— Tu es sûre ?
Gwenladys hocha difficilement la tête. Ses yeux bouffis ne pouvaient mentir sur les larmes qu’elle avait répandu, néanmoins elle affichait un air calme. Cette apparente sérénité meurtrit le cœur de Kurtis aussi sûrement que l’auraient fait d’infinis sanglots. Il posa une main hésitante sur l’épaule de la Silvancte qui évitait son regard. Maig l’imita, ne contenant pas son expression attristée. Tapis à l’ombre d’un frêne, les trois Sylviens pouvaient enfin parler à cœur ouvert. Les semaines précédentes, Kurtis s’était rapproché de la condamnée et avait découvert avec autant de peine que de joie une amie fidèle et vaillante.
— J’ai beaucoup saigné, il n’y a pas de doutes. Je ne pensais pas que ça arriverait si tard après la cérémonie, mais je ne peux pas me voiler la face : l’enfant a quitté mon corps.
Kurtis et Maig échangèrent un regard lourd, dégoûtés à l’idée du soulagement que cela procurerait à leurs camarades. Bien sûr, personne ne se montrerait ouvertement heureux, l’affliction fausse qu’ils ne manqueraient pas de montrer n’en serait que plus blessante.
— Ne vous en faites pas pour moi, je m’y étais préparée.
Gwenladys laissa courir ses prunelles brillantes sur le sol.
— Et puis… je suis presque soulagée qu’iel n’ait pas à vivre comme ça.
— C’est injuste… murmura Kurtis, et la vérité absolue de cette évidence lui parut d’autant plus sinistre.
— Écoutez, déclara Gwenladys, je vous suis reconnaissante de votre attitude envers moi. Je vous remercie du plus profond de mon cœur mais…
Kurtis l’interrompit en poussant un cri. Une explosion de douleur en provenance de sa terre natale l’avait percuté.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Maig d’un air inquiet.
— Mon village… il se passe quelque chose… Désolée je dois y aller.
Il se redressa, fiévreux, et courut jusqu’à la triple hutte des Ardyens. Un groupe agité s’était déjà réuni devant. Il croisa les regards anxieux de ses sœurs et des autres Arsalaïs, réalisant avec angoisse que si tout le monde avait perçu le cri de détresse, la situation devait être catastrophique. Il rejoignit Isbail et Oanell qui tendaient avec angoisse leurs sens dans le Monde Invisible pour démêler cette masse de souffrance. Mais impossible de percevoir une pensée construite dans les hurlements silencieux qui venaient les frapper par vagues. C’est alors qu’Hênora les rejoignit, marchant bien plus rapidement que d’habitude. Son sceptre tapait le sol au rythme de ses pas, un pli discret s’était formé au coin de son sourcil, brisant le masque d’impassibilité que Kurtis l’avait toujours vu afficher.
— Ils subissent une attaque de rebelles, lança-t-elle aux Laevis. Probablement ceux que vous avez vous-même attaqué l’an dernier.
Cette déclaration glaça l’assistance. Le cœur de Kurtis rata un battement, sa vision chavira.
— Mais la trêve n’est pas terminée ! s’exclama Keira.
Sa phrase se perdit dans la terreur qui avait envahi l’air. Des cris d’effroi jaillissaient, les regards se perdaient, hagards.
Mais tous s’immobilisèrent quand Hênora abattit violemment la pointe de son sceptre contre le sol. L’assemblée rejointe par des Sylviens curieux et inquiets sursauta d’un mouvement unanime.
— Je peux faire quelque chose, déclara posément l’Élue.
Un silence absolu accueillit ces mots, vite suivi d’un espoir tout aussi intense.
Hênora prit une ample inspiration avant de lever son sceptre vers le ciel. L’Embryon parut s’illuminer de l’intérieur. Une vibration traversa l’atmosphère. Le Silh se tordit soudain avant de converger en tourbillonnant vers Hênora, brouillant les sens de Kurtis. Le flux spirituel forma une tornade invisible mais si puissante que même les moins sensibles la perçurent. Puis, l’énergie monstrueuse que cela représentait jaillit en un rayon concentré vers le ciel.
Kurtis peinait à rester debout, il tremblait de tous ses membres. Il contempla, les yeux écarquillés, une aurore boréale apparaître dans la nuit étoilée. Puis, Hênora orienta l’énergie vers Beagal, les lumières émeraudes suivirent, galopant dans sa direction, exhibant leur puissance magnifique.
