autres services, qui vous plairont aussi, assura la femme avant de commencer un massage des épaules, du crâne, du visage puis du corps, mains et pieds compris.

Narhem ne s’était jamais senti aussi détendu. Il avait l’esprit vide. Il était heureux de ne plus penser à rien, d’avoir simplement à se laisser porter.

- Majesté ? dit une voix en amhric le sortant de son cocon de bonheur.

- Quoi ? ronchonna-t-il.

- Pourrais-je te parler ? C’est important ! précisa inutilement l’elfe noir.

- Non. Fiche-moi la paix.

L’elfe noir se retira et Narhem put profiter de la fin de son massage.

- Je ne regrette pas, annonça Narhem une fois habillé. Tes services sont très intéressants.

- Je reviendrai, promit la jeune femme avant de sortir.

- Majesté ? insista l’elfe noir.

- Quoi ? gronda Narhem.

- Les discussions autour de toi sont nombreuses, commença-t-il.

- Évidemment ! Je viens d’arriver. J’ai tué le roi et je suis venu accompagné d’une armée d’elfes noirs munis d’armes faites d’ombre.

- Ils s’étonnent que tu ne dormes pas.

- Vous non plus vous ne dormez pas, répliqua Narhem.

- Nous sommes invisibles et nous ne sommes pas humains, répliqua le garde et Narhem ne put que lui donner raison.

En effet, les dix Tewagi se montraient très discrets. Silencieux, immobiles, placés dans les coins sombres. Ils ne dormaient pas, ne mangeaient pas, ne buvaient pas, ne quittaient pas leur poste pour faire leur besoin. Des statues en surveillance permanente, prêtes à agir au moindre problème.

- Ils s’étonnent de ton endurance au lit.

- Ils sont jaloux, rétorqua Narhem. Je ne les en blâme. Vous êtes là pour assurer ma protection, pas pour écouter les ragots de la cour. Concentrez-vous donc sur votre tâche !

- Ils s’étonnent…

- Tais-toi, le coupa Narhem. Je me fiche de ce que ces gens pensent de moi. Je…

- Majesté, le tournoi en votre honneur va commencer, annonça l’intendant en entrant dans la chambre.

- Tournoi ? répéta Narhem enchanté avant de sortir à la suite de l’intendant.

Joute à cheval, à l’épée, au marteau, à l’arc, à l’arbalète, démonstration de scorpion et de catapulte. Narhem passa ses matinées à cheval, ses après-midi à observer les combats, ses nuits à baiser, le tout entrecoupé de repas pantagruéliques et de bains aux massages relaxants. Narhem nageait dans le bonheur.

Lorsque le tournoi arriva à sa fin, des musiciens vinrent jouer dans sa chambre et Narhem fut subjugué. Il eut soudain envie de savoir, lui aussi, contrôler ainsi les sons. Le piano résonna des heures durant pendant une saison puis ce fut le tour du violon et de la flûte. Le théâtre, la peinture, la danse suivirent.

Narhem picora, de découverte en découverte, savourant de découvrir un monde aussi merveilleux et totalement inconnu. Son esprit comprenait et intégrait à une vitesse phénoménale. Il maîtrisait plus vite que personne et s’en ravissait. Les félicitations pleuvaient. Tous l’adulaient et en redemandaient. Narhem rayonnait.

- Khala ! Mon ami ! Écoute ça ! s’exclama Narhem en voyant revenir son second.

Il commença un magnifique air au violon.

- Nous avons enfin trouvé des informations concernant les femmes, annonça Khala dès la troisième note.

Narhem retira le violon de son cou pour écouter la suite.

- Les pêcheurs du lac Lynia les ont vues s’enfuir vers le sud il y a quatre saisons de cela. Nous sommes partis totalement dans le mauvais sens, maugréa Khala.

- Non ! s’exclama Narhem, feignant la rage, heureux que ses cours de théâtre lui aient permis de mentir comme un arracheur de dents.

