Chapitre 15

Par Froglys

Durant les semaines qui suivirent je ne fis que préparer mon départ. Avec l’aide de Céleste et Léandre, qui connaissaient déjà bien l’Iragwa, je me familiarisai avec les aspects les plus variés de cette nation. Autant sur la culture, la politique, les clans de mages, que l’académie d’Esaekose…

Les jours étaient ainsi remplis de longues séances de lecture et de discussions animées dans la bibliothèque de l’académie. Léandre m’initia à l’histoire complexe de l’Iragwa, marqué par des siècles de conflits et de conquêtes. Ce pays avait forgé son identité dans la guerre. Là-bas, chaque citoyen était préparé dès l’enfance à défendre sa patrie, et cette mentalité se reflétait dans leur mode de vie. Les enfants étaient élevés avec une épée en main et un manuel d’économie sur la table de chevet, les deux outils étant perçus comme essentiels pour réussir dans la vie.

Cette culture de la force et de la discipline me laissait perplexe, mais m’intriguait tout autant. Les Iragwais valorisaient l’endurance physique autant que l’intellect. L'entraînement physique, les arts martiaux et le combat occupaient une place centrale dans leur quotidien, et j’appris que les académies de magie comme Esaekose étaient rares et, finalement, peu réputées dans le royaume.

Céleste avait grandi dans cet environnement et cela ne me surprit pas qu’après cela elle se soit forgé une personnalité froide. Après réflexion, elle me faisait beaucoup penser à un soldat.

En parallèle, je me plongeais dans l’étude de leur politique et de leur occupation première, le commerce.

Les guildes marchandes étaient les plus puissantes, contrôlant les échanges intérieurs et extérieurs. Grâce à leur ingéniosité et leur rigueur, les Iragwais avaient réussi à établir un marché florissant qui s’étendait bien au-delà de leurs frontières. La prospérité de ces guildes reposait sur une maîtrise de la diplomatie que Léandre qualifiait d’admirable. Tout semblait être une question de stratégie et de profit.

Contrairement à Orane, où la magie était valorisée, l’Iragwa voyait les mages d’un œil méfiant. Il ne s’agissait pas de la carrière sur laquelle on orientait les enfants. Là-bas, les dons magiques étaient perçus comme moindres et secondaires. Les mages n’étaient pas autant mis en valeur qu’à Orane. Pourtant, une fois leur voie choisie, les enfants devenaient d’excellents mages, redoutés de certains pays. L’éducation toujours assez stricte leur permettait de devenir des experts dans leur domaine.

Vinrent ensuite les conseils plus… sociaux.

_ La hiérarchie est très importante, ne te mêle pas trop aux autres années et évite toute confrontation avec les professeurs ou ceux qui te sont hiérarchiquement supérieurs.

Céleste, toujours aussi pragmatique. Je soupirai.

_ Sinon, reste toi-même. C’est vraiment si grave que ça si l’ambiance y est plus exigeante ? rétorqua mon ami en roulant des yeux.

_ Tu n’imagines pas à quel point c’est mal vu.

Le prince roula une nouvelle fois des yeux, lui qui avait l’habitude d’enfreindre les règles ne pouvait pas comprendre à quel point elles étaient importantes pour la princesse.

_ Je ne compte pas attirer l’attention de toute façon, les rassurai-je.

_ Il faudra quand même que tu fasses attention à ce chevalier. Je ne le connais qu’à travers vos propos mais il me semble assez irrespectueux.

_ Léoni ? Non, il ne causera pas de problèmes, contra son ami même si je doutais qu’il croit lui-même à ses paroles.

D’ailleurs, Céleste le ressentit également et passa une main dans ses cheveux, signe d’exaspération chez elle.

_ Ecoutez, je vous remercie pour votre sollicitude mais je vous assure que tout ira bien. Ils ne risquent pas de nous renvoyer ici simplement parce que nous ne sommes pas familiers avec leurs règles, non ?