— C’est un miracle… souffla quelqu’un.
Les jambes de Kurtis cédèrent, il s’affala au sol sans cesser de fixer l’aurore. Partout autour de lui, le Silh était drainé par un vortex immense. Il parvint à détacher son regard du ciel pour le tourner vers Hênora.
L’Élue n’avait pas bougé, débout, le bras levé, le sceptre éclatant.
Un véritable miracle.
*
Brûlée, brûlée vive. Rongée, mordue, déchirée.
Détruite.
Le bois n’est plus, la chair non plus.
Brûlé, le cœur qui battait contre moi.
Brûlée, moi.
Consumée, la promesse.
Consumé.
L’espoir.
*
Les bruits de la bataille étaient retentissants, les odeurs presque palpables. Daïré entrouvrit difficilement les yeux. Sa vision était terne et floue. Elle se redressa, chancelante. Elle avait sans doute perdu conscience pendant seulement quelques minutes. La réalité de la mort d’Aelig la frappa de nouveau, son visage fut inondé de larmes. Alors qu’elle portait sa main à ses joues pour les essuyer, elle se figea.
Elle n’avait plus de main. À la place de ses paumes et de ses doigts se trouvait une immense aile de chauve-souris. Daïré contempla, hébétée, ce corps qui n’était pas le sien. La membrane de ses deux ailes fusionnait le long de son torse et de ses jambes jusqu’à ses genoux. Ses jambes, d’ailleurs, avaient réduit de moitié et s’était pourvues de doigts griffus et squelettiques. Sa poitrine était couverte de poils bruns qui laissaient peu à peu place à une peau humaine au niveau du cou. Son totem avait disparu derrière cette fourrure.
Son totem. Le renard volant.
Daïré réalisa, effarée, que quelqu’un avait amplifié ses pouvoirs totémiques, mais la puissance qu’il fallait pour parvenir à une métamorphose partielle était colossale. Qui pouvait en être capable ?
Elle n’eut pas le temps d’approfondir la question, le Monde Invisible se rappela à elle. Une avalanche de pensées, d’émotions, de douleur s’abattit sur elle. Elle avait une conscience aiguë de chaque être — hormis les Maudits — présent dans la forêt. C’était brouillon, mais cette nouvelle perception était sans conteste au moins égale à celle qu’offrait le Cercle.
Daïré parvint à se relever sur ses jambes atrophiées. Elle serrait les dents, ses yeux, eux, déversaient un flot de larmes sur ses joues. Elle n’avait pas besoin de la souffrance des autres pour se sentir creuse, et pourtant l’amas de douleur qui lui parvenait ne semblait pas vouloir se tarir. Elle déglutit difficilement, balayant le paysage du regard. Elle cherchait à reprendre pied dans la réalité déformée par sa vision de chiroptère. Ses yeux s’arrêtèrent sur un incendie qui grignotait la forêt, au loin. Elle savait que là-bas se trouvait la Maudite qui avait fait tant de ravage lors de la bataille de la Cité des ombres, et qui continuait de leur infliger de lourdes pertes. Dont Aelig.
Cette simple pensée suffit à embraser Daïré. Ses larmes se tarirent et ses prunelles se durcirent. Elle chassa la peine au profit de la haine. Elle se laissa envahir par cette force abyssale. Jamais elle n’avait été imprégnée d’un sentiment aussi noir. Elle voulait faire souffrir, elle voulait tuer.
Daïré ouvrit ses ailes et s’envola. D’abord hésitante, elle finit par lâcher prise. Un instinct qu’elle ne connaissait pas prit la relève et l’aida à s’élever. Elle perça la voûte de feuilles.
Elle se retrouva dans un monde étrange. Tout était calme ici, seule la caresse du vent venait troubler le silence du ciel. Ce dernier d’ailleurs, n’avait jamais été aussi éclatant, aussi beau. Les étoiles étaient plus que jamais reines de la nuit et l’astre opalescent de la lune faisait figure de déesse. Et puis, il y avait cette aurore incongrue qui teintait l’encre de la voûte céleste de couleurs chatoyantes. Daïré n’en avait jamais vu, mais elle avait lu des descriptions de ce phénomène dans des parchemins nordiques. Selon les Anciens, les aurores étaient la manifestation de la danse des Esprits qui réussissait à imprégner le monde tangible.