Cependant, sa colère n’était pas totalement feinte. Après tout, cette annonce arrivait pile au mauvais moment. Après des semaines de répétition, sa pièce de théâtre allait enfin démarrer le soir-même et son spectacle de chevaux débuterait la semaine suivante. Partir maintenant signifiait tout abandonner après…

Narhem s’arrêta soudain. Une pièce de théâtre ? Un spectacle équestre ? Allait-il réellement utiliser ces raisons pour ne pas exterminer les elfes noirs l’ayant mis en esclavage ? Ceux l’ayant forcé à tuer les siens, à rougir le sable de leur sang ? Ceux l’ayant humilié, violé, dégradé ? Non. L’art attendrait son retour. Il se calma intérieurement tout en maintenant sa rage visible.

- Il faut réunir tout le monde et partir immédiatement vers le sud, ordonna Narhem.

- J’ai déjà ordonné le repli vers les frontières sud mais il nous faudra traverser le royaume de Falathon.

Narhem resta interdit devant cette annonce. Le royaume de Falathon ? Quand avait-il déjà entendu ce nom ? Ah oui, Dolove venait de là-bas. Une grande tristesse le prit soudain au souvenir de son ami. Le royaume de Falathon était le voisin du sien et il n’avait jamais entendu parler de lui. N’y avait-il aucun lien commercial ou diplomatique entre les deux pays ?

Narhem se rendit soudain compte du vide de cette année au pouvoir. Il avait baisé, mangé, dansé, joué de la musique, écrit de la poésie, observé des drames et des comédies, monté à cheval, applaudi des chevaliers lors de tournoi mais à aucun moment il n’avait gouverné. Les nobles l’avaient occupé, loin du trône et de ses préoccupations.

Narhem avait adoré cette année mais soudain, il fut pris d’une immense nausée. Il s’était laissé berner comme un enfant gâté, séduit par des bonbons jusque dans l’antre de la sorcière. Roi d’Eoxit, il n’en portait que le titre.

Il observa Khala qui attendait une décision de sa part. Khala le vénérait, le considérait réellement comme son chef. Narhem hocha la tête. Il comptait bien mener les elfes noirs à la poursuite des femmes et à leur mort. Cela, au moins, il le réussirait.

- Le royaume de Falathon ne nous posera pas problème, précisa Narhem. Nous agirons de la même manière qu’ici. Le premier combat au métal noir fera quelques blessés de leur côté puis nous nous replierons. Deux jours plus tard, nous enverrons un ambassadeur expliquer notre besoin de traverser. Ils nous ouvriront les portes. Arrivés au lac Lynia, nous emprunterons leurs embarcations à nos pêcheurs.

- Cela nous demandera de faire tout le tour du lac ! s’exclama Khala.

- Tu vois une meilleur option ? Sommes-nous capables de faire des bateaux ?

- Nous sommes des Tewagi .Nous n’avons pas cette compétence.

- Moi non plus, annonça Narhem.

Il avait appris beaucoup en un an, mais strictement rien concernant la marine. Il avait eu l’impression d’être le roi du monde en étant capable d’engranger autant de connaissances en si peu de temps. Il se rendit compte de l’étendue de son ignorance et cela l’attrista. Le sol sous ses pieds s’effritait. Il lui semblait s’enliser dans des sables mouvants.

- Les humains ne pêchent pas sur le lac, il me semble… continua Narhem.

- Non, ils n’en sont pas capables. Le poisson est difficile d’accès. Des tourbillons d’eau avalent les marins peu attentifs. En revanche, les elfes des bois en ont sûrement puisqu’ils ramassent les algues sur le lac.

- Sûrement ? répéta Narhem.

- Je ne peux pas être affirmatif, précisa Khala. Je ne sais rien de ce peuple. Je suis Tewagi.

- Les elfes des bois sont à l’ouest. Nos pêcheurs à l’est. Nous ignorons si les elfes des bois ont des embarcations capables de nous faire traverser le lac. Nous sommes sûrs que celles de nos pêcheurs en sont capables. Nous avons déjà perdus assez de temps comme ça. Nous irons vers l’est.

