Chapitre 16 : Hadjira - Bienveillance

Hadjira observa attentivement la façon dont Aïcha allait se comporter en présence de pharaon mais en fait, elle ne changea absolument pas, ni de ton de voix, ni de posture. Les deux jeunes femmes se trouvaient derrière le fauteuil. Elles ne pouvaient donc pas voir pharaon, assis, regardant toujours l'horizon. Hadjira pouvait seulement apercevoir une main, posée sur l'accoudoir. Elle était ambrée, de la couleur de la majorité des habitants de ces pays où le soleil ne faiblit jamais. Le bras était recouvert d'une simple étoffe bleue.

- Djéfaï ? annonça Aïcha. Hadjira est là. Elle désire vous voir.

Hadjira venait d'apprendre le nom de pharaon. Elle fut surtout surprise par le fait qu'elle n'avait à aucun moment pensé à poser la question, elle qui était pourtant si attachée aux noms des gens. En fait, elle avait du mal à imaginer que pharaon puisse avoir un nom. Cela le rendait étrangement humain.

- Merci, Aïcha. Laisse-nous.

Aïcha sortit en souriant. La voix de pharaon était douce, mélodieuse et grave.

- Tu peux t'avancer, favorite, dit pharaon.

Hadjira obtempéra, s'avança jusqu'à ses côtés, mais sans le dépasser, de peur que cela soit inconvenant. Elle se tourna vers lui et put admirer ses traits.

L'espace d'un instant, elle ne put détacher ses yeux de lui, figée de surprise, puis, se souvenant de leur première rencontre, détourna le regard, de peur qu'il ne comprenne à nouveau de travers.

Si Hadjira était surprise, c'était par l'âge de pharaon. Il avait vécu plus longtemps qu’elle mais pas tant que ça, juste un peu plus. Or, Aïcha lui avait appris qu'il régnait depuis une vingtaine de crues du Nil. Comment une telle chose était-elle possible ?

- Tu as le droit de me regarder, fit remarquer pharaon en souriant et Hadjira le regarda, très gênée.

La surprise passée, elle put s'attarder sur ses traits. Il était beau, tout simplement. Pas de manière divine, ou extraordinaire, juste beau. Un visage doux, souriant, agréable, charmeur sans être parfait. Ses yeux et ses cheveux étaient noirs, comme c'était le cas de la plupart des hommes d’Égypte. Il n'avait rien de surprenant, rien de différent des autres hommes. C'était juste un homme… avec une aura d'un noir d'encre.

- Tu as aussi le droit de parler, dit pharaon.

- Pardonnez-moi, je… Je suis un peu… En fait, je n'ai aucune idée de ce que je dois dire, avoua Hadjira.

- Alors, tu as raison. Mieux vaut ne rien dire. C'est plus sage. Tu vois ce bâtiment, là-bas ? Le grand, avec une cour intérieure ?

Hadjira regarda l'endroit que pharaon pointait du doigt puis hocha la tête.

- C'est à mes yeux le plus beau de toute la ville. Un jeune architecte l'a construit il y a peu. Il a su le rendre si harmonieux. Pourtant, il n'a connu que quinze crues du Nil. Il est mon architecte attitré désormais. Il va dessiner les plans du futur temple d'Osiris à Bousiris.

- C'était le sujet de votre réunion animée de ce matin ? interrogea Hadjira.

- Non, répondit pharaon en souriant. Ce matin, nous avons discuté des prêtresses du bien.

Hadjira sursauta.

- La prêtresse avec qui tu es entrée m'a demandé de faire une enquête. Qu'elle ait volontairement donné sa vie pour m'apporter l'information prouve que la grande prêtresse n'a pas confiance en mon administration et c'est surtout cela qui me déplaît.

Hadjira sentit le sol se dérober sous ses pieds. Coumba était morte ? Apparemment, elle savait à quoi s'attendre.

- Tu es blanche ! s'exclama pharaon. Assieds-toi ! ordonna-t-il en se levant.

- Non, non, souffla Hadjira, supposant que s’asseoir sur le siège de pharaon serait pris comme une offense mais pharaon l'y força.

Hadjira dut avouer qu'assise, elle se sentit mieux.

