Richy entra dans l'appartement. Avant même qu'il ne commence à parler, Albane qui tapait sur son clavier d'ordinateur posé sur la table basse lança :
— Je me doute que tu es allé voir ta copine à Trieste, c’est normal à ton âge. Tu aurais quand même pu prévenir mamie, il parait que tu n’es même pas allé lui dire bonjour.
Chose plutôt étonnante : Albane ne paraissait pas fâchée de sa fugue, plutôt songeuse.
— J'ai pas la tête à ça, ce que j'ai appris m'a mis vraiment en colère ! Tu as intérêt à m'écouter parce que là...
— Oui je compatis mon pauvre chéri, c'est tellement dur...
Richy eut un mouvement de recul. Les yeux d'Albane brillaient.
— Quoi ?! hurla le jeune-homme décontenancé, Tu ne vas pas me faire croire que...
— Oui, moi aussi je l'ai trouvé, le blog de ta copine italienne...
Qu'est-ce qu'elle racontait bordel ? Albane tendit son ordinateur portable à Richy pour qu'il puisse mieux voir.
La page internet était ouverte sur un article le concernant. Valentina se plaisait à écrire des articles sur tous les faits d’actualités les plus mystérieux du monde. Une série de posts en cours traitaient de lui. Avant même d’attendre sa réaction, Albane s’était levée pour aller préparer à manger. Elle jouait la désinvolture mais épiait chaque réaction de son fils. Ses doutes s'étaient confirmés et cette sensation de victoire était assez plaisante. Pendant un long moment, elle n’entendit rien. Puis soudain, un grand fracas. Elle se retourna, faussement étonnée. Richy avait balancé l’ordinateur par terre, il était debout, rouge et fou de rage :
— Ça te fait plaisir, hein ?! Oh que ça te fait plaisir !! Ton seul but est de gâcher ma vie ! Mais tu avais déjà réussi, sache-le !
Il donna un violent coup de poing dans la porte et sortit de l’appartement en courant. Albane ne retint pas son fils, elle savait que ce n’était qu’une question de temps. Il finirait, de toute façon, par revenir à la maison comme le font les chiots errants. Elle se dépêcha plutôt de ramasser son pauvre ordinateur qui gisait sur le lino. Elle testa plusieurs fonctionnalités, pour voir s’il fonctionnait toujours. Mis à part l’écran qui avait trois vilains impacts, le reste semblait tenir bon. C’est là, qu’un nouvel article du blog attira son attention. Il datait de quelques minutes seulement, « Scoperta sorprendente a Ginevra, Svizzera ». Elle enclencha la traduction automatique, ce qui donnait : « Découverte troublante à Genève, Suisse ». Albane parcourut l’article. On y apprenait que le chirurgien qui avait opéré Richy du cerveau était un escroc. La mère du jeune clone, était une personne faible, une victime, à qui le médecin soutirait de l’argent. Plus bas, un paragraphe titré « Une descendance pour l’éternité » était dédié aux embryons conservés dans la clinique de Genève, qui pouvaient, à tout moment, être fécondés et donner de nouveaux clones de Riccardo. Richy était donc allé en Suisse, à la recherche de Beth. Toutes ces découvertes… ces insultes envers elle et les scientifiques… Albane en tombait des nues.
*
Qui appeler maintenant ? Richy était perdu. Il courait au hasard dans les rues du vieux Lille. La pluie battait le pavé. Il faisait déjà nuit. Il ne retournerait jamais chez sa mère, jamais ! D’ailleurs, son minuscule appartement n’avait jamais été chez lui : partout les traces de l’ancienne vie de sa mère et de son père, nul part de posters de super-héros ou tout autre de trace de vie d’un enfant. Il n’avait même pas de chambre à lui. Il pensa directement à retrouver Christophe. Il aurait des réponses. Il saurait quoi faire. Richy restait attaché à cet homme qui avait été son tuteur durant toute son enfance, malgré ses défauts et son exigence. De plus, qu'est-ce qui lui prouvait que sa mère avait dit vrai lorsqu'elle avait annoncé son abandon ? Christophe demeurait l'une des seules personnes en laquelle accorder le peu de confiance qu’il restait à Richy après la trahison de Valentina, de sa mère et du docteur Pamuk. Comment le retrouver ? Tant pis, Richy n'avait pas d'autre solution de secours. Il irait chez les nouveaux acheteurs de sa maison, ils auraient sans doute les coordonnées du scientifique. Richy consulta sa montre : 20 heures. Il était encore temps de prendre un train pour la Belgique.
Richy n’était venu que deux fois dans l'ex-maison scientifique, mais il se rappelait bien de l’adresse. Près du libraire, on tournait à droite puis sous l’horloge, se trouvait la porte de la cour. Il s’engouffra dans le passage étroit et obscur. Après avoir traversé l’espace contigu, dallé de façon difforme, il prit son courage à deux mains et sonna le carillon de la porte de rouge. Un chien se mit à aboyer. Richy déglutit. Le garçon entendit un pas lourd descendre l’escalier. Et s'il était mal reçu par ces inconnus ?
À sa grande surprise, Christophe entrouvrit, ne laissant percevoir de l’extérieur que son œil éteint.