Chapitre 15 : Lapsi

Le dédain avec lequel Gina s’était adressée à la reine, rappela à celle-ci que lorsqu’elles étaient seules, Jade n’aurait jamais l’ascendant sur la peintre royale. Cette pensée à la fois dérangeante et stimulante fit naitre un frisson dans le creux de ses reins. Elle regarda alors le tableau plus en détails. Elle était sûre de n’avoir jamais vu cette toile auparavant.

Sur le tableau était peinte une falaise de rochers gris. À son sommet, une femme vêtue de bleu se tenait debout. Chancelante, elle semblait sur le point de disparaître dans le vent. Au-dessus d’elle, la lumière pâle du soleil dessinait une timide auréole autour de sa tête.

— Je n’ai jamais vu ce tableau, avoua la reine, hésitante. Le passage ne s’ouvrait pas ainsi, auparavant.

Gina souffla bruyamment et sortit une fine aiguille d’une poche de sa tunique. À l’aide de la pointe, elle se piqua le bout du doigt. Jade décrivit un pas en avant inconsciemment, main tendue vers l’Ange des Sourires, sa respiration  prisonnière de sa gorge. La peintre lui lança un regard de pur mépris, avant de se détourner d’elle. Sous le regard ébahi de la reine, la décoratrice du palais appliqua son doigt ensanglanté sur le tableau, juste en-dessous du soleil. D’un mouvement expert de la main, elle étala la goutte vermillon sur la toile, comme s’il s’agissait d’un geste anodin qu’elle répétait tous les matins. L’astre aux couleurs maladives fut soudain noyé dans un crépuscule explosif, qui formait un brasier incandescent dans le ciel. La femme du tableau, comme animée d’une brise magique, s’anima telle une poupée articulée. Toujours dos à ses spectatrices, elle avança d’un pas, puis de deux, et de trois.

Elle sauta de la falaise.

Jade plaqua une main sur sa bouche pour contrôler le hoquet d’effroi qui allait franchir ses lèvres. La toile magique et le mur qui la supportait cédèrent et s’ouvrirent sur un trou noir qui s’enfonçait dans la pierre taillée en forme d’arche.

Gina fixait Jade comme si le premier mouvement lui appartenait. Mais la reine d’Indeya demeurait figée, enfermée dans une cage de souvenirs qui n’étaient pas les siens. Enfin, elle sembla se libérer de sa torpeur et laissa ses prunelles émeraude capturer le regard impatient de Gina.

— C’est ainsi qu’elle est morte, n’est-ce pas ?

Sa voix avait été si faible, que Gina aurait pu croire qu’elle avait peur de réveiller les morts. Ses mots rendaient cette crainte plus plausible encore.

— De quoi vous parlez ? aboya la décoratrice du palais.

La peintre avait reculé sans s’en rendre compte, mais la main de Jade qui vint emprisonner la sienne la retint de s’éloigner encore.

— C’est de cette manière que la reine Katherine est morte, n’est-ce pas ? essaya à nouveau la reine, sa voix se faisant plus douce. Et vous avez décidé de capturer ses derniers instants sur ce tableau.

La main de l’Ange des Sourires se tendit entre les doigts de la reine. Sans doute par peur que la peintre ne s’échappe, Jade resserra encore sa prise.

— Mais bien sûr ! s’exclama-t-elle, un sourire éclatant sur ses lèvres roses. L’Ange des Sourires, parce que sous vos doigts, les sourires deviennent immortels.

— Ne dites pas de sottises ! lâcha Gina, tentant de se dégager de l’étreinte de la reine.

Mais la reine ne l’entendit pas de cette oreille. Dès qu’elle sentit la décoratrice du palais s’agiter pour mieux la fuir, ses doigts encerclant la main de Gina devinrent tels un étau d’acier, indestructible. Sous ses yeux terrifiés, Jade porta leurs mains entrelacées contre sa poitrine.

— Vous savez aussi bien que moi que c’est la vérité, murmura-t-elle. C’est pour cela que c’est à vous qu’incombe la tâche de restaurer tous les tableaux du Palais des Lumières. Entre vos mains d’or, tous ses sujets vivent pour l’éternité.

Gina poussa un grognement peu amène, mais ne tenta plus de se libérer.

