Chapitre 16: Dans les coulisses

La veille chez Noah :

Nathan savourait sa réussite, un peu éméché par les verres offerts par Noah. Les yeux posés sur le plafond, il réfléchit un instant avant d’oser pose la question, « Et si on allait fouiner un peu du côté d'Elena ? Hein ? Juste pour voir ? Ton pote semble sacrément accro, ça m'intrigue. »

Noah fronça les sourcils et secoua la tête avec fermeté. « Hors de question. Alec te tuerait s'il apprenait qu'on fouille dans la vie privée d'Elena. Il a l’air sympa comme ça mais, je t’assure que c’est pas le mec qu’il faut emmerder. Je l’ai déjà vu à l’œuvre et quand il s’énerve il cogne avant de parler. »

Nathan haussa les épaules, un sourire charmeur aux lèvres. « Alec le saura pas. C'est juste pour satisfaire ma curiosité. Appelle ça... un paiement pour mon travail impeccable. »

Noah hésita, un soupir lourd s'échappant de ses lèvres. Il connaissait Nathan : ce dernier ne lâcherait pas l'affaire tant qu'il n'aurait pas obtenu ce qu'il voulait. Et même si une part de lui s'opposait à l'idée, une autre était également piquée de curiosité. « Bon, mais rapidement, » céda-t-il, « Et pas de conneries, compris ? »

Le sourire de Nathan s'agrandit, comme si on venait de lui donner un jouet flambant neuf. « Compte sur moi, chef. Je saurais resté discret, ça fait parti du package ! »

Il se remit aussitôt à son clavier, tapant avec une précision redoublée. Au départ, ses recherches semblaient relativement innocentes. Quelques rares photos d'Elena, toutes anciennes, pas de réseaux sociaux actifs, que du vieux. Il siffla tout de même sa beauté, lançant des piques sur le type de fille qui ferait perdre la tête à Alec. Mais au bout d'un certain temps, l'expression de Nathan changea du tout au tout. Son sourire disparut, remplacé par une mine sérieuse. Il se redressa légèrement, fixant l'écran comme s'il ne croyait pas ce qu'il voyait. « Eh ben merde alors... »

Noah, qui commençait à s'endormir se réveilla en sursaut « Quoi ? T'as trouvé quoi ? »

Nathan resta un moment silencieux, ses doigts immobiles sur le clavier. Puis il fit un geste vague vers l'écran. « Regarde par toi-même. »

Noah s'approcha et, en découvrant ce que Nathan avait trouvé, son visage se figea. Ses yeux s'écarquillèrent légèrement, et sa bouche resta entrouverte. « T'es sérieux, là ? »

Nathan hocha lentement la tête, encore sous le choc. « Tu penses qu'Alec est au courant ? »

Noah soupira profondément, ses pensées tournant à toute vitesse. « J'imagine que oui, vu leur proximité. Mais s'il apprend qu'on sait... ça risque de mal finir et j'ai pas envie de me retrouver nez à nez avec Mister Hyde. »

Nathan haussa les épaules avec désinvolture. « Ok, alors on fait comme si de rien n'était. Pour ma part, c'est déjà oublié. »

Noah leva un sourcil sceptique. « Et ces infos, elles étaient compliquées à trouver ? »

Nathan secoua la tête, un sourire énigmatique aux lèvres. « Pas vraiment. Pourquoi, tu veux que je fasse le ménage ? »

Noah hésita, passant une main nerveuse sur sa nuque. « Ouais. Si tu peux, efface toutes les traces problématiques. On sait jamais. »

Nathan éclata de rire. « Sérieusement, tu m'as pris pour qui ? Bien sûr que je peux le faire. Ça prendra juste un peu de temps, mais t'inquiète pas. J'assure. »

Noah hocha la tête, les mâchoires serrées. « Merci. Mais, fais ça vite. »

Nathan s'attela à la tâche, son sourire provocateur ayant désormais disparu. « J'veux bien que tu me serves de l'eau, j'vais avoir besoin d'avoir les idées claires. »

Et il se remit au travail, laissant Noah, l'esprit en ébullition, siroter un nouveau verre pour calmer ses nerfs.