- Il fait très chaud ce matin, dit pharaon. Tu dois avoir besoin d'eau. Aïcha ? Apporte-nous de l'eau fraîche.

Hadjira comprit que pharaon, comme Aïcha, devait penser qu'Hadjira ne connaissait pas la prêtresse et que sa mort ne devait donc pas la toucher plus que cela. Hadjira garda le silence, trop peinée pour avoir la force de dire un mot.

- L'eau que vous avez demandée, dit Aïcha mais voyant pharaon debout et Hadjira assise, elle continua : il y a un problème ?

- Aucun, laisse-nous, dit pharaon.

- Hadjira, vous… commença Aïcha mais pharaon siffla :

- Va-t-en, Aïcha.

Sa voix s'était faite sourde et tranchante. Aïcha ne se le fit pas dire deux fois et s'éloigna rapidement. Hadjira accepta le verre d'eau que lui tendit pharaon mais sans grande conviction. Ce n'était pas boire qu'elle voulait mais plutôt qu'on l'aide. Elle était terrorisée, apeurée par ce qu'elle allait devoir dire à pharaon, par sa réaction, par la souffrance qu'elle allait lui causer. Savoir que Coumba était morte volontairement était une chose, mais où était son grand-père ?

- Un vieil homme nous accompagnait également. Est-il mort, lui aussi ? interrogea Hadjira qui ne se rendit pas compte que pharaon avait probablement autre chose à faire que de répondre à des questions sur un homme qui n'était rien à ses yeux.

- Je n'en sais rien, avoua-t-il. Tu le demanderas à Aïcha. Elle se renseignera.

Hadjira hocha la tête. Des larmes coulèrent sur ses joues. Sa tristesse était maintenant évidente.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? chuchota pharaon en lui prenant la main et en s'accroupissant devant elle, se mettant ainsi plus bas qu'elle.

- Je… Je dois vous le dire mais… je…

- Tu n'as pas à avoir peur, dit pharaon. Je suis capable de tout entendre.

- Je n'ai pas seulement peur, avoua Hadjira. Si ce n'était que cela, ça serait plus simple, tellement plus simple.

Une prêtresse du bien allait faire souffrir un homme. Elle allait devoir lui enfoncer un couteau en plein cœur. C'était inévitable, Hadjira le savait. Cependant, il fallait qu'elle le fasse. La vérité vaut toujours mieux que le mensonge.

- Aïcha m'a conseillé de vous le dire. Elle m'a dit que vous sauriez quoi faire. Elle m'a dit que vous savez toujours quoi faire.

- Aïcha est amoureuse de moi. Elle n'est pas toujours très objective à ce sujet, fit remarquer pharaon. Toutefois, j'ai souvent raison.

L'aura de pharaon se teinta de clair, prouvant qu'il disait la vérité. Hadjira fut heureuse de constater que l'aura de cet homme pouvait s'éclaircir, qu'il pouvait dire la vérité, qu'il n'était pas que mal. Hadjira sourit même à cette réponse, pourtant dénuée de toute modestie.

- Et en plus, j'arrive à te faire sourire sous tes larmes. Tu as un sourire magnifique.

Il approcha la main de son visage et Hadjira s'éloigna en se levant.

- Pardon, je… commença Hadjira mais pharaon lui coupa la parole.

- Ne t'excuse pas, dit pharaon. Je n'ai jamais forcé personne à m'accepter mais disons que ton comportement est… étrange et inattendu.

- Je me doute, oui, qu'il doit l'être pour vous, dit Hadjira alors que pharaon reprenait sa place sur le fauteuil et qu'elle s'asseyait à moitié sur le muret devant lui. C'est pour cette raison que je dois vous parler mais ce n'est pas facile.

- Si j'étais quelqu'un d'autre, cela le serait-il davantage ? interrogea pharaon.

- Probablement pas non, enfin, si peut-être. Je ne sais pas. Ce n'est pas le cas alors pourquoi chercher à savoir ?

- Tu parles avec sagesse, reconnut pharaon. Je t'écoute. Je suis prêt à t'entendre. Parle sans crainte.

