“Ca devrait pourtant être par là,” soupira Anak.
Elle avait étudié en long et en travers la carte de l’île Cormor, avait comparé ses reliefs avec la description que Sib avait traduit, et elle ne comprenait pas où elle avait pu se trouver. Confuse et accoudée à la table du carré du Mod, elle continuait à détailler des yeux la carte qu’on avait étendue sur sa surface. Le temple devait forcément être dans la zone qu’elle avait entourée en rouge.
“Je suis bien d’accord, fit Oriag à sa droite, mais on a ratissé comme on a pu sans rien trouver… il faut aussi dire que la jungle est assez peu coopérative.
-Il nous faut persévérer, décida Yakta, les bras croisés.
-Ah bah ça, j’te le fais pas dire, Yakta ! répliqua Murdock en revenant de la kitchenette. Manquerait plus qu’on abandonne alors que mon bébé est encore tout blessé de notre traversée…”
Il avait ramené une tisane pour Sibéal qui s’en saisit avec un remerciement souriant avant de souffler pour rafraîchir un peu le breuvage. Anak, de la table, observa la marque d’affection avec un petit sourire. Ces deux-là étaient particulièrement proches, et Murdock avait toujours une attention pour Sibéal… c’était fou qu’elle ne l’ait pas remarqué avant, ça sautait pourtant aux yeux qu’ils étaient en couple.
“Qu’est-ce qui te fait pouffer, gamine ? lui lança Murdock.
-Bah on a pas le droit à une tisane, nous ? se paya-t-elle l’audace en riant encore un peu.
-Y’a pas marqué “conchita” ici ! rétorqua-t-il en désignant son front.
-Ah bon… c’est que j’sais pas bien lire le nain…”
Un sourire amusé aux lèvres, le demi-nain secoua en sa direction un index qui se voulait sévère et Yakta, le sourcil haussé, suivit l’échange avec une légère dérision tandis que Sibéal trouvait tout ceci fort divertissant. Dans un coin du carré, Valérian et Estéban étaient les deux statues de cire qu’ils savaient si bien être et les observaient sans intervenir.
“Jungle ou pas jungle, on intensifie les recherches, déclara Yakta, considérant qu’ils avaient déjà perdu assez de temps, c’est pas compliqué, on ne partira pas de cette île avant d’avoir donné un nom à chacune des lianes sur cette île !”
Murdock l’observa en clignant des yeux un instant avant d’interroger Anak :
“C’est normal si j’ai cette petite envie qui me chatouille de me mettre au garde-à-vous ?
-Moi-même, je dois me retenir, lui glissa-t-elle.
-Bon, tu m’rassures.”
OoOoOo
“J’ai… envie… d’crever !”
Après avoir tranché une ultime liane hérissée d’épines -une spécialité de l’île, visiblement, Anak se courba en avant pour reprendre son souffle tout en se tenant sur les genoux des deux mains, sa machette tremblant avec ses battements de cœur erratiques. Sibéal, à ses côtés, profita de ce sursaut de faiblesse pour prendre elle-même une pause, les mains sur les hanches et le nez en l’air vers l’épais feuillage de la jungle qui leur masquait le ciel bleu et le soleil. Cette dernière tenait un bâton avec lequel elle tâtonnait le sol recouvert lui aussi de végétation humide pour repérer s’ils ne marchaient pas sur un indice, ou alors tout simplement un piège ou une bombe.
Chad, Apollo, Oriag et Esteban étaient plus loin pour ratisser la plus grande surface possible, et Anak pouvait les discerner parmi les troncs tordus.
“Il fait si chaud et humide…, se plaignit Sibéal en s’éventant avec la carte qu’elle tenait repliée dans ses mains, j’ai l’impression de me liquéfier…
-Vous avez déjà fait une pause, il y a cinq minutes.”
Elles se tournèrent dans une symbiose parfaite sur Valérian qui leur collait au train comme l’ombre cousue aux souliers de Peter Pan. Anak eut soudainement elle aussi envie de l’enfermer dans un tiroir pour qu'il y reste.
“Tu veux prendre ma machette ? lui proposa-t-elle en lui tendant l’outil. Pour aider peut-être au lieu de critiquer ?
-Je ne critique pas, je dis juste que vous avez fait une pause, il y a cinq minutes.
-Ça sonnait quand même vachement comme une critique !
-Tu veux que je te relaie, Anak ?” intervint Sibéal pour détendre les tensions.