Les rumeurs de la bataille paraissaient lointaines tout d’un coup. La haine de Daïré semblait être intruse.
La jeune femme caressa l’idée de se laisser porter par le vent, de s’oublier dans le firmament. Elle se prit à s’élever, à danser avec les Esprits verdoyants. Mais un discret jet de flammes, pourtant insignifiant, en contrebas, la fit chuter. Les tentacules noirs de la haine imbibèrent de nouveau son esprit. Après un dernier regard vers l’aurore qui semblait vouloir la retenir, elle plongea vers le cœur de l’incendie.
Elle localisa vite son ennemie. La Porteuse essayait visiblement de contenir le brasier pour qu’il ne touche pas ses hommes. Ridicule.
L’Arsalaï stoppa sa chute, quelques coudées au-dessus de sa cible. L’espace d’un instant, les contours noirs de ses ailes cachèrent la lune et formèrent une ombre dentelée sur la Maudite. Cette dernière releva vivement la tête. La moitié de son visage était brulé, preuve qu’elle ne parvenait pas souvent à se contenir. Elle lança un jet de flammes vers Daïré.
La Sylvienne esquiva, un léger sourire se tordit sur ses lèvres. L’ennemie ne se découragea pas et recommença. Daïré sentit la chaleur des flammes la frôler, mais elle était insaisissable. L’ivresse du vol la prit, elle multiplia les provocations en voligeant au-dessus de la Porteuse.
Celle-ci finit par comprendre que de petites langues de feu ne l’atteindraient pas. Elle rassembla alors le brasier en une tornade rugissante. Un cyclone incandescent se forma, tourbillonnant furieusement. La chaleur qui en émanait était intense, ravageuse. Le vortex ardent sembla se ramasser sur lui-même, avalant mes arbres aux alentours, les consumant comme de vulgaires brindilles.
L’immense colonne de flammes bondit vers le ciel.
Daïré crut qu’elle ne parviendrait pas à l’éviter. Elle sentit le brasier l’effleurer. Elle faillit lâcher prise, mais un réflexe enragé lui fit donner un puissant coup d’aile. Elle fut éjectée, ses sens brouillés, et retomba sur le côté tandis que les flammes dévoraient le ciel. Elle parvint à se reprendre juste au-dessus de la canopée. Son cœur hurlait dans ses temps, mais elle l’ignora et conserva un calme apparent. Elle revint projeter son ombre sur son adversaire. Les deux femmes s’affrontèrent du regard. Dans l’œil vivant qui la défiait, Daïré ne vit pas de haine, seulement la rage de vaincre. Et dans l’œil mort pointé sur elle, du respect. Cela ne fit qu’augmenter sa colère. Elle fondit sur son ennemie et manqua de se faire brûler vive. C’est alors qu’un des hommes de la Maudite se mit à hurler, la tornade de feu l’avait atteint. Il n’était plus qu’une torche mouvante et particulièrement bruyante. La maîtresse des flammes jeta ses mains vers le soldat et les replia vers elle, le feu suivit ce mouvement. C’était plus qu’il n’en fallait à Daïré.
Elle tendit ses pieds hybrides en avant à la manière des serres d’un rapace. Elle tomba lourdement sur son adversaire en saisissant son cou entre ses griffes. La Porteuse poussa un bref grognement et accusa le coup, elle s’affala à genoux mais résista à la charge.
Des flammes rageuses bondirent vers Daïré qui enserra plus fort le cou de son adversaire. Le feu parut être arrêté, mais il jaillit de nouveau vers elle. L’Arsalaï planta alors ses yeux dans la prunelle unique de son ennemie. Elle plongea dans son esprit pour y semer le chaos. Aussitôt, une vive douleur cingla. L’âme des Maudits était toxique, elle eut l’impression de se désagréger. Mais elle ne recula pas, elle attaqua l’esprit adverse avec d’autant plus de hargne. Des griffes invisibles semblaient la déchiqueter. Daïré poussa un cri de rage qui lui déchira la gorge, elle ne voyait ni n’entendait plus rien. Elle était incapable de savoir si les flammes l’avaient touchée, seul persistait l’acide puissant de cet esprit étranger. Au milieu de ce brasier acéré, une sensation parvint à la conscience de Daïré.