Hadjira prit son souffle. Elle se rendit compte qu'elle tremblait, sans trop savoir pourquoi car elle n'avait pas vraiment peur. Elle ne pouvait de toute façon pas vivre dans le mensonge. C'était impossible. Elle allait devoir le faire et si ça n'était pas maintenant, ça ne serait jamais. Elle se lança donc :

- Mila et Aïcha m'ont raconté comment elles ont fait en sorte d'accompagner un inconnu qui avait obtenu audience auprès de vous uniquement pour se faire remarquer par vous. Ce n'était pas mon cas.

Pharaon ne dit rien. Sa seule réaction fut de plisser les yeux, très rapidement, avant de reprendre un visage neutre, simplement chaleureux.

- J'accompagnais vraiment cette prêtresse. Je la suivais depuis plusieurs lunes et le vieil homme avec nous était mon grand-père. La mort de la prêtresse est une tragédie pour moi.

- Ça ne l'était pas pour elle, je peux te l'assurer, annonça pharaon. Elle savait ce qui allait arriver. Son regard n'a montré aucune surprise lorsque je l'ai annoncé. On l'avait prévenue des conséquences de sa discussion avec moi. Quant à ton grand-père, il a semblé plus atterré par ton évanouissement que par la condamnation à mort de la prêtresse.

- Je n'étais pas là pour me faire remarquer, insista Hadjira.

- Notre rencontre n'en est que plus liée au destin, annonça pharaon en souriant. C'est d'autant plus incroyable. Nos chemins se sont croisés par pur hasard. C'est magnifique.

Hadjira en perdit un instant toute faculté de parler. Elle venait d'envenimer les choses. Elle n'avait pas prévu qu'il en conclurait cela. Décidément, les méprises étaient nombreuses et complexes.

- Je ne désirais pas me faire remarquer, continua Hadjira en essayant de trouver des mots doux pour annoncer une vérité simple. Je voulais juste accompagner la prêtresse, puis ressortir avec elle et continuer notre chemin. Cela, je le désire toujours.

- Tu n'es pas heureuse, ici ? Je comprends qu'un tel choix puisse être difficile. Tu avais apparemment un chemin tracé et un évènement inattendu t'en a détourné mais ce n'est pas pour autant mauvais. Il ne faut jamais tourner le dos à l'amour, c'est une chose tellement rare et fragile.

- Je suis d'accord. L'amour est une chose rare dont il faut prendre soin. Sauf que je ne le ressens pas, pour personne.

Pharaon accusa le coup. Un instant, il ferma les yeux, comme cherchant à comprendre au fond de ses pensées, puis rouvrit les yeux et souffla doucement :

- Tu peux me répéter ça ?

Hadjira s'avança, s'agenouilla devant pharaon et annonça :

- Je ne suis pas amoureuse de vous, pharaon. J'en suis tellement navrée, vous n'imaginez pas. Je conçois tellement la souffrance qu'une telle nouvelle doit vous apporter et cela me fait énormément de peine. Il y a eu méprise, ce jour-là, dans la salle d'audience. Mon regard n'était pas aimant. Mon évanouissement n'était pas dû à un trop plein d'émotions. Tout a été compris et interprété de travers, mais à mon réveil, j'étais là et je ne savais comment me comporter, comment agir pour que tout soit enfin dévoilé. Je sais que vous m'aimez et cela me peine que cet amour ne soit pas réciproque. C'est injuste mais je vous devais la vérité. Je vous en prie, ne m'en veuillez pas.

- Pourquoi t'en voudrais-je ? dit pharaon qui regardait l'horizon. On ne peut pas forcer à aimer. Des évènements se sont produits et je les ai mal compris. Tu vois, continua-t-il en la regardant, il m'arrive de me tromper. J'aurais tant aimé être parfait, être omniscient, toujours tout savoir sur tout. Voilà la preuve que ça n'est pas le cas.

Hadjira sentit une profonde souffrance chez cet homme, assis, qui faisait tout pour cacher sa tristesse.

- Comprenez-moi, ce harem est un endroit merveilleux, continua Hadjira, mais à mes yeux, c'est une prison. J'aimerais retourner auprès des miens.

