Chapitre 15.

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Durant toute la journée et la matinée suivante, ils avaient ratissé tout le périmètre, soulevé le moindre caillou pour découvrir l'ampleur de la structure. L'ensemble avait été circulaire à l'origine, la voûte qui le surplombait avait disparu aujourd’hui, remplacée par les lianes. Le temple avait dû s'élever sur plusieurs mètres au vu du nombre de pierres taillées effondrées aux alentours. Sibéal supposait que la plupart d’entre elles avaient été réutilisées au fur et à mesure des siècles pour construire le village en contrebas.

« C'est fou tout ce culte pour les sirènes, s'interrogeait Oriag à ses côtés. Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien espérer à prier pour elles ?

- Apparemment c'était un lieu de pèlerinage pour les marins, répondit Sibéal en montrant les inscriptions illisibles. Peut-être pour demander la clémence ? »

Elle était incapable de les déchiffrer mais l'amoncellement de débris de statuettes votives autour de l'imposante statue laissaient supposer une forte activité religieuse. Il était vrai que selon les légendes, les sirènes et les tritons séduisaient les marins égarés de leur voix et de leur beauté pour les entraîner au fond de l'eau. Ils leur brisaient la poitrine de leur queue de poisson dans un baiser mortel pour les dévorer encore chaud. Dans les temps anciens, la douleur de la disparition d'un marin en mer avait pu trouver un exutoire dans cet étrange calvaire qui avait dû faire face à la mer lorsqu'il était entretenu. 

Elle essuya son front, remettant son large chapeau de paille pour trouver un semblant de fraîcheur dans cette jungle dense. Elle jeta un regard à la ronde, accroupie qu'elle était près d'un mur effondré à gratter derrière un tas de pierres. Chad et Apollo, assis côte à côte sur une énorme racine, se ressourçaient à l'ombre d'un bananier en buvant goulûment l'eau de leurs gourdes. Plus loin Moh profitait de cette expédition pour prendre quelques boutures de fleurs écarlates. Valérian, raide comme la justice, semblait peu à peu se fondre dans la structure du temple en devenant une statue. Elle ne comprenait toujours pas ce qui avait pu pousser Gojo à l’imposer à l'équipage de Yakta, lui et Esteban ne semblaient d’absolument aucune utilité et n'avait pas l'air de vouloir le devenir. 

« Tu veux de l'eau Sib ? »

En sueur mais la gorge asséchée, Sibéal releva les yeux pour acquiescer à la proposition d'Oriag. Elle se recentra sur sa tâche, elle avait de moins en moins de motivation à maintenir ce travail d’archéologie amateur. Son attention se portait sans cesse sur l'immense et menaçante statue du triton qui centralisait le temple. Elle se redressa, les genoux raides, pour s'en approcher et y retrouver Anak. Celle-ci jetait de fréquents coups d'œil entre la figure de pierre et celle rigide et éthérée de Valérian, Sibéal se demanda si la Sioux n'espérait pas une aide qui ne venait pas. 

« C'est quand même étrange que ça soit la seule chose encore debout, fit-elle remarquer.

- Et pourtant ça a l'air d'être le même type de pierre que pour le reste du temple, songea Sibéal en faisant courir ses doigts sur la pierre étrangement froide. C'est vrai que ça n'est pas logique. 

- Ça serait pas la seule chose étrange qu’on aurait vu ces derniers temps, marmonna Anak en décochant un regard en biais à Valérian.

- Non en effet, souffla Sibéal en songeant au serpent des mers. 

- Ça peut qu'être ça, c'est la seule chose qui tienne encore debout... ça doit forcément être ça ! »

Sibéal hocha la tête, elle-même ne voyait pas d'autre explication à cela. Il fallait suivre ce qui était étrange, invraisemblable. Le Jormungand leur avait montré que l'extraordinaire était la boussole dans cette affaire. Elle fit le tour de la structure. Ils n'y avaient pas vraiment prêté attention jusqu’à lors, elle était lisse et sans inscription. 

« Peut-être que c'est d'au dessus qu'on verra quelque chose ? supposa Anak.

- On est sûrement passé à côté... C'est ce qu'on veut que l'on voit, ce n'est pas un hasard. »

Tandis que la Sioux agile grimpait sur le socle pour se hisser sur la statue, Sibéal se penchait à terre et arrachait les herbes qui grimpaient sur le piédestal. 