— La plupart des tableaux sont exposés au grand jour, dans les salles lumineuses du palais, au vu et au su de tous. Mais pas celui-ci. Cette toile, vous ne l’avez pas restaurée. Vous l’avez peinte, après la mort de Katherine. Mais elle était trop douloureuse à voir. Alors vous l’avez placée ici, comme gardienne de la porte de sortie. Gardienne de la liberté. Peut-être même étiez-vous la seule à connaître son existence… jusqu’à aujourd’hui.

Enfin, la peintre sembla se détendre légèrement. Son agressivité et sa rage fondirent devant la vérité qui sortait, belle et pure, de la bouche de Jade des Ospales. Elle baissa les yeux face à cette femme qu’elle désirait détester plus que tout. Sans s’en rendre compte, elle laissa ses doigts s’emmêler entre ceux de la reine.

— Christian… Le roi ne voulait pas la voir. La toile. Alors je l’ai mise ici. Ici, personne ne regarde les murs.

Gina manqua de s’étrangler avec sa propre salive lorsque Jade avança encore vers elle, l’obligeant à trouver refuge dos contre le mur. Sans avertissement, la reine se pressa contre elle, emprisonnant leurs mains entre leurs corps. Le visage de celle qu’elle voulait garder à distance était enfoui contre son épaule, et la voix étouffée qui en sortit était à peine audible.

— Tous les autres ont tort, déclara Jade d’un ton sans appel. Ce tableau mérite de vivre sous la lumière. Encore plus que les autres, par-dessus tous les autres.

— Je… Je vous l’ai dit, objecta Gina d’une voix chevrotante. Je ne peux pas, le roi ne…

Elle manquait d’air pour s’exprimer de manière claire, son ton qu’elle voulait autoritaire se brisait dès qu’elle se rappelait la chaleur du corps de la reine contre le sien. Quand la seconde main de Jade s’enroula autour de sa taille, sa voix mourut dans le silence.

— Merci, souffla Jade contre son épaule. Merci de m’avoir laissée voir la vérité.

Puis, comme si la reine d’Indeya avait enfin retrouvé ses esprits et les règles de la bienséance, elle se détacha d’elle. Une mèche de feu était si réticente à partir qu’elle s’était attachée à un bouton de la chemise de Gina, mais elle aussi finit par entendre raison. Jade se tourna vers le tunnel noir et tendit une main vers elle.

— Suivez-moi, Gina. Il est temps de rendre son sourire au dragon.

Gina marmonna une réplique peu affable, mais malgré toute sa détermination, elle ne parvint pas à résister à l’appel de cette main ouverte. Le coeur lourd de culpabilité – envers ses propres promesses – elle saisit la main de Jade comme s’il s’agissait du dernier fil de sa vie. Au fond d’elle, elle savait qu’elle venait de s’enchaîner à une toute nouvelle maîtresse. Plus jeune, plus fougueuse que la précédente. Plus envoûtante.

Les deux femmes s’enfoncèrent dans l’obscurité.

Jade s’effaça pour permettre à la peintre d’ouvrir la porte qui débouchait sur les jardins du palais.

— Au fait, vous ne m’avez pas expliqué. Pourquoi m’avoir accompagnée jusqu’ici ?

Gina marqua une pause, sa main ancrée sur la poignée de la trappe.

— Parce que je n’ai aucune confiance en Ignar.

— Vous m’avez bien fait comprendre que vous n’aviez aucune confiance en moi non plus, rétorqua la reine, amusée.

Gina s’interrompit après avoir ouvert la porte de moitié, se retourna vers la reine pour lui lancer un regard plus puissant que la haine. L’Ange des Sourires ne daigna pas répondre et ouvrit simplement la trappe, avant de faire un pas de côté. Elle se pencha dans une révérence moqueuse.

— Je vous en prie, Votre Majesté.

La reine d’Indeya franchit les dernières marches bancales et posa un pied sur l’herbe verdoyante. Pendant que la peintre royale se hissait sur la terre ferme à son tour, Jade observa les alentours. Le jardin du Palais des Lumières était vaste, mais parfaitement structuré. Situé derrière l’aile ouest, il était entouré par une gigantesque grille et un portail de fer blanc agrémentés par endroits de gracieuses dorures. Cette grande étendue de nature construite sur la falaise qui surplombait la Mer Tumultueuse était divisée en plusieurs rectangles sur lesquels poussaient des plantes très variées. Par chance, le passage secret débouchait sur un petit bosquet de hauts conifères, derrière lesquels Jade et Gina purent se dissimuler.