- Tu ne peux pas t'en aller, Hadjira, et j'en suis navré pour toi. À l'instant où tu mettras les pieds dehors, tu te feras tuer. J'ai, comme tous les grands chefs, des ennemis et mon amour pour toi n'est pas un secret. Ils feront tout pour m'atteindre et je ne peux pas permettre qu'on t'ôte la vie par ma faute. Que tu ne m'aimes pas ne change pas le fait que tu dois devenir reine. En étant couronnée, tu auras le droit à une escorte armée et tu pourras aller où bon te semble car tu seras protégée.

- Mais je..., commença Hadjira mais pharaon la coupa.

- C'est comme ça, et pas autrement. Hadjira, dit-il avec plus de douceur et en la regardant tendrement dans les yeux, je ne te forcerai jamais à rien. Si tu ne veux pas de ma présence, je ne te l'imposerai pas. N'essaye pas de t'en aller, je t'en prie, je t'aime et je ne veux pas que tu meures.

Son aura s'était tellement éclaircie à ces mots qu'Hadjira en avait les larmes aux yeux. Que cet homme l’aimait n'était pas à mettre en doute.

- Tu es libre dans le palais, continua-t-il. Lorsque le couronnement aura eu lieu, tu pourras aller et venir à ta guise. Tu sembles pourtant ne pas accepter cela. Est-ce si terrible de devenir reine sans rien devoir en échange ?

Hadjira était une prêtresse du bien. Elle ne voulait pas être en retrait. Elle devait utiliser son don pour aider les gens, pour faire régner la justice, pour que le bien triomphe. Quel rôle pouvait-elle avoir en étant reine ? Allait-elle simplement se vautrer dans la nourriture et le luxe et ne penser qu'à elle comme Tiyi ou Iiaret ? Rien que cette idée lui donnait la nausée.

- Hadjira, qu'y a-t-il ? Parle-moi. Tu as bien vu. Je peux tout entendre. Il y a plus, je le vois. Qu'est-ce que c'est ?

- Je ne peux pas, bredouilla Hadjira maintenant terrorisée.

L'amour de pharaon était-il suffisant pour qu'il accepte qu'elle soit une prêtresse du bien ? Une femme qui ose détenir la vérité là où lui seul, à travers Mâat, en était le détenteur ?

- Ayez confiance, dit quelqu'un avec douceur.

Hadjira vit Aïcha, qui lui souriait.

- Tu te rends compte, Aïcha, que je vais devoir te faire fouetter pour ça, annonça pharaon. Je t'avais dit de nous laisser.

- J'accepterai toute punition que vous jugerez nécessaire, Djéfaï. Je tiens à préciser qu'il n'y a rien qui a été dit ici que j'ignorais. La favorite me fait l'honneur d'être sa confidente.

Pharaon regarda son assistante avec une moue mécontente puis soupira avant d'annoncer :

- Si ça peut l'aider…

Aïcha sourit, s'accroupit à côté d'Hadjira, toujours à genoux devant pharaon et lui murmura à l'oreille :

- Il saura tout entendre. Il vous aime, ayez confiance en cet amour. Il est puissant. Il l'a dit : l'idée de vous voir morte lui est insupportable. Ne le craignez pas. Ayez confiance. Il est porteur de justice et il fera ce qui est bon.

- Bon ? dit Hadjira d’un murmure à peine audible.

« Bon » ne s’assemblait pas avec cette aura d’un noir d’encre. Hadjira se sentit prise au piège, telle la mouche sur la toile d’araignée, le fennec sous le dard du scorpion. Si elle dévoilait ce secret, il la tuerait, comme il n’avait pas hésité à mettre Coumba à mort. Hadjira secoua la tête en gémissant de terreur.

- Hadjira ! s’exclama Aïcha en serrant la jeune femme dans ses bras.

Pharaon restait silencieux, observant la scène sans intervenir. Il semblait réfléchir intensément.

- Parlez-lui ! répéta Aïcha. Quoi que vous ayez à lui dire, il saura l’entendre. Je sens bien qu’il y a quelque chose d’autre, une information que vous gardez au fond de vous. Cela vous torture ! Je vous l'ai dit : Djéfaï est le meilleur pharaon que l’Égypte ait eu depuis de nombreuses années. Le peuple est heureux. Le commerce prospère. Les guerres sont inexistantes. Vous pouvez lui parler en toute confiance.

