Chapitre 15

Finn m'avait poussé à le suivre à l'extérieur du bar pour fumer. À cette heure, tout le monde était encore bien éveillé, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Il me proposa naturellement une clope en me tendant son paquet :

— Je ne fume pas, refusai-je poliment.

— J'aurais pourtant parié le contraire...

Il rangea son paquet après s'être allumé une cigarette.

— J'ai vraiment tant que ça une tête à fumer ?

— Un peu, ouais, me taquina-t-il.

Il tira une taffe sur sa clope en laissant échapper un bref rire. Puis il reprit son sérieux :

— Alors, c'est quoi la question que tu voulais me poser à propos de Rey ? Qu'est-ce que tu pourrais lui offrir à son anniversaire, sa couleur préférée ?

De nouveau, un petit rire. Probablement plus nerveux qu'autre chose.

— Non. Je sais qu'elle me cache quelque chose de plutôt sombre et tu dois probablement savoir ce que c'est vu que t'es son ami.

— Mec... Même pour un pari, c'est un peu bâtard de me demander ça comme ça. Demande-lui honnêtement.

Il osait me contredire probablement à cause de l'alcool. Il tira sur sa taffe alors que je le fixai. En effet, c'était clairement malhonnête, mais je ne pouvais pas demander ça ouvertement à Rey.

— Rey est assez fermée dans le genre, tentai-je de me défendre.

— Vous sortez ensemble c'est ça ?

Il posa son regard sur moi. Un lourd regard. Et je fus incapable de le regarder en retour. Alors, je posai mon attention sur un pont vide du trottoir. Puis je pris sa cigarette pour en tirer une taffe, en espérant que ça calme la situation.

— Je sais pas ce qu'il se passe entre nous, mais il se passe des trucs entre nous, finis-je par dire, l'air un peu dépité.

Il avait ce même air désolé sur son visage, comme s'il savait que ça allait finir comme ça.

— Rey n'a jamais été trop du genre à être en couple... Peut-être que j'aurais dû m'y attendre à ce qu'elle n'assume pas vraiment. Je l'ai jamais vue en couple non plus...

Il se confiait un peu trop et il commençait à s'en rendre compte. À en voir sa tête, il culpabilisait déjà de donner trop d'information sur son amie.

— Ça te suffit pour ta réponse ? ajouta-t-il en espérant esquiver ma question.

— Pas vraiment... Parce que je m'en doutais déjà...

Il fixa l'horizon un instant, assez perdu. Après après une brève inspiration, il reprit :

— Très bien. Qu'est-ce que Rey t'a dit à son sujet ?

— A priori rien.

Il fronça ses sourcils un instant, assez surpris de cette information. Il en savait clairement plus que moi à son sujet. Peut-être même qu'elle lui avait confessé des tas d'éléments intimes dès leur première rencontre. En même temps, je ne serais pas étonné d'apprendre qu'elle soit assez fermée avec moi. Après tout, elle avait toujours tenté de créer une certaine distance entre nous deux.

— Rey a été adoptée, finit-il par avouer dans un soupir. Mais pas qu'une fois. Deux fois. Sa première famille d'accueil a été... particulière. Alors elle a dû trouver une autre famille d'urgence. Je sais même pas ce qu'il s'est passé moi-même... Mais elle a été rejetée des tas de fois. Une fois par ses parents biologiques, ceux qui lui ont donné la vie. Et une autre fois par ceux qui lui promettaient de lui donner un meilleur avenir.

Sans même pouvoir vérifier la véracité de ses propos, j'y croyais totalement. Et je comprenais soudainement cet attachement et cette peur de la solitude. Puis, quand elle m'avait évoqué la peur que je l'abandonne... Peut-être que c'était lié à ça. Malheureusement, elle avait été habituée à ce qu'on l'abandonne, et ce, dès son plus jeune âge. Je comprenais même beaucoup mieux pourquoi elle tenait tant à son association ou à fournir une forme de bonheur aux autres.

— Elle ne t'a jamais parlé de ça, je m'en serais douté, rajouta-t-il en remarquant mon silence.

