Chapitre 15 : Hadjira - Confession

Hadjira réfléchit mais, sachant que si elle ne parlait pas tout de suite, elle ne dirait jamais rien, elle se lança sans vraiment préparer son discours.

- Je n'aime pas pharaon.

Aïcha enregistra l'information puis annonça :

- C'est direct et surprenant. Vous… Vous ne l'aimez pas.

Hadjira secoua la tête pour confirmer.

- Je… J'ai du mal à saisir. Votre comportement était… flagrant.

- Non, mon comportement ne l'était pas. Tout le monde a compris de travers. Je ne vais pas m'expliquer mais, ce que j'ai ressenti était tout, sauf de l'amour. Je suis tellement navrée pour pharaon. Je suis sincère. Je crois en l'amour, en la vérité, en l'harmonie et l'ordre. Faire souffrir quelqu'un, qui que ce soit, là où, comme vous l'avez dit, ça fait le plus mal est horrible mais il y a eu méprise, une terrible méprise. Je n'aime pas pharaon et maintenant, je ne sais plus que faire. Je suis perdue. Je ne désire pas rester au harem. Je veux retourner auprès des miens. Je n'ai jamais cherché à me faire remarquer, Aïcha, jamais. Mila le sait déjà alors je suppose que cela va se savoir à un moment ou à un autre, mais je ne suis pas égyptienne.

Aïcha écoutait patiemment, sans interrompre, imperturbable. Son visage restait totalement neutre. Hadjira applaudit intérieurement la force de son interlocutrice. Il fallait une excellente maîtrise de soi pour ne pas réagir à de telles nouvelles.

- Tout le monde me dit que je ne suis pas prisonnière ici, continua Hadjira, mais si je sors, je risque la mort. À mes yeux, je suis en prison. Je hais ce lieu. Je veux rentrer chez moi.

Dire cela fit plus mal à Hadjira que jamais car même si elle parvenait à sortir sans se faire tuer, elle ne retournerait jamais chez les siens. Elle était une prêtresse et son destin était de faire régner la justice. Elle allait devoir partir, seule, dans un autre pays, à la recherche de sa destinée. Les larmes lui vinrent aux yeux et elle ne parvint pas à les retenir.

- Pharaon doit l'apprendre et il n'y a que de vous que cela peut venir.

- Il va me tuer ! s'écria Hadjira en bondissant sur ses pieds.

Aïcha la prit doucement et la fit se rasseoir avec calme.

- Pharaon est très tendre et surtout, il est fou amoureux. Il ne vous fera pas le moindre mal. J'ignore comment réagir face à cette situation mais si j'ai appris quelque chose ces dernières années, c'est que pharaon, lui, saura. Il sait toujours.

- Parce qu'il est la bouche de Mâat ? ironisa Hadjira.

Aïcha frémit, se crispa puis murmura :

- Pas égyptienne.

Elle secoua la tête puis leva les yeux sur Hadjira.

- Hadjira, s’il vous plaît, ne faites plus jamais ça.

Hadjira sentit qu'Aïcha venait de lutter pour rester calme. Quelle punition était habituellement infligée à quiconque osait ainsi blasphémer ? Elle l'ignorait mais se doutait qu'elle devait être importante. Hadjira hocha la tête avant de s'excuser.

- Ne vous excusez pas, continua Aïcha. Ne le faites plus, c'est tout. Ensuite, les pharaons se suivent et ne se ressemblent pas. Celui qui a pris mon cœur, et je dis ça en toute objectivité, est doué. Il a toujours la bonne solution, il sait toujours quoi faire mais il préfère laisser faire ses ministres, même si ceux-ci prennent les mauvaises décisions. Il me donne souvent la bonne en privé mais approuve tout de même celle de ses ministres, qui va immanquablement donner de mauvais résultats. Il dit qu'il faut qu'ils apprennent et que les erreurs sont nécessaires. Il semble tout savoir, sur tout. Sa sagesse est immense. Je suis fière de l'avoir pour pharaon.

Hadjira hocha la tête. La vérité des propos d'Aïcha était une évidence.