- Je ne veux pas mourir, pleura Hadjira.

- Pourquoi vous imaginez vous un seul instant que…

- Aïcha, sors, la coupa pharaon, et cette fois, fais-le vraiment ou c'est la pendaison qui t'attend. Tu es prévenue. C'est grave, alors va-t-en. Tu as bien compris ? Je t'apprécie, Aïcha, tu es une bonne assistante. Ne me force pas à faire ça.

Aïcha sortit après avoir lancé un regard d’encouragements à Hadjira.

- Vous le feriez, sanglota Hadjira.

Le mal incarné n’hésiterait pas à tuer cette pauvre femme innocente.

- Qu'est-ce que tu vois ? demanda-t-il avec douceur.

Il avait le regard de quelqu'un qui avait devant lui le gardien du secret de la vie.

- Que voulez-vous dire ? demanda Hadjira.

- Que vois-tu quand tu me regardes ? Je sais que les prêtresses du bien peuvent voir le bien et le mal. C'est la première fois que j'ai la possibilité de discuter en privé avec l’une d’elle. Comment cela fonctionne-t-il ?

Hadjira sursauta. Pharaon se recula dans son siège et dit simplement :

- Je ne te ferai pas de mal, Hadjira. Je t'assure. Je m'en moque que tu sois une prêtresse du bien. C'est inattendu et ça change beaucoup de choses. Je vais devoir faire en sorte que tu reçoives une éducation très pointue car en toute logique, tu ne connais rien de l’Égypte et c'est inconcevable de sa reine mais ça n'est pas grave.

- Je croyais que seuls pharaon et les prêtres de Mâat devaient être détenteur de la vérité.

- Au moins, tu sais cela, c'est bien. Donc, tu sauras tenir ta langue et ne jamais dévoiler ce que tu es vraiment. Ta présence ici est une bonne nouvelle.

Hadjira comprit que pharaon venait d'avoir une idée. Il annonça :

- Hadjira, dis-moi, sais-tu combien de prêtresses du bien rendent la justice en Égypte ?

Hadjira secoua la tête. Elle l'ignorait totalement.

- Douze, lui apprit pharaon. Cinq sont à Karnak, cinq autres sont dans des petits temples secondaires et deux autres errent de ci de là, pourchassées par le peuple. Je sais exactement où toutes se trouvent et si je voulais leur mort, ça ne me serait pas difficile de l'obtenir. Leur présence ne me dérange pas, bien au contraire. Là où elles sont, la justice est double : les prêtres et elles. Ça double les chances que la vérité éclate. Maintenant, sais-tu combien il y a de prêtresses en Lybie, notre voisin ?

À nouveau, Hadjira avoua son ignorance.

- La Lybie compte quinze fois moins d'habitants que l’Égypte et trois cents prêtresses y répandent la justice.

- Trois cents ? répéta Hadjira, incrédule.

- L’Égypte manque cruellement de prêtresses. Nos croyances font qu'elles sont rejetées. C'est comme ça. Tu veux partir pour répandre la justice, n'est-ce pas ?

Hadjira hocha la tête.

- Je te propose de le faire ici, à mes côtés. Après tout, je juge les plus grands crimes du pays. En m'aidant, ta destinée s'élèvera au-dessus de toutes celles des prêtresses ayant jamais existé. Probablement l'ignores-tu, mais les reines d’Égypte ont le droit de rendre la justice, quel que fut leur rang avant de porter ce titre. Jamais prêtresse du bien n'aura eu la possibilité d'un travail aussi noble que le tien. De plus, tu n'auras nul besoin de te cacher et tu régleras les plus grands problèmes de ce pays, ceux réservés à pharaon. Qu'en penses-tu, Hadjira ?

- Que vous êtes effectivement très malin, dit Hadjira. Vous savez trouver les bonnes solutions, celles qui vous arrangent mais qui vont également dans le sens du peuple. Je ne m'attendais pas à une telle réaction et encore moins à une telle proposition de votre part. J'ai du mal à croire que vous acceptiez et même demandiez la présence d'une prêtresse du bien à vos côtés. Vos croyances…

- sont celles de mon peuple, et je ne les partage pas forcément toutes, finit pharaon. Maintenant, je t'en prie, dis-moi, que vois-tu quand tu me regardes ? Le mal, c'est ça ? C'est pour ça que tu as été aussi surprise. Même la prêtresse qui t'accompagnait l'avait été, mais ça avait été fugace chez elle. Qu'ai-je de si surprenant ? Dis-moi, ça m'intéresse.

