Chapitre 13 : Le brasier

Les murs de la Tour résonnaient d’un vacarme lugubre. Il ne restait plus que quelques heures avant le départ de l’armée pour Beagal, la forêt sacrée où vivait la tribu d’Asha. Ainsi, tous s’agitaient dans la frénésie nerveuse mais excitée de la bataille qui approchait. Et Conan ne faisait pas exception à la règle.

— Levez les bras s’il vous plaît.

Le serviteur qu’on lui avait assigné nouait les sangles de son armure sous ses aisselles. Il faisait les derniers essayages avant que la robe de métal ne soit empaquetée et chargée sur une monture de guerre. Le jeune homme avait perfectionné les techniques de combat réoroises, Adhara lui avait donc commandé une tenue adaptée à cette escrime : une nouvelle armure loin des vieilles plaques d’acier cabossées qu’il portait jusque-là. Le jeune homme avait du mal à rester immobile comme on le lui demandait, une énergie furieuse rugissait dans ses tripes.

— Ça n’est pas trop serré ?

— Non, c’est idéal.

— Très bien, il ne manque plus que le hea…

— Eh bah, j’t’avais pas reconnu.

Conan fit volte-face vers la jeune femme qui venait de pénétrer l’armurerie. Maxima fixa son œil mort sur lui avec un sourire cynique.

— Tu es revenu ?!

— Ça se voit pas ?

Le serviteur s’inclina aussi bas que terre en voyant la cheffe des armées, elle lui fit signe de se retirer et l’homme s’empressa de disparaître. La Porteuse se mit à tourner autour de son ancien disciple en le disséquant du regard.

— Je croyais que tu avais définitivement quitté la Faction après qu’Adhara m’a gracié.

— Il s’en est fallu de peu. Mais quand j’ai appris que vous vous apprêtiez à attaquer une tribu entière de démons, je me suis dit que vous auriez besoin de mon aide.

Conan laissa un demi-sourire naître sur son visage, mais Maxima le fit disparaître d’un coup d’œil implacable.

— Mais ne te trompe pas, je considère toujours que tu dois être puni pour ta faute.

Il serra les dents.

— Me punir serait une erreur, je suis essentiel à cette attaque.

— Ce qui est bien surprenant pour un bras-cassé pleurnichard comme toi.

Conan avait beau être habitué aux incessantes piques de son mentor, il ne put s’empêcher de sentir la rage bouillonner en lui. Il désigna un petit sachet de cuir attachée à une lanière posé dans un coin de la pièce.

— J’ai un talisman qui permet de franchir les sorts de désorientation posés aux frontières de la forêt.

L’iris survivant de Maxima se fit plus incisif.

— Et comment es-tu entré en possession d’un tel objet ?

Il eut un léger mouvement de recul.

— La Sylvienne qui a été exécutée l’an dernier, c’était mon… mon amie quand j’étais petit. Elle m’a donné ça pour qu’on puisse faire des parties de cache-cache sans que je ne me perde. Je l’ai récupéré en retournant chez moi.

— Tiens donc…

La prunelle ambrée de la guerrière flamboyait. Il sentit sa volonté se consumer, il s’empressa de détourner la conversation.

— Adhara m’a nommé à la tête de la cavalerie lourde, tu sais.

— Tu m’en diras tant…

Il crut qu’elle ne cesserait pas de le fixer de son œil enflammé, mais elle finit par se détourner.

— Dans tous les cas tu es sous mes ordres, tu as intérêt à m’obéir sans rechigner.

— Ça va dépendre de tes ordres, lança-t-il avec un sourire amusé.

Elle répondit par la même expression.

— C’est bien, donne-moi une raison de te tabasser, ça me manquait.

— Tu serais étonnée de mes progrès. Je ne suis plus aussi facile à mettre à terre.

Maxima, qui s’était dirigée vers la porte, marqua un temps d’arrêt.

— Quand on sera de retour, je te mettrai la raclée de ta vie pour t’apprendre l’humilité, finit-elle par lancer avec un sourire étrangement doux. À plus, pleurnichard.

Conan la regarda partir sans retenir l’enthousiasme qui se lisait sur son visage. La présence de Maxima faisait flamber une énergie encore plus grande en lui. Avec elle à leurs côtés, ils seraient presque invincibles. Les Sylviens n’avaient aucune chance.