- Je suis fatiguée, annonça Hadjira. Je crois que je vais aller me coucher.

- Non, dit Aïcha.

Hadjira sursauta de surprise. Aïcha se leva, sortit et revint quelques instants plus tard accompagnée de trois jeunes femmes.

- Laissez-vous faire. Faites-moi confiance, continua Aïcha, vous êtes entre de bonnes mains. À demain, Hadjira.

Hadjira se laissa faire et n'en fut pas déçue. Ses femmes la dévêtirent et lui firent prendre un bain chaud aux odeurs subtiles et délicates. Puis, l'une d'elle lui procura un immense bien-être par un massage du cou, des épaules et du dos tandis que les autres jouaient une musique douce avec deux instruments à cordes qu'Hadjira ne connaissait pas.

La jeune femme s'endormit pendant le massage.

Au réveil, Hadjira se sentait merveilleusement bien. C'était peu dire que ce massage l'avait délassée. Ça avait été un pur bonheur. Elle ne s'était jamais sentie aussi reposée, aussi calme, aussi détendue.

Elle se leva et constata qu'elle était nue. Cela ne la dérangea nullement, ayant l'habitude de vivre ainsi dans sa tribu. Au contraire, la sensation de liberté ne fit qu'augmenter son plaisir. Les pieds nus sur le sol froid lui amenèrent de douces sensations contradictoires.

Elle ouvrit les volets pour constater que le soleil venait de se lever. Elle remarqua des vêtements sur un fauteuil et se força à les mettre avant de sortir de sa chambre, délaissant les sandalettes. L'atrium était vide et bizarrement silencieux. Il n'y avait pas de nourriture, pas de rire, pas de cris, pas de bruits d'eau. L'endroit était désert.

Un bruit dans son dos la fit sursauter et elle constata qu'Aïcha refermait la porte de la chambre à côté de la sienne.

- Déjà debout ? dit Aïcha. Vous êtes matinale ! Avez-vous bien dormi ?

- Merveilleusement, merci, Aïcha.

Aïcha sourit et lui envoya un clin d'œil.

- On va manger ? proposa Aïcha.

- Volontiers, répondit Hadjira.

À sa grande surprise, Hadjira vit Aïcha entrer dans la chambre royale. Elle la suivit à l'intérieur. Aïcha tira une cordelette à côté du lit puis s'installa confortablement sur un fauteuil. Bien que ne comprenant pas, Hadjira fit de même. Quelques instants plus tard, une jeune femme entrait dans la chambre avec grâce et souplesse.

- Vous m'avez appelée ?

Hadjira ne répondit rien. Aïcha prit donc le relai.

- Voudrais-tu te présenter, s'il te plaît ? dit-elle.

- Je m'appelle Fatima, dit la servante, visiblement gênée que ça soit Aïcha qui parle et non Hadjira.

- C'est votre servante personnelle, continua Aïcha en direction d'Hadjira. Demandez-lui n'importe quoi et elle vous l'apportera.

- Ah… bien, alors, Fatima, tout d'abord, je m'appelle Hadjira. Ensuite, euh, de quoi manger serait parfait.

- Bien, favorite.

Fatima sortit à ces mots.

- Favorite ? répéta Hadjira.

- Vous n'êtes pas encore reine. Pour le moment, vous n'êtes que la favorite de pharaon. C'est votre titre. Ensuite, Hadjira, cessez de vous présenter à tout le monde, c'est ridicule. Tout le monde sait qui vous êtes, même le dernier des serviteurs de ce palais.

- C'est dans ma culture de faire ainsi, précisa Hadjira.

- Oubliez votre culture, cingla Aïcha. Vous êtes égyptienne désormais.

Hadjira sentit son ventre se serrer. La liqueur avait du mal à passer.

- Ensuite, lorsque vous demandez de quoi manger, dites ce que vous voulez, indiqua Aïcha. Vous mettez cette pauvre Fatima dans une situation délicate en laissant ainsi choisir ce qui pourrait bien vous plaire. Si elle vous déplaît, vous avez le droit de la faire fouetter.