Khala hocha la tête, acceptant la décision de son roi.

- Je m’en vais, annonça Narhem à un noble de la cour.

- Où allez-vous ?

- Loin, répondit Narhem avant de s’en aller, sans donner plus d’explications.

Après tout, peu leur importait. Ils seraient justes contents de ne plus avoir à occuper cet importun sur le trône de leur pays.

La traversée du royaume de Falathon se passa comme prévue. Il n’y eut aucun blessé chez les elfes noirs. Toutes les portes s’ouvrirent. La nourriture leur fut distribuée sans refus. Les paysans fournirent fourrage, viande et eau aux orcs affamés sans se rebeller, trop terrifiés par les démons et leurs terribles armes. La notoriété de Narhem auprès de ses troupes en fut encore renforcée.

Arrivés au lac, ils bifurquèrent vers l’est, ignorant la forêt sublime à l’ouest. Narhem n’aperçut aucun elfe des bois. Longer le lac lui sembla interminable. Il était gigantesque. La colère grondait quant au temps perdu. Les troupes s’énervaient. La nourriture manquait pour les orcs. Enfin, les pêcheurs apparurent.

Ils acceptèrent de prêter leurs embarcations mais ils n’en avaient que fort peu. Il fallut faire des noria et les orcs ne montaient que difficilement sur les bateaux. Ce moment fut extrêmement pénible. Il fallut pas moins de cinq jours à l’armée pour traverser intégralement. Narhem et Khala prirent le dernier bateau.

La terre ferme apparut à l’horizon et Narhem constata immédiatement qu’il y avait un problème. Cela n’échappa pas à Khala non plus, à la différence près que Narhem s’y attendait.

- Le camp est totalement désorganisé ! Pas de défense, les orcs font n’importe quoi ! Que se passe-t-il ? gronda Khala, très mécontent des actions de ses comparses. Mais… Quelle est cette horreur ? Pourquoi n’y a-t-il aucune végétation de ce côté-là ? Où sont les plantes, l’herbe et les animaux ?

Khala se tourna légèrement.

- Que font-ils dans les marécages ? Ils sont emplis de bêtes venimeuses, tout le monde le sait ! Ils vont m’entendre !

À peine posèrent-ils le pied sur le sol que Khala perdit toute rage. Narhem savait que la vie n’existait pas ici. En revanche, il ignorait totalement que marcher dessus entraînait… souffrance, vertige, nausée, fatigue, perte d’énergie, plus de vitalité… partir… loin. Il secoua la tête.

- Khala ! s’exclama-t-il envers son second totalement sonné. Il faut te reprendre !

- Cet endroit est atroce !

- S’il l’est pour nous, il l’est aussi pour les femmes. Elles sont venues ici. Il faut les retrouver ! Sonne le rassemblement. Il faut partir au plus vite. Qui sait combien de temps nous pourrons tenir en ce lieu décharné ?

Faim, soif, fatigue… Narhem n’avait pas ressenti cela depuis des années grâce au Fenshy. Il s’en serait bien volontiers passé.

Plus de la moitié des Tewagi avaient déserté avant même l’arrivée de Narhem et de Khala sur le sol noir. Les orcs semblaient moins incommodés. Ils étaient tous restés, ne comprenant visiblement pas la peine sur le visage de leur dresseur.

Narhem encouragea les troupes à continuer, pour les femmes ! De temps à autre, il s’humidifiait les lèvres avec du Fenshy et cela lui redonnait force et courage. Il était le seul à en avoir. Il comptait bien être le seul survivant de cet enfer. Les autres consommaient de la nourriture, plus qu’ils ne le faisaient d’habitude et celle-ci ne semblait pas combler leur besoin. Les orcs réclamaient eux aussi plus que d’habitude et certains, lassés de ne pas être rassasiés, partirent...

- Nous allons tous mourir ici, chuchota un elfe noir.