« ça sonne creux, déclara soudainement Anak au milieu de son ascension.

- Creux ? Fronça-t-elle des sourcils. Comment ça ?»

La Sioux donna un coup de pied dans la queue du triton, Sibéal tendit l'oreille. En effet, un écho très ténu lui revenait de façon presque imperceptible. Il y avait quelque chose à l'intérieur, peut-être fallait-il la détruire pour en découvrir tous les secrets ? Elle reprit son inspection du socle de la structure, l'ensemble était lisse comme s'il venait d'être fait hier. Ses doigts effleurèrent alors une éraflure linéaire, comme si la pierre avait été abîmée volontairement. 

« Anak, l'appela-t-elle, il y a quelque chose de bizarre je crois. »

D'un bond leste, la Sioux fut à côté d'elle et se pencha par-dessus de son épaule. Sibéal prit ses doigts et les fit glisser sur l’interstice. Ce n’était presque rien, une grosse éraflure de la taille d'un demi-pouce. Elle croisa le regard de la Sioux.

« Tu sens là ? Ya comme.... comme un trou non ?

- Oui ! s'écrit-elle avec un air illuminé, c'est vraiment creux du coup !

- C'est sûrement volontaire, ça n'a pas de sens sinon. »

Sibéal palpait, intriguée, la percée. Anak pinça ses lèvres, et tordit son petit doigt pour l'enfoncer dans l'ouverture. Elle lui décocha un regard interrogateur

« Tu sens quelque chose ? 

- Je suis pas sûre, grimaça-t-elle en tortillant sa main, pff… non... c'est super étroit. »

Elle ressortit douloureusement son membre, l'air dépité et porta son doigt à ses lèvres pour soulager le pincement de la compression. Sibéal écarquilla les yeux en s'emparant vivement de sa main pour arrêter son geste. Là, sur sa peau rougie, il y avait une empreinte. Comme une arabesque aqueuse nervée de petites étoiles. Anak et elle échangèrent un regard stupéfait.

« Vite, il faut la prendre en photo ! 

- Chaaaaaaaad ! Viiite l'appareil ! »

Anak bondit sur ses pieds et courut en direction de son ami, brandissant son petit doigt comme d'autres auraient porté une coupe sportive devant un stade en folie. Chad la dévisagea, circonspect, la gourde à mi-chemin de ses lèvres. Elle s'anima aussitôt. Sibéal se reporta sur l'ouverture minuscule sous le piédestal. Son cerveau fourmillait de réflexions et de questions sur le pourquoi de cette percée et sur ce symbole à l'intérieur. 

« Quelle trouvaille, bravo. »

Surprise, elle releva les yeux sur la figure d'une symétrie déconcertante d'Esteban. Il la toisait de sa svelte et haute stature, les bras croisés. La phrase avait été prononcée avec une froideur dure. Sa beauté lui parut tout à coup bien étrange. Elle dégageait une aura glaciale, elle l'aurait volontiers décrite comme d'un surnaturel inquiétant. Sibéal l'observait moins fascinée qu'alerte. Ses lèvres se retroussèrent pour découvrir une petite canine blanche acérée. Son sourire avait quelque chose d'animal à cet instant. Sibéal frémit et se redressa aussitôt.

« Tu ferais mieux d'arrêter, vous courrez à votre perte.

- De quoi tu parles ? s’étonna-t-elle en s'éloignant sensiblement.

- A moins que tu veuilles finir au fond de l'océan, susurra-t-il de sa voix mélodieuse. »

Une frémissement craintif remontait le long de son dos, elle avait la brusque envie de s'éloigner de lui rapidement. Elle tourna les talons, et rejoignit le reste du groupe sans oser se retourner vers lui.

OoOoOo

« C'est une clé, lâcha Oriag penchée sur les photographies, ou en tout cas quelque chose qui faisait partie intégrante de la statue. 

- C'est à peine visible sur la structure, précisa Sibéal, je dirais que ce n'est même pas censé être vu, c'est comme une sorte de détail secret. C'est peut-être pour ça que c'est important ?

- Il sert peut-être à actionner un mécanisme ou un truc comme ça, appuya Anak songeuse. La statue est creuse.