Cette constatation fit émerger une silhouette putréfiée derrière lui. Des bras décharnés l’enserrèrent tandis qu’une odeur de mort et de haine emplissait ses narines. Il crut perdre le contrôle de nouveau, mais le retour du serviteur chassa le spectre. Il poussa un soupir difficile pendant que l’homme reprenait son travail en silence.

Les Sylviens n’avaient aucune chance et c’était pour le mieux.

Pour le mieux…

 

*

 

Daïré épongea le front de Moïa. La vieille femme était tombée malade quelques jours plus tôt. Une puissante fièvre secouait son corps de frissons et la maintenait dans un sommeil tourmenté. Le présage funèbre laissé par la biche blessée semblait se réaliser. Pourtant, malgré l’âge de Moïa et l’aspect apparemment inéluctable de sa mort prochaine, Daïré refusait de la laisser partir. Elle pouvait encore vivre des années heureuses, elle en était persuadée. La vieille femme était bien plus qu’une simple cheffe spirituelle, elle était leur guide, leur mère à tous. Elle était leur moïa. Si elle partait, elle laisserait derrière elle des centaines d’orphelins, une tribu amputée et hagarde. C’était elle qui avait aidé Daïré lors du départ douloureux de son jumeau, elle qui l’avait soutenue pour surmonter la perte de sa mère. Moïa était immortelle.

— Son état s’est amélioré ?

Daïré sursauta et se tourna vivement vers Saoirse. Son aînée portait un regard inquiet sur la vieille femme dont les rides se convulsaient dans une souffrance silencieuse mais palpable.

— J… j’ai l’impression… mais je ne suis pas sûre.

Saoirse hocha gravement la tête.

— Tous les remèdes ont échoué à la guérir, il va falloir envisager de la laisser partir.

— Non !

Daïré se redressa un peu.

— Elle se bat, ça se voit, on a pas le droit de l’abandonner !

Sa tante lui jeta un regard dur.

— Nous n’avons pas non plus le droit d’aller contre la volonté des Esprits.

— Qu’est-ce que tu sais de leur volonté ?!

— Baisse d’un ton, je suis ton aînée.

Saoirse se força visiblement à s’adoucir. Elle posa sur sa nièce un regard contrit.

— Il faut que tu te prépares au pire, tu sais.

— Je sais.

Daïré lui tourna ostensiblement le dos. Ses prunelles s’arrêtèrent sur le visage agité de Moïa. Elle semblait plus vive que la veille, plus qu’elle ne l’avait été depuis plus d’une semaine.

— Reviens à nous, s’il te plaît, souffla la jeune femme.

Elle jeta un regard vers Saoirse qui méditait non loin. Cette dernière serait la nouvelle moïa si Mosha venait à mourir. Daïré était persuadée que c’était pour cela qu’elle s’investissait si peu dans la guérison de la malade.

Elle sursauta quand sa tante de se tourna vers elle.

— Tu sens ça ?

— Quoi ?

— Un problème à la Frontière…

La jeune femme fronça les sourcils.

— Comment ça ?

Elle s’immergea dans le Silh, tentant d’oublier la douleur qui émanait de l’âme de Moïa. Elle tendit ses sens vers la coupure nette de la Frontière qui séparait Beagal du monde humain. Elle perçut à un point de celle-ci une faiblesse étrange. Comme si les nombreux enchantements qui maintenaient la barrière était rendus flous par une force extérieure.

— Qu’est-ce que ça peut bien être ? s’enquit-elle.

Au même moment, le bouillon de souffrance qu’était Moïa se fit plus fort, l’obligeant à tourner ses sens vers elle. Son cœur bondit quand elle vit dans le monde tangible la vieille femme entrouvrir les paupières. Elle était de nouveau consciente et son esprit était désormais accessible.

Mais la joie fut de courte durée. Le message silencieux de la vieille femme la frappa avec violence.

Une armée a pénétré notre territoire. La faction rebelle que nous avons attaquée est venue se venger. Ils sont trois cents dont la moitié de Maudits et connaissent le chemin jusqu’à Munüt. Ils seront là demain.

La terreur de Daïré la fit brusquement quitter le Monde Invisible. Elle échangea un regard blême avec Saoirse qui avait aussi perçu le message. Elles bondirent sur leurs pieds d’un même mouvement. Leur appel impérieux et affolé retentit assez fort dans le Silh pour permettre à tous les adultes de l’entendre. Une assemblée se forma à la hâte, contaminée par l’angoisse des deux Arsalaïs.