***

Aujourd'hui.

Putain ! J’en reviens pas qu’elle m’ait rien dit ! Elle va m’entendre cette chieuse. Enfin si elle décroche un jour… J’ai essayé de l’appeler plusieurs fois depuis hier et elle m’a envoyé sur répondeur avant de m’adresser un texto me disant qu’elle était pas d’humeur pour papoter ! Papoter, elle plaisante ?! Je vais débarquer et prendre cette gamine par la peau du cul. Elle semble oublier qui je suis la morveuse du haut de ses vingt piges. Faut dire qu’elle ne m’a jamais vu m’énerver. Moi, j’étais un peu comme l’oncle sympa avec qui elle et Julia pouvait déconner et confier leurs petits secrets de collégienne, surtout Julia en fait. Elena a toujours pris sur elle, gardant enfermé sous clé tous les démons qui pouvaient la hanter. Quand elle est arrivée à New York, je sais que Casanova s’inquiétait pour elle. Elle faisait souvent des cauchemars mais, elle a jamais voulu dire pourquoi, même aux psy chez qui il la trimballait.

Je tire une dernière taf sur ma clope et m’apprête à allumer ma bagnole lorsque mon téléphone sonne. « La chieuse » s’affiche, je décroche, particulièrement remonté. « T’es pas d’humeur à papoter ?! Tu te fous de ma gueule Lena ?! »

« Chutttt ! Crie moins fort ils vont finir par t’entendre... »

« Je crie si je veux bordel !!! Tu sais à quel point j’ai flippé en voyant que tu répondais pas ? »

« Je sais, je suis désolée Cooper... »

« Non tu sais pas putain !!!  J’ai cru devoir annoncer à ton oncle qu’on avait foiré et qu’il t’avait retrouvé ! T’imagines ? Merde !!! » Je jure comme un charretier. Si ma mère m’entendait elle me renierait. En même temps, c’est bien un peu ce qu’ils ont fait. J’ai du mal à me calmer, cette gamine va me faire faire un infarctus avec ses conneries. Jamais, jamais je pourrais regarder Carl et lui annoncer que sa nièce chérie est morte sous ma protection. On a plus qu’elle.

« J’aurais pas dû t’envoyer bouler, je comprends. C’est juste que j’ai eu des jours un peu compliqués. »

« Oui, j’ai vu. »

« Comment ça tu as vu ? »

« Ta petite bagarre est pas passée inaperçue. Je me doute que le connard à qui t’as refait le portrait devait le mériter mais tu peux pas t’exposer comme ça, c’est beaucoup trop dangereux ! »

« Tu veux dire que... »

Je la coupe pour qu’elle comprenne la gravité, « Je veux dire que tu es apparue sur les réseaux sociaux !!! » Je la laisse percuter un instant, elle est maligne, elle saura à quoi je fais référence. « Je me suis débrouillé pour faire le ménage mais, t’as pas respecté notre deal, t’as préféré te démerder toute seule et rien dire à personne, comme d’hab! Alors maintenant, je te ramène à la maison. »

« Non ! Tu peux pas me faire ça !!! » Sa voix est ferme mais je la sens défaillir. Malgré l’image qu’elle aime donner à voir, elle reste encore fragile. Elle a toujours été fragile. Un colosse aux jambes de verre. Doug nous l’a bien dit. Elena a construit une forteresse pour se protéger mais, derrière les remparts, tout est brisé et ça me fait mal rien que d’y penser.

« Si tu veux tout savoir, je suis déjà en route. » ou du moins c’est tout comme.