Les deux jeunes femmes ne tardèrent pas à repérer l’endroit où s’était réfugié la créature. Pour cause, la bête aux écailles blanches se tenait au centre du jardin, barbotant dans un large bassin d’eau claire qui comportait une haute fontaine de marbre blanc. La statue qui se dressait au milieu montrait une femme tenant un livre ouvert devant elle, tandis que deux doigts de son autre main reposaient sur sa tempe droite.

Une classique représentation d’Hermine, déesse de la Sagesse.

Des éclats de voix provenaient de ce même endroit. Jade reconnut sans mal cette voix sèche qui appartenait au dénommé Ignar.

Sans un mot, elle sortit de sa cachette et marcha tranquillement vers le point d’eau. Elle ne fut pas surprise de découvrir une quinzaine de gardes vêtus d’une armure d’acier, répartis tout autour de la fontaine, épée et arbalète brandies en direction de la créature qui mugissait de terreur.

Jade s’arrêta subitement au milieu du chemin, le regard braqué sur cet animal qu’elle avait cru appartenir aux légendes. Mais il était bien là, devant elle. Un dragon de petite taille doté d’écailles blanches déteignant sur le gris, ses ailes repliés dans son dos. La créature ne semblait plus savoir sur quel pied danser face à tous ces petits hommes menaçants. Ses grosses pattes piétinaient dans l’eau désespérément, créant des vagues anarchiques qui éclaboussaient tous les soldats. Aucun ne bronchait face à la détresse de l’animal.

Un homme grand aux larges épaules se tenait en retrait, criant des ordres expéditifs, qui étaient appliqués dans la seconde. Son crâne était nu sur les côtés, une unique longue mèche de cheveux platine recouvrait le sommet de son crâne de l’arrière vers l’avant. La seule différence qui le distinguait de ses soldats était la sorte d’écharpe faite de fourrure beige qui habillait son cou et ses épaules. Néanmoins, la reine d’Indeya ne put s’empêcher de remarquer que sa taille presque inhumaine et la blancheur effrayante de sa peau n’avaient rien d’ordinaire. Elle sut instantanément que cet homme ne venait pas du Continent. Ignar était originaire de par-delà les Terres Vierges. Cette conclusion fit vibrer ses entrailles, et la machine complexe de son esprit se mit en branle.

— Ignar, appela-t-elle d’un ton sans appel. Veuillez commander à vos hommes de s’écarter de cette créature immédiatement.

Le colosse s’interrompit et se tourna vers la reine. Un sourire déforma ses lèvres, dévoilant des dents étrangement pointues et dans un piteux état. Certaines n’étaient plus d’émail mais avaient été remplacées par le métal. Mais ce qui força la reine à reculer subitement n’était pas lié au sourire édenté ni à la carrure démesurée de l’homme. C’étaient ses yeux, qui étaient d’un jaune immoral.

— Ma reine, quelle surprise ! s’écria-t-il d’une voix grave. Enfin, je vous rencontre. On ne m’avait pas dit que la nouvelle reine d’Indeya était si jeune… et si ravissante. Je suis enchanté. Mais je ne peux malheureusement pas accéder à votre demande.

Son visage s’orna d’une moue faussement désolée pendant un court instant, avant que son sourire de charognard ne refasse surface. Jade ne se laissa pas démonter pour autant. Les paroles véreuses semblèrent glisser sur la porcelaine imperturbable de son visage, tandis que Gina était déjà crispée des pieds à la tête, se rapprochant de la reine dans un réflexe inexplicable.

— Avez-vous déjà oublié à qui vous vous adressez ? Peu importe mon âge – ou mon apparence – je suis la reine d’Indeya. Vous n’avez pas le loisir de ne pas accéder à ma demande.

— Ne vous en faites pas, ma reine, la rassura Ignar, souriant de plus belle. Vous avez tout mon respect, je vous le promets. Mais je tiens mes ordres directement du roi, voyez-vous.