- Ou c'est peut-être rien du tout, temporisa Yakta, mais c'est notre meilleure piste pour le moment. »

La capitaine du Yak échangea un regard avec Murdock. Ils semblaient se comprendre et être du même avis. Ils n'avaient pas réellement d'autres os à se mettre sous la dent de toute manière. Anak et elle eurent une mine dépitée, elles étaient bonnes pour de nouvelles journées à gratter le moindre recoin de ruines pour trouver ce petit élément. Et aux vues de sa taille, ils n'avaient pas fini... Sibéal eut un sourire crispé à la perspective de passer encore une journée dans la chaleur moite de la jungle. 

Elle glissa un regard craintif vers Esteban, adossé à l'une des parois du carré du Mod. Il la mettait mal à l'aise, son regard se portait sans cesse sur elle sans qu'elle soit réellement capable de décrypter son expression. Murdock lui jeta un coup d'œil interrogateur qu'elle dissipa d'un petit sourire. Peut-être s'était-elle imaginée quelque chose derrière le défaitisme cynique d'Esteban.

La discussion se tarit progressivement avec la planification des choses à faire le lendemain, Oriag semblait aussi peu emballée qu'elles de retourner dans la jungle mais hocha la tête à la proposition des capitaines.

« Bon ben ça m'paraît pas mal pour aujourd'hui ! s'étira Murdock en se redressant, c’est l’heure de l’apéro, non ?

- Oh oui... approuva franchement Anak, on fait des cocktails ?

- Quelle question ! Evidemment ! »

Ils se pressèrent tous deux sur la kitchenette, Yakta eut une petite moue amusée avant de ranger consciencieusement les affaires étalées sur la table avec l'aide d'Oriag. Le Modsognir prenait des allures de camp de base depuis que les deux capitaines y passaient leur journée pour essayer d’installer le GPS et vérifier toutes les installations en vue d'une prochaine navigation. Sibéal, que la présence d'Estevan oppressait depuis ces allusions de l'après-midi, sortit du navire pour respirer l'air du large. Elle tomba sur Nialh qui montait avec une précipitation prudente sur le Mod.

Il n'y avait plus de bandage sur son front mais son bras était encore en écharpe. Il restait un peu blafard de ces journées alitées mais depuis quelques jours Wanda l'autorisait à se prélasser au soleil sur le Yak. Une avancée qu'il avait quémandé en la harcelant presque. Il lui adressa un sourire lumineux qui lui réchauffa la poitrine. Peu à peu l'horrible vision de son corps sans vie s'effaçait. En grande partie dû à ses jérémiades sur la tyrannie de la médecin de Yakta.

« Tu as pu échapper aux griffes de Wanda ? S'amusa-t-elle.

- M'en parle pas, fit-il en jetant un petit regard craintif vers le catamaran, elle sait pas que j'ai déserté.

- C'est une mutinerie ! S'esclaffa-t-elle, tu cherches les ennuis !

- C'est horrible de rester à rien faire, soupira-t-il en s'asseyant sur le pont. »

Elle secoua la tête, prenant place à côté de lui. Ses jambes pendaient paresseusement dans le vide. Elle posa sa tête sur son épaule.

« Figure-toi qu'Apollo a réussi à mettre le grappin sur Chad, déclara-t-il.

- Huuum, c'est donc ça ce petit rapprochement entre eux, songea-t-elle, je me doutais qu'il était en train de se passer quelque chose.

- Tsss, il a craché dans la soupe, mais il a bien fini par la boire, lâcha Nialh ravi.

- Satisfait maintenant ?

- Non, répliqua-t-il avec autorité, moi j'pense toujours que vous formeriez un meilleur couple tous les deux. »

Elle leva les yeux au ciel, amusée, sans réellement savoir s'il pensait encore sérieusement à ce qu'il disait. Peut-être pas, ou bien simplement qu'il trouvait que Chad avec son petit air supérieur et cynique ne méritait pas quelqu'un d'aussi gentil et dévoué qu'Apollo. Mais ce n'était pas à son frère de décider, sûrement pour son plus grand mécontentement d'ailleurs.

« Sib ! Ya plus de glaçons pour les mojitos ! s'écria Anak en grimpa jusqu'au pont. Faut aller sur le Yak, on en a dans la glacière !

- Salut Nanak, fit Nialh.