Les visages se firent blafards lorsqu’elles transmirent le message de Moïa. L’horreur engloutit l’assistance.

Aelig s’avança alors, pâle mais déterminée. C’était elle qui dirigeait les Hekaours en l’absence d’Aedan. Les poings serrés, elle balaya l’assemblée de ses prunelles courageuses. Daïré ne l’avait jamais vue aussi belle.

— Je comprends votre peur, mais je vous demande de garder votre calme. Je vais organiser notre défense. Je vous jure de vous protéger tous.

Elle prit une longue inspiration.

— Les reines, les enfants, les anciens, les Teacs, quittez immédiatement le village. N’emportez que le strict minimum et dirigez-vous vers la prairie ouest. Là, vous récupérerez les chevaux et fuirez vers les montagnes. Séparez-vous en petits groupes pour permettre au plus grand nombre de ne pas se faire poursuivre et veillez à effacer vos traces.

Elle marqua une pause pour laisser le temps à ses camarades atterrés de digérer ses ordres. Les sanglots d’un bambin retentirent sinistrement dans l’air glacial.

— Des Hekaours seront désignés pour vous guider et vous protéger, mais le gros de nos guerriers restera ici, avec moi. Nous allons élaborer une stratégie pour faire face à la menace.

Elle se tourna vers Saoirse et Daïré.

— Les Arsalaïs suivront les Teacs, mais il faut que l’une de vous deux reste ici pour nous servir de relais spirituel.

— Ce sera moi.

Daïré avança d’un pas. Son sang frappait ses tempes avec fureur. Aelig était forte, elle le serait aussi. Elles sortiraient vainqueurs de cette épreuve. Il n’était plus question de se laisser aller à la peur.

Les deux jeunes femmes échangèrent un long regard. Elles avaient grandi ensemble, elles ne s’étaient jamais quittées. Et même si Aelig ne partageait pas la nature des sentiments que Daïré nourrissait envers elle, elles étaient unies par un Lien indéfectible.

Aelig était indéfiniment forte, elle ne pouvait que vaincre.

Du moins, la jeune femme s’en persuada. Il fallait qu’elle oublie ses craintes pour affronter ce qui venait vers elles.

 

*

 

Moïa ouvrit ses paupières lourdes. L’agitation bouillonnait autour d’elle. Le soleil se coucherait, bientôt. Elle ne devait pas tarder.

Elle demanda à voir Aelig. La Hekaour était très occupée par les préparatifs de la bataille, mais elle vint tout de suite à sa rencontre. Elle franchit la porte de la hutte des Arsalaïs presque en courant. L’air était moite, la frénésie extérieure s’infiltrait dans les fissures des murs pour venir chatouiller les oreilles de la vieille femme. Mais bien plus que son ouïe, c’était ses sens spirituels qui s’affolaient.

Moïa sentit les larmes venir, mais elle se contint. Elle devait être forte. Elle serait leur guide. Jusqu’au bout.

— Qui y a-t-il ? demanda Aelig en s’agenouillant près d’elle.

La vieille femme ramena difficilement son regard sur elle. Sa poitrine lui faisait mal, si mal.

— Je dois te confier une mission, exhala-t-elle difficilement.

La Hekaour hocha la tête, empressée.

— Bien sûr, tout ce que tu veux.

Moïa farfouilla dans ses fourrures. Ses doigts semblaient gourds alors même qu’elle suffoquait de chaleur. Sa paume perçut la dureté inégale du bois. Elle sortit une statuette de ses couvertures. L’objet avait souffert du temps, mais il exsudait une beauté surprenante. La maladresse des traits qui avaient façonné la danseuse ne la rendait que plus belle.

— Prends ça.

Elle posa l’œuvre dans les mains fébriles d’Aelig.

— En face de toi, sur le champ de bataille, il y aura quelqu’un. Tu dois donner cet objet à cette personne.

— Mais… si c’est un ennemi… Et puis, qui c’est ? Je ne pourrai pas le reconnaître…

— Je ne peux pas t’en dire plus. Tout ce que je sais, c’est que tu trouveras. Porte la statuette près de ton cœur, et tu sauras le moment venu.

La Hekaour considéra le bois taillé d’un air troublé.

— Je ne suis pas sûre de comprendre…

— Fais-moi confiance.

Moïa s’humecta les lèvres. Parler lui demandait plus d’énergie qu’elle ne l’aurait cru. Sa voix était faible, à peine audible.