- La faire fouetter ? répéta Hadjira en frissonnant. Jamais je ne ferai cela. Et puis, je ne sais pas ce que je veux manger. Je ne connais pas vraiment ce que les égyptiens mangent le matin.

Aïcha sembla sur le point de hurler. Elle se calma d'un souffle puis annonça :

- Hadjira, par pitié, arrêtez. Ne parlez pas ainsi. Vous êtes égyptienne.

- Mais, commença Hadjira.

- Hadjira ! Vous allez vous faire tuer, vous comprenez ? Vous êtes égyptienne, un point c'est tout. Si quiconque apprend le contraire, pharaon n'aura pas d'autre choix que de vous faire exécuter. Seule une égyptienne peut accéder au trône d’Égypte. Si vous ne l'êtes pas, alors il vous mettra dehors et vous vous ferez assassiner par les ennemis de pharaon.

- De nombreuses femmes ici ne sont pas égyptiennes si elles sont les filles des chefs de clans étrangers, fit remarquer Hadjira.

- D'abord, elles ne vont pas devenir reine et ensuite, elles sont nobles.

- Je ne désire pas devenir reine, insista Hadjira. Il suffit à pharaon de me garder au harem avec le rang de favorite. Qu'a-t-il besoin de m'épouser !

- C'est son désir et ce que veut pharaon ne se discute pas. Pourquoi refusez-vous de le comprendre ? Il vous aime et veut le montrer au monde. Il veut vous offrir le rang le plus haut, les honneurs, la gloire. Il ne peut rien vous offrir de plus. Hadjira, s'il vous plaît, allez lui parler. Sincèrement, il trouvera la solution et n'ayez pas peur de lui avouer la vérité, il saura l'accepter.

- Lui avez-vous dit ? interrogea Hadjira.

- Ce n'est pas à moi de le lui dire, répondit Aïcha. Maintenant, excusez-moi, mais j'ai à faire. Merci de m'avoir permis de passer ce bon moment en votre présence et sachez que je suis honorée de la confiance que vous me portez.

Aïcha s'inclina avec humilité avant de quitter la chambre. Hadjira n'était pas contente. Elle ne voulait pas faire souffrir quelqu'un, de quelque manière que ce soit. Que cet homme soit le mal absolu ne changeait rien : elle faisait partie du peuple du bien. La souffrance ne devait jamais être donnée mais le mensonge non plus, même par omission. Cette horrible méprise devait être dévoilée et la vérité devait éclater.

Cependant, Hadjira ne se sentait pas la force d'aller voir pharaon immédiatement. Elle choisit de se rendre dans l'atrium et de se baigner dans la piscine centrale. D'autres femmes la rejoignirent rapidement et là encore, qu'elles la voient au naturel ne la dérangea nullement.

Elle s'habilla toutefois en sortant de l'eau, ne voulant pas déranger ces femmes en ne se conformant pas à leur façon de vivre. Chaque femme qui entrait lui souhaitait le bonjour et la bienvenue et Hadjira répondait avec simplicité et chaleur.

- Une partie de Senet ? proposa une femme à Hadjira.

Hadjira s'avança et annonça :

- Je dois avouer mon ignorance. Je ne connais pas ce jeu.

- Nous vous apprendrons, annonça une autre femme. Il est normal pour une paysanne de ne pas savoir. Cela ne nous dérange pas.

- Vous êtes ? demanda Hadjira d'une voix plus sèche qu'elle n'aurait voulu.

Qu'on l'a traite de paysanne alors qu'elle était prêtresse l'avait gênée plus qu'elle n’aurait voulu se l'avouer.

- Je suis la princesse Iiaret, fille de Hafez, roi de Syrie, répondit la femme en souriant, d'un air hautain et méprisant.

Elle semblait ravie de pouvoir ainsi rabaisser son interlocutrice. Cependant, Hadjira n'en avait cure. Elle désirait uniquement connaître le nom des personnes en présence, et rien d'autre. Elle se tourna vers la femme qui l'avait invitée à jouer. Celle-ci comprit que la question la concernait également.