- Nialh ! Ben ça a l'air d'aller mieux, tu as pu descendre du cata ! »

C'est alors que dressée sur le pont du catamaran, Wanda apparut dans toute son irritation. Anak lui adressa un petit signe jovial avant d'abaisser sa main soudainement. La jeune femme les toisait furieusement les bras croisés sur sa poitrine. Nialh blêmit et se tourna vers la Sioux.

« Fais quelque chose, elle est pire qu'une gardienne de prison ! 

- Euh....

- C'est pour ton bien, assura fermement Sibéal, tu n'es pas rétabli, elle est médecin.

- Elle veut même pas que j'aille à la fête demain soir ! argua-t-il avec désespoir.

- La fête ? fronça-t-elle des sourcils. Quelle fête ?

- Leur fête là, leur fête pour la récolte des mangues ? »

Sibéal eut un rire. Son frère pourtant alité était tout de même plus au courant de la petite vie de ce village paisible qu'elle qui le traversait tous les jours pour aller creuser la terre de la jungle. Wanda trop loin pour qu'on puisse réellement l'entendre semblait houspiller Nialh en le désignant de son doigt manucuré. Son frère était soudainement penaud, ce qui ne fit qu'ajouter à l'hilarité de Sibéal. La voix de Murdock tonitrua tout à coup depuis le carré :

«Oh Anak ! Ça vient ces glaçons ou pas ?!

- Euuuuh...., temporisa celle-ci face à la mine furibonde de Wanda, ça peut attendre un peu hein pour les glaçons, non ? On a de la bière aussi... »

Anak grimaça alors, et Nialh poussa un soupir dépité. Wanda était descendue du pont du Yak et avait avalé les marches qui séparaient le vaisseau du quai. Elle se dirigeait droit sur le Mod.

« Va en falloir une bien bien fraîche je crois ! S'écria Sib amusée. »

OoOoOo

Le village s'était illuminé de petits lampions. La place principale avait revêtu ses couleurs de fêtes et tous les habitants semblaient s'être rassemblés autour du gazébo où jouait un groupe de musique local. Des chaises en osiers avaient été disposées autour d'une modeste buvette. Quelques danseurs appréciaient, avec une synchronie relative, la musique qui s'élevait. Le coucher de soleil était éblouissant. L'ambiance semblait bonne enfant et relâchée comme une guinguette à Bleá Cliath. Sibéal avait volontiers troqué son short et son chapeau pour une robe longue et vaporeuse et une fleur dans ses cheveux. 

L'accueil frileux que leur réservèrent les habitants de Comor eut tôt fait de doucher son impatience à profiter de la fête. On ne leur avait pas ouvertement dit de partir mais les regards en biais qu'on leur décochait étaient assez éloquents. Ils n'étaient clairement pas les bienvenus. Sibéal s'était prudemment assise à côté de son frère sur les chaises tandis que Murdock et Apollo étaient aller commander de quoi pimenter ce début de soirée. Elle grignotait des petits piments doux à l’huile en évitant de trop s'attarder sur la mine des convives qui lui sapait tout désir d’aller danser. 

« Eh ben bordel, ils savent accueillir sur ce caillou, ironisa Murdock en revenant s'asseoir à côté d'elle.

- ça change pas de d'habitude, appuya Oriag, ça m'étonne pas qu'il n'y ai que nous dans le port... Ils veulent juste être tranquilles. »

Sibéal aperçut alors Anak et Moh et agita sa main dans leur direction pour leur signifier leur présence. Le frère et la sœur les rejoignirent. Nialh eut une mine crispée en constatant que Wanda dans une robe à paillette leur emboitait le pas, le bras enroulé autour du bras d'Esteban. Celui-ci semblait un peu amusé par cette attention. Sibéal fut soulagée de voir Anak prendre le siège à sa droite. 

« J'espère que c'est pas de l'alcool, fit la médecin en dardant un œil acéré sur son frère.

- Bien sûr que non, répondit-il du bout des lèvres, je suis le conseil du médecin !