— Le roi vous a ordonné de ne pas attaquer le dragon, si je ne me trompe pas. À l’exception du cas où il vous attaquerait en premier. Il me semble évident que ce ne fut pas le cas. J’en déduis que vous avez donc désobéi à votre roi. Pourquoi ?

Ignar cligna des yeux de surprise. Le sourire satisfait qui étira les lèvres de l’Ange des Sourires acheva de lui faire perdre contenance.

— Écoutez, ma reine, commença-t-il d’un ton qui se voulait apaisant. Avec tout le respect que je vous dois, je réponds avant tout au roi Christian. Je ne doute pas que s’il vous a pris pour épouse, c’est que vous êtes une femme bien. Mais vous ne pouvez pas venir me voir et me réprimander devant mes hommes. Vous pensez que j’ai désobéi au roi ? C’est faux ! Le dragon a bien tenté de nous attaquer. Il a déployé ses ailes, il s’est avancé et il a cr…

Il fut soudain coupé par une quinte de toux d’une violence inouïe. Le corps courbé en deux, les yeux vitreux, le visage rougi par l’effort, il toussait à s’en arracher les poumons. Quelques-uns de ses subalternes marchèrent vers lui, un bras hésitant tendu dans sa direction. Aussitôt, ils s’étouffèrent à leur tour, comme contaminés par une étrange maladie. Jade et Gina n’avaient pas bougé d’un pouce, observant la scène avec autant d’horreur que d’incrédulité. Bientôt, tous les soldats étaient pliés en deux, incapables de parler ni de respirer. Un liquide transparent s’écoulait de leur gorge en flot irrégulier.

— Ils sont en train de se noyer, dit Gina d’une voix plate.

— Que dites-vous ?

— Ils sont en train de…

— J’ai parfaitement entendu ce que vous avez dit, la coupa la reine, irritée, faisant volte-face pour dévisager la peintre. À votre tour de ne pas me prendre pour une idiote. Ils ne peuvent pas se noyer, c’est imposs…

— Votre Majesté, l’interrompit Gina, pointant le bassin du doigt. Là. Sur le dragon.

— Qu’est-ce que vous…

La bouche de la reine s’ouvrit de stupeur, mais aucun mot n’en sortit. Sur l’encolure du dragon se tenait une femme, grande, droite comme un i. Vêtue d’une robe bleu translucide comme l’eau, aussi pâle que la glace, ses cheveux blancs remontés en un chignon désordonné, elle toisait les deux femmes au sol comme si elle pouvait les écraser.

— C’est la Sorcière Bleue, murmura Jade, oscillant entre doute et fascination.

Gina se demandait comment la présence de la femme en bleue avait pu leur échapper jusqu’à maintenant.

— Qui ?

Jade ne répondit pas, et choisit plutôt de s’affaisser dans une révérence que Gina reconnut comme la plus gracieuse qu’elle eut jamais vue.

— Grande Sorcière Bleue, bienvenue en Indeya. Je suis la reine Jade d’Indeya. C’est un honneur de vous recevoir.

Le regard de Kiryana qui était jusqu’à présent figé sur Gina vrilla vers la reine, au plus grand soulagement de l’Ange des Sourires. La Sorcière Bleue demeura coite, mais ses yeux de glace offraient toute leur attention à Jade.

— Grande Sorcière Bleue, continua Jade, toujours prostrée. Si l’état de mes soldats est d’une quelconque manière imputable à votre pouvoir, je vous implore de cesser. Je suis navrée s’ils ont pu effrayer votre compagnon. Vous avez ma parole que cela ne se reproduira pas.

La sorcière esquissa un mouvement sec de la main, et tous les soldats ainsi que leur commandant tombèrent à terre, reprenant leur souffle dans de grandes inspirations déchirées. Le dragon qui avait repris tranquillement ses petits jeux dans l’eau étendit une patte vers l’avant. La sorcière sauta, glissa le long des écailles scintillantes de sa patte avant et atterrit dans le bassin aussi silencieusement que le vent. Elle enjamba la rambarde sans difficulté et se dirigea vers la reine.

— Je suis Kiryana, dit-elle d’une voix mécanique. Et voici Lapsi.

