Chapitre 16

Par Froglys

Un gâteau ? Des bougies ? Un cadeau ?

Dire que j’avais complètement manqué mon propre anniversaire. C’étaient mes dix-sept ans quand même !

_ Je ne savais pas trop ce que tu aimais du coup j’ai laissé Léoni choisir, expliqua mon frère en se grattant le cou, un peu gêné.

_ C’est parfait, Thal.

Mon sourire montait jusqu’à mes oreilles. L’année dernière déjà, j’avais choisi de ne pas organiser de fête parce que cela ne me réjouissait pas d’être l’objet de tous les regards. Alors ça me faisait plaisir que mon frère n’ait invité personne. Même si la date exacte de mon anniversaire était passée depuis plusieurs jours, je n’avais pas réalisé avoir atteint la majorité.

_ Alors, on le mange ce gâteau ? demanda-t-il en attrapant une longue lame.

_ Tu as cru que j’allais uniquement l’admirer ? répliquai-je avec un sourire narquois avant de m’installer à table. Dis t’avais oublié toi aussi ?

Il détourna le regard du couteau qu’il tenait pour me regarder.

_ Bien sûr que non. J’ai même tout fait pour rentrer de mission au plus vite, s’exclama-t-il de manière un peu trop expressive pour lui.

Je roulai des yeux devant l’évidence que ce qu’il disait était faux. Mais étais-je en droit de le lui reprocher quand j’avais moi-même oublié ?

 

La fin de mon dernier jour à Orane arriva très vite. Je préparais mes bagages sans savoir quoi prendre. Céleste avait beau m’avoir décrit l’Iragwa comme un pays frais, je ne pensais pas que prendre trois énormes vestes était forcément nécessaire.

Je soupirai. J’appréhendais beaucoup ce voyage, quitter tout ce que je connaissais me rendait malade. Et l’idée de devoir prendre le bateau pour arriver à destination me stressait aussi beaucoup. Je n’avais jamais vu l’océan… Alors embarquer sur du bois flottant pendant des jours, c’était très irréel et effrayant.

Trois coups retentirent contre la porte. Je levai la tête vers le nouveau venu.

_ Tu es prête ?

_ Pas le moins du monde.

Albin sourit avant de coiffer ses cheveux épais en une queue de cheval puis s’approcha de mon armoire et commença à fouiller.

_ Prends des pantalons. Ils n’ont pas d’uniformes, c’est ça ? Alors évite de prendre des vêtements courts, si tu tombes tu risquerais de te blesser encore plus.

_ Je ne vais pas tomber, fis-je en roulant des yeux.

_ Tu ne comptes pas continuer ton apprentissage de l’épée ?

Je détournai le regard. Ca ferait bizarre de se battre contre quelqu’un d’autre que Léandre ou Céleste. Mais je n’avais pas encore réfléchi aux cours que je suivrais.

Il sortit des vêtements sombres du placard et les lança sur moi. Ils n’étaient pas légers et je me pris un bouton dans le nez. Je les laissais tomber en m’exclamant.

_ Eh ! Ce sont des tenues d’entraînement, je ne vais pas les prendre en échange scolaire !

_ Ah oui ? Et pourquoi ?

_ Bah je… euh…

_ Bien. Mets tout dans tes sacs et rejoins-nous en bas. L’école ne va pas rester ouverte expressément pour t’attendre.

 

Il faisait froid. Le départ nous avait été annoncé la veille et je ne m’étais pas préparée à me retrouver dehors avant le lever du soleil à attendre notre tour pour le point de téléportation.

C’était le seul moyen pour se rendre rapidement à Kassuz pour prendre le bateau. L’Iragwa avait coupé leurs moyens de transport magique quelques années plus tôt. Nous devions donc embarquer dans un bateau à l’endroit où les deux terres sont les plus proches. Le port du Nord-Est de Kassuz, Azuria.

J’expirai, un filet de buée s’échappa de ma bouche. Mes bras étaient croisés, mes mains emmitouflés dans les manches de ma veste, un bonnet enfoncé sur la tête. Impossible que la température soit positive. Il devait faire moins quinze maximum !

_ S… si j’avais s… su je serais p… pas venu, déclara Léoni le brave en claquant des dents.