Narhem venait d’avaler une gorgée de Fenshy. Il perçut les mots, venant d’un de ses anciens gardes du corps à Eoxit. Il se trouvait à une vingtaine de pas derrière lui et Narhem continua à avancer comme si de rien n’était.

- Il faut retrouver les femmes, répliqua un autre.

- Si elles sont ici… Nous avançons dans un désert noir à l’horizon vide. Nous tenons grâce aux réserves de nourriture portées par les orcs. La moitié d’entre eux sont partis. Ils ne supportent pas la faim. La moitié restante ne tiendra pas deux jours de plus. Nous n’avons aucun moyen de les retenir. Sommes-nous seulement capables de rebrousser chemin ? Je ne crois pas pouvoir survivre au retour. Je suis déjà à bout de forces.

- Les terres vertes sont devant nous. Les femmes y sont…

- Tu crois à cette chimère ? Cette histoire à dormir debout ? Il n’y a rien ici, que la mort ! Nous suivons un homme qui nous mène à notre perte !

- Narhem est un bon roi. Il…

- Un bon roi ? C’est ce que tu as vu l’année passée ? Un bon roi ?

L’autre ne répondit rien. Son silence indiquait sa réponse. Narhem grimaça. Il n’avait pas brillé aux yeux de ses gardes elfes noirs. Les humains étaient méprisés parce qu’ils passaient leur temps à manger et baiser et c’était exactement l’image qu’il avait donné ces dernières saisons. Ses anciens gardes avaient toutes les raisons du monde de le mépriser.

- Nous devons témoigner, raconter à Khala. Il faut éjecter Narhem. C’est un humain. Il ne…

- Tu veux me défier ? proposa Narhem en se postant devant l’elfe noir.

L’armée cessa d’avancer en constatant que Narhem venait de faire demi-tour. Tous les yeux étaient tournés vers lui.

- C’est du suicide ! s’exclama le garde. Je refuse de suivre un…

- Tu veux me défier ? répéta Narhem.

L’elfe grimaça, frémit puis regarda autour de lui avant de hocher la tête. Narhem blêmit. Le garde venait d’accepter le combat. Se battre ici, sur ces terres hostiles et épuisantes ?

Narhem serra les dents puis sortit lentement ces armes. L’autre fit de même et le combat débuta. Il fut lent, chaque geste rendu difficile par les terres sombres volant leur énergie aux combattants. Narhem parvint à blesser son adversaire qui s’écroula instantanément puis hurla en convulsant. Les lames de métal noir pure venaient de faire leur effet. La mort frapperait dans quelques instants. Narhem était à bout de souffle.

- Je te défie, annonça un autre garde en souriant.

Il mourut quelques instants plus tard mais un autre garde n’hésita pas à prendre le relais.

- Arrêtez cette folie ! s’exclama Khala avant que le combat ne puisse débuter.

Narhem profita de cette diversion pour boire une gorgée de Fenshy.

- Nous devons retrouver les femmes, continua Khala. Nous battre n’arrangera rien. Chacun de nous est essentiel ! Cette terre nous tue déjà. Pourquoi en rajouter ?

- Je refuse de suivre cet humain stupide ! s’exclama le garde qui venait de défier Narhem.

- Dans ce cas va-t-en, fit remarquer Khala. Fuis, tel un lâche, comme les autres. Pourquoi venir lui chercher querelle ? Il nous mène…

- À notre perte ! s’écria le garde. Nous allons tous mourir ici, ne le vois-tu pas ? C’est de sa faute si...

- Est-ce lui qui a attaqué les palais de coton pour une histoire de baise ?

Le garde blêmit et se tut.

- Il… commença Khala mais il fut coupé par un cri derrière lui.

- Une jungle… des arbres gigantesques… des fruits… de l’eau pure… un jardin extraordinaire ! décrivit joyeusement un éclaireur en désignant le sud de la main.

Le plus incroyable était qu’il semblait en pleine forme.

- J’ai bu l’eau du lac. Elle m’a redonné force et énergie. C’est fantastique ! s’écria l’éclaireur.