Mon amie ne rétorqua pas. Première bonne nouvelle, ils étaient au moins indulgents envers les étrangers.

_ Je vais y aller, j’ai un cours de runes dans dix minutes.

Je rangeai mes affaires dans mon sac avant de me diriger vers la sortie. Mon cours de runes se déroulait à l’autre bout de l’académie.

Cette année je n’étais plus dans la même classe que Léandre ou Félix. En supérieur, le fonctionnement de l’école était un peu différent. Il n’y avait plus de classe définie. Chacun choisissait les cours qu’il voulait suivre et une à deux fois par mois nous devions accomplir des missions à l’extérieur en compagnie d’un ou deux autres élèves choisis. J’avais bien évidemment choisi Léandre et Céleste, mes plus proches amis, mais cela ne nous empêchait pas de ne pas suivre les mêmes cours.

Je changeai mon sac d’épaule au détour d’un couloir avant de percuter quelque chose. Je m’écartai tout de suite, mon regard se posa sur un homme aux cheveux blancs qui se tenait devant moi.

_ Anthéa…

_ Qu’est-ce que tu viens faire ici ? le coupai-je avant que tout autre son ne sorte de sa bouche.

Malo et moi nous étions rencontrés au début de ma première année. Du même âge que mon frère, il y avait quelque chose qui me dérangeait chez lui, et ce depuis notre première rencontre. Il me semblait que c’était réciproque. On n’arrivait pas à s’encadrer.

_ Je fais des recherches et nous sommes dans une académie, grinça-t-il.

Ses sourcils étaient froncés comme à chaque fois que nous conversions. Assez rarement au final.

Je passai une mèche de cheveux derrière mon oreille avant de le contourner. Son épaule percuta la mienne mais je ne flanchai pas. J’avais l’impression de sentir son regard sur moi jusqu’à ce que je change de couloir un peu plus loin.

Une vague de frisson me parcourut. En revenant à l’école cette année j’avais été rassurée de savoir que je ne le recroiserais pas. Mais les dieux tenaient à me prouver que j’avais tort.

L’impression étrange qu’il m’inspirait se dissipa au fur et à mesure que je m’éloignais de lui. J’avais l’impression d’avoir un instinct animal féroce en sa présence qui s’amenuisait jusqu’à disparaître dès lors que je ne sentais plus sa présence dans les parages.

Ma magie me jouait-elle des tours ? En deux ans, j’avais appris à la maîtriser, cela ne devrait donc pas être le cas. Je soupirai. Les professeurs parlaient toujours de la magie comme des énergies positives ou négatives et que pour certaines personnes capter les différences était plus facile.

Je me rendais à mon dernier cours de la journée avant de rentrer chez Albin voir mon frère. Le directeur nous avait autorisé un week-end de sortie avant de partir. En même temps, il avait confirmé les participants à ce projet d’échange scolaire. Je partais donc avec Odile et Aymeric, deux étudiants de mon ancienne classe avec lesquels je partageais encore beaucoup de cours en commun.

Odile excellait en théorie et Aymeric en combat magique. J’avais eu l’occasion de me faire battre plusieurs fois par les deux. Ils faisaient partie des meilleurs élèves de notre année, tandis que moi, je peinais à me maintenir au-dessus de la moyenne. Ils devaient se demander ce qui avait poussé le directeur à me proposer cet échange.

Je franchis le pas de la salle de classe quand un rayon bleuté passa tout près de mon visage. J’écarquillai les yeux, surprise avant de les poser un peu sur ma droite.

_ Anthéa ! Désolé ! Je ne pensais pas que ça allait partir dans cette direction, s’empressa de s’expliquer un jeune homme aux boucles auburn rebondissant sur sa tête.

_ J’ai l’air d’être en train de mourir ? répliquai-je, lui faisant savoir qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter.

Son regard affolé se rapprocha du mien alors qu’il venait de finir d’accourir vers moi.

_ Au moins, il a réussi, proféra une voix plus grave que je reconnus immédiatement comme étant celle d’Aymeric.