- Je vois que ça vous intéresse, mais…

Hadjira y avait beaucoup réfléchi. Allait-elle oser poser la question qui lui brûlait les lèvres ? Elle se lança.

- Je sais que chaque pharaon adore un dieu plus qu'un autre, en plus de Mâat, je veux dire.

- En effet, dit pharaon, sans comprendre le rapport.

- Vous, vous vénérez Osiris, n'est-ce pas ? interrogea Hadjira.

- En effet, oui, répéta pharaon et son aura prouva que c'était la vérité.

- Votre aura est aussi sombre que la mort dont il est le gardien, annonça Hadjira mais ça n'était pas ce qui lui importait vraiment. Je sais que les égyptiens pensent que leur pharaon est un dieu. Le pensez-vous aussi ?

- Que je suis un dieu ? Absolument pas, dit pharaon et son aura blanche fit sursauter Hadjira. Le peuple ne le pense pas non plus. Je ne suis qu'un simple mortel.

Hadjira en eut le souffle coupé. L'aura de pharaon venait de s'assombrir à ces mots. Il n'était donc pas un simple mortel.

- Ils déifient leurs pharaons afin de les obliger à agir comme s'ils étaient des dieux et donc, les forcent à faire régner le bien, l'ordre et l'harmonie, continua pharaon. En échange, nous gagnons le droit d'être traités comme des dieux, mais ça s'arrête là.

- Donc, vous êtes un mortel, rien qu'un mortel, insista Hadjira en tentant de cacher la boule qui se formait dans son ventre.

- Bien sûr, répondit pharaon et le mensonge était évident. Je mourrai un jour, comme tout le monde.

Ça, c'était la vérité et Hadjira ne comprit pas. Comment pouvait-on être immortel mais mourir un jour ? Cela la dépassait. Avait-elle mal compris ses pouvoirs ? Le changement de couleur de l'aura n'avait-elle rien à voir avec le mensonge et la vérité ?

- S'il vous plaît, répondez-moi juste par oui ou non, implora Hadjira. Êtes-vous un dieu ?

- Non, Hadjira, je ne suis pas un dieu, répondit pharaon et il disait la vérité. S'il te plaît de le croire, je ne t'en empêcherai pas mais je ne le suis pas.

- Êtes-vous mortel ?

- Oui, Hadjira, comme tous les êtres vivants, dit pharaon.

Venait-il de dire la vérité ? Était-ce un mensonge ? Hadjira n'aurait su le dire. L'aura était en demi-teinte, impossible de pencher plus dans un sens que dans un autre. La question n'était sûrement pas la bonne.

- Alors, acceptes-tu de devenir ma reine ? De rester à mes côtés et de m'aider à faire régner ordre, justice et harmonie dans mon royaume ?

- Acceptez-vous que ça soit le cas ? répondit Hadjira. Je ne vous aime pas et je crois que je ne vous aimerai jamais. Acceptez-vous que je sois à vos côtés, jour après jour, malgré cela ?

- Aïcha le vit apparemment très bien. Oui, Hadjira, je l'accepte. Je ne te forcerai jamais à rien. Accepte simplement que je puisse te regarder autant que je le souhaite.

Hadjira ne pouvait lui refuser de simples regards. Il allait lui permettre de rendre la justice ouvertement, de s’attaquer aux plus grands crimes du pays. Elle deviendrait la plus grande prêtresse du bien de toute l’histoire égyptienne, en toute sécurité. En échange, elle devait simplement laisser pharaon la regarder. Le prix valait largement le gain. Elle hocha la tête.

- C'est donc réglé. Le mariage va avoir lieu. En attendant, je vais faire en sorte que tu apprennes à te comporter en égyptienne.

- Je ne vous décevrai pas.

- Je n'en doute pas, finit pharaon et Hadjira sortit.

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