« Je te promets de ne pas recommencer et… et je t’appellerais tous les jours pour te faire un rapport détaillé s’il le faut. Je parlerais à Doug et je ferais absolument tout ce que tu me dis, je resterais sagement à l’appart mais, je t’en prie, laisse-moi rester ici... »

« Merde, Lena... »

« Je t’en supplie... » j’entends ses sanglots étouffés. Je dois avouer que son emménagement dans cette colocation a été salvateur. Elle a l’air de revivre. Je suis allé la voir une seule fois, sans qu’elle ne le sache bien sûr. Je ne l’avais pas vu sourire ainsi depuis Julia. Ça m’a ému, elle paraissait heureuse à nouveau. Carl a fait pareil, on se refait pas. Lui aussi est resté sur le cul. Ça nous brise le cœur quelque part de voir que c’est pas grâce à nous qu’elle a réussit à retrouver le sourire mais, l’important c’est qu’elle aille mieux, enfin. Doug nous avait dit qu’on était trop proche de Julia et donc du trauma pour l’aider à prendre du recul. Elle poursuit, « J’ai besoin d’être ici tu comprends ? »

Je comprends, je le vois et je l’entends même mais, une part égoïste en moi a aussi envie de la retrouver et de la garder pour lui. L’avoir sous les yeux constamment pour m’assurer qu’il ne lui arrivera plus rien de mal. C’est compliqué pour moi. Lena est comme de ma famille et j’ai du mal à rester pro face à tout ça. Elle ne montre jamais la moindre faiblesse. En tout cas, pas à moi. « Il pourrait très bien te retrouver et te faire la peau ! »

« Je sais mais, ce n’est pas le cas. S’il avait vu cette vidéo il m’aurait déjà rendu visite. Et puis je sais que tu m’as envoyé quelqu’un pour me protéger. »

Je souffle, elle a raison. Quand j’ai vu la vidéo tourner j’ai directement envoyé un mec en qui j’avais confiance pour veiller sur elle. Un jeune qui me fait penser à moi à mes débuts. Apparemment, il a encore des choses à apprendre si elle l’a repéré. Cette gamine est douée, moi et Carl l’avons bien formé mais, quand même. Il était pourtant major de sa promo, comme quoi... J’aurais voulu y aller moi-même, mais j’ai pas pu. Je devais superviser l’effacement des données et voir s’il y avait du mouvement ici. Heureusement, on est passé à côté de la catastrophe, personne n’a vu cette fameuse vidéo. De toute façon, elle a été prise de loin et elle n’était pas facilement reconnaissable. Il y avait effectivement peu de risque qu’elle soit découverte mais ça, elle a pas besoin de le savoir. Le fait qu’elle flippe un peu lui rappellera le danger qui plane au-dessus de sa tête. Il faut surtout pas qu’elle l’oublie.

« Je te le promets Cooper, je déconnerais plus. Laisse-moi rester... »

« Tu sais que tu vas devoir repartir à un moment ou à un autre... » C’est la vérité. Le temps est compté, même si je sais qu’elle a tendance à faire l’autruche. C’est ce que nous a expliqué Doug. C’est comme s’il y avait deux Elena, la nôtre, celle qu’on connaît et qui survit avec difficultés et celle qui cohabite avec Harry et Alec. Deux entités qui coexistent et s’évitent. Je me demande comment elle gère ses cauchemars la nuit à présent. On a demandé à Doug mais, il a dit qu’il ne pouvait pas tout nous dire non plus. Il s’est contenté de nous affirmer que ce n’était pas un problème.

« Je le sais. » Silence. Ok, sujet sensible. Doug m’a prévenu d’y aller mollo.

J’ai besoin d’une clope pour réfléchir. J’en allume une nouvelle, la dernière. Il va falloir que j’aille en racheter avant de rentrer, je suis intenable autrement.