- Ça te changera pour une fois, fit-elle avec agacement avant de prendre une voix mielleuse pour Esteban, ça te dirait d'aller danser ? »

L'intéressé ne lui porta aucune attention, comme s'il était habitué à ce que son éclatante beauté lui attire toutes les faveurs. Wanda ne sembla pas renoncer pour autant mais pour le plus grand plaisir de Nialh elle cessa de se concentrer sur son patient. Sibéal, amusée par cette dynamique qui avait le mérite de rendre couac son frère, tourna les yeux vers Anak pour partager un sourire entendu. Elle trouva la Sioux, dont les cheveux flottaient librement dans son dos en dégageant un doux parfum de monoï, en pleine contemplation de Valérian. Anak ne cachait pas ses œillades appréciatives de sa silhouette altière. Lorsqu'il daigna lui accorder son attention, il fit naître un sourire sur les lèvres de la jeune femme. Il sembla  ravi de cette réaction .

Le bras de Murdock se posa soudainement sur ses épaules, la faisant sursauter. Elle tourna son attention sur lui. Il avait troqué son bonnet pour un chapeau panama. Sa chemisette laissait apprécier ses avant-bras couverts de tatouages naniques, et la lumière du soir épousait sensuellement ses muscles saillants. Les derniers rayons du soleil réchauffaient son regard chocolat. Un instant décontenancée, Sibéal s'empourpra de sa soudaine contemplation. Murdock eut un petit sourire qui la laissa muette.

« Il savent pas mettre l'ambiance ici, finit-il par soupirer dramatiquement. Va falloir s'y coller je crois !

- La piste est presque vide, on pourrait..., fit Nialh avant de voir Wanda darder son attention sur ses propos. Non mais... moi je fais que proposer hein.

- C'est que le début de la soirée, le rassura Sibéal, ils vont se dérider.

- Regarde moi ça, qu'est-ce que je t'avais dit, souffla-t-il soudainement. »

Il fit se pencher Murdock et Sibéal en arrière en leur désignant Chad qui à la buvette était en plein discussion avec jolie jeune fille, plantureuse à la chevelure bouclée et la peau dorée par le soleil. Celle-ci ne cachait pas ses intentions. Son frère eut un air supérieur alors qu'Apollo qui ne manquait rien de la parade nuptiale semblait soudainement bien morne. 

« Tsss... persifla Nialh, encore un qui va lui briser le cœur !

- Nialh, c'est un adulte responsable, il fait ses choix, le reprit-elle.

- Il va pas nous tirer une gueule d'enterrement lui non plus, s'exclama Murdock, ça va bien hein ! Ils vont me pourrir la soirée ! »

Soudainement, un air familier s'éleva du kiosque à musique. Sibéal échangea un regard avec le demi-nain, il avait lui aussi reconnu la mélodie. Il bondit aussitôt sur ses pieds :

« POLOCHOOOOON ! C'est ta chanson, mon grand ! Viens nous montrer un peu tes pas de danses !»

Sans que le pauvre Apollo puisse dire quoi que ça soit, pas plus que Sibéal d'ailleurs, Murdock les embarqua d'autorité sur la piste. Nialh, ravi, applaudit en rythme. Attiré par le chahut, Chad tourna son regard vers eux. C'est tout ce dont eut besoin Apollo pour se mettre à danser sur l'entraînante musique.

OoOoOo

Si sa chanson préférée et les pas de danse de la chorégraphie avaient enjaillé Apollo un instant, la bouche de Chad plaquée sur la jolie autochtone coupa court très rapidement à son entrain. Nialh dardait un regard assassin depuis sa chaise dans sa direction, chaise dont il avait interdiction de se lever comme le lui rappelait les fréquents regards autoritaires de Wanda. Celle-ci ne pouvait que susciter l'admiration en réussissant à allier professionnalisme médicale et danse du ventre langoureuse.

Sibéal s'attristait de voir la mine sombre d'Apollo. Il ne pouvait pas s'empêcher de dévisager ouvertement le galochage en règle de Chad et de la jolie jeune femme. Elle posa gentiment sa main sur son bras, ne sachant pas quoi faire d'autre pour lui remonter le moral avant de le laisser aux bons soins de son frère. Elle retrouva Anak qui sirotait son mojito, mâchouillant sa paille, les yeux perdus vers Valérian. 

« Je crois que Chad a trouvé une nouvelle conquête, désigna-t-elle le couple. Il a réussi à briser la glace avec les Comor !

- Oh... tu sais dès qu'il voit un beau cul il peut pas résister, expliqua-t-elle.