Je souris. Son regard brun était assuré. A l’inverse d’Odile, il n’était pas du genre tête de classe et appréciait aider ses camarades. Il était bienveillant et particulièrement bon joueur. Il ne connaissait pas Léoni mais quelque chose me disait que ces deux-là se seraient bien entendus.

Lui ça ne le dérangerait pas que ce soit moi la troisième coéquipière pour ce voyage qui approchait à grands pas.

_ J’aurais encore mieux réussi si tu n’avais pas éternué juste devant moi ! s’exclama Félix qui était rouge de honte que son camarade mette en avant ses déficits.

_ J’en suis certain, approuva malgré tout le grand jeune homme brun qui lui ne rencontrait aucune difficulté en pratique magique.

Il s’avança vers un bureau. A côté de celui que j’occupais habituellement. Je fronçai les sourcils, si c’était un moyen pour me parler il pouvait le faire maintenant, notre professeur n’était pas encore arrivé.

Malgré tout, je me rendis près de lui et posai mon sac qui cogna contre le bois. J’entrepris de sortir mes stylos et papiers sans lui prêter attention.

_ Odile n’est pas ravie de la situation.

_ Je me doute bien. Elle est du genre à écraser les autres pour s’élever.

_ Est-ce que c’est vraiment une mauvaise chose ?

Je tournai la tête vers lui. Il s’était assis à la place voisine, ses cheveux courts dressés sur son crâne. Sa tête reposait sur sa main alors qu’il me regardait avec, me semblait-il, attention.

_ Dans les circonstances actuelles, répondis-je en levant mon sourcil gauche.

_ Peut-être, mais elle n’a pas tort. Tout ça m’intrigue. Qu’as-tu donc fait pour que le directeur te fasse également cette offre ?

Je roulai des yeux, lui faisant comprendre que son attitude était ridicule et qu’il commençait à m’énerver. Je n’avais pas envie qu’il lance ce sujet.

_ Aym’, tu veux vraiment discuter des décisions de Monsieur Salament ou tu veux philosopher sur les pouvoirs que possèdent les grands pontes ?

_ Tu as raison, rit-il, Léandre a dû interférer en ton honneur.

A nouveau, je roulai des yeux. Non pas qu’il avait tort, mais je ne voulais pas lui donner raison…

Heureusement pour moi, le professeur finit par arriver. Aymeric sortit ses affaires et me laissa tranquille sur ce sujet.

_ J’espère que vous avez correctement appris votre cours parce que nous allons faire un exercice pratique. Il correspondra à la moitié de votre note de fin d’année.

Quoi ? Aussi tôt dans l’année ? Je ne comptais pas passer les examens de cette année étant donné les circonstances mais quand même… Je lançai un regard à Félix dont le visage venait de se décomposer. Le pauvre… Maintenant que je partais il allait devoir travailler seul ou prendre son courage à deux mains et demander à Aymeric de l’aider.

_ Formez des groupes de deux et allez chercher le matériel dans les armoires.

_ J’y vais, murmura Aymeric en se levant.

Apparemment mon binôme était déjà décidé. Je lançai un nouveau regard à Félix pour m’excuser de ne pas pouvoir me mettre avec lui puis lui fis signe de demander à sa voisine. Ses yeux me lançaient des signaux de détresse mais mon camarade avait déjà décrété que je serais avec lui. Je lui offrais un sourire contrit lorsque quelque chose vint s’abattre sur mon bureau.

_ Les craies ne sont pas idéales mais ça fera l’affaire.

Un grande règle, une boîte de craies et de l’huile étaient posés sur notre table.

_ Prends un pinceau aussi, c’est plus pratique, lui soufflai-je avant d’empiler le matériel pour pouvoir l’emmener sur le lieu de l’exercice.

La pièce adjacente à notre salle de cours était un grand terrain vague en pierre où l’on pouvait s’entraîner à la pratique de la magie runique. Je m’installai à un endroit et attendis le retour d’Aymeric.