Elle réintégra la réalité avec violence. Maxima venait de planter un couteau dans son torse. Cette fois, l’œil de la Maudite flamboyait d’une rage haineuse. Elles échangèrent un regard ardent. Puis, Daïré fit claquer ses ailes et brisa la nuque de son adversaire.
Le corps de Maxima s’affaissa mollement au sol. Toute la force contenue dans cet être s’évanouit en un fragment de seconde. Le brasier reflua un peu, mais les flammes avaient trouvé dans la forêt de quoi se repaître et grandir. Daïré s’éleva dans le ciel, mais retomba vite. Le poignard s’était enfoncé au-dessous de sa clavicule droite et jetait son sang à l’extérieur. La lame restait accrochée à sa chair, avide.
La jeune femme se fit violence pour prendre son envol. Chaque coup d’aile faisait jaillir une douleur plus cuisante. Mais elle n’avait pas le choix, elle devait s’éloigner de l’incendie. Elle vit le corps de Maxima être consumé par des flammes sombres et floues.
Daïré perdit la notion du temps. Elle se contentait de voler, saisissant toutes ses forces pour lutter contre la douleur. Insensible à l’aurore qui continuait d’onduler dans le ciel, elle finit par être irrémédiablement attirée par le sol. Elle s’échoua à terre avec un gémissement. Sans mains impossible de retirer le poignard. Mais cette blessure était insignifiante à côté de la véritable souffrance de la jeune femme. Elle se roula en boule, s’entourant de ses ailes comme d’un cocon. Les larmes libérées dévalèrent ses joues et des sanglots se mirent à secouer son corps. Pourtant, elle eut à peine le temps de pleurer avant de sombrer dans l’inconscience.
*
Flaé était lancé à vivre allure, ses sabots martelaient le sol en un tonnerre effréné. Asha était courbée sur le dos de sa monture. Sous la capuche de la cape de Lohan, ses yeux étincelaient d’angoisse. La rumeur de la guerre lui parvenait faiblement.
Asha avait laissé Eryn aux soins de Clervie. Elle pensait — elle voulait penser — qu’elle lui faisait confiance. Mais elle n’avait cessé de jeter des regards fiévreux en arrière depuis le début de son voyage. Du moins jusqu’à ce qu’elle arrive à la Frontière de Beagal. L’étreinte aussi chaleureuse qu’acérée de sa terre natale avait jeté ses prunelles en avant. Dès lors, Flaé n’avait plus ralenti.
Un éclat vif perça dans la forêt, Asha plissa les yeux, éblouie. Heureusement, l’éclat était trop lointain pour lui causer plus de dommage. Flaé hennit et ralentit en secouant la tête. Harassé, il eut le plus grand mal à accélérer de nouveau sa course. La jeune femme caressa son encolure de sa main tremblante.
— Merci… murmura-t-elle à son étalon.
Le galop de sa monture se fit plus tonitruant. Asha reporta son regard en face d’elle. La lueur d’un incendie lui parvenait, cette simple vision suffit à planter une aiguille intangible dans son cœur.
Lorsque Lohan l’avait prévenue de l’attaque, elle avait tenté de transmettre l’information aux siens par le biais d’une projection. Mais en mourant une seconde fois, elle avait de nouveau perdu le Lien de Keira. Sans cela, impossible de s’orienter dans le Silh. À vrai dire, elle avait réussi à atteindre Moïa, mais cette dernière étant renfermée sur elle-même à cause d’un mal inconnu, elle n’avait pu que lui souffler la sombre nouvelle.
Mais désormais, Asha était proche des siens. Elle baignait dans ce Silh à la saveur si nostalgique. De ce fait, la souffrance de ses pairs rayonnait pour elle comme un feu de joie dans une nuit sans lune. Elle pressa encore Flaé, elle s’en voulait de le maltraiter ainsi. Mais il obtempéra et parvint à accélérer le rythme déjà empressé de ses pas.
Il fallait qu’elle atteigne la bataille, et surtout, qu’elle atteigne Lohan. Elle n’avait plus réussi à le joindre, son esprit était comme verrouillé. Alors, elle devait lui parler en face, il était le seul sur lequel elle pouvait compter pour arrêter le massacre.