- Tiyi. Je suis la fille du chef des Ousback, un clan des guerriers du désert. Je suis heureuse de votre présence parmi nous.

À ces mots, l'aura de Tiyi s'assombrit l'espace d'une seconde avant de reprendre sa couleur grise habituelle. Tout le monde, ici, avait cette couleur entre deux, ni bon, ni mauvais. C'était la première fois qu'Hadjira voyait une aura changer ainsi de couleur de manière aussi brutale avant de revenir à l'origine. Elle ne sut comment interpréter cela. Elle laissa donc tomber mais enregistra l'information.

- Je vous écoute, dit Hadjira. Expliquez-moi les règles.

Tiyi expliqua les règles de ce jeu apparemment très courant en Égypte dans les hautes sociétés mais pas parmi les paysans. Hadjira trouva les règles simples mais hautement stratégiques. Une fois les règles expliquées, Hadjira joua une partie avec les deux jeunes femmes.

- D'où venez-vous ? interrogea Iiaret.

- De Karnak, répondit Hadjira qui ne connaissait que très peu de villes égyptiennes.

Hadjira n'en dit pas plus, faisant mine d'être très concentrée sur la partie.

- Vos parents doivent être inquiets de votre absence. Peut-être devriez-vous demander qu'ils soient prévenus.

- Je peux faire ça ? répondit Hadjira.

- Bien sûr, répondit Iiaret.

L'aura de la jeune femme s'éclaircit l'espace d'une seconde avant de revenir à la normale.

- Donnez-moi votre message et je le transmettrai à la bonne personne, continua Iiaret.

Son aura changea à nouveau, pour s'assombrir. Hadjira en avait quelque peu le tournis et un mal de crâne commençait à s'installer. Cependant, elle y voyait un peu plus clair.

- Merci, Iiaret. Je vais y réfléchir, répondit poliment Hadjira.

Iiaret sourit en retour puis joua sa pièce, passant ainsi la main à Tiyi.

- Dites-moi, Iiaret, aimez-vous pharaon ?

- Évidemment, répondit la jeune femme. Pharaon est mon époux, il est notre époux à tous. Nous sommes ses femmes alors bien sûr que nous l'aimons.

Pendant toute la tirade, l'aura de la fille du chef des Ousback s'était assombrie.

- Vous appréciez la vie dans ce harem ? continua Hadjira en se tournant cette fois vers Tiyi qui venait de jouer.

- Énormément, répondit Tiyi. La vie est si douce, si paisible. Pouvoir se promener dans des jardins, sous le soleil, avec une brise fraîche sur le visage. Pouvoir manger, se baigner, jouer, bavarder. Qui n'aimerait pas ? C'est le paradis.

L'aura s'était éclaircie pendant tout son monologue.

- Je ne doute pas un seul instant que vous croyez ce que vous dites, annonça Hadjira avant de jouer à son tour.

Elle venait de confirmer ses doutes. Ainsi, les prêtresses du bien pouvaient non seulement voir le bien et le mal, mais en plus, elles pouvaient différencier le mensonge de la vérité. La vie auprès de ces femmes allait être simplifiée. Tout au moins allait-elle pouvoir savoir à quoi s'attendre.

- Dites-moi, Tiyi, que pensez-vous de ma présence parmi vous ?

- Sincèrement, pas grand-chose, répondit Tiyi et son aura éclaircie prouvait qu'elle disait la vérité.

- Le fait que je sois sûrement la future reine ne vous dérange pas ? Ce n'est pas un rang que vous convoitiez avant mon arrivée ? insista Hadjira.

- Si, au départ. Disons, les premières lunes. C'était il y a bien longtemps. Pharaon ne nous parle jamais alors, j'ai vite fait une croix dessus. Lorsqu'il vient, c'est uniquement pour honorer les amoureuses, pas nous, répondit Tiyi.

- Et vous, Iiaret ? interrogea Hadjira.