_ Tu es prête ? J’ai récupéré la feuille d’énoncé, ça m’a l’air assez simple.

J’hochai la tête, avec lui, tout paraissait simple. Mais ça ne l’était pas. J’attrapai le papier qu’il avait dans les mains.

_ Tu as une idée de ce que tu voudrais qu’on fasse ? me demanda-t-il.

_ Eh bien, notre note ne comptera pas vraiment, non ?

_ Je suppose. Ce n’est pas comme si nous n’allions pas avoir des examens en Iragwa.

_ Transformons cette salle en illusion, déclarai-je alors soudainement.

Bien sûr c’était un projet ambitieux mais si ce que je pensais était exact, quoi de mieux que de profiter de ce cours pratique pour s’essayer à de nouvelles choses.

_ Avec un triskel ? Normalement ce qui est lié à la matière repose sur un hexagramme unicursal. Tu es sûre de vouloir tenter l’expérience ?

_ Pourquoi pas ? Il suffirait de contourner le principe du corps et de partir sur un concept particulaire. Une répartition magique de l’énergie.

_ Tu voudrais moduler directement la pièce ? Créer quelque chose de tangible mais irréel et qui aurait une influence sur quiconque ne s’en protégerait pas ?

J’acquiesçai, sorti de sa bouche, mon idée semblait irréalisable mais mon ami ne rétorqua rien de plus, semblant approuver.

Je me baissai alors pour ramasser une craie avant de m’agenouiller un peu plus loin pour commencer à tracer les cercles magiques.

_ Ça te va si je calcule l’emplacement des runes ? m’interrompit la voix grave de mon camarade.

_ Commence, oui. On gagnera du temps.

Je l’entendis s’éloigner pendant que je continuais à dessiner.

Un triskel possédait trois spirales identiques dans le sens horaire, de l’Est vers l’Ouest en passant par le Sud. Chacune prenait source dans un triangle au milieu, les reliant. Chaque coin du triangle faisait naître une spirale.

Après cela, je traçai un cercle autour, passant sur le bord des spirales, puis un second autour du premier, en laissant suffisamment de place entre les deux pour pouvoir écrire de l’ancien limnéin. En magie, le limnéin moderne était utilisé uniquement à l’oral et ne s’écrivait pas. Au contraire de son homologue plus ancien, qui lui ne se parlait pas. Ainsi, la conception des cercles magiques a été créée de façon à tourner autour de l’ancien limnéin.

Après en avoir fini avec les dessins, je rejoins Aymeric pour organiser l’ordre des runes. Il ne manquait plus qu’à savoir lesquelles précisément et trouver une formule. Autrement dit, les parties les plus difficiles.

_ Djékél évoéz pour les réunir. Et puis je pense que oguguouvél peut être à rajouter pour les rendre plus tangibles.

_ J’avais pensé à loé évoéz plutôt.

Il porta sa main à sa lèvre supérieure et la pinça. C’était son tic quand il réfléchissait.

_ Et puis lépévotél pééz entre les deux.

Je fronçai les sourcils. Je n’avais pas si bien suivi le cours.

_ Pas au début ?

_ Si tu lies les énergies avant de représenter ton image, il va y avoir des erreurs, et si tu les représente sans les déplacer… Kaboom !

Je lui faisais confiance mais tout cela ne me paraissait pas être la meilleure idée. Néanmoins nous suivirent son plan.

 

~~

 

Deux bonnes heures plus tard, une partie du sol en pierre était marquée d’une énorme trace d’explosion. Et les deux fautifs avaient eu un tête à tête avec leur bien aimé directeur. Le professeur avait dû penser qu’il les réprimanderait. Mais Pierre Salament était bien trop occupé pour ça. Il n’allait pas jouer tout seul à son jeu favori, malgré que son propre élève l’ait battu à plusieurs reprises.

Cette dernière journée de cours à Orane resterait à jamais gravée dans l’esprit d’Anthéa.

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