À mesure qu’elle s’approchait des combats, la perception de la douleur se faisait croissante. Elle serra les dents, ses larmes s’envolèrent dans le vent. Il fallait qu’elle tente quelque chose, n’importe quoi.
Soudain, une lumière étrange vint baigner le ciel. Un vert opalescent qui dansait au-dessus de la canopée. La Silh parut s’embraser, mais le torrent spirituel effleura à peine Asha. Elle avait l’impression qu’il l’évitait. Elle leva les yeux vers les morceaux d’aurore ondoyants qu’elle pouvait voir. Qui donc était capable de cet exploit ?
Flaé stoppa net lorsqu’ils arrivèrent à proximité de la bataille, le phénomène étrange disparut des pensées d’Asha. L’air ambiant était saturé de cris, de râles et de gémissement, l’odeur ferreuse du sang était palpable. Un incendie avait déjà dévoré un bosquet entier, il semblait s’étendre sans contrôle. Asha sauta de selle et congédia son cheval trempé de sueur. Elle ne voulait pas le mettre plus en danger. De toute manière, il était trop épuisé pour faire un pas de plus.
La jeune femme s’avança, les brindilles craquaient sous ses pieds. Ses yeux tombèrent sur un cadavre. Il s’agissait d’un combattant rebelle. Son visage tourné vers le ciel exprimait un profond effroi. Asha sentit la nausée alourdir son ventre, elle était prise de tremblements incontrôlables. Elle se fit violence pour enjamber le cadavre et marcher vers l’œil du cyclone.
Elle aperçut quatre soldats à quelques pas d’elle. Trois était des camarades de Lohan, ils avaient acculé un Sylvien et le harcelaient. Ce dernier était à bouts. La jeune femme resta figée face à ce spectacle. Un des rebelles abattit une massue sur le crâne du Hekaour qui s’effondra, un autre voulut alors l’achever.
Asha bondit en avant. Elle assomma d’un coup sec sur la nuque le soldat. Les deux autres firent volte-face vers elle. Elle esquiva un coup, puis un autre. L’entraînement militaire qui avait gangrené son enfance devint soudain salvateur. Elle saisit une dague qui gisait au sol en roulant sur le côté. Elle sectionna les tendons d’un adversaire qui s’effondra en criant. L’autre lui donna plus de fil à retordre. Mais il était blessé et visiblement épuisé. Asha vit une ouverture dans sa garde. Elle grimaça mais décida de ne pas laisser filer l’occasion. Elle jeta son genou dans l’entrejambe du rebelle. Ce dernier poussa un bref cri et s’effondra avec un couinement. Il se recroquevilla en gémissant sur le sol, permettant à Asha de l’assommer lui aussi.
Elle prit une douloureuse inspiration.
— Pardon… balbutia-t-elle avant de continuer son chemin.
Mais elle ne put avancer davantage. L’incendie rugissait dans sa direction. Les combats semblaient continuer, pourtant. Elle serra les dents, tentant de contourner les flammes. Le feu avide manqua de la lécher plusieurs fois. La chaleur palpait sa peau et la fumée grattait sa gorge. Elle finit par s’éloigner en toussant. Les larmes vinrent rafraîchir ses joues. Elle jeta un regard assassin à l’incendie.
Lohan ! appela-t-elle désespérément.
À sa grande surprise, sa pensée l’atteignit. Elle s’immergea dans son Sanctuaire.
La plaine était agitée de tourbillon de cendres furieuses, le ciel congestionné de nuages orageux. Et la terre tourmentée grondait comme si elle allait s’effondrer.
— Asha !
Lohan tourna son regard vers elle. Il la voyait, mais ses iris sombres la fuyaient. Elle se précipita vers lui.
— J’ai besoin de ton aide !
— Où es-tu ? J’ai l’impression que tu es proche.
— Il faut arrêter cette guerre !
— Tu ne devrais pas être ici, tu es en danger !
— Lohan !
De sa voix impérieuse, elle ramena son regard sur elle.
— Tu dois intercéder auprès de ta cheffe pour faire cesser ce massacre.
— Je ne peux pas.
— Pourquoi ?
— Parce que je ne suis pas dans ton camp ! Cette attaque est une formidable opportunité pour nous !
Asha se tut, un soupçon de rage gronda en elle.
— Une « formidable » opportunité ? Comment peux-tu dire ça ?
