Chapitre 16 : Noël

Le premier dimanche de décembre était l’occasion de la sortie shopping Noël du Mistral. Tous avaient reçu de l’argent de poche de la part de leurs parents, leur permettant d’acheter des cadeaux en prévision des fêtes.

- Tu n’es pas indiquée comme participant à la sortie au centre commercial, lança maître Gilain qui l’avait convoquée dans son bureau.

- Je n’ai pas du tout envie de voir tous mes camarades acheter des trucs, indiqua Marlène.

De l’argent, elle n’en avait pas. Cette sortie lui donnait la nausée. Elle se sentait mise de côté, comme si la pauvreté de ses parents lui était jetée à la figure. Pour venir dans cette école, il fallait pouvoir se la payer si bien que les autres enfants étaient presque tous riches. L’argent coulerait à flots.

- Je te permets d’utiliser ta magie personnelle pour acheter des objets, tant qu’il ne s’agit que de cadeaux pour tes parents et de rien d’autre.

Marlène s’en figea de stupeur. Elle ouvrit de grands yeux écarquillés.

- Merci ! s’écria-t-elle, plus heureuse que jamais.

- De rien. Bonne sortie, Marlène.

Elle rejoignit ses copines qui hurlèrent de joie en apprenant qu’elle les accompagnerait. Elles avaient essayé à de nombreuses reprises de la faire changer d’avis. Amanda la serra dans ses bras, ravie qu’elle participe à cette dernière sortie entre copines.

Le voyage se fit en bus car le centre commercial n'était qu'à une demi-heure de l'école. Les élèves furent lâchés dans les couloirs. Chaque année, cette sortie était organisée alors les commerçants avaient appris à prévoir et tout était fait pour pousser les adolescents à consommer et cela fonctionnait très bien. Les élèves dépensaient tout ce que leurs parents leur avaient donné.

- Tu fais quoi pour les vacances ? demanda Amanda à Julie.

- Je vais chez mes grands-parents pour noël, répondit Julie. Ils habitent en Sicile. Ce sont toujours de super vacances ! Et toi, Marlène ?

- Oh tu sais, mes parents ne sont pas riches alors on reste à la maison. Mamie se déplace pour noël mais c'est tout. Elle vient en train de Mantes. Il lui faut à peine une demi-heure pour arriver Aux Mureaux.

Julie et Amanda hochèrent la tête.

- Je voudrais acheter des cadeaux à mes parents, annonça Marlène.

Elle avait indiqué aux filles la permission exceptionnelle du directeur.

- Tu es au bon endroit ! s'exclama Amanda.

- Tu veux leur offrir quoi ? demanda Julie.

- Un truc qui leur permette de se rendre compte que je suis magicienne parce que bon, l’intra, c’est super, mais ils ne peuvent pas le percevoir. Un truc comme ça, par exemple, ça serait super ! dit Marlène en désignant un objet dans une vitrine.

Il s'agissait d'une voiture télécommandée, à ceci près que d'abord, elle n'avait pas besoin de pile et qu'ensuite, il n'y avait pas de télécommande. Elle possédait plusieurs réservoirs, comme la pierre de monsieur Toupin, et en fonction de l'endroit où on plaçait de l'énergie, la voiture avançait, reculait ou tournait.

- Si je venais avec ça, ça les impressionnerait vraiment et il verrait de quoi je suis capable. Je ne veux pas dire que je veux les impressionner, mais qu'ils puissent voir de leurs propres yeux mes pouvoirs qui sont pour le moment très théoriques pour eux. Sauf que le directeur ne m’a permis qu’un cadeau pour mes parents et cette voiture, ils ne peuvent pas s’en servir eux-même et puis, l’objet en lui-même ne les intéressera pas. J’ai besoin d’un truc plus personnel, plus adulte, vous voyez ?

- Tu veux qu'on entre dans la boutique pour trouver un objet sympa ?proposa Julie.

- Plus cher aussi ? s’étrangla Amanda.

- J’ai 152 kum en réserve, répliqua Marlène en désignant son crâne, alors ce n’est pas 3 kum qui vont me poser problème.

Amanda et Julie se figèrent. Pour la première fois, Marlène leur donnait une indication de sa puissance, jusque-là imaginée et visiblement, les adolescentes avaient été loin du compte.

- Pardon, les filles, dit Marlène. Je ne devrais pas vous balancer ça à la figure. Ce n’est pas sympa.

- Non ! T’inquiète ! Ça va ! On a été surprises, mais ça va, la rassura Julie. On va t’aider à trouver un truc pour tes parents !

- Bonjour, mesdemoiselles ! s’exclama le vendeur, un homme aux cheveux bruns et aux yeux marrons, au sourire charmeur et aux vêtements stricts et bien repassés.

Qu’il fut un excellent commerçant était une évidence.

- Que puis-je pour vous ? demanda-t-il d’un regard amusé.

Il les dévorait des yeux. Qu’il flaire la bonne affaire fut une évidence.