Anak lui tendit la machette et récupéra le bâton et la carte, non sans un regard rancunier sur Valérian qui prétendit n’avoir rien dit d’offensant.
Maudit triton.
OoOoOo
“Cette jungle n’en finit pas ! A croire qu’elle s’agrandit à mesure qu’on avance…
-Ouais…, s’accorda Chad avant de plaisanter, on aura mérité nos RTT.”
Allongée de tout le long de son dos sur le sable, Anak lança un coup d'œil à son ami qui buvait une bière directement au goulot. Ils avaient passé toute l’après-midi à tenter de se frayer un chemin musclé à travers la jungle mais celle-ci ne leur facilitait pas la tâche. Le bilan de la journée était plutôt négatif, ils n’avaient rien trouvé mais Anak s’était fait dévorer par une armada de moustiques.
Après tant d’heures acharnées à leur infructueuse quête, ils avaient gagné la première plage venue et Anak s’était affalée sans plus de préambule dans le sable doré. Le vent marin la balayait et rétablissait une température normale dans son corps, et elle bénissait chaque nuage qui venait lui prodiguer un peu d’ombre.
“J’ai couché avec Apollo hier.”
La bombe la fit se redresser sur ses coudes comme un clown sur ressort et elle braqua un regard écarquillé sur Chad occupé à lorgner, impassible, Apollo qui se baignait dans la mer avec Oriag. A la frontière entre le jaune du sable et le bleu de la mer, Sibéal se contentait de tremper ses jambes jusqu’aux mollets.
Comme muni d’un sixième sens, le visage d’Apollo se dirigea sur eux mais Chad ne connut aucune réaction. Anak détailla le profil de son meilleur ami pour y déceler un indice sur ce qu’il ressentait, et bien qu’il ne lui en offrit aucun, elle avait sa propre petite idée sur la question.
“Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? s’étonna-t-elle, curieuse.
-On a vite fait de se faire chier sur ces rafiots, personne de sensé ne se refuserait un plan cul… surtout un aussi beau cul.”
Au sourire suggestif que Chad lui adressa, Anak eut un rire qui se transforma vite en soupir alors qu’elle se rallongeait.
“M’en parle pas…
-Sois pas jalouse. Y’a encore Nialh de dispo… ou Murdock…
-La ferme !” lança-t-elle dans un rire.
Un ombre s’aligna sur son visage mais lorsqu’elle rouvrit les yeux, qu’elle avait clôts pour les protéger des assauts du soleil encore bien vigoureux, ce ne fut pas un nuage qu’elle découvrit mais Valérian. En dépit de sa tenue distinguée qu’il semblait redouter de salir pour le peu d’effort qu’il fournissait à longueur de journée, il s’était lui aussi plus ou moins allongé sur le sable à ses côtés pour lui glisser un message à l’oreille.
Elle se crut un instant victime d’une insolation alors qu’elle le regardait, les yeux écarquillés et complètement scotchée, en entendant sa proposition, mais elle n’eut pas le temps de vérifier. Il s’éclipsa aussi soudainement qu’il était apparu, et elle ne put bientôt que fixer sa longue silhouette terminée par un chignon blond qui battait en retraite dans ses souliers en cuir verni.
“Qu’est-ce qui lui prend à celui-là ? s’enquit Chad avec un mélange de dédain et d’incrédulité. Il t’a dit quelque chose ?”
…Retrouve-moi sur le pont à minuit, ce soir…
“Non, mentit-elle, rien du tout.”
OoOoOo
“Pourquoi ?”
Valérian sembla ennuyé par la question. Après tout, pourquoi l’interroger de cette manière alors qu’elle avait répondu à l’invitation et l’avait rejoint en catimini à minuit sur le pont sans en parler à personne ? Elle avait même suivi l’instruction qu’il était parvenu à lui souffler au dîner, et elle avait donc enfilé un maillot de bain sous son shirt et son débardeur. Il était donc très certainement en droit de se demander pourquoi diable faisait-elle la compliquée, maintenant. Et bien, disons qu’il avait l’air presque inoffensif le jour, mais la nuit venue, hm… avec une petite grimace, elle le détailla de la tête aux pieds.
“Tu t’imagines que j’ai fomenté tout un plan pour t’attirer dans l’eau et te noyer ?”