Narhem n’en croyait pas ses oreilles. Voilà que sa légende inventée de toute pièce prenait vie ! À sa connaissance, il n’y avait que la mort ici. Le paradis promis n’existait pas !

- Veux-tu toujours défier notre roi ? gronda Khala à l’adresse du garde.

Il fit « non » de la tête.

- En avant vers le sud ! hurla Khala et l’armée se mit en marche. Cul à orc ? murmura le maître Tewagi à l’adresse de son roi.

Narhem sortit de sa torpeur. Il n’en croyait pas ses oreilles. Le paradis existait ? Il était si proche de son but, de l’extermination totale des elfes noirs et voilà qu’une histoire imaginaire se dressait devant lui ?

Il rengaina ses armes et suivit le mouvement, désorienté et perdu. Il ne fallut que quelques moments de marche pour voir apparaître à l’horizon la cime des arbres derrière un lac à l’eau transparente.

L’évidence s’imposa : le paradis promis existait bel et bien. L’effet était saisissant ! Les terres noires s’arrêtaient nettes au lac derrière lequel apparaissait à une jungle luxuriante, peuplée d’oiseaux dont on entendait les cris des lieux à la ronde.

- Tu es notre sauveur, dit Khala. Celui qui sait, qui mène, qui élève. Les femmes sont forcément ici. Nous allons pouvoir les retrouver, les convaincre de revenir en leur promettant notre plus proche protection. Tout redeviendra comme avant. Tu nous as guidés jusqu’ici. Tu nous as soutenus, encouragés et accompagnés malgré ta douleur intense que tu cherches à cacher. Narhem, tu es notre roi.

Narhem entendit les ovations dans son dos. Les elfes noirs scandèrent son nom et Narhem, bien que flatté, ne put s’empêcher de grimacer. Se sentir vénéré n’était pas pour lui déplaire mais il aurait préféré qu’ils soient morts plutôt que fanatiques.

Quelques elfes noirs s’approchèrent de l’eau, prêts à la boire, lorsqu’une femme humaine à la peau noire portant une simple tunique blanche apparut à quelques pas devant Narhem et Khala. Toute l’armée se figea de stupeur.

La femme observa un peu partout, plissa les yeux, fronça les sourcils puis s’exclama dans un amhric parfait :

- C’est tout ce qu’ils ont trouvé ? Quelques combattants classiques et un humain ? C’est insultant et déshonorant pour eux. Ils croient quoi ? Que je vais me laisser attendrir parce qu’un humain est présent ? Allez vous faire foutre. Barrez-vous !

Narhem et Khala en restèrent figés de stupeur.

- J’ai commis une erreur, d’accord, hurla-t-elle. Je le regrette. Je suis rongée de remords et oui, j’aurais dû les écouter. J’ai essayé de réparer mon erreur. J’ai dévoué ma vie à protéger ce monde et ils me méprisent de cette façon ?

Narhem ne sut trop quoi répondre. Cette femme énervée n’était clairement pas ouverte au dialogue. Impossible d’en placer une.

- Retournez d’où vous venez et transmettez leur mon message : j’ai compris. Je reconnais mes erreurs. Protéger cette jungle est tout ce que je peux faire pour essayer de réparer le mal que j’ai fait. Puisque vous êtes là, c’est qu’ils possèdent la solution, alors qu’ils viennent me l’enseigner au lieu de tenter de me détruire d’une manière aussi pitoyable ! Ils valent mieux que ça et moi aussi !

La femme se retourna, s’avança vers le lac. Elle marcha sur l’eau puis disparut sans un bruit, laissant coi l’intégralité des survivants de la longue marche.

- Tu as compris quelque chose ? demanda Narhem et Khala secoua négativement la tête.

- On fait quoi ? demanda Khala.

Narhem n’eut pas le temps de répondre quoi que ce soit. Alors que quelques elfes noirs, assoiffés, se penchaient sur l’eau pour la boire, l’éclaireur se mit à suffoquer. Il tomba à genoux, cracha du sang puis s’écroula.