Jade et Gina suivirent des yeux la main pâle qui désignait le dragon. Les deux femmes n’osèrent pas l’interroger sur la raison pour laquelle la sorcière venait de sortir parfaitement sèche de la fontaine. La reine d’Indeya hocha la tête, solennelle, tandis que Gina dévisageait le dragon avec un mélange de curiosité et de méfiance.

— Qui est votre accompagnatrice ? demanda Kiryana, ses yeux de neige fixés de nouveau sur Gina alors qu’elle se rapprochait.

— Oh, pardonnez-moi, rit la reine, avant de faire un pas de côté. Voici Mademoiselle Gina, l’Ange des Sourires, décoratrice du Palais des Lumières.

Aussitôt ses mots eurent franchi les lèvres de la reine que la sorcière se détourna d’elle et se planta devant Gina. Elle tendit une main vers l’employée du palais, et ses yeux de givre semblèrent se réchauffer.

— Enchantée, Mademoiselle Gina.

Craintive, Gina regarda longuement cette main blafarde, avant de jeter un coup d’oeil vers Jade, qui souriait d’un air taquin. Celle-ci hocha la tête. Et encore une fois, l’Ange des Sourires se maudit d’accorder sa confiance au jugement de la reine d’Indeya. Elle serra la main de la sorcière bleue, et se retint de retirer ses doigts lorsqu’elle fut traversée par un courant à la fois chaud et froid qui transperça son bras, remontant jusqu’à ses épaules.

— C’est bien ce que je pensais, déclara Kiryana d’un ton égal. Vous possédez une part de magie. Et la vôtre est des plus curieuses.

Gina se retrouva forcée au silence. Pour toute réponse, elle lança un regard hargneux tantôt à la reine, tantôt à la sorcière, puis au dragon Lapsi, qui semblait n’en mener pas large dans son bassin. Kiryana souriait très légèrement, arborant sa fierté comme un blason. Était-elle fière d’avoir vu juste, ou fière de croiser sa route, l’Ange des Sourires ne saurait dire.

Mais ce qui la dérangea le plus était le regard de Jade. Ses yeux verts, ancrés sur elle et elle seule, semblaient habités par une flamme gourmande, dévorante. Comme si elle pouvait la capturer, l’engloutir rien que par la force de ce regard. Gina n’en doutait pas un seul instant, car elle se sentait déjà happée par ce brasier si doux, si dangereux. Et elle n’avait plus qu’une envie ; se laisser brûler.

Les trois femmes sursautèrent à l’unisson lorsque le son grave des cloches retentit. Enfin, ce regard aux mille promesses se détacha d’elle, et la reine se tourna vers son invitée.

— Le roi Amalric de Galvin vient d’arriver. J’imagine que vous l’accompagnez, Kiryana ?

La sorcière bleue inclina la tête, et la reine lui offrit un sourire sincère qui n’était pas sans rappeler celui de sa défunte tante.

— Très bien. Ils doivent être dans la cour officielle. Nous allons les rejoindre. Il faut que je vous présente au roi Christian d’Indeya.

Jade tendit son bras à la sorcière, et celle-ci y plaça sa main le plus naturellement du monde, se laissant guider sans protester, comme si les deux femmes se connaissaient depuis toujours.

Gina serra les dents. Comment cette sorcière osait-elle faire confiance aussi facilement ? Était-elle si puissante qu’elle ne redoutait aucune trahison ? Et surtout, comment osait-elle toucher la reine, comme si elle était à sa place ?

Non pas que Gina pensait être plus légitime à marcher aux côtés de la reine. Elle ne désirait marcher aux côtés de personne. L’image de Jade blottie dans ses bras quelques minutes plus tôt dans les ténèbres du passage secret s’imposa à son esprit. Dire qu’elle n’avait pas résisté, elle avait même accueilli cette étreinte ! Elle se détestait pour cela. Elle n’avait su repousser cette rebelle des Ospales, et maintenant la reine d’Indeya ? Les liens ne se brisaient jamais, ils ne faisaient que se tisser. Sa liberté qui lui avait semblé si proche il y a quelques mois lui paraissait désormais totalement hors d’atteinte. Un mirage de plus dans le tableau de sa vie décolorée.

Dans un grognement bestial, Gina emboîta le pas à la reine, choisissant de la suivre aveuglément encore une fois. Et elle se détesta pour cela, aussi.