Chapitre 16

Notes de l’auteur : On entre dans le 3ème et dernier volet de l'aventure !
Ce chapitre me semble plus long (désolée) mais je ne voulais pas couper les révélations !

Une chaînette retenait l’entrebâillement de la porte. Christophe referma la porte, décrocha la chaîne et ouvrit la porte en grand. Richy sursauta : l'antre de l'homme était semblable à ce qu'elle avait toujours été, il n'était vraisemblablement jamais parti. Un vieux labrador dégoulinant de salive se traîna jusqu’à l'adolescent pour gagner quelques caresses.

—  Oui, oui, bon chien Moris »

—  Entre, dit Christophe en retenant le gros toutou par le collier pour contenir son affection un peu trop envahissante.

Richy ne se fit pas prier. Il s’essuya les pieds sur le paillasson tout en retirant sa capuche mouillée.  À Bruxelles, un crachin avait commencé à tomber. Christophe tendit à son cadet une serviette de toilette. Il lui ouvrit la porte de la salle de bain dont l’entrée se trouvait sous l’escalier.

—  Je veux parler d’abord, imposa Richy.

Le jeune homme n’avait plus rien : plus de prouesse à relever, plus de mère, plus de petite amie. Il était temps pour lui de savoir ce qu’on s’appliquait à lui cacher. Christophe souffla en s’installant dans le canapé.

— Très bien, assied toi.

— Tu ne m'as jamais donné de nouvelles !

Richy se laissa tomber sur le canapé, bras en équerres et mains posées sur ses genoux écartés. S’en suivit un long silence assez embarrassant.

—  Pourquoi tu nous fuient, ma mère et moi ? enchaina t-il.

— Beth Brown, elle nous a roulés... complètement.

— Comment ça ?

Christophe s’avachit, les mains sur le visage. Il avait une mine désespérée, presque honteuse.

— Tu dois te demander comment il est possible que durant toutes ces années, nous n’ayons rien vu mais… Nous, les collègues de ton père, nous avons été bercés toute notre vie par l’utopie de réussir à cloner des humains, pour rendre les prodiges immortels. C'est interdit en France, mais on voulait juste savoir que c’était possible... Lorsque ce laboratoire, avec lequel nous travaillons régulièrement s'est vanté d'y parvenir, c’était… le plus beau jour de ma vie. Et celui de ton père aussi.

—  Lui… J’en ai ma claque, souffla Richy agacé.

Christophe ne releva pas.

— Bien sûr, c’est un événement si extraordinaire que nous en attendions des preuves. Lorsque la revue américaine de référence Science a dédié un numéro à cet incroyable phénomène, nous n’avions plus de doutes concernant la réussite du laboratoire de Genève !

Christophe se tut un instant, regardant mélancoliquement la pluie s’égrener, au travers la vieille vitre.

— Mais, on a été très naïfs... tout ça n’était pas sans conséquences…

Avant de repartir sur une autre idée :

— Ce qu’on appelle le don ou l’intuition, celle que ton père comme Einstein avaient en sciences, par exemple... Cette intuition, on n’a jamais réussi à comprendre d’où elle venait. Ton père… Il était transporté par la réussite du clonage humain. Malheureusement, il est décédé peu de temps après… Mais il envisageait déjà qu’on puisse cloner de grands médecins, de grands génies, pour faire avancer la science deux fois plus vite. Deux Einstein, deux Riccardo Donnelli, dans son cas… c’est ce qu’on a essayé de faire à sa mort. On a juste cru en cette même idée...

Christophe semblait essayer de se rassurer lui-même.

—  Mais ça ne marche pas, constata Richy sans émotion.

—  Non. Je pense qu’on a négligé le rôle de l’environnement dans l’éducation : bien sûr que tu ne pourras jamais vivre les mêmes expériences que ton père, et…

Christophe se retourna vers la porte, inquiet, comme s’il craignait d’être entendu.

— Je… C’est risqué, tu comprends. Nous y croyions, mais... Regarde-toi, tu es le portrait physique de ton père, et pourtant… »

Christophe balbutia, conscient qu'il pourrait blesser Richy. Il reprit :

— En Inde, où Elisabeth a mené beaucoup de ses premiers tests, beaucoup d’enfants sont morts prématurément, sans compter les mères décédées durant leur grossesse... Je ne l’ai su qu’il y a peu… C’est le lanceur d’alerte indien, Goutham Ganesh qui l’a écrit sur son blog. Sa fille de 5 ans est morte, elle était née clone comme toi, mais… je sais qu’il n’a pas encore de vraie preuve qui pourrait lui apporter crédit. On voudrait lui apporter du soutien. On a creusé l’affaire, il nous semble crédible. On se prépare comme il faut. Et toi…  Je... Je ne peux pas te dire combien de temps il te reste à vivre mon garçon… comme pour les premiers bébés chinois dont l’ADN a été modifié[*], il y a beaucoup de chances que tu meurs jeune. Et tu ne pourras sans doute jamais avoir d’enfants, il est probable que tu sois stérile...

