Chapitre 15 : Oriana - Allègement

- Baptiste ? Qu’est-ce qui vous tarabuste à mon propos ? demanda Oriana, mettant ainsi les pieds dans le plat.

Il soupira, la regarda dans les yeux puis annonça :

- Je t’ignorais suicidaire. C’est un défaut majeur.

- Suicidaire ? répéta Oriana, abasourdie. Qu’est-ce qui vous faire croire que c’est le cas ?

Baptiste plissa les yeux. Apparemment, il ne comptait pas lui dévoiler la cause de ses craintes.

- Je n’ai pas peur de la mort et je l’accueillerai volontiers quand elle se présentera mais je ne la recherche pas, assura Oriana et c’était la pure vérité.

Baptiste fronça les sourcils. Il ne la croyait pas, c’était une évidence.

- Vous avez peur que je me laisse mourir le jour de l’accouchement ? supposa Oriana. Je vous jure que non. Je n’accepterai toujours pas l’hypnose car je veux être présente pour lutter avec vous contre la mort.

Le visage de Baptiste se détendit considérablement. Son regard se fit plus doux. Il respira profondément puis annonça :

- Soit. Détache-toi.

Oriana le fit avec lenteur, espérant cacher son impatience qui ne pouvait pas passer inaperçue et qui, de toute manière, était évidente et normale.

- Debout, devant moi, les mains dans le dos.

Elle se positionna comme demandé.

- Regarde-moi, ordonna-t-il alors qu’elle baissait humblement les yeux.

Elle monta son regard de manière à croiser celui de son interlocuteur.

- Tes obligations sont les suivantes, commença Baptiste. Trois repas complets par jour.

Il accompagna ses paroles d’un mouvement de la main levant trois doigts. Oriana hocha la tête.

- Trois gourdes d’eau entière par jour, continua-t-il. Trois cycles de sommeil complets par jour – soit 9 heures. Trois heures d’activités sportives quotidiennes. Cela peut être de la piscine, mais aussi de la marche, ou du pédalo ou de la planche à voile.

Oriana ouvrit de grands yeux surpris.

- Oui, il y a des nouveautés depuis ta dernière venue. Il y a un lac maintenant, avec un parcours de ski nautique, des bateaux, mais aussi des canards, des cygnes et même des endroits où pêcher. Je ne considère pas la pêche comme une activité sportive, précisa-t-il et la remarque fit sourire Oriana.

Un étang ! Ouah ! Baptiste mettait vraiment le paquet !

- Il y a également une ferme, à une heure de marche au nord, où tu pourras t’occuper de vaches, de cochons, de poules, de lapins ou de moutons. Entre les bâtiments C et D, un potager a été ajouté et tu constateras un peu partout la présence de bosquets fleuris. Les pensionnaires ont le droit de s’en occuper et de créer à leur convenance. S’occuper des plantes ou des animaux est considéré comme une activité physique.

- D’accord, dit Oriana, épatée.

L’enfer améliorait son déguisement.

- Il y a des pommiers rouges ? demanda Oriana, un rien taquine.

- Oui, répondit-il sobrement.

Il n’avait pas saisi l’allusion. Tant pis. Oriana en rit seule.

- Et naturellement, interdiction de t’en prendre à quiconque, que ça soit mes collaborateurs, moi, toi, le bébé que tu portes, une autre pensionnaire ou l’enfant qu’elles portent.

- Bien sûr, Baptiste, assura Oriana en redevenant grave.

- Tu rappliques dès que je te sonne.

- Oui, Baptiste, dit humblement Oriana.

Il la transperça du regard. Il ne semblait pas rassuré du tout. Il grimaça puis s’avança. Oriana se poussa en baissant humblement les yeux pour le laisser passer. Il disparut dans le couloir sans un mot supplémentaire.

- Suicidaire ? murmura Oriana dès qu’il fut parti.

D’où avait-il bien pu tirer une telle idée ? Oriana ne comprenait pas. Il ne craignait pas qu’elle tente de s’enfuir mais qu’elle mette fin à ses jours. Oriana en fut totalement déboussolée. Laquelle de ses attitudes avait pu amener Baptiste à une telle conclusion ? Oriana se promit d’y réfléchir. En attendant, elle comptait bien donner à cet estomac vide et plein de crampes ce dont il avait besoin.

Le repas terminé, Oriana se sentait bien mieux. Elle réfléchit puis décida d’aller visiter le lac. Elle n’avait pas la moindre idée d’où il se trouvait. Elle se promena dans la Clinique, cherchant un magasin en particulier. Elle ignorait totalement sa localisation. Elle erra donc au hasard. Et tandis qu’elle tournait à une nouvelle intersection, l’évènement attendu se produisit.

- Tu es perdue ? demanda Bryan. Puis-je…

- Ah non ! s’exclama Oriana feignant la colère. C’est déjà assez dur comme ça mais là, ça dépasse les bornes. Je ne suis pas une putain de pensionnaire de la Clinique. Je suis prisonnière, pas volontaire. Je n’ai pas passé une saloperie de marché pour revenir. On m’a forcée. T’es bien gentil mais non.