— Je sens que cet objet pourrait nous éviter bien des malheurs.

Les doigts d’Aelig se serrèrent autour de la danseuse.

— C’est d’accord, je la donnerai. Je te fais confiance.

Un sourire chevrotant souleva les rides de Moïa.

— Merci, souffla-t-elle.

Son interlocutrice hocha la tête.

— Il est l’heure, dit-elle. Il faut que tu partes. Kaëm va te porter jusqu’à la prairie.

Moïa fut traversée par l’envie de protester. Au lieu de ça, elle opina.

— Au revoir, se força-t-elle à dire.

— Au revoir. Puissent les Esprits guider ton chemin.

Après un salut protocolaire, Aelig sortit de la hutte. La vieille femme contempla tristement son ombre se découper brièvement sur la clarté du ciel avant de disparaître. Elle savait qu’elle ne la reverrait pas.

 

 

*

 

— Désert ?

Adhara fronça le nez d’un air mécontent. Elle se tenait droite et fière sur son étalon blanc, Prince. Elle avait accompagné l’armée bien qu’elle ne combatte pas. Si la tenue qu’elle portait était résolument adapté aux longues chevauchées, elle n’avait pas pour autant abandonné ses étoffes blanches finement brodées et ses bijoux sertis de pierres précieuses. À ses côtés, l’Ombre était mutique comme depuis leur départ. Il avait été désigné pour être le garde du corps de la princesse, chose étonnante quand on connaissait l’avantage que son pouvoir pouvait donner aux forces rebelles.

— Oui, acquiesça l’éclaireur, il n’y avait personne. Mais j’ai trouvé une piste qui partait vers l’ouest. De plus, tout semble avoir été abandonné à la hâte. Leur départ ne date pas de plus d’un jour.

— Comment ont-ils su que nous approchions ? s’enquit Adhara, plus pour elle-même que pour l’éclaireur.

Conan, qui observait la scène sans mot dire, serra les poings sur les rênes de son cheval. Si les Sylviens avaient eu le temps de se préparer, ils risquaient de leur donner du fil à retordre.

— Passons, siffla la princesse. Tu as retrouvé les autres éclaireurs ?

L’homme fit une grimace.

— Oui. Comme on s’y attendait, ils ont été tués. J’ai eu du mal à retrouver leurs cadavres, ils étaient bien cachés. Je pense que les combattants des démons sont dans les parages.

Le visage délicat d’Adhara se fit pensif. Elle congédia l’éclaireur d’un geste de la main tout en fouillant la forêt du regard. Malgré la nuit rampante, ils n’avaient allumé aucune torche, l’Étoile de la rébellion amplifiait la lumière du firmament pour leur accorder une certaine visibilité. Depuis qu’ils avaient pénétré la forêt, ils n’avaient eu qu’à suivre les sentiers tracés par des siècles de passage pour qu’ils les mènent au village. Ils avaient veillé à ne pas se faire surprendre, mais visiblement l’escorte discrète qui les devançait n’avait pas suffi à effacer leur présence.

— On avance ! finit par lancer Adhara. Formation faucon !

Conan hocha la tête et talonna son cheval pour rejoindre son unité. Il avait la charge d’une cinquantaine d’hommes lourdement armés dont le style de combat emprunté aux lointaines contrées du nord consistait en un coup d’essai pour la Faction Étoilée. Il espérait qu’il serait à la hauteur des exigences de la princesse.

Alors qu’ils avançaient aussi silencieusement que possible dans les bois nocturnes, un murmure lancinant vint cisailler les oreilles du jeune homme. Le spectre d’Asha était là, encore. Il se glissait entre les troncs, serpentait entre les chevaux dans une danse désarticulée.

— Tu ne vas pas faire ça, hein ? Tu ne vas pas faire du mal à ma tribu ? Ce n’est pas possible tu sais, tu es mon ami. Hein ?

Le ton du cadavre ambulant se fit de plus en plus dur à mesure qu’ils approchaient du village.

— Tu es un monstre, un monstre, un monstre ! Comment as-tu pu utiliser mon cadeau pour attaquer les miens ? Conan, regarde-moi !

Il commit l’erreur d’obéir à cette voix inaudible et se retrouva face à un visage déchiré entre haine, peur et déception. Malgré la peau nécrosée par endroit, l’expression était saisissante de vérité. Cela paraissait vrai, beaucoup trop vrai. Conan tremblait de tous ses membres, faisant cliqueter son armure. Il se mordit les lèvres jusqu’au sang pour éviter de bondir de selle. La seule manière de mettre fin aux appels acérés du spectre était de le tuer. Pourtant, il revenait. Encore et encore.