« Cooper ? »

« J’suis là. Je réfléchie juste. » Elle reste silencieuse, me laissant cogiter. Au moins, elle m’obéit c’est un mieux. J’ai peur qu’à la laisser là-bas trop longtemps, tout ça finisse par nous péter à la figure. Le patron est sur les nerds et il préférerait qu’on la planque dès maintenant. Doug et moi avons réussi à nous y opposer jusqu’à maintenant mais, je dois avouer que moi non plus je ne suis pas tranquille. C’est quand on pense avoir tout sous contrôle que tout finit par basculer. Et en même temps, j’ai peur qu’en la forçant à revenir elle finisse par s’effondrer à nouveau. Je souffle, « C’est bon, t’as gagné. Tu peux rester mais, plus de conneries ! Tu te fais toute petite et tu m’appelle si tu rencontre un putain de problème, quel qu’il soit ! »

« Merci Cooper ! Je te l’promets.  Je t’appellerais ! »

« J’espère bien parce que de toute façon il n’y aura pas de seconde chance, je te préviens. »

« J’ai compris. » Je pensais qu’elle raccrocherait mais elle n’en fait rien. « Comment va Carl ? »

Il s’est refusé jusqu’à présent à prendre contacte avec elle, il a peur qu’il ne remonte jusqu’à elle par son intermédiaire. Ça le bouffe mais, il tient bon. « Il bosse comme un fou, ça lui permet de pas trop penser. Je pense passer le voir ce soir, je lui passerais le bonjour de ta part. »

« Fais ça, dis-lui que je l’embrasse et qu’il me manque. »

Tiens, c’est nouveau ça. D’habitude, Lena n’est pas du genre à exprimer ses sentiments. « J’y manquerait pas. Comment ça se passe avec tes colocataires ? »

« Bien. »

« Juste bien ? Comment va le petit Alec ? » J’adore la titiller. Une fois je lui ai parlé de ce mec sans aucune arrière pensé et elle a tout de suite sorti les griffes, alors depuis j’aime bien la provoquer sur le sujet.

« Ta gueule ! »

« Ah bah, à ce que je vois tu as rien perdu de ton mordant. Toujours aussi charmante. » J’avoue que j’abuse un peu mais, c’est plus fort que moi. J’ai l’impression de pouvoir remonter le temps dans ces moments-là. Ça me donne l’illusion qu’on est encore une famille, j’entendrais presque le rire de Julia résonner à mes oreilles.

« Bon, je dois te laisser le vieux. Alec et Harry m’attendent pour manger la pizza. »

Je repousse les souvenirs doux-amers, « Quatre fromages ? »

« J’sais pas. Certainement. Ça va toi ? »

« Bien sûr, pourquoi ça irait pas ? »

« Je sais pas, le son de ta voix... »

Merde, depuis quand elle est devenue si sensitive ?! Va falloir que je fasse plus attention si je veux pas me faire griller. Je veux pas lui imposer ma peine, elle a déjà suffisamment à faire avec la sienne. Je sais qu’elle culpabilise pour la mort de Julia. On a beau lui répéter que ce n’est pas sa faute, il n’y a rien à faire. Elle souffre d’une culpabilité persécutive. Ça pour le coup, j’ai tout de suite compris ce que voulait dire Doug en disant ça.

« T’inquiète Lena, tu te fais des idées. C’est à force de cloper, ça a tendance à faire dérailler ma voix. »

« Mmh », pas convaincue la gamine. Tant pis, elle devra faire avec ça parce qu’il est hors de question que je me confie à elle. Ni à personne d’ailleurs. « Tu devrais arrêter cette merde. Ça finira par te tuer sinon. »

« Promis, un jour j’arrêterais ! » Je leur répète ça depuis des années. Ils ont arrêté d’y croire, moi aussi. Elle m’engueule une dernière fois et me raccroche au nez. Et bien, il lui aura pas fallu longtemps pour me tenir tête à nouveau. J’écrase mon mégot et décide d’appeler Wendy. J’ai besoin de me détendre un peu ce soir. Voir Carl n’est peut être pas une si bonne idée, je suis pas sûr de réussir à faire semblant aujourd’hui.