Richy se leva d’un coup et empoignât l’homme mûr par le col. Il était furieux :

— Comment ?! Je vais mourir, et je ne suis pas le seul à avoir eut ma vie gâchée ?! Gâchée par vos conneries ! Et vous, vous n’agissez pas encore ?! Pire, vous avez laissé filer Elisabeth Brown aux Etats-Unis !

Christophe se redressa, posant une main sur celle de Richy qui retira son emprise et laissa le vieil homme se rassoir maladroitement. Richy avait senti la faiblesse nouvelle de Christophe et s’était surpris lui-même par sa gaillardise.

—  Non, ce n’est pas ça, articula le chercheur en remettant son col en place.

Richy le fixait, Christophe contemplait le sol.

— J’ai une faveur à te demander »

— Quoi ? » répondit sèchement Richy.

Comme s'il était en position de le faire.

—  Je voudrais que tu gardes le secret de ta naissance entre nous...

—  Comment ça… ?! le coupa le jeune-homme.

Christophe s’empoigna quelques mèches de cheveux, il n’aimait pas trop les détails juridiques :

— Pour l'instant ! En fait, la haute communauté des scientifiques d’Anvers, prépare un procès contre Elisabeth Brown et son équipe, on veut les dénoncer. Le problème là-dedans, c’est qu’on a payé et participé à l’expérience de ta naissance via le laboratoire d'Anvers, et ce, contre la loi bioéthique française alors que tu es citoyen de l'hexagone. Si ça transparaît devant un tribunal, on coule, tu vois... On cherche à protéger l'entreprise et les salariés qui n'ont rien à voir là dedans...

—  Vous êtes conscient que si Beth se défend devant le juge, son avocat parlera de moi pour vous inculper aussi ? Tu te rends compte aussi de la haine que j’ai pour vous, et que c’est moi qui pourrais vous attaquer devant un juge ?

— Oui, ça, je le sais aussi. Je te demande juste d'attendre pour qu'on trouve de quoi prouver la responsabilité majeure d'Elisabeth Brown dans la mort prématurée des enfants cobayes et de ta probable stérilité. On va essayer de trouver une solution, avec notre avocat. Il nous faut des preuves de ce qu’on avance, des erreurs qu'elle a commises en Inde. C’est pour ça qu’on attend pour agir.

Christophe continuait de regarder le sol, silencieux.

— Miss Brown est aux Etats-Unis, vous aurez du mal à l'atteindre, Richy en rajoutait une couche, mais la remarque était perspicace.

Christophe appuya sa main sur l’épaule de Richy, et lui dit, le plus sincèrement du monde :

—  Je te demande une autre chose : de me croire. Ils seront punis, je te le promets. Et nous aussi, à notre la juste mesure de nos actes.

Christophe se leva douloureusement en s’appuyant sur l’épaule de Richy. Il avait l’air d’un vieillard s’aidant de sa canne. Il se mit à décongeler des lasagnes pour le dîner.

— Tu n'as pas répondu à ma première question, accusa Richy, irrité.

— Quoi donc ?

—  Pourquoi tu m'as abandonné...? Et caché des choses si importantes ? L'adolescent paraissait sonné.

—  J’avais décidé de tout te dire mais j'attendais que tu aies l'âge pour comprendre. Il est peut-être déjà un peu tard, j’en suis désolé... En tant qu’adulte, on ne sait jamais, quand un enfant devient assez avisé pour entendre sa vérité, tu comprends ? En plus je n'ai jamais eu de mioche... C’est encore moins évident pour moi qui suis un vieil ours bourru...

Il toussa, puis se reprit

— Il est possible que tu nous dénonce dès demain auprès d’un juge français, tu serais en droit, j’en prend le risque.

Richy baissa la tête, il aurait voulu promettre, lui aussi, qu’il ne tenterait rien contre eux, mais il ne pouvait pas être sûr d’une chose pareille après ce qu’il venait d’apprendre. La fatigue le gagnait maintenant. Apprendre qu’il pouvait mourir d’ici peu, comme une personne atteinte d’une maladie incurable, aurait dû continuer de le faire bouillir, mais il en fut juste anéanti. Toutes les révélations de ces derniers jours l’avaient mis en état d’alerte permanent, et maintenant qu’il était chez Christophe, la fatigue le submergeait.

—  Va prendre ta douche, et couche toi directement si tu veux. Prends la chambre.

Richy suivit son bon conseil et se leva du canapé en baillant. Il se dirigeait vers les escaliers, quand Christophe l’interpela.

—  J’oubliais, dit-il en se tournant vers lui, il reste une zone d'ombre sur ton père, que toi seul pourrait éclaircir...


[*] anecdote réelle

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