— En effet... Et je ne m'attendais pas vraiment à ça.

Ces informations me laissaient à croire que Rey était probablement sincère dans sa démarche. Mais je n'arrivais toujours pas à expliquer ce qu'il se passait sur le plan amoureux et sexuel entre nous.

Je m'appuyai totalement contre un mur et pris une longue respiration.

— Je suppose que Rey ne saura jamais qu'on a eu cette conversation...

Il hocha sa tête comme simple signe d'approbation à mes propos, puis je poursuivis :

— Rey et moi, on a couché ensemble et on est très proches tous les deux sur le plan sexuel. Mais amoureux. J'en ai aucune idée. On n'en a jamais parlé. Et je pense qu'on évite tous les deux ce sujet...

— Ça ne m'étonne pas de Rey.

— En fait, je m'en fiche de ce qu'il se passe entre nous. On est consentant, respectueux l'un de l'autre... Et ça suffit. Peu importe le nom qu'on lui donne. Mais en même temps, je sens qu'on a besoin de nommer ça...

Il semblait assez peiné par mes propos, mais pas forcément déstabilisé pour autant. Il s'en doutait.

— Au final, tu m'as quand même tout dit même si j'avais perdu, lâcha-t-il, amusé, pour détendre l'atmosphère.

— En effet... Ironique.

Je me joignis un moment à son rire, profitant un peu de ce moment de légèreté. Néanmoins, la réalité me revint assez brusquement en craignant que cette discussion nous échappe. Même si ça restait presque innocent comme conversation, peut-être que ça ne serait pas vu comme tel... Déjà, je ne le voyais pas comme ça.

Il finit sa cigarette et la jeta dans un cendrier à proximité de l'entrée du bar.

— Peut-être qu'on devrait retourner voir les autres. Sinon va savoir ce qu'ils vont en penser...

— Que je t'ai juste accompagné fumer ? C'est assez courant ça, tentai-je de dédramatiser.

D'un simple signe sur son visage, il concéda à cette idée. Il y avait probablement quelque chose qui le mettait mal à l'aise dans cette situation sans que je ne sache mettre le doigt dessus.

En revenant à l'intérieur, Poe et Rey étaient sur le point de se lancer dans une énième partie de billard.

— Vous tombez pile au bon moment pour nous rejoindre ! lança Poe en nous tendant deux queues.

Finn et moi acceptions de nous joindre à eux, prenant chacun une queue que nous tendait Poe.

Il me fallut peu de temps avant de constater le regard que me lançait Rey. Un regard que je ne saurais pas vraiment définir. Il mêlait à la fois un air languide, perdu et un peu impatient. Du moins, c'était comme ça que je le voyais.

Je m'approchai d'elle et immédiatement, elle me sourit. Elle baissa son regard un instant, assez gênée, et repoussa quelques mèches derrière son oreille.

— Tu t'ennuies pas trop ? me lança-t-elle timidement.

— Non. Juste un peu déstabilisant...

Elle prit ma main un instant. Un tendre geste qui pourrait la trahir. Puis elle relâcha ma main et s'avança de la table pour jouer, comme si de rien n'était. Même si Finn et Poe n'avaient pas vu cet échange, ils étaient évidents qu'ils tiraient déjà des conclusions depuis bien longtemps. Et puis maintenant, Finn savait...

 

*

 

Comme attendu, la soirée s'éternisa un peu, la fatigue avait en partie pris le dessus sur l'alcool.

En montant dans la voiture de Rey, celle-ci se tourna vers moi, l'air un peu hagard.

— Je te ramène chez toi ou tu dors chez moi ?

— Je crois que t'habites plus proche, ça serait mieux...

— Je ne vais clairement pas m'en plaindre alors, rétorqua-t-elle en posant les mains sur le volant.

Elle me lança un sourire enjôleur puis démarra la voiture. Elle laissa un léger fond sonore pendant les quelques minutes de trajet. En même temps, avec la fatigue qui s'accumulait, tenir une discussion au volant était probablement à éviter.