- Je suis ravie de votre présence. Pharaon est capable d'aimer et je ne peux qu'être heureuse pour lui. Puissiez-vous être heureuse avec lui et lui donner le bonheur.

Autant la vérité avait été nette chez Tiyi, autant là, c'était en demi-teinte. Hadjira n'arrivait pas à déterminer si Iiaret avait menti ou non. L'aura avait changé trop souvent. La réponse était sûrement trop compliquée pour être sincère du début à la fin.

- Vous vous faites des amies à ce que je vois.

Hadjira se tourna vers la personne qui venait de parler pour découvrir Aïcha.

- Je suis venue vous annoncer que si vous le souhaitez, pharaon est disponible. Il vient de terminer la réunion matinale avec les ministres et le grand vizir, continua Aïcha. Une rencontre, même informelle, serait la bienvenue.

- Pharaon a-t-il demandé à me voir ? interrogea Hadjira qui ne se sentait pas prête.

- Absolument pas, répondit Aïcha. Cependant, ses moments de liberté sont rares. Mieux vaut en profiter. De plus, il apprécierait beaucoup que vous alliez le voir de votre propre initiative.

L'aura d'Aïcha était teintée de blanc. Elle disait la vérité. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle malgré leurs nombreuses heures de discussions, Hadjira n'avait rien remarqué : Aïcha ne mentait jamais. En temps qu'assistante de pharaon, elle faisait vraiment tout pour lui. Hadjira hocha la tête. Elle allait devoir dire la vérité à pharaon. Pourquoi repousser l'échéance ? Elle se leva.

- Excusez-moi, mesdames, je crains de ne pas pouvoir terminer cette agréable partie. J'en suis désolée.

- Nous comprenons, dit Tiyi.

Hadjira suivit Aïcha à l'extérieur.

- Aïcha, je vous en prie, non, pas maintenant. Pouvons-nous discuter, toutes les deux, d'abord ?

- Suivez-moi, dit Aïcha en hochant la tête.

Elle amena Hadjira jusqu'à un jardin où elles étaient seules.

- Regardez, dit Aïcha. Pharaon se relaxe.

Hadjira vit un magnifique fauteuil tourné vers l'horizon. Elle ne voyait pas l'homme assis dessus car son aura obscure était infranchissable.

Depuis ce balcon, Pharaon voyait la ville, le Nil et les dunes à l’horizon. Les bruits étouffés du marché en contrebas parvenaient à peine jusque-là, couverts par les chants des oiseaux et les cliquetis des insectes. Les colonnades multicolores des temples rayonnaient. Les passants ressemblaient à des fourmis affairées.

- Il en a bien besoin, après cette réunion, continua Aïcha.

- Des soucis ? demanda Hadjira.

- Il y en a toujours, fit remarquer Aïcha. Un pays tel que celui-là, aussi grand, aussi vaste, aussi multiple, n'est pas aisé à gouverner. Cependant, pharaon a su s'entourer de très bons ministres et administrateurs. Je trouve que cela se passe plutôt bien.

Hadjira sourit. Elle regarda pharaon, fixement, tentant de percer la noirceur de l'aura pour enfin voir son visage.

- Quand vous le regardez comme ça, ça prête vraiment à confusion, fit remarquer Aïcha.

Hadjira ne tourna pas les yeux, continuant à tenter de faire fie de cette ombre, et répondit :

- Je ne peux pas vous expliquer mais ce n'est pas ce que vous croyez. Comment est-il ? Je veux dire : vous m'avez dit qu'il est un bon pharaon, qu'il est doué, mais en tant qu'homme ?

- En tant que dieu, vous voulez dire ? ironisa Aïcha.

- S'il vous plaît, ne jouez pas avec moi, répondit Hadjira, toujours concentrée sur sa vue.

- Pour être honnête, je n'en sais rien, avoua Aïcha. Si vous parlez d'intimité, alors, vous devriez le demander à ses amoureuses.

- N'en êtes-vous pas ? s'étonna Hadjira en quittant pharaon des yeux pour regarder la réaction de son interlocutrice.