- Il ne semble pas être le seul, taquina Sibéal. »

Un petit air d'enfant pris la main dans la boîte à biscuits se dessina sur les traits d'Anak. Sibéal la rassura d'une parole :

« Non mais je te comprends ! »

La beauté de Valérian avait réussi à dérider plus d'un habitant depuis son arrivée. Une petite cour commençait à fourmiller autour de lui. Une petite mélodie douce s'éleva soudain dans l'air, et une nuée de jeunes et moins jeunes se pressaient vers lui comme des papillons de nuit autour d'une lumière aveuglante. Sibéal porta plutôt son attention sur Yakta, Oriag et Mohvo qui discutaient tranquillement sous les lampions. Depuis la tempête, une entente cordiale régnait entre les deux équipages. Chacun semblait reconnaître les qualités de l'autre.

«Ben alors, vous m'avez l'air bien désoeuvré les filles ! »

Murdock fit soudainement apparition auprès d'elles. Il posa ses bras sur leur épaules avec un petit air conspirateur plaqué sur le visage.

« On est en manque de cavaliers ! fit Anak. Ils sont pas aimables ces gens, c'est chiant.»

Elle visait précisément une certaine silhouette en prononçant ces mots. La lancinante mélodie appelait à un rapprochement significatif entre les partenaires sur la piste qui semblait lui donner quelques idées bien précises. Sa mine arracha un petit rire à Sibéal.

« Oh mais si tu cherches un beau gosse pour te faire danser, commença Murdock, yen a un tout désemparé depuis tout à l'heure et qu'est pas dégueu à regarder non plus quand il tire pas la tronche. »

Il désigna le visage triste d'Apollo, Anak poussa un petit soupir de compassion. On aurait dit qu'elle avait déjà vu son meilleur ami brisait bien des idylles pour une jolies paires de fesses et qu'elle était sincèrement désolée que leur équipier en fasse les frais. Son verre toujours à la main, elle se dirigea pour offrir une danse à Apollo. Nialh la coupa aussitôt et ne sembla pas se gêner pour lui dire sa façon de penser sur le comportement insensible de Chad.

La détourna instantanément de la comédie dramatique qui se jouait devant elle, la main de Murdock se glissa vivement dans la sienne, 

« Allez Sib, on va leur montrer à ces culs terreux qui nous servent leur soupe à la grimaces. »

Sibéal prise de court se laissa entraîner à sa suite sous les lampions des arbres de la place. Ce n'était pas la première qu'ils dansaient ensemble. Elle constata pourtant dans un frémissement que c'était peut-être la première fois qu'ils le faisaient avec une distance aussi floue entre leurs deux corps. Au fur et à mesure que se déployait la musique dans la fraîcheur de la nuit, l’écart s'était réduit à peau de chagrin pour être remplacé par d’insidieux frôlements. Sa barbe effleurait sa joue, l'odeur de son savon l'enveloppait tout entière. Des battements lourds résonnaient dans sa poitrine, presque assourdissant.

Elle lui décocha un regard en biais, il la fixait avec intensité et réduisit tout questionnement à de la marmelade. La pression qu'exerçait sa main à la naissance de ces fesses était comme une étincelle dans un champ de pailles. Une langue brûlante remontait de son bassin jusqu'à sa nuque. Elle garda les yeux vissés sur le groupe de musique. Elle était tout aussi incapable de croiser à nouveau son regard que de physiquement s'éloigner de lui. Quelque chose se tortillait d'une façon délicieuse dans son ventre.

« T'es con ou tu le fais exprès ?! J'ai dit PAS D'ALCOOL !  Tu veux que je t'en colle une histoire de te remettre les idées en place ?! »

Le moment éclata soudainement, Wanda ayant abandonné sa danse pour venir réprimander Nialh agacé. Sibéal prit conscience d'où ils se trouvaient et s'empourpra. Elle se dégagea vivement des bas de Murdock et s'éloigna de la piste sans se retourner.

Nialh l'alpaga quand elle passa en trombe près de lui, la retenant par le bras avec désespoir.

« Sib, par pitié pour ton frère, sauve moi de cette furie ! »

OoOoOo

Tout le monde dormait encore profondément le lendemain matin. Sibéal se leva de bonne heure, elle avait pourtant eu du mal à fermer l'œil. Elle retrouva Apollo sur le pont. Il n'avait pas autant bu que les autres et sirotait son café en contemplant le soleil se lever sur une mer sans ride. Elle s'accouda au bastingage sans oser le dégager de ses pensées.