- L’eau est empoisonnée ! cria quelqu’un que Narhem ne fut pas en mesure de repérer.

- Cette jungle est maudite ! dit un autre soldat.

La panique s’empara du groupe. Narhem constata, incrédule, la dispersion de l’armée dans toutes les directions. Les elfes noirs fuyaient, repartant en arrière, courant à toutes jambes, loin de cette eau aux pouvoirs démoniaques.

- Qu’est-ce qu’on... ? commença Narhem avant de constater que Khala avait disparu.

Il regarda autour de lui et le vit fuir, s’enfonçant profondément dans les terres sombres. Narhem observa à droite, à gauche, devant, derrière, plus un elfe noir. Il sourit. Il avait réussi. C’était… presque trop facile.

- Merci ! dit-il en direction de la jungle, sans trop savoir si la femme allait l’entendre.

Une intense fatigue lui rappela que ses forces déclinaient rapidement sur ces terres maudites. Il se repéra grâce au soleil et décida que la survie serait vers l’est. Il ferma les yeux, inspira plusieurs fois et grimaça. Il avait fini sa gourde de Fenshy en prévision du combat qui n’avait finalement pas eu lieu. Il grimaça. La marche promettait d’être difficile.

- De quoi ? gronda une voix féminine près de lui.

Il se tourna pour constater la présence de la femme en blanc.

- D’avoir terminé d’exterminer les elfes noirs pour moi. Je ne savais pas comment me débarrasser de ces créatures maléfiques. Aujourd’hui, j’ai enfin davantage de vies d’elfes noirs sur les mains que d’êtres humains. La balance penche enfin dans le bon sens et tu y as un peu contribué alors merci.

La femme resta muette de stupéfaction puis se reprit.

- Tu as… exterminé les elfes noirs ?

- C’était les derniers, indiqua Narhem en désignant le désert noir dans son dos.

Il espérait bien que c’était le cas. Si les esclaves avaient agi comme il le leur avait demandé, L’Jor était désormais habité par des humains.

- Comment as-tu pu vaincre les eoshen ?

- Je les ai réduits au silence, précisa Narhem en souriant. La magie est contre nature. Elle ne sait que détruire, tuer, faire souffrir. Elle doit être contrainte à l’inexistence.

La femme ferma les yeux un instant. Lorsqu’elle les rouvrit, son visage était grave et sévère.

- Tu accuses la magie de tuer ? Les eoshen étaient dévoués à leur peuple. Ils les soignaient, les aidaient, résolvaient leurs disputes, guérissaient les malades et les blessés. Jamais je n’ai croisé d’être plus altruiste qu’eux.

- La magie engendre le mal, accusa Narhem. Vois ce qu’elle a fait à ces terres !

- Les eoshen connaissaient les limites et la manipulaient avec toutes les précautions néc…

- La magie engendre le mal, répéta Narhem en lui coupant la parole. Toute magie se doit d’être détruite, tout utilisateur tué, brûlé vif de préférence.

- Les elfes noirs sont morts parce qu’ils acceptaient l’usage de la magie ?

- Non, précisa Narhem. Ils sont morts parce que ce sont des démons maléfiques, des marchands d’esclaves aimant le sang et la mort.

- D’une minorité tu as…

- J’ai également permis que les orcs disparaissent.

- Les orcs ? répéta le femme abasourdie. Ces bêtes loyales, fidèles, fortes et puissantes ? Ce sont des animaux. Pourquoi as-tu…

- Elles sont sales, puantes, répugnantes, malsaines et perverses. Elles méritaient leur sort. Ce monde est enfin pur, débarrassé du mal qui l’habitait.

- Tu accuses la magie de tuer mais combien de morts as-tu sur tes mains ?

- Deux peuples entiers, se réjouit Narhem.

La femme blêmit puis son regard se fit noir et transperçant.

- La balance penche du bon côté, c’est ça ? Je vais te montrer que la magie ne tue pas.