Je hochai la tête. J’étais particulièrement d’accord. On aurait pu partir plus tard…

_ On y est presque, gardez la pêche ! essaya de nous rassurer le professeur qui nous accompagnait.

Nial Valdenial, professeur référent de ma classe durant mes deux premières années à Clerfort, s'était tout de suite porté volontaire pour nous accompagner durant cet échange scolaire. J’étais bien heureuse que ce soit lui plutôt que l’un de nos autres professeurs toujours aigris.

Au moins lui était de bonne humeur.

 

Il faisait toujours aussi froid après dix minutes. Et l’attente devenait de plus en plus pesante. Je m’efforçais de ne pas trop y penser, mais c’était difficile avec le vent glacial qui s’infiltrait dans chaque interstice de mes vêtements. Léoni, à mes côtés, semblait à peine avoir froid. Ses joues et son nez étaient rougis mais il ne grelottait pas particulièrement, prenant même de temps en temps soin de moi en frottant mon dos. Heureusement que le froid faisait déjà rougir mon visage…

_ Tu as déjà fait ça avant ?

_ Se geler les fesses dehors à cinq heures du matin ? Non, c’est une première.

Je roulai des yeux avec un petit sourire.

_ Je veux dire, utiliser la téléportation ?

_ Comment crois-tu que je suis apparu dans ton village il y a deux ans ? Tu réfléchis parfois ?

_ Je croyais que ce n’était possible qu’entre certains points bien définis.

_ C’est vrai que c’est une magie complexe parce qu’elle nécessite beaucoup de calculs, de formules, de runes, de cercles… Beaucoup de choses. Il en existe peu mais certains cercles runiques permettent d’aller à un endroit où il n’y a pas de point. Mais ceux qui dessinent cette magie passent des mois à la préparer. Il en existe trois au palais et on dit que certains clans en possèdent un en leur quartier général.

Je hochai la tête. Je ne pensais pas que c’était aussi difficile. En même temps, disparaître à un endroit pour réapparaître à un autre en l’espace de quelques secondes…

_ Mon grand frère a déjà eu l’occasion d’en construire un, et il n’a pas mis plus de trois semaines.

Odile s'était rapprochée, ses boucles brunes dépassant de son bonnet de laine. Elle n’avait pas l’air moins perturbée que moi par le froid. Elle avait expérimenté la téléportation pour la première fois l’année dernière et elle semblait enthousiaste à l’idée de recommencer. Une bonne expérience, avait-elle dit.

Je sentis Léoni se tendre à mes côtés, ses gestes contre mon dos étaient plus raides , je tournai la tête vers lui. Ses yeux avaient noircis, il n’était pas content.

_ Je vois. Tu peux croire ce que tu veux. Mais c’est physiquement impossible. Rien que les temps d’attente prennent trois semaines. Il n’a pas dû te faire part des longues semaines de calculs préalables.

_ Mon frère n’aurait jamais…

_ Vous faites bande à part ? intervint une voix à peine plus grave que celle de mon acolyte.

Il venait de couper intentionnellement Odile avant qu’elle ne déblatère sur Ô comment sa famille était géniale. Je ne l’en remercierais jamais assez. Il s’avança un peu plus encore et présenta sa main à Léoni.

_ Nous n’avons pas encore eu l’occasion de nous présenter. Vous sembliez discuter tranquillement tous les deux, je ne voulais pas vous  déranger. Enchanté, je suis Aymeric.

_ Léoni. J’ai terminé mes études à Clerfort l’année dernière et je sers désormais mon royaume.

_ Pourquoi a-t-on demandé à un mage diplômé de nous accompagner en plus de monsieur Valdenial ?

_ Je suis Saint-Chevalier, déclara-t-il alors.

Je remarquai avec dégoût les yeux d’Odile pétiller. J’avais l’étrange envie de la voir couverte de boue. Oh mais quel hasard ! Si je parvenais à la faire tomber elle en serait entièrement badigeonnée.

La main de Léoni dans mon dos s’accéléra soudainement. Je lui jetai un coup d'œil, son regard était toujours posé sur mon camarade de classe.

_ Je suis chargé de votre protection, au cas où.

Je perçus un léger plissement des yeux chez Aymeric qui ne dura qu’un instant. De quoi doutait-il ?

Mais il frappa dans ses mains, passant à un autre sujet. Qu’est-ce que je détestait ne pas saisir certains enjeux !