- Je veux juste…

- Non Bryan ! Fiche-moi la paix. Je suis capable de me débrouiller toute seule. On m’a déjà retiré mon libre-arbitre. Je refuse qu’on me prenne en plus mes compétences mentales. Je ne suis pas une attardée. Si je me perds, tant pis. Je dois dormir neuf heures par jour mais je ne suis pas obligée de le faire dans ma chambre non plus. Si je ne sais pas rentrer, je dormirai à la belle étoile. Tiens, d’ailleurs, je vais le faire. Après tout, il ne pleut jamais en enfer alors autant en profiter.

- En enfer ? répéta Bryan.

- Ta gueule ! Putain ! T’as pas compris ! Dégage ! Je ne veux pas de toi. Si je parle à voix haute, c’est que je me parle à moi-même, comme n’importe quelle personne normalement constituée. Si je peste que je suis perdue, cela ne veut pas dire que je veux qu’on me remette dans le droit chemin. J’ai juste envie de ronchonner et j’aimerais qu’on ne me prenne pas ce droit. Va-t-en, Bryan. Lâche-moi la grappe. Je ne veux pas de toi.

Le silence lui répondit. Elle espéra que l’IA avait bien enregistré sa demande et cesserait de s’intéresser à elle. Ainsi, elle pourrait se déplacer sans traceur et agir en toute discrétion, enfin l’espérait-elle.

Oriana continua sa promenade dans la Clinique, se rendant compte qu’elle ne l’avait en fait jamais réellement visitée, se contentant globalement d’aller de sa chambre à la bibliothèque et inversement. Elle découvrit de multiples bâtiments. Elle dîna dans un autre complexe que celui où se trouvait sa chambre.

Fatiguée, elle tenta d’entrer dans une chambre et la porte s’ouvrit. En souriant, Oriana s’installa dans ce lit disponible et s’endormit. Le lendemain, elle prit son petit-déjeuner au même restaurant que son dîner puis reprit sa visite, enregistrant aisément les lieux.

Ce fut en milieu de matinée qu’elle trouva ce qu’elle cherchait. Dans la boutique, elle récupéra une tablette qu’elle alluma.

- Quelles applications souhaites-tu voir… commença Bryan.

- Non, non, non ! Bryan ! Fiche-moi la paix ! hurla Oriana sous le regard curieux d’une autre pensionnaire. Vraiment ! Ne t’occupe pas de moi. Je ne suis pas une enfant qu’on materne. Je suis déjà pieds et poings liés. Ne me prive pas de cette dernière petite once de liberté.

- D’accord, dit Bryan. Excuse-moi. Je ne voulais pas te blesser. Je n’interagirai plus avec toi.

« Si seulement », pensa Oriana. Elle alluma la tablette tout en marchant pour sortir et y trouva un plan de la Clinique. Voilà de quoi se passer de Bryan. Cette tablette, elle pourrait la contrôler. Elle y mettrait ce qu’elle voulait. Elle choisirait. Personne ne lui imposerait. C’était parfait.

Oriana avait très envie de s’occuper du potager. Elle y rencontra trois femmes avec qui elle se lia d’amitié. Elle respecta à la lettre les recommandations de Baptiste.

- Oriana ?

Elle leva les yeux pour découvrir Baptiste, au milieu du potager de tomates. Sa présence ici était surprenante et très inhabituelle. Cela présageait un problème.

- Bonjour, Baptiste. Que puis-je pour vous ?

- Tu viens de rater un rendez-vous, indiqua-t-il. Peut-être aurais-tu dû conserver Bryan, après tout.

- Un rendez-vous ? répéta Oriana abasourdie. Avec qui ?

- Ta psy, indiqua Baptiste.

- Ma… psy ? s’exclama Oriana qui hésitait entre rire et pleurer. Parce que vous croyez vraiment que parler une heure par semaine avec votre collaboratrice va me permettre de mieux accepter ma détention ? Ou le fait que vous ayez mis un bébé dans mon ventre contre ma volonté ? Que je ne sortirai jamais d’ici ? Que je ne reverrai jamais les miens ? Que mes confrères ont tenté de s’en prendre à moi ? Et je pourrais continuer longtemps comme ça.

Baptiste grimaça en penchant la tête, signe qu’il admettait qu’elle n’avait pas tort.

- Honnêtement, Baptiste, je préfère le silence des légumes. Eux au moins ne cherchent pas à me faire du mal.

- Je ne cherche pas à te faire du mal, répliqua Baptiste en insistant sur le « Je ».

- Vous craignez toujours que je me suicide ? s’exclama Oriana. Mais enfin, Baptiste, qu’ai-je fait pour induire une telle conclusion de votre part ? C’est parce que je vous ai appelé à l’aide ?