— ILS SONT DANS LES ARBRES !

Le cri d’un de ses soldats sauva le jeune homme qui leva la tête vers la canopée. Il entraperçut une ombre mouvante et eut le réflexe de lever son bouclier. Une volée de flèches fusa sur la troupe, deux frappèrent l’écu avec un bruit sourd. Conan lança son cheval en avant, des craquements de branches lui indiquèrent que des archers le suivaient dans les arbres, mais ils furent vite semés par l’équidé. Conan profita de ce moment de répit pour enfiler son heaume, se reprochant rageusement de ne pas l’avoir fait plus tôt. Il détacha les sangles qui retenaient sa lance et la prit en main, avant de faire faire demi-tour à sa monture.

Le chaos s’était emparé de son unité, pour autant la majorité des soldats étaient sortis indemnes de l’attaque. Les flèches faisaient résonner les armures comme des gongs mais ne parvenaient pas à les percer. Les Sylviens semblèrent alors décider d’une autre tactique, ils sautèrent sur eux en brandissant leurs akkashs.

Conan eut à peine le temps de voir une ombre fondre sur lui, il tendit sa lance en avant et la silhouette se plia avec souplesse pour l’éviter. Le Sylvien se réceptionna parfaitement au sol et sans perdre une seconde frappa violemment les pattes avant du cheval de Conan avec son arme. L’animal hennit de douleur et s’effondra, son cavalier eut juste le temps de bondir de côté pour ne pas se trouver écrasé par sa monture. Son adversaire en profita pour lancer son akkash à la rencontre le l’armure. Le choc fit vibrer toutes les plaques d’acier et manqua d’assommer son porteur, mais il parvint à garder conscience et dégaina son épée. Le Sylvien n’eut pas le temps d’armer un nouveau coup, il dut sauter en arrière pour éviter le tranchant de la lame. Il commit alors l’erreur de lâcher son akkash que Conan envoya au loin d'un coup de pied. En un instant, son opposant se volatilisa avant d’apparaître face à lui, une dague effilée dans la main. Mais l’arme ne put percer les protections du rebelle qui se saisit de l’occasion pour donner un puissant couple poing ganté d’acier dans la mâchoire du Sylvien. Ce dernier vacilla, laissant le temps à Conan d’ouvrir sa peau de son nombril jusqu’à son cou.

Un cri strident percuta son ouïe, celui du spectre d’Asha qui contemplait son congénère agonisant avec horreur. Conan réunit tous ses efforts pour ignorer le hurlement qui se tordait dans l’air et se tourna vers un prochain adversaire. Il noya le cri d’effroi dans la bataille furieuse et le sang de ses ennemis. Les Sylviens parurent comprendre qu’ils ne parviendraient pas à vaincre la troupe d’hommes de métal et se retirèrent dans les arbres, aussi agiles que des écureuils. Plus de la moitié de l’unité avait survécu à cette attaque, mais Conan ne laissa pas le temps à ses soldats de s’en remettre.

— Remontez en selle et suivez-moi, ils ont dû attaquer les fantassins !

La lumière d’un feu sembla confirmer ses paroles. Il attrapa les rênes d’un cheval libéré de son cavalier et monta lourdement sur son dos. Il lança la monture au galop vers les flammes de Maxima, rugissantes et éclatantes dans la nuit sanglante.

La cavalerie lourde arriva sur les lieux d’une autre bataille. Ici, les cadavres étaient bien plus nombreux. La volée de flèches de leurs ennemis avaient fait bien plus de dégâts sur les soldats qui portaient uniquement un casque et un plastron. Les survivants à cheval se mêlaient à l’infanterie qui peinait à soutenir l’assaut des Sylviens. Ces derniers étaient restés dans les arbres pour les harceler de tirs et seuls les jets de flammes de Maxima semblaient pouvoir les en déloger. Quelques autres Porteurs se montèrent utiles au contraire des arbalétriers rebelles qui n’arrivaient pas à viser dans la canopée obscure.

Soudain, le son d’un cor résonna dans la forêt en proie aux combats. Un signal que tous les rebelles connaissaient. Conan ferma immédiatement les yeux, imité par tous ses hommes.