D'une manière assez chaotique, on rejoignit son appartement, en espérant ne pas avoir réveillé le moindre voisin. Puis quand on franchit le seuil, elle se jeta immédiatement sur mes lèvres pour les embrasser langoureusement.

— Tu mourrais d'envie de faire ça durant toute la soirée, lui fis-je remarquer, un brin amusé.

— Complètement... Même si tu avais raison. Je pense qu'ils le savent totalement.

— Après, ce n'est pas comme si on avait vraiment défini ce qui se passait entre nous.

Elle fronça immédiatement ses sourcils et prit mon visage entre ses mains, comme si elle n'avait vraiment pas envisagé ça.

— Je ne suis pas trop du genre à sortir avec des gens, avoua-t-elle, la voix tremblante.

Elle s'éloigna de moi pour rejoindre sa chambre et s'asseoir sur le rebord du lit. Je la suivis, silencieusement. Elle avait le regard baissé, fixant d'un air vide le sol. Je m'assis à ses côtés, hésitant un peu avant de prendre une de ses mains.

— Parce que tu as peur qu'on t'abandonne ? osai-je demander.

Je prenais un énorme risque. Parce que je n'étais pas censé savoir qu'elle avait été adoptée et les difficultés qui s'en étaient suivies.

Elle respira lourdement et prit fermement ma main dans la sienne, quitte à rentrer ses ongles dans ma chair. J'avais probablement réveillé quelque chose de douloureux en elle et je commençai à le regretter.

— Laisse tomber, je n'aurais peut-être pas dû te demander ça, finis-je par dire.

Son regard se leva vers moi, un peu perdu. Je la pris dans mes bras. Peut-être était-ce un peu trop intrusif, mais j'avais étrangement besoin de la sentir proche de moi.

— T'avais raison sur mon problème avec le travail... Je vis pour le travail. Tout est lié à ça d'une manière ou d'une autre... Parce que, quand c'est pas le cas comme ce soir, je me sens terriblement seul.

Ses mains s'agrippèrent à mon chandail et sa tête se plaqua contre mon torse, comme si ça la peinait.

— Ce genre de moment où tu te sens extrêmement seul alors que t'es entouré, ajouta-t-elle dans un murmure.

Mon nez se posa dans sa chevelure un instant tandis que ma main caressait tendrement la courbure de son dos, sans la moindre arrière-pensée.

— Je comprends totalement ça... Tu parles quand même à une femme qui a des millions d'abonnées, continua-t-elle, un brin sarcastique. Y a rien de pire que pour se sentir seul. Tout le monde semble me connaître, savoir qui je suis réellement... Mais personne ne le sait. Ils n'ont qu'une image de moi, celle que je leur donne.

Elle redressa sa tête pour me regarder dans les yeux. Désormais, je voyais ses yeux humides qui trahissaient sa douleur.

— Et j'ai beau avoir Finn et Poe comme amis proches, ils ne me connaissent pas non plus. Ils savent quelques trucs sur moi... Mais je les vois presque comme des amis éloignés. Ce sont des amis avec qui j'échange de bons moments, qu'on rigole ensemble... Mais on se confie pas.

— Et t'as envie de te confier à quelqu'un ? m'enquis-je maladroitement.

— Ouais... Je crois bien. Sinon, je serais pas là à te dire tout ça... Alors que dans le fond, on est presque comme des inconnus.

— Tu veux peut-être te persuader qu'on est des inconnus... Parce qu'un inconnu ne peut jamais t'abandonner.

Elle fronça les sourcils, mais cette fois-ci, son visage se transforma, comme si un brin de colère venait de s'y glisser. La discussion prit alors une autre tournure et elle me renversa dans le lit pour pouvoir me chevaucher.

— Je suis désolé d'avoir raison, lâchai-je à la fois sarcastiquement et sincèrement.

Sa colère passagère disparut de son visage et laissa place à quelques larmes qui perlèrent sur ses joues. Je l'avais déjà vue être vulnérable, mais jamais à ce point. Je sentis alors une pression dans ma poitrine et mon souffle s'accéléra silencieusement.