— C’est ainsi, Asha.
— Non !
Elle frappa le sol de son pied furieux. Une fissure se forma dans la roche sombre.
— Tu sais que c’est injuste. Tu le sais. Et je sais que tu ne veux pas réellement ça.
— Qu’est-ce que tu sais de ma volonté ?! rugit-il.
Il se reprit et se força à se calmer.
— Va-t’en, siffla-t-il. Laisse-moi tranquille.
Le vent se mit à hurler plus fort, la fissure émit des craquements de mauvais augure sous le pied d’Asha. Elle laissa libre court aux larmes qui lui venaient. Mais elle ne laissa pas la place au désespoir.
— Lohan, s’il te plaît. Si tu ne le fais pas pour les autres, fais-le pour moi.
— Tais-toi.
— Lohan.
Il détourna la tête, mais ses cheveux furent soulevés par une bourrasque qui dévoila son expression torturée.
— Fais le pour toi, souffla-t-elle.
— Je t’ai dit de te taire !
Il la poussa violemment en arrière, elle chancela. La panique la prit, ses jambes ne voulaient plus la soutenir. Elle s’effondra au sol.
— Va-t’en, sors de mon esprit, entendit-elle.
Ses prunelles emplies de larmes tombèrent sur la fissure qui traçait sur le sol un sillon de néant. Il s’allongeait nonchalamment, traçant une frontière entre elle et Lohan.
— Tu n’as pas le droit… balbutia-t-elle. Pas après tout ce que tu m’as fait…
Mais il était parti, elle était seule dans la tempête, aspergée de cendres tranchantes.
— Tu n’as pas le droit ! hurla-t-elle rageusement.
Mais son cri se perdit dans la tourmente.
Alors, la fissure devint gouffre. Une gueule béante s’ouvrit dans un grondement apocalyptique. Le sol bascula, Asha fut entraînée malgré elle. En un instant, elle fut engloutie par le néant.
Elle réintégra brutalement le monde tangible. Elle s’effondra dans un sanglot, ignorant le feu qui rampait vers elle.
Elle en avait assez. Si même Lohan ne l’écoutait pas, que pouvait-elle faire ? Elle était insignifiante. Ses rêves de paix n’était que des illusions d’enfants.
Elle aurait dû mourir pour de bon, ce jour-là.
Un bruit sec et sourd retentit. Une respiration rauque se fit entendre. Pas à pas, les bruits s’approchèrent. Un homme en armure apparut. Il n’avait pas de heaume. Son visage était éclaboussé de sang, mais elle le reconnut sans mal. Elle se figea.
— Conan… souffla-t-elle.
*
Conan asséna un puissant coup d’épée qui ouvrit le torse de son adversaire en deux. Le Sylvien s’effondra dans un gargouillis. Le jeune homme prit le temps de reprendre sa respiration. Le poids de son armure l’épuisait malgré la protection presque parfaite qu’elle lui offrait. Il avait aussi terriblement chaud et baignait dans sa sueur.
Il jeta un regard alentours, il ne restait pas beaucoup d’ennemis en vie et c’était pour le mieux. Pourtant, la rage de combattre l’habitait toujours. Il aperçut deux de ses camarades aux prises avec un Sylvien déchaîné. Ce dernier luttait comme le démon qu’il était, mais il semblait à bout. Une partie de son crâne portait les cicatrices de vieilles brûlures qui attestaient de sa participation à l’assaut de la Cité des ombres. Une raison de plus pour mettre un terme à sa vie. Conan vint prêter main forte aux deux soldats d’infanterie qui malgré leur surnombre peinaient à résister à la fureur désespérée de leur ennemi. Le jeune homme s’avança, pendant que ses camarades harcelaient le Sylviens, il prépara une attaque. Il vit une ouverture et leva sa lame.
À cet instant une intense lumière verte perça depuis la canopée. Un ruban fantomatique descendit vers le Sylvien pour l’envelopper. Ses iris s’illuminèrent soudain. Il donna un coup surpuissant à un soldat qu’il envoya voler à quelques pas. Sous les yeux médusés des deux autres, il se mit à grandir à vue d’œil. Il prit trois têtes en quelques secondes. Conan, figé de stupeur, voulut parer le coup que le géant lui portait, mais il vit sa lame s’envoler de ses mains. Elle atterrit avec un bruit mat sur le sol, pliée en deux.