Un éclat puissant déchira l’obscurité, si vif qu’il parvint à l’éblouir malgré ses paupières fermées. Il se ressaisit cependant vite et rouvrit les yeux quand l’éclat se tut. Il vit avec satisfaction des Sylviens hébétés chuter de leur perchoir et d’autres se rattraper maladroitement aux ramures, désormais bien visibles. Le jeune homme saisit sa lance et la jeta vers une femme qui se retenait à une branche. L’arme l’atteignit en pleine poitrine et la fit tomber au sol avec un bruit mat qui retentit bien trop fort au travers de la fureur des combats.

NOOOOOON ! hurla Asha.

Le fantôme attrapa la jambe de Conan, un froid effilé traversa son armure pour venir cisailler sa peau. Ses iris affolés tombèrent dans celles, emplis de rage, du spectre. Un sanglot sec et puissant s’empara de lui. Alors, un sourire goguenard ouvrit le visage du cadavre en deux, un rire monstrueux s’en échappa, le jeune homme vacilla sur sa selle. À cet instant un Sylvien déboula et l’attaqua, le rejetant brusquement dans la réalité. Il para le coup avec son épée. L’agilité et la rapidité de son adversaire l’empêchaient de le toucher, mais l’autre n’arrivait pas non plus à lui infliger des blessures. Il finit d’ailleurs par abandonner et se fondit dans la forêt, surprenant le jeune homme. Il balaya le décor convulsé d’un regard hagard. Il vit alors arriver une Sylvienne, debout sur le dos d’un étalon pommelé lancé au galop.

Le froid revint dans ses membres, plus incisif, plus acéré. Mais cette fois-ci ce n’était pas le fait du spectre d’Asha. Conan remarqua avec horreur que son armure se couvrait de givre. La glace attaqua sa peau comme un millier de morsures brûlantes. Incapable de bouger, il bascula et percuta violemment le sol. Il exhala difficilement un nuage pâle, des frissons secouaient son corps sans parvenir à le réchauffer. Il ne put que regarder la cavalière sylvienne passer devant lui sans même lui accorder un regard. Ses cheveux nattés et auréolés de plumes fouettaient furieusement l’air tandis que ses mains armées d’un arc distribuaient la mort à tous ceux qui n’étaient pas déjà terre. La forêt se parait d’un blanc étincelant dans son sillage, les hommes et femmes de la rébellion se trouvaient gelés par ce pouvoir étrange. Un calme glacial emplit la forêt, tous les combattants s’effondrèrent.

Puis, un brasier éclata. Une gueule de feu surgit du néant et fondit avec un rugissement qui fit trembler les troncs sur la Sylvienne. Elle fut avalée, balayée en une fraction de seconde. Sa silhouette et celle de son cheval se diluèrent dans les flammes qui, loin d’être rassasiées, se mirent à dévorer les arbres. Une chaleur intense remplaça le froid implacable, Conan put se relever, raide et frissonnant. Il tituba vers l’ombre de Maxima qui se dressait fièrement au milieu du brasier. Il n’avait pas besoin d’être proche pour voir le sourire triomphal qu’elle affichait.

Alors, lui aussi eut un sourire. Il remonta en selle et talonna sa monture avec un cri de rage et  d’excitation.

 

*

 

Les ongles de Daïré s’enfonçaient dans la peau compressée de ses genoux. Tapie dans une maison vide, elle fixait l’obscurité d’un regard assassin. En temps qu’Arsalaï, elle n’avait pas le droit de participer aux combats. Mais rien ne faisait plus bouillir son sang que l’immobilité. Pourtant, elle n’était pas inutile, elle aidait les siens en concentrant le Silh vers eux pour amplifier leurs pouvoirs totémiques. Ce faisant, chaque mort, chaque blessure, creusait un peu plus le gouffre béant au fond de son cœur. Elle avait déjà vécu pire en prenant part au Cercle, mais cette fois-ci c’était différent. Cette fois-ci, elle était seule et insignifiante. Le peu d’aide qu’elle fournissait ne suffirait pas à sauver ses camarades.

Daïré frappa le mur de la maison de son poing nerveux. Les autres lui en voudraient, mais tant pis. Elle ne pouvait pas rester là.

Elle se redressa lentement et émergea de la cabane d’une démarche raide. Les combats s’étaient rapprochés du village, ils n’étaient qu’à quelques centaines de pas. Elle s’avança vers les cris et les flammes, d’abord hésitante. Mais un Lien brisé secoua son corps. La fureur courait dans son sang, son cœur se mit à frapper ses tempes. Elle s’élança, les mâchoires serrées et les iris ardents. Ses pieds tambourinaient sur le sol, mais elle n’allait pas encore assez vite à son goût.