Elle plissa des yeux, pencha un peu la tête de côté puis annonça :

- Je t’offre la vie éternelle. Ainsi, tu verras les humains mourir, les uns après les autres, impuissant devant le plus grand meurtrier au monde : le temps. Et pour être certaine que tu n’utiliseras pas ce cadeau à mauvais escient, tu porteras également la fidélité à la terre. Ainsi, toute personne qui te sera fidèle devra rester sur tes terres ou mourir. Va-t-en et vois les tiens périr, les uns après les autres. Reviens quand la balance penchera enfin dans l’autre sens. Peut-être alors accepterai-je de te libérer de ce fardeau…

Narhem regarda la femme qui se retourna et disparut dans la jungle. Il cligna plusieurs fois des yeux puis décida de partir. Il n’avait plus rien à faire ici.

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Calhambra
Posté le 07/09/2023
Je suis vraiment d'avoir choisir ce roman pour tester ce site car je l'aime beaucoup.

Comme je lis assez vite (dans le peu de temps que j'ai de libre) je ne commente pas chaque chapitre.

Comme prévu Narhem est toujours sympa à détester même si j'apprécie son bon sens et qu'il ait trouvé les bons points du système social des elfes noirs (pas de pauvreté). Cela le rend un peu moins détestable et plus humain. Je comprends son envie de se venger après sa mésaventure avec les orcs (je met un joli mot sur l'horreur haha).

J'ai vraiment hâte de retrouver Bintou car même si j'aime les 2 autres personnages le côté sorcière herboriste attise ma curiosité !!!
J'ai beaucoup apprécié voir citer précédemment des cultures dont on parle peu aujourd'hui (nigelle, sorgho) cela montre le travail d'écriture.

Bravo Nathalie
Nathalie
Posté le 07/09/2023
Bonjour Calhambra

Il n'y a aucune obligation de commenter chaque chapitre. Tu commentes ce que tu veux, quand tu veux ! Le but est surtout d'avoir une lecture plaisir !

Narhem est détestable mais il a un bon fond et il vit des trucs horribles. On passe du tout au tout avec lui :)

Bintou semble être le personnage préféré de beaucoup de lecteurs. C'est sympa car c'est la plus atypique.

Je fais beaucoup de recherches quand j'écris. C'est super que ça se voit !

Merci encore pour tes supers commentaires qui m'encouragent beaucoup !

Bonne lecture !
blairelle
Posté le 01/09/2023
D'accord, je comprends mieux, les trois histoires ne sont pas dans la même temporalité : Bintou < Narhem < Elian.
C'est après la capture de Bintou que les elfes noirs ont pris la décision de déshabiller tous leurs captifs sur place, pour s'assurer que ce sont des mâles.
Bintou a "commis une erreur" qui est probablement à l'origine de l'existence des terres noires.
Narhem a exterminé les elfes noirs, sauf une petite minorité, dont Khala. Khala a pris la tête des survivants et ils... je ne sais pas mais ils se sont retrouvés en conflit avec les humains de F-machin (oui, je ne retiens pas les noms, je sais juste que c'est un royaume qui commence par F).
Pendant ce temps, des elfes des bois qui viennent d'on ne sait où subissent aussi les conséquences des terres noires et doivent se replier à I-machin sous la direction d'Ariane. Oh d'ailleurs si ça se trouve les elfes des bois sont en fait des elfes noirs qui ont été victimes de la malédiction de la terre noire... bon là je pars loin.
Et c'est bien plus tard qu'Elian tue Khala, roi des elfes noirs exaspéré par le fait que les elfes des bois ne pensent qu'à baiser.
blairelle
Posté le 01/09/2023
Et sinon
- Majesté ? Le précédent roi était en train de tenir audience. Le peuple venait faire ses doléances. Souhaitez-vous poursuivre la séance ou la faire annuler ?
Ça m'a fait rire. Genre il vient de faire un coup d'état et il y a une armée d'elfes noirs qui a envahi le pays, mais on reprend tranquillement les audiences. Ils se rendent alors compte que leur roi est incompétent et décident de le noyer dans le luxe pour qu'il ne fiche plus rien.
Nathalie
Posté le 01/09/2023
Coucou blairelle

Super. Tu as saisi la temporalité. C'est exactement ça. C'est suite à l'erreur "Bintou" que les elfes noirs ont décidé de déshabiller leurs prises.