Elle finit par s'allonger à mes côtés et fixa le plafond, un air contrit sur le visage. Jamais je ne l'avais vu être aussi brisée sous mes yeux. Alors, je m'assis à ses côtés pour l'observer, m'assurer qu'elle allait bien — au moins en partie.

— Je suis vraiment désolée, me répétai-je bien plus sérieusement.

— Non... Ne le sois pas...

Elle ravala un sanglot et elle ferma péniblement les yeux pendant quelques instants.

Puis elle prit ma main pour la poser sur son cou, appuyant contre sa chair.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Appuie...

— Non. Pourquoi je ferais ça ?

— Ben... On fait déjà des choses comme ça depuis le début. Pourquoi ça te choque maintenant ? s'emporta-t-elle en se relevant.

— Parce d'habitude, on était tous les deux avec un bon état d'esprit... J'ai pas l'impression que tu le sois en ce moment.

Elle mordit sa lèvre inférieure et baissa son regard, comme si elle venait de se rendre compte des conséquences de ce bref dérapage.

— Peut-être qu'il vaut que je sois honnête maintenant. Comme ça, si tu fuis, tu seras encore un inconnu à mes yeux...

— Si jamais t'as un lourd passé ou je ne sais quoi, je peux totalement le comprendre. Et ça me fera pas fuir.

Elle détourna son regard, totalement incrédule. Elle mordit sa lèvre inférieure pour se retenir de me contredire.

— Tu sais pourquoi je suis devenu journaliste ? l'interrogea-je d'une manière rhétorique.

Son regard se leva et elle secoua naturellement la tête comme seule réponse.

— Mon grand-père était le maire d'une grande ville. Un maire qui avait une très bonne réputation pour tout le monde. Personne n'était venu contester ça. C'était le meilleur maire du monde selon certains... Il a fallu des années avant que la réalité frappe. Des années plus tard où tout le monde s'est rendu compte qu'il était complètement corrompu et avait détruit sa ville...

Elle fronça ses sourcils, ayant du mal à voir où je voulais en venir.

— Aucun média ne s'était penché sur son cas, parce qu'il avait une excellente image auprès de tous... Si quelqu'un avait un tant soit peu enquêté, ç'aurait pu sauver la vie de tas de personnes. J'ai clairement pas envie que ce genre de situations se reproduisent... Alors, des tas de gens me voient comme un connard de journaliste, mais c'est tout ce que j'ai trouvé de mieux pour apporter un peu de justice dans ce monde...

Je prenais clairement le risque à ce qu'elle me rejette. Parce qu'on savait tous les très bien comment on s'était rencontré, comment on avait commencé à se côtoyer... Si elle doutait désormais de mes intentions, ce serait totalement légitime.

— Puisqu'on tape dans les sales histoires de famille... J'ai aussi les miennes, avoua-t-elle dans un soupir. J'ai été adoptée. Deux fois. Mes parents biologiques ont perdu ma garde après... certains évènements. La famille qui m'a accueilli m'a trouvé trop compliquée pour eux. Alors ils ont annulé mon adoption. J'ai fini par trouver une famille qui m'a gardé. Mais je n'ai jamais pu être vraiment proche d'eux. Parce que jusqu'à ma majorité, je craignais de subir le même sort...

— Et donc de te faire abandonner...

Les larmes coulèrent de plus belle sur ses joues et mon premier réflexe fut de la prendre dans mes bras. Même si je le savais déjà, l'entendre de sa propre voix était bien plus perturbant. Parce que ce n'était pas juste les faits qui étaient compliqués à encaisser, mais aussi parce qu'elle se montrait vulnérable et acceptait de prendre ce risque avec moi.

À ma plus grande surprise, elle n'avait pas fait le lien avec mes confessions. Comment pouvait-elle laisser passer quelque chose d'aussi gros alors qu'elle était toujours si minutieuse ? Visiblement, ses peurs avaient pris le dessus...

Elle me prit dans ses bras et laissa finalement couler quelques larmes sur mon épaule.

— Est-ce que tu resteras demain ?

— La question ne se pose même pas...

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