- Non, répliqua Baptiste. Si j’étais méchant, je dirais que tu m’as appelé parce que tu es masochiste.

Oriana lui envoya un regard noir.

- Mais comme je suis gentil, je dirais que tu étais désespérée.

Oriana le transperça des yeux. Ça oui, elle l’était.

- Alors quoi ? Laquelle de mes attitudes a pu vous laisser croire que je voulais mourir ?

Baptiste la déshabilla des yeux puis fronça les sourcils.

- C’est moi. J’ai mal interprété, c’est tout.

- Ça vous arrive de vous tromper ? lança Oriana, taquine.

- Cela arrive même aux meilleurs, répondit Baptiste en souriant, preuve qu’il avait bien pris la pique.

- Avez-vous trouvé pourquoi j’ai survécu à mon accouchement ?

- Oui, lui apprit Baptiste. Il y a eu transfert génétique entre le bébé et toi. Cela arrive parfois, plus souvent entre un virus et son hôte, je l’admets.

- Je suis génétiquement modifiée, super. Quel soulagement ! ironisa Oriana.

Baptiste, repérant le sarcasme, ne répondit rien.

- Rassurez-moi : je suis toujours humaine ?

- Si tu me demandes si tu es toujours compatible avec un être humain, alors oui. Mais ta capacité à te régénérer est génétique, insista Baptiste. Il y a fort à parier, si tu te reproduisais avec un être humain - ce qui ne se produira pas - que l’enfant ait les même propriétés que toi.

- Mon changement de groupe sanguin vient aussi de là ? demanda Oriana.

- Non, indiqua Baptiste. Nous changeons volontairement le groupe sanguin de nos invitées. C’est nécessaire pour que l’expérience fonctionne. Toutes nos invitées sont désormais O négatif.

- Vous avez changé le groupe sanguin de toutes vos patientes et vous les avez génétiquement modifiées si bien que maintenant, aucune d’elle ne meurt en couche.

- Non, annonça Baptiste en serrant les dents, et ce pour deux raisons. D’abord parce que malgré toutes nos tentatives, nous n’arrivons pas à induire le transfert génétique.

Oriana ouvrit de grands yeux. Il existait donc des choses inaccessibles à cet homme.

- Ensuite, parce que même si nous le pouvions, nous ne sommes pas d’accord sur le bien fondé de le faire, précisa Baptiste.

- Comment ça ? Quels sont les arguments contre ?

- Le faire signifie que les patientes survivraient et seraient donc relâchées avec leur ADN modifié.

- Vous craignez qu’elles ne tombent entre les mains de vos ennemis, comprit Oriana.

- Vois la réaction des tiens lorsqu’ils se sont rendus compte de tes compétences. Cela n’a pas traîné. Imagine maintenant que des milliers de femmes soient dans ce cas. Elles seraient traquées et torturées. On leur retirerait leurs organes à vif sans prendre soin de les recoudre. À quoi bon ? Elles survivent.

Oriana grimaça.

- Ensuite, leurs enfants auraient leurs gênes. Elles seraient fécondées de force par de riches hommes, permettant à leur fils d’obtenir l’assurance d’une vie sans maladie, sans douleur. Le monde se scinderait entre ceux qui peuvent se payer ce genre de choses et ceux qui ne le peuvent pas et les perdants seront toujours les mêmes, assura Baptiste.

Oriana en eut envie de pleurer.

- Pourquoi ne faites-vous pas profiter de vos fantastiques découvertes au monde ? accusa Oriana.

- Tu veux dire en laissant une chirurgienne soigner une poignée de riches et des milliers de pauvres ?

Oriana se recula, comme s’il l’avait giflée.

- Rappelle-moi où tu as acquis ce savoir ?

Elle trembla en échange.

- Crois-tu être la seule dans ce cas ?

Cette phrase-là la mit KO. Elle ne s’y attendait pas du tout.

- Vous partagez vos connaissances, comprit-elle. Vous les distillez, de ci, de là, pour ne pas attirer l’attention. Oh Baptiste, pardonnez-moi. Je vous ai mal jugé.

- Je t’en prie, répondit le maître des lieux apparemment pas blessé le moins du monde. Je comprends. Dans ta position, j’aurais eu la même réaction.

- C’est cette modification génétique qui ralentit mon vieillissement ? demanda Oriana. Plusieurs personnes, avant de venir ici, m’en avaient fait la remarque.

Baptiste acquiesça de la tête.

- Vous m’avez dit ne pas savoir comment induire le transfert.

- En effet. Et alors ?

- Alors vous non plus vous ne vieillissez pas, fit-elle remarquer.

- Oui mais moi, je suis le Diable, répondit-il en souriant puis il s’éloigna tranquillement.

Oriana en conclut que le psy n’était plus une obligation. Tant mieux. Quant à cette réponse volontairement provocatrice, Oriana n’en tint absolument pas compte. Il s’amusait à la titiller. Elle ne comptait pas entrer dans son jeu. En souriant, elle retourna à ses tomates.

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