Merci encore pour tes suppositions 😊

Roi incompétent, ou comment occuper quelqu'un pour le détourner du pouvoir.

Bonne lecture !
blairelle
Posté le 22/10/2023
Salut,
Après relecture je trouve que le début du premier règne de Narhem sur Eoxit est quelque peu incohérent. Au début il arrive en voulant être le meilleur roi possible, il fait un coup d'état, prend le pouvoir, on lui propose de mener une audience, il se rend compte que la politique est mal faite, et hop il sombre dans la luxure et les plaisirs.
Tel que Narhem est décrit, il ne devrait pas se décourager et se laisser avoir aussi vite.
Personnellement je trouverais ça plus logique que, soit il essaie vraiment de régner et de s'attaquer aux institutions politiques (mais les nobles lui mettent des bâtons dans les roues et lui font croire que tout le monde l'aime et que tout marche très bien alors qu'en fait ça continue juste comme avant), soit les nobles eoxans ne lui proposent jamais de tenir l'audience et se précipitent dès le début sur ce roi dangereux pour le noyer dans le luxe et éviter les emmerdes.
Sinon le passage avec Bintou, quand on sait qu'en fait la fin de la malédiction a été prononcée par Amadou parce que Bintou était beaucoup trop affectée et que d'ailleurs c'est Faïza qui a projeté à sa place, c'est trop cool de le relire après coup.
Nathalie
Posté le 22/10/2023
Salut

Narhem se fait avoir en beauté. Il arrive avec toute la bonne volonté du monde (et beaucoup de naïveté) après des années et des années privé du savoir vivre humain. Les autres sentent une ouverture, tentent et l'autre suit avec une facilité déconcertante. Dire que Narhem est en manque est une litote. L'intendant lui propose de tenir audience parce que, pris au dépourvu, c'est tout ce qui lui vient à l'esprit mais le reste de la noblesse va vite redresser la barre en envoyant femme, tailleur et bouffe.

Le passage avec Bintou est effectivement intéressant à relire par la suite. On se rend compte que je ne mens pas à mes lecteurs, je me contente de donner le point de vue du personnage suivi et sa vision de la réalité n'est pas forcément la plus juste qui soit.
blairelle
Posté le 22/10/2023
OK !
Lilisa
Posté le 13/06/2023
Bonjour,

J'ai beaucoup aimé ce chapitre, bien que je sois plus fan d'Elian.

Cependant, une interrogation subsiste : dans le dernier chapitre d'Elian, on peut lire qu'elle tue Khala quand celui-ci veut l'assassiner. Or, Khala est l'un des personnages principaux de ce chapitre. Comment est-ce possible ? La scène se passe-t-elle avant ou bien est-ce un autre Khala ? Par ailleurs, Khala se présente à Elian comme le roi des elfes noirs, et nous apprenons dans ce chapitre que c'est Narhem. Y a-t-il plusieurs peuples des elfes noirs ?

Malgré ces questions, j'ai adoré le chapitre et ai hâte de lire la suite.
Nathalie
Posté le 13/06/2023
Bonjour Lilisa

Les trois personnages principaux sont très différents les uns des autres. Ca me parait normal d'avoir son préféré ;)

Je suis ravie de constater que certains de mes lecteurs sont perspicaces et se posent les bonnes questions. Toutes les réponses seront données dans le texte. Si jamais, à la fin du roman, il te reste des questions en suspens, surtout, n'hésite pas à me le dire mais normalement, tout viendra (mais parfois, il faudra être patient).
Lilisa
Posté le 13/06/2023
Quel suspens intenable !
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