« Ils dorment tous encore, constata-t-il. Si on les attend, on va devoir marcher en plein soleil.

- Si tu as fini ton café on peut y aller ce matin, proposa-t-elle. Au moins on aura été productif...»

Il acquiesça à la proposition, se leva et alla chercher ses baskets. Elle enfila son t-shirt Princesse Leïa et ses tennis avant de bondir sur le quai. Le village était paisible, les habitants semblaient dégriser du punch de la vieille. Ils longèrent le petit port et la promenade jusqu'à s'enfoncer dans la route en terre avant de bifurquer sur le sentier pentu. Elle pouvait enfin apprécier la jungle dans la fraîcheur du matin et prit quelques photos à envoyer à ses sœurs, Abaigh et Eanna. Apollo posa de bon grès pour l'une d'entre elles qui ne manquerait pas de ravir Abaigh. Elle avait toujours nourri une appréciation platonique mais évidente pour le physique de son équipier.

Alors que le temple n'était plus loin, mais pas encore en vue à cause de la densité de la forêt, Apollo la stoppa nette.

« Attends deux secondes. »

Intriguée, elle tendit l'oreille sans pour autant discerner d'autres bruits que le gazouillement des oiseaux. Il avait les sourcils froncés et reprit lentement sa marche. Elle reconnut à sa posture qu'il était concentré et pensif. Il lui fit signe de ne pas faire de bruit. Ce ne fut qu'une fois les premières pierres en vue qu'elle comprit, il y avait déjà des individus sur le site.

« Baisse-toi, lui souffla-t-il. »

Elle obéit aussitôt et le suivit à pas de loup derrière les branchages. Il les fit s'arrêter derrière la mangrove. De là, cachés sous ces immenses feuilles, ils purent observer les inconnus. Ce n'était clairement pas des touristes aventuriers, ils n'avaient pas l’attirail requis. Il n'y avait du reste aucun étranger sur Comor à part eux. 

« Qu'est-ce qu'ils font ? Fronça-t-elle des sourcils.

- Ils cherchent quelque chose non ? »

En effet, ils étaient tout à leur affaire d'inspection comme eux-même devaient l'être quand ils venaient ici. A la différence qu'ils n'étaient apparemment pas là pour trouver quelque chose de précis remarqua-t-elle. Ils ramassaient des éclats de pierres et les morceaux non brisés de statuettes votives sans distinction. Les coups d'œil qu'ils jetaient autour d'eux, sans pour autant les repérer dans leur cachette, laissaient supposer qu'ils avaient conscience de commettre un acte illicite. Elle tourna les yeux sur Apollo, il avait eu la même réflexion : 

« Ils pillent le site, murmura-t-il.

- ça n'a pas l'air d'être des amateurs, souffla-t-elle.

- Peut-être pas non. Ils ont l'air équipé.»

Ils les observèrent, attelés à la dégradation des ruines, sans bouger ni prononcer la moindre parole. Lorsque les deux hommes semblèrent satisfaits de leur butin, ils quittèrent les lieux d'un bon pas. Le soleil était de plus en plus haut dans le ciel. Sibéal échangea un regard avec Apollo. 

« Ils ont peut-être ramassé ce que l'on cherche là ou... avant. 

- Suivons-les, hocha-t-il la tête. »

Il les guida dans la jungle pour ne pas reprendre le sentier qu'empruntaient les deux pillards. Sibéal se rappela en l'observant qu'il avait été pendant trois ans militaire dans l'armée bantoue. Il avançait avec rapidité, sans faire le moindre bruit et sans perdre de vue les deux autres. Elle faisait de son mieux pour suivre sa cadence et respirer le plus silencieusement. Sa cheville glissa sur un tapis de feuilles vertes, elle étouffa une exclamation. Apollo la retint par le bras pour l'empêcher de dévaler la pente. Ils progressèrent lentement dans la forêt, les pillards ne prenaient pas la direction du village. Ils comprirent avec stupéfaction qu'ils se dirigeaient plus au nord de l'île.

Apollo et Sibéal sous le couvert des arbres observèrent la grille en fer du centre d'observation scientifique se refermait derrière les deux hommes.


 

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