Elle parvint au niveau de deux combattants, dont un se révéla être Baharn. Son ami d’enfance était aux prises avec un ennemi entièrement vêtu de métal. Daïré se dissimula derrière un arbre le temps de repérer une faille dans l’armure. Elle serra la dague qu’on lui avait donnée pour se protéger dans son poing frémissant.

Elle bondit d’un mouvement vif et glissa la lame sous l’aisselle du rebelle. Elle trancha l’artère et recula. L’homme se retourna et tenta de l’atteindre, mais la mort avait déjà rampé jusqu’à lui. Il s’effondra dans un fracas de métal. Quelques râles à peine audibles émergèrent de son casque avant qu’il ne s’immobilise totalement. Daïré contempla son œuvre funeste d’un regard intense. C’était la première fois qu’elle tuait quelqu’un.

— Mais qu’est-ce que tu fais là ?! s’exclama Baharn.

— Je te sauve la vie !

— Va te mettre à l’abri !

— Non !

La jeune femme se dressa face à son ami, ses prunelles le défiaient plus sûrement qu’un ennemi aurait pu le faire. Le Hekaour lui jeta un regard plein d’incompréhension.

— S’il te plaît, tu es notre guide ici, tu ne peux pas te mettre en danger !

Il la saisit par les épaules et la poussa en arrière.

— C’est la volonté des Esprits ! siffla-t-elle.

Il eut un temps d’arrêt devant ces mots, elle en profita pour se dégager. Même s’il savait qu’elle mentait, il ne pouvait contredire une Arsalaï sur ce point. La mâchoire contractée, il baissa la tête.

— Je ne veux pas te perdre, murmura-t-il.

— Moi non plus je ne veux pas te perdre. Justement.

— Reste près de moi dans ce cas et…

Elle ne l’écoutait plus, elle s’était de nouveau élancée vers la bataille. Elle entendit Baharn l’appeler, mais elle l’ignora. Il serait plus efficace sans un boulet comme elle accroché aux pattes.

Elle s’approcha de combats épars. La supériorité numérique de leurs ennemis était indiscutable. Mais rien ne la fit reculer. Elle se jeta dans la guerre.

Elle se mit à batifoler avec la mort. Elle la sentait, près d’elle, comme une promesse. Mais elle s’en fichait. Elle parvenait à triompher de combattants aguerris, elle n’y croyait pas elle-même. Elle se servait de ses pouvoirs pour troubler leurs esprits, lui permettant de les achever. Elle dansait, en somme. Elle dansait sur des cadavres, entourée de l’odeur âcre du sang.

Alors qu’elle affrontait un cavalier tombé de selle, un cor retentit. Elle vit son opposant fermer les yeux et l’imita sans réfléchir. Un éclat de lumière brûla ses paupières. Des taches de couleurs dansaient devant ses yeux quand elle les rouvrit. Elle évita de justesse le coup que lui portait son adversaire et répliqua. Elle fut vite en position de faiblesse.

C’est maintenant que je meurs ? se demanda-t-elle, étrangement détachée des évènements.

Mais un Hekaour surgit des broussailles pour abattre l’ennemi.

— Daïré ?! Mais que…

Elle lui fit un vague signe de la main et s’éloigna. Le sang et la sueur se mélangeaient sur sa peau. C’en était presque exaltant.

Un froid glacial vint soudain ramper dans la forêt. L’Arsalaï fut prise de frissons, mais le givre ne s’approcha pas plus d’elle. Un sourire fendit son visage en deux. C’était Aelig qui manifestait toute la puissance du harfang des neiges. Elle repéra vite son amie et concentra encore plus le Silh sur elle. Les ennemis tombaient un à un, vaincu par la blancheur assassine qui teintait la pénombre. Ces arabesques cristallines dégageaient une grâce féroce. Daïré vit au loin Aelig galoper, fièrement dressée sur son étalon. Qu’elle était belle. Cette vision splendide fit enfler encore l’énergie qui embrasait ses membres et la poussa vers l’ennemi.

L’Arsalaï s’élança, elle avait l’impression de voler.

La lumière d’un brasier illumina la forêt.