- Je voudrais offrir un présent à mes parents qui ne sont pas magiciens, indiqua Marlène.

- C’est une magicienne de fortune, précisa Julie. Sa grand-mère avait un peu de magie de côté alors elle peut payer.

- Ce n’est pas une raison pour tenter de l’arnaquer non plus ! gronda Amanda.

Marlène sourit. Ses amies tentaient de la protéger.

- Je voudrais quelque chose de simple, de pas trop voyant, mais qui leur permette de mieux se représenter la magie dans le quotidien, indiqua Marlène.

Le marchand plissa les paupières, leva les yeux puis annonça :

- J’ai peut-être quelque chose qui pourrait vous convenir.

Il fouilla dans un tiroir sous le comptoir et en sortit un bracelet argenté très simple.

- C’est un change-forme, annonça-t-il en le passant à son propre poignet. Vous l’attachez, vous l’activez et il va vous proposer de choisir entre différentes formes. Vous voyez ?

Le bracelet devint fin et doré.

- Idéal pour une femme.

Le bracelet s’épaissit, proposant de grosses mailles couleur bronze.

- Plutôt pour un homme, expliqua le vendeur. D’autres options sont possibles. Comment s’appelle votre mère ?

- Henriette, répondit volontiers Marlène et sous ses yeux ébahis, le bracelet devint une gourmette portant le nom indiqué.

- Et votre père ?

- Didier, dit la néomage.

Le bracelet se transforma de nouveau.

- Un seul achat mais des milliers de possibilités, exposa l’homme.

- C’est difficile à contrôler ? demanda Marlène qui ne voulait pas se ridiculiser devant ses parents en ne parvenant pas à maîtriser un simple objet magique.

- Vous pouvez l’essayer, dit-il en le retirant de son poignet pour le lui tendre. Il n’est pas spécifique.

- Spécifique ? répéta Marlène en prenant le bracelet.

- Ça veut dire qu’il ne s’attache pas à la première personne qui l’active, expliqua Julie. Certains objets sont comme ça. Ça évite les vols mais ça empêche la transmission à un enfant. L’objet devient inutilisable en cas de mort du propriétaire.

- Il est possible de réinitialiser un objet magique, indiqua Amanda, mais seuls des ensorceleurs niveau 3 peuvent le faire et encore, c’est très compliqué et donc très cher.

- D’accord, dit Marlène en attachant le bracelet à son poignet droit.

Elle superposa sa réserve d’énergie à la gnosie et réalisa un minuscule transfert vers cet objet qui n’en nécessitait qu’à peine. Elle s’attendait à une intrusion dans son esprit puisque l’objet, réalisant une demande, était forcément dissocié.

La pénétration fut si violente que Marlène tomba à genoux et vomit sur le sol. Elle avait la sensation qu’on lui déchiquetait le cerveau. Elle se sentit mise à nue, faible et misérable. Deux bras forts l’empoignèrent pour la mettre debout et elle ne se rendit compte qu’à ce moment-là qu’elle n’était plus au centre commercial.

Le vendeur devant elle ricanait. Marlène avait envie de pleurer. Que se passait-il ? Elle regarda autour d’elle pour découvrir une petite pièce au mur en béton. Un canapé sale et miteux, un lavabo branlant et un toilette sans lunette, le tout éclairé par une ampoule nue au plafond.

- Je te conseille d’écouter, miss stupide, dit le vendeur d’une voix froide et cinglante, à l’opposée de ce qu’il avait été jusque là, parce que je ne vais pas me répéter.

Il fit bouger un bijou sous les yeux de Marlène.

- Ce collier te fera souffrir tant que tu ne créeras pas de magie et plus tu en créeras, moins il te fera souffrir. Tu as compris, miss stupide ?

Marlène secoua négativement la tête. Où était-elle ? Que se passait-il ? L’homme attacha le collier autour du cou de l’adolescente qui, abasourdie, se laissa faire. Instantanément, tout son corps fut parcouru d’une intense douleur foudroyante. Les deux hommes de part et d’autre de Marlène durent la maintenir pour qu’elle ne s’écroule pas.

Son hurlement de douleur déchira le silence, se répercutant sur les murs nus de la petite pièce aveugle.

- Crée de la magie pour faire cesser la souffrance, rappela le vendeur. Miss stupide ! Crée de la magie !

Marlène matérialisa un ver pour créer une sphère. Elle lui fut arrachée violemment, lui causant une atroce douleur supplémentaire.

- Oui, ça fait mal, miss stupide, mais moins que le collier, crois-moi.

Marlène bombarda sa réserve de vers énergétiques et comme promis, la douleur causée par le collier cessa.

- T’as fini par comprendre, miss stupide.

Marlène pleurnicha tandis que les hommes la lâchaient.

- Tu l’as trouvée où celle-là ? dit un homme à la peau noire dont Marlène ne constatait la présence qu’à l’instant.

- Au centre commercial, elle se vantait de ses 152 kum en réserve.