Bah… c’était pas tout à fait hors de propos, elle devait bien l’admettre. Elle n’arrivait pas à imaginer une autre justification à toutes ces cachotteries. Pourquoi sinon lui proposer un bain de minuit en secret ? C’était soit une tentative d’assassinat, soit… Anak arqua un sourcil pour l’observer sous un nouvel angle alors que, parfaitement blasé, il vissait sur elle ses yeux qui paraissaient gris à la lueur de la lune. Était-ce vraiment possible qu’il ait succombé à son charme ? Elle entretint cette idée quelques secondes avant qu’il ne lève les yeux au ciel avec humeur.
Non, c’était assurément un assassinat.
“C’est justement pour ça que je veux te montrer l’envers du décor, lâcha-t-il, pour que tu arrêtes de me prendre pour un monstre sanguinaire.
-Et donc, tu t’attends à ce que je fasse le pari que tu ne vas rien faire et plonger dans l’eau…”
Il passa alors son polo en lin par-dessus sa tête et tandis que l’éclat de la nuit se mit à tracer les lignes ses abdominaux et pectoraux avec l’adoration d’un maître-peintre, il plia le plus naturellement du monde son vêtement.
“... avec toi ?” finit-elle difficilement.
Alors qu’elle sentait ses résolutions s'écrouler les unes après les autres, ce qui ne fit que s'aggraver dès le moment où il porta ses mains à sa ceinture, elle jura dans un souffle. Quelle gourde elle faisait, vraiment.
“J’vais chercher ma combinaison de plongée,” grommela-t-elle en tournant les talons.
Se faire dévorer pour une bête question de libido, c’était con tout de même.
Cinq minutes plus tard, elle revint avec sa combinaison à moitié enfilée et elle se contorsionnait tout en marchant sur le catamaran pour remonter la fermeture éclair dans son dos. Il était déjà à l’eau, quant à lui, et l’attendait à la surface. Elle l’observa d’en haut alors qu’elle parvenait enfin à boucler sa combinaison.
“Et c’est quoi le programme ? demanda-t-elle. Faire des bulles avec des poissons clown ?”
Elle était un peu agacée. Un peu contre lui pour l’avoir fait céder si facilement, mais surtout contre elle. Au sourire moqueur qu’il lui dédiait, elle se demandait même s’il ne se doutait pas de l’origine de sa mauvaise humeur. Ce qui, tout bien réfléchi, était encore pire.
“Il n’y a pas de poissons clown dans cette région, lui apprit-il.
-Et des poissons casse-couilles, y’en a ?”
La prenant au dépourvu, il se mit à rire d’une manière qui se rapprochait étrangement à de l’innocence et sans plus réfléchir, elle s’assit sur le bord du catamaran pour ensuite chausser ses palmes et glisser dans l’eau. Elle enfila son masque de plongée, et il la regarda faire avec un sourire en coin très légèrement railleur.
“Quoi ? s’enquit-elle. On n’est pas tous des sirènes…”
Et c’était assez injuste, parce que maintenant elle avait l’air d’une mouche en rencard nocturne avec un dieu aquatique. Pas sûr que ça finisse en sa faveur, tout ça..
“Suis-moi,” lui dit-il.
La seconde suivante, il plongeait dans un silence presque parfait dans l’eau et elle adressa un dernier regard aux étoiles, comme pour les prier de veiller sur elle et sa misérable personne mortelle, avant de l’imiter.
OoOoOo
Ils avaient si longtemps longé la côte que lorsqu’il s’immobilisa en lui annonçant qu’ils étaient arrivés, elle avait les poumons dans la trachée et une crampe qui menaçait de lui vriller la jambe. Qu’est-ce qui lui avait pris de le suivre comme ça ? Bon, elle savait quoi… mais elle commençait à regretter.
Il lui permit alors de faire une pause en se tenant d’une main à son épaule pour ralentir les battements de ses palmes, et soudainement, elle apprécia un peu plus l’escapade sportive.
“Je vois rien de spécial,” remarqua-t-elle.
A part lui, quoi, mais elle pouvait déjà l’admirer, tout en le détestant à moitié, sur le catamaran. C’était une activité à laquelle elle s’était assez aisément habituée.
“Bientôt, lui promit-il, tu es prête à repartir ?
-Ah non, gémit-elle avec douleur, je pensais qu’on était arrivé…”
Un sourire énigmatique se traça sur la bouche humide de Valérian, et encore un peu à bout de souffle, elle suivit le voyage d’une goutte contre ses lèvres. Ça compensait un peu l’effort, supposa-t-elle.