- Pharaon ne m'a jamais honorée, comme il est de bon ton de le dire. Je ne l'ai jamais désiré et pharaon ne force jamais personne. En fait, le soir, il suffit d'être dans la chambre d’Hathor pour annoncer notre volonté d'être avec lui et il choisit parmi celles présentes.

- Pourquoi ne vous y êtes vous jamais rendue ?

- Parce que pour aimer, il faut être deux et pharaon ne m'aime pas. Je ne veux pas d'un amour… incomplet.

- Cela ne vous manque pas ?

- Non, dit Aïcha et son aura claire prouvait qu'elle ne mentait pas. Je suis heureuse ainsi, à prendre soin de l'homme que j'aime. Pharaon est bon. Il sait me féliciter pour mon travail et les quelques rares regards qu'il me porte dans ces moments-là me comblent de joie.

Hadjira hocha la tête avant d'annoncer :

- C'est dommage, cependant. Vous aimez cet homme et vous avez la possibilité d'avoir des enfants avec lui, des enfants qui lui ressemblent, qui porteront son sang, sa sagesse, sa grandeur. À votre place, j'y réfléchirais.

Hadjira ne vit pas la réaction sur le visage d'Aïcha car elle reprit son travail sur l'aura de pharaon.

- Donc, vous ne savez rien de lui en temps qu'homme, continua Hadjira. Mais il n'est pas tout le temps pharaon. Vous devez bien le voir manger, boire, dormir, au réveil, malade, ce genre de choses humaines.

- Il aime la viande. Il aime l'alcool mais il peut en boire autant qu'il veut sans jamais être ivre. En tout cas, je ne l'ai jamais vu dans cet état. Il dort avec ses amoureuses et se réveille seul si bien que je ne le vois pas le matin. Il se lave seul et je ne me souviens pas l'avoir jamais vu malade.

- Ça ne m'avance pas beaucoup, Aïcha, fit remarquer Hadjira.

- Je suis désolée mais je ne peux sincèrement rien vous dire d'autre.

- Depuis combien de temps l'assistez-vous ?

- J’ai été témoin de cinq crues du Nil depuis mon arrivée au palais, répondit Aïcha. J'ai assisté pharaon sur quatre crues du Nil.

- Il était pharaon depuis longtemps alors ?

Aïcha parut un instant surprise puis se reprit. Elle murmura "Vous n'êtes pas égyptienne" avant de répondre :

- Cette crue est la vingtième qu’il gère.

- Pardon, Aïcha, je vous mets mal à l'aise, je m'en rends compte, dit Hadjira en se tournant vers elle.

- Non, non, ne vous excusez pas, dit Aïcha. Mieux vaut que vous posiez ces questions maintenant, ici, en privé, avec moi, que plus tard et risquer que ce genre de choses soient découvertes.

Hadjira se tourna vers pharaon et enfin, l'aura s'éclaircit. Hadjira soupira d'aise. Elle avait enfin réussi à la réduire à un simple bandeau autour de lui. Elle pouvait enfin le distinguer mais de là, elle ne voyait en fait pas grand-chose, étant trop loin pour capter ses traits.

- Vous semblez soulagée, fit remarquer Aïcha.

- Je le suis, dit Hadjira. Merci de m'avoir amenée ici, ça a été très bénéfique.

- Vous sentez-vous prête à rencontrer pharaon ?

- Cela me semble enfin à peu près possible, oui, annonça Hadjira et Aïcha tapa des mains en sautillant, les yeux brillants.

- Allons-y alors, dit Aïcha en prenant la main de la favorite et en l'emmenant derrière elle.

Hadjira sourit à la joie visible d'Aïcha. La jeune femme était heureuse simplement parce qu'elle allait faire le bonheur de pharaon. Hadjira en était triste pour elle mais elle l'était d'autant plus pour pharaon. Aïcha, elle, savait que pharaon ne l'aimait pas. Elle ne s'était jamais faite d'idées là-dessus. Pharaon, lui, pensait réellement qu'Hadjira l'aimait. Comment allait-il réagir lorsqu'il apprendrait la terrible vérité ?

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