Daïré fut jetée au sol. Son corps était agité de convulsions, son cœur menaçait d’éclater. Ses mains torturées vinrent griffer son visage qui se déchirait. Tous ses traits se déformèrent, sa bouche se fit béante mais aucun hurlement n’en sortit. Son esprit contempla avec horreur les reliquats du Lien d’Aelig se dissoudre dans le Silh, ne laissant qu’un vide abyssal. Elle se laissa aspirer par ce néant brusque, le monde s’était soudain écroulé.

Presque aussitôt, une lumière verte caressa son champ de vision. Mais elle l’ignora, elle ne voyait que l’ardente absence de celle qu’elle aimait. Un incendie s’empara alors de son corps, secoua ses membres, fit bouillir son sang. Cette fois, elle hurla, son rugissement éraillé se convulsait dans l’air. Elle contempla, dans un état second, ses doigts s’allonger et s’assombrir. Sa colonne vertébrale sembla se plier. Elle goûta l’humus qui tapissait le sol alors que tous ses os paraissaient se briser. Il avait un goût étrangement ferreux.

Daïré lâcha prise. Elle laissa sa conscience se diluer. Elle voulait oublier, oublier au plus vite. Elle était incapable de vivre si Aelig était morte.

Un néant doucereux l’envahit.

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Guimauv_royale
Posté le 18/04/2022
Coquiles
- Il désigna un petit sachet de cuir attachée (attaché)
- une énergie encore plus grand (grande) en lui.
- Elle pouvait encore vivre des années heureuse(s)
- la vieille femme entrouvrir (entrouvrit) les paupières
- la vieille femme entrouvrir les paupière (s)
- Elles sortiraient vainqueurs de cette épreuves. (Épreuve)
- Elles sortiraient vainqueurs (vainqueures) de cette épreuves.
- — Qui ya-t-il ? (Y a)
- et ses bijoux serties (sertis) de pierres précieuses.
- Il se glissait entre les tronc, (troncs)
- une dague effilé (effilée) dans la main.
- pour donner un puissant couple poing (coup de poing ?) ganté
- qui n’étaient pas déjà (à ?) terre.
- Une gueule de feu surgit du néant et fondit avec un rugissement qui fit trembler les troncs sur la Sylvienne. (???)
- avec un cri de rage et (il y a un espace en trop) d’excitation.
- Les combats s’étaient rapprochés du villages (village)
- Mais rien ne la fit reculer. (Ferait)
AudreyLys
Posté le 27/04/2022
Merci pour le relevage de coquilles !
Alice_Lath
Posté le 12/08/2020
"abris" -> "abri" non ?
"- Tu es revenu ?!" -> S'il parle bien de Maxima, c'est "revenue" je pense
Sinon, je suis toute choquée de ce chapitre, naaaon, ils avaient pas le droit de faire ça. Bon, Adhara je lui pardonne, mais pas Conan. Faudrait qu'il arrête de jouer aux grands un instant et qu'il redescende un peu sur terre le bonhomme, parce que là, ça ne va pas du tout. Et la mort d'Aelig, la PLS mentale quoi, juste au moment où on commençait à bien l'apprécier
AudreyLys
Posté le 12/08/2020
Merci pour le relevage de coquilles !
De toute façon tu pardonnes tout à Adhara x)
Ah bon tu commençais à apprécier Aelig ? Pour moi c'était juste une figurante dont tout le monde se foutait. Enfin, du coup c'est plutôt une bonne chose si tu t'es un pue attachée !
Sorryf
Posté le 09/07/2020
"Un néant doucereux l’envahit." -> ... non rien xD

Ce putain de Connard de Connan è.é la partie avec le spectre était intense, et c'est vrai que c'est abusé qu'il se serve du cadeau que lui a fait Asha pour se retourner contre elle ! c'est vraiment le pire ce mec.
Je rage qu'il y ait de nouveau un semblant de complicité avec Maxima, je voudrais qu'elle le déteste ! (parce que, je sais pas pourquoi mais j'aime bien Maxima même si elle est dans le mauvais camp. Si Conan me sortait pas par les yeux, j'aimerais bien leur relation)
A part ça... je suis désemparée :-( au moins les non combattants ont eu le temps de se mettre à l'abri... mais purée ces combats de vengeances inutiles T.T
AudreyLys
Posté le 09/07/2020
AH. Tu vois que je sais l'utiliser XD
x) Tu l'aimes autant que Clervie ?
Et oui...

Merci pour ta lecture et ton com' !
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