“Allez, l’encouragea-t-il, tu n’as qu’à t’accrocher à moi.
-Vraiment ? s’étonna-t-elle sans y croire. Je peux ?”
Il rit dans un acquiescement et se retourna pour lui présenter son dos. Elle resta immobile sans le toucher un instant tout en étudiant la question. Tant qu’à mourir, après tout, elle n’allait pas faire la timide. Elle enroula donc ses bras autour du cou de Valérian sans hésiter à se plaquer contre lui et il lui décocha un regard toujours un peu moqueur. Voir méprisant.
Bof, elle n’était plus à ça près.
“Tu peux y aller !” l’encourage-t-elle, soudainement ravie.
Sur le visage de Valérian qu’elle ne voyait qu’à trois-quart, un rictus prit des accents carnassiers mais il ne lui laissa pas le temps de revoir la chose qu’il enserra ses poignets où ils se rejoignait dans une poigne de fer. Puis, il plongea d’un bond et elle n’eut qu’à peine le réflexe d’inspirer une grande réserve d’oxygène. Ils exécutèrent un piqué si brutal pour foncer tête la première vers les tréfonds de l’eau qu’elle expérimenta un vertige et manqua de relâcher son air dans un cri. Il battait de son immense queue comme un dauphin et elle se cramponna à lui de toutes ses forces, ayant peur de décoller si elle le lâchait. La pression venait gonfler ses tympans alors que des nuées de poissons s’échappaient devant eux.
Au loin, une étrange lumière s’intensifiait et grandissait. Une lueur bleue et verte qui se précisait alors que Valérian décélérait. Quand ils atteignirent la lumière, Anak en fut si subjuguée qu’elle lâcha sans réfléchir le cou de Valérian. Tapissant le fond marin, des coraux luisaient d’un éclat bleu vif, leurs pointes vert menthe venant parfaire le spectacle. A leurs pieds, des buissons d’anémones pâles laissaient leurs myriades de pattes de tentacules caresser le faible courant. Des créatures sortaient leurs têtes curieuses de leurs coquilles pour surveiller qui venait perturber leur repos et des étoiles de mer se déplaçaient dans le sable.
Anak avait déjà fait de la plongée, mille fois peut-être, mais jamais de nuit. Et elle n’avait jamais vu de coraux luminescents. Elle avait l’impression d’être entrée dans un nouveau monde, un endroit calme et beau, tout en sérénité et bonté, où rien de mal ne pouvait advenir. D’une certaine façon, ça se rapprochait à l’image qu’elle se faisait de l’espace. Un endroit sombre et lumineux tout à la fois où l’on pouvait flotter loin de tout et découvrir l’inconnu.
Un poisson jaune et brun se rapprocha de son visage pour la regarder par les vitres de son masque, et elle lui sourit sans essayer de le toucher. Un peu plus loin, une autre créature marine l’étudiait. Flottant sans difficulté à la manière d’une méduse, Valérian était là dans toute sa superbe de triton. Ses longs cheveux blonds étaient comme libérés dans l’eau et fit à Anak l’effet d’une auréole, et dans un tel décor, sa queue écaillée n’avait plus rien de monstrueux.
Malheureusement, l’air vint à lui manquer et Valérian ne manqua pas les premiers signes de son asphyxie. Il l’accompagna rapidement jusqu’à la surface qu’elle creva pour recharger ses poumons en oxygène. Il restait près d’elle pour la soutenir alors qu’elle reprenait une respiration normale.
“Alors ? s’enquit-il. Ca valait le coup d'œil, non ?”
Elle vira un regard émerveillé sur celui qui semblait relativement satisfait par la réaction dont il écopait. Etait-ce à cause de son exercice d’apnée prolongé ou par la myriades d’émotions qu’elle ressentait ? Mais la voix lui manqua pour lui répondre, et il en rit. A chaque fois qu’il riait, l’estomac d’Anak exécutait une pirouette dans son ventre.
Après un moment, elle retrouva l’usage de sa parole et tenta :
“Au retour, je pourrais aussi être sur ton dos ?”
Il rit encore une fois, mais cette fois-ci, ce fut bref avant que le verdict ne tombe :
“Certainement pas.”