Avant qu’il n’ait pu réaliser quoi que ce soit, il se retrouva soulevé de terre. Son heaume quitta sa tête tandis que ses jambes battantes fouettaient la branche d’un arbre. Conan s’envola. Le monde se mit à tourner. Il ressentit un bref moment d’apesanteur avant qu’il ne heurte violemment le sol dans un fracas de métal.
Il perdit connaissance.
*
Conan fut réveillé par une douleur cuisante qui grignotait tout son corps. Il ne savait pas exactement où il avait mal, il avait l’impression d’avoir été brisé en mille morceaux. Il ne sut pas par quel miracle il trouva la force de se relever. La douleur s’affina, il avait probablement les côtes fêlées et le poignet gauche cassé. Sa tête aussi avait un pris un sacré coup. Sa vision ne cessait de tanguer.
Il balaya le paysage du regard. À part des cadavres et des agonisants, il n’y avait plus personne sur les lieux. Et pour cause, la forêt était en feu. Mais que faisait Maxima ?
Il s’appuya contre un arbre et avança lourdement pour échapper aux flammes. Heureusement, l’humidité de la forêt ralentissait l’incendie. Il boitait bas sans trop savoir pourquoi, son genou droit semblait tordu. Des cris lui parvinrent, il vit un soldat courir vers lui.
— Il faut fuir, il faut fuir ! hurla l’homme.
Ses yeux affolés roulaient sur leur orbite.
— Pourquoi ? siffla Conan.
— Le Brasier a été vaincu ! Maxima est morte !
Conan manqua de s’effondrer. Il s’affala contre le tronc d’un arbre.
— Qu’est-ce que tu racontes ?!
— Je l’ai vu ! Elle a été tuée par un démon volant !
Le jeune homme se redressa. Il avait l’impression qu’on lui avait porté un nouveau coup.
— C’est impossible ! cria-t-il. Maxima est invincible, ELLE NE PEUT PAS MOURIR !
Le soldat recula de quelques pas, atterré.
— Crois ce que tu veux, moi… moi je l’ai vu, bégaya-t-il avant de se remettre à courir sans but. Il faut fuir ! Il faut fuir ! Le Brasier a été vaincu ! Maxima est morte !
L’écho de crécerelle de sa voix cisailla l’ouïe de Conan. Il jeta un regard désespéré au mur de flammes qui se rapprochait de lui.
— C’est impossible, murmura-t-il.
Les larmes se mirent à couler. Sa vision se troubla, la chaleur du feu vint le caresser. Seul son instinct le poussa à fuir l’incendie de sa démarche chancelante.
— C’est impossible… impossible…
Plus il se le répétait, plus la réalité devenait tangible. Maxima n’aurait jamais laissé l'incendie se répandre ainsi.
Un rire éraillé perça dans la fournaise. Il aperçut les contours du spectre d’Asha. Une rage intense, plus brûlante que le brasier, s’empara de lui. Il dégaina sa dague — faute d’épée qu’il avait perdue — en hurlant.
— VIENS ICI !
Le rire se perdit dans la forêt, il se mit à courir derrière la silhouette fantomatique qui se glissait entre les arbres. Mais le spectre disparut bien vite de sa vue. Il fut forcé de ralentir, harassé. Un tambour pulsait dans sa boîte crânienne et rendait l’horizon malléable. Il se mit à marcher lentement, sans but.
Maxima était morte.
De nouveau, les larmes. Un flot de tristesse et de rage.
L’écho de sanglots comparables aux siens retentit soudain. Il se tendit. Il s’approcha de la source des pleurs, le regard fiévreux.
Ses iris agrippèrent la vision d’Asha. Contrairement à l’ordinaire, le spectre n’était pas putréfié. Sa tignasse noire bouclée encadrait un visage rond délicatement rosé. Ses taches de rousseur, ses lèvres, ses prunelles bleu pâle, elle était comme dans son souvenir.
— Conan… murmura-t-elle.
Elle se leva, elle était drapée dans une cape ombreuse. Ses yeux brillaient de surprise et d’un soupçon de peur.
D’abord glacé, le jeune homme sentit vite son corps s’embraser. Ce regard larmoyant le mettait au supplice. Le spectre avait trouvé un nouveau moyen de le torturer. Mais il n’allait pas se laisser faire. Il se montrerait digne de la mémoire de Maxima.