_ Alors, première fois aussi ? demanda-t-il en vissant son regard droit dans le mien.

_ Bien sûr que… voulu répondre celle que je dépréciais juste avant qu’Aymeric ne la coupe, encore.

_ J’ai entendu. Anthéa ?

_ Hmm ?

_ Tu as déjà usé de téléportation ?

_ Ah… euh non. Non jamais, fis-je en secouant la tête.

_ Moi non plus, répondit-il en posant son regard sur l'Arche, comme s’il l’étudiait avec une attention particulière. J’ai lu sur le sujet, mais ça ne remplace pas l’expérience.

J’étais toujours impressionnée par son calme apparent. Il semblait aborder la situation avec une sérénité que je ne pouvais pas partager. Je savais qu'Aymeric avait une certaine capacité à analyser les choses rationnellement, ce qui lui permettait de se classer parmi les meilleurs. Il connaissait ses capacités, celles des autres et cela semblait lui suffire.

_ La dernière fois, ça s'est super bien passé, intervint mon ami chevalier en se frottant les mains. Ça fait une sensation bizarre, certes, mais rien de vraiment dangereux. Il faut juste ne pas résister à la magie.

_ Ne pas résister ? Qu'est-ce que ça veut dire ? m’enquis-je, un peu inquiète.

Odile en face de moi haussa les épaules, et cette fois-ci Aymeric la laissa s’exprimer.

_ Disons que certains essaient de combattre la sensation de perte de contrôle quand ils sentent que leur corps se dissout, expliqua-t-elle d’un ton désinvolte propre à sa façon d’essayer de nous faire peur. Mais en fait, il faut juste se laisser porter. La magie fait le reste.

Essayer de nous faire peur ? Je voulais dire réussir.

_ Dissoudre ? répétai-je.

Ma voix trahissait un mélange de dégoût et de peur, mon intonation était fébrile et s’exprimait malgré moi. J’avais pris l’habitude d’ignorer Odile lorsqu’elle ne parlait plus de cours mais le sujet était trop important pour que je l’ignore.

_ Sérieusement, ce n’est pas si dramatique, il n’y a plus de mort par téléportation depuis longtemps.

Je fronçai les sourcils. Il y en avait eu. C’était tout ce qui était parvenu à franchir le son de la peur qui me prenait.

_ Je ne la pensais pas comme ça, murmura une douce voix grave près de mon oreille.

Il m’offrit comme un second souffle. Il était apaisant d’entendre quelqu’un confirmer ce que l’on pense, mais lorsqu’il s’agissait de Léoni… Mon cœur ne pouvait plus s’arrêter dans sa course folle.

_ Rejoins le professeur si tu veux pas finir le voyage recouverte de boue, grinça la voix de mon ami qui afficha malgré tout un visage souriant.

Les yeux de la jeune fille s’assombrirent et son regard se fit mauvais.

_ J’étais sûre qu’ils n’auraient pas dû proposer un tel privilège à des gueux.

Je vis les lèvres d’Aymeric s’entrouvrir mais les miennes furent plus rapides.

_ Pars, Odile, finis-je par prononcer après toutes ses insultes. Tu gâches la bonne ambiance du groupe.

Elle s’offusqua, ouvrant la bouche en grand avant de la fermer et de se rapprocher du professeur juste devant nous.

Léoni se mit à sautiller sur place en s’exclamant.

_ Celle-là je suis pas certain d’arriver à la supporter. Heureusement qu’on ne logera pas tous ensemble !

_ Moi si, prononçai-je les dents serrées par l’énervement que je ressentais désormais.

Au moins, j’en avais complètement oublié les premiers propos de la brune.

_ Et je te souhaite bien du courage, compatis le second garçon d’un air contrit.

_ Vous êtes prêts, les jeunes ? lança alors la voix de Nial qui venait de se tourner vers nous.

Il ne semblait pas avoir entendu notre conversation avec la noble à grosse tête. Il devait être en train de discuter avec un employé du point de téléportation parce que l’un d’eux se tenait juste derrière lui, attendant que nous nous mettions en route.

Je hochai la tête, et m’engageai à sa suite dans l’antre gigantesque qui abritait notre moyen de transport.

Et cette fois, il n'y aurait plus de retour en arrière.

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