OoOoOo
Ils exploraient toujours la même région de l’île mais cette-fois-ci, plutôt que de partir du Sud, là où se trouvait le port ainsi que le village, ils étaient partis de l’Est. Pendant qu’ils transportaient du matériel pour remettre le Mod sur sa coque, Moh et Oriag avaient réussi à tirer des informations précieuses à un local. Les deux équipages n’avaient pas vraiment été reçus chaleureusement par les habitants qui les surveillaient avec méfiance et inhospitalité, ils n’avaient donc pas insisté en essayant de converser avec eux pour en apprendre plus sur leur île. Anak n’était toutefois pas étonnée que Moh ait réussi à délier avec sa bienveillance naturelle la langue de bois d’un villageois pourtant récalcitrant. Ils avaient donc appris qu’il existait effectivement un temple en ruine au beau milieu de la jungle, et grâce aux nouvelles informations, ils avaient pu réduire le champ géographique des recherches.
Et manifestement, ils étaient sur la bonne voie puisqu’ils étaient tombés sur un vieux chemin qui découpait la jungle.
“Au fait, débuta alors Sibéal qui marchait à ses côtés, qu’est-ce qu’ils font avec vous ? Ils ne font pas partie de votre équipage, si ?”
Elle parlait d’Esteban et Valérian vers qui le regard d’Anak convergeait un peu trop souvent pour passer inaperçu. Les deux hommes étaient à quelques mètres derrière elles, ce qui ne l’empêchait pas de jeter au blond des regards réguliers par-dessus son épaule. Au contraire d’ailleurs, elle ne pouvait pas s’en empêcher. Après leur petite excursion aquatique à base d’anémones et de coraux fluorescents, ils s’étaient certes séparés pour regagner leurs lits respectifs, pourtant Valérian n’avait vraiment quitté ses pensées. Elle avait même rêvé de lui, ce qui n’était pas très étonnant mais tout de même assez gênant.
“C’est Gojo qui nous les a envoyés, lui expliqua Anak, officiellement, pour nous aider mais… on sait tous que c’est pour le tenir informé de ce qu’on fait plus qu'autre chose.
-Je vois… ils sont… assez étranges.
-Tu veux dire hyper canons ? proposa Anak avec amusement devant les détours de Sibéal.
-Oui, admit celle-ci avec un petit rire.
-C’est tout autant une bénédiction qu’une malédiction !”
Devant la tête affligée d’Anak, Sibéal rit de plus belle. La voix de Chad s’éleva alors loin devant elles, faisant s'envoler des oiseaux colorés, pour leur apprendre dans un cri :
“ON L’A TROUVÉ !”
Sibéal et elle s’échangèrent un regard. Le temple ! Sans attendre une seconde plus, elles partirent de concert en courant pour rattrapper leur retard, et il ne fallut pas attendre longtemps pour qu’il ne se révèle à elles. Incorporé à la végétation qui enlaçait ses colonnes et verdissait son sol détruit, le temple avait crevé la jungle d’un trou à ciel ouvert par où le soleil l’éclairait certainement depuis un millénaire, si ce n’était deux. Essoufflée et au comble de l’émerveillement, Anak se plaça en son centre et le contempla en tournant sur elle-même sous le sourire amusé de Chad. Oriag, derrière lui, inspectait déjà chacune des pierres empilées à la loupe, et Apollo, appareil photo en main, s’approcha de Chad pour lui montrer l’un des clichés qu’il avait pris. Alors que son ami prêtait son attention à son amant, Anak se mit à marcher comme un automate, le menton dressé bien haut pour admirer l’architecture qui montait jusqu’aux arbres.
Le soleil l’aveugla un instant et elle dût rabaisser ses yeux qui tombèrent alors sur une statue. Celle-ci était étrangement bien sauvegardée parmi les décombres du temple mais ce n’était pas ce détail qui accrocha le souffle d’Anak dans sa gorge. Elle s’avança vers la statue qui la surplombait d’un bon mètre et elle demeura longtemps hypnotisée par sa beauté sculpturale avant de se rendre compte que Valérian se tenait désormais à ses côtés.
Elle voulut lui demander s’il connaissait déjà l’existence de ce temple mais elle garda cette question pour plus tard, préférant pour le moment interroger la statue devant eux. Dressé sur sa queue courbée et un coquillage plaqué contre son cœur de pierre, la statue titanesque d’un triton leur jetait un regard austère.
Et lui aussi semblait garder de sombres secrets.