— Toi ! rugit-il.
Il se rua sur Asha qui eut un mouvement de recul. D’un puissant coup de poing, il l’envoya à terre. Elle poussa un cri pathétique. Son expression atterrée le percuta. Il la plaqua au sol avec hurlement enragé. Elle ne rit pas, ne se moqua pas de lui. Elle n’eut pas même un sourire narquois. Elle se contentait de le fixer, ses grands yeux affolés l’aspiraient, le torturaient.
— DISPARAIS !
Il leva sa dague, elle eut un hoquet. Pourtant, elle ne se débattit pas.
Il abattit sa lame. Le métal perça la peau juste au-dessus du sein gauche, il rencontra la résistance d’une côte. Alors Conan arracha la dague et la dressa de nouveau. Asha n’avait pas bougé. Il l’abattit une seconde fois. Puis une troisième. Une quatrième.
Et encore une autre.
Il ne sut pas quand elle succomba à ses blessures, il continua de frapper, encore et encore. Il attendait que le corps disparaisse, que le spectre s’évanouisse. Mais elle était toujours là, ses yeux emplis d’une horreur infinie. Il continua jusqu’à ce que sa main couverte de sang ne puisse plus porter la lame.
Alors, il se redressa. Il contempla le cadavre, la respiration rauque. D’un geste frénétique, il retira son gant d’acier et de cuir. Il avait soudain terriblement peur. Il tendit lentement ses doigts. Il toucha la peau et eut un sursaut. Elle était douce, souple, à peine chaude. Comme un véritable corps.
Il retira vivement sa main comme s’il s’était brûlé. Il recula, ses membres étaient agités de soubresauts nerveux. Le regard de la morte sembla le suivre.
Conan hurla.
1-
- — Mon village… il se passe quelque chose… Désolée je dois y aller. (“Désolé” c’est kurtis qui parle)
- À la place de ses paumes et de ses doigts se trouvait une immense aile de chauve-souris. (…) Son totem. Le renard volant. (Euh je j’ai pas compris un truc je crois)
- Ses jambes, d’ailleurs, avaient réduit de moitié et s’était pourvues (s’étaient)
- Jamais elle n’avait été imprégnée (imprégné ?)
- elle multiplia les provocations en voligeant (voltigeant)
- avalant mes (les) arbres aux alentours
- Son cœur hurlait dans ses temps (tempes)
2-
- Toute la force contenue dans cet être s’évanouit en un fragment de seconde.
- mais les flammes avait (avaient) trouvé dans la forêt de quoi se repaître
- Mais cette blessure était insignifiante aux côté (côtés) de la véritable souffrance
- elle eut à peine le tempes (temps) de pleurer
- Flaé était lancé à vivre (vive) allure
3-
4-
- La (le) Silh parut s’embraser,
- L’air ambiant était saturé de cris, de râles et de gémissement (s)
- Ce dernier était à bouts
- Elle assomma d’un coup (pas de “d’”) sec sur la nuque le soldat.
- La plaine était agitée de tourbillon (s) de cendres furieuses
- — Tu dois intercéder (?) auprès de ta cheffe
- Conan asséna un puissante (puissant) coup d’épée
- Il jeta un regard alentours (alentour ?)
- pendant que ses camarades harcelaient le Sylviens (Sylvien)
- Il la plaqua au sol avec (un) hurlement enragé
- Il avait soudain soudain terriblement peur.
Remarques
1- — Et puis… je suis presque soulagée qu’iel n’ait pas à vivre comme ça.
2- elle ne voyait ni n’entendait plus rien (je suis pas sur que ‘’ni’’ se dise dans cette tournure j’aurais mis juste ‘’et’’)
3- Elle pensait — elle voulait penser — qu’elle lui faisait confiance. (J’aurais plutôt dit ‘’qu’elle pouvait lui faire confiance” parce que sinon la phrase et un peu bizarre je trouve)
4- ses larmes s’envolèrent dans le vent (plutôt “s’envolaient” car c’est pas une seule fois je suppose fin t’as compris)
C'est bien que tu le prennes avec autant de philosophie x) Mais bon, elle a pas une infinité de vies...
Merci pour ta lecture et ton com'.