Les deux hommes ricanèrent tandis que les gardes sortaient. Ils n’étaient plus utiles. Marlène faisait ce qu’on attendait d’elle. La jeune femme était morte de honte.

- Tu sais qu’elle a attaché et activé elle-même le bracelet !

- Ah ouais ! rit l’autre. C’est qui cette abrutie ?

- Aucune idée et je m’en fous. Miss stupide lui sied à merveille.

Marlène ne put nier. Elle avait fait preuve d’une attitude complètement idiote. Monsieur Toupin n’avait de cesse de répéter de ne jamais activer un objet avant de s’assurer de son fonctionnement. Une larme coula sur son visage.

- Elle vient d’où ? insista le black.

- École du Mistal, indiqua le faux vendeur.

- Tu l’as piquée au nez et à la barbe de Gilain ? ricana le noir. Il doit être vert ! Tu sais quoi d’elle ?

- C’est une magicienne de fortune. Sa mère s’appelle Henriette et son père Didier.

Et dire que Marlène lui avait fourni ces informations d’elle-même.

- Marlène Norris, annonça le black qui devait, grâce à la magie, compulser des données publiques. Sa grand-mère était magicienne… non cotée.

Les deux hommes s’échangèrent un regard abasourdi puis se tournèrent vers Marlène, un sourire carnassier aux lèvres.

- T’es pas une magicienne de fortune, hein ? T’es une néomage.

La couverture n’avait pas tenu deux secondes face à ces gens. Marlène fondit en larmes.

- On a une néomage ! Oh putain !

Ils explosèrent de joie et rirent bruyamment. Marlène aurait voulu pouvoir disparaître.

- Ben si t’es une néomage, attends voir…

Le faux vendeur leva la main et la tourna doucement. La douleur revint.

- Qu’est-ce que vous faites ? s’écria Marlène, terrorisée.

- Crée davantage de magie pour compenser.

- Non, non ! Je vous en prie !

La douleur la transperça alors Marlène augmenta la dose. Le nombre de vers énergétiques explosa tandis que le vendeur continuait à tourner, encore, et encore. Finalement, Marlène ne fut pas en mesure de compenser et le faux vendeur, descendit la demande d’un cran.

- Ben voilà, c’est mieux, dit le faux vendeur.

- Putain ! On est riche ! s’exclama le noir.

Ils sortirent en riant bruyamment, laissant Marlène seule dans la petite pièce miteuse. Elle devait se concentrer pour créer autant de magie qu’elle se faisait arracher à peine créée, la laissant dans un vide terrifiant. Ce n’était pas douloureux à proprement parler. Le sentiment de solitude, de néant, de chaos, d’abandon la prenait aux tripes. Elle pleura longuement.

- J’ai faim, sanglota-t-elle après un temps indéterminé.

Sans fenêtre, la lumière toujours allumée, impossible de voir le temps passer. La porte s’ouvrit, laissant passer le faux vendeur qui poussait un plateau plein de nourriture.

- Il te suffit de demander, miss stupide, indiqua-t-il.

Marlène se rua sur la nourriture tandis qu’il souriait de la voir manger de bon appétit.

- Tu en veux encore ? demanda-t-il lorsqu’elle eut fini.

Elle secoua négativement la tête.

- Miss stupide ?

Elle leva les yeux vers lui. Il leva la main et tourna d’un cran dans l’air. Marlène sentit la douleur revenir faiblement.

- Je ferai ça régulièrement. À toi de t’améliorer si tu ne veux pas souffrir.

Elle avait déjà atteint le rendement maximum. Elle produisait le plus vite qu’elle pouvait. Comment faire mieux ? Elle voulut supplier mais il était déjà parti. Elle se lova sur le canapé et pleura encore. Le lavabo lui fournit l’eau dont elle avait besoin et elle put faire ses besoins aux toilettes.

La porte ne proposait aucune poignée. Nul doute qu’elle était magique or Marlène n’avait pas de réserve, celles-ci lui étant arrachées par le bracelet qu’elle avait elle-même activé.

Et même si elle en avait, elle ignorait comment s’en servir. Elle ne maîtrisait que quelques sons en magie intra. Des illusions, rien de plus. Elle se sentit plus nulle que jamais, faible et misérable. Elle se prenait pour une grande magicienne ? Elle n’était rien. Elle s’en voulait tellement !

Marlène, retournée pleurer sur le canapé, se sentit éreintée. Le sommeil la prenait. Lorsque sa tête tomba lourdement, la douleur la transperça violemment. Marlène reprit la création d’énergie que le sommeil lui avait fait cesser.

- Monsieur, s’il vous plaît ?

- Quoi miss stupide ? dit le faux vendeur en arrivant rapidement.

- S’il vous plaît, j’ai sommeil. Je voudrais dormir.

- Hé bien, fais. Que veux-tu que ça me fasse ?

- Je ne peux pas dormir et créer de la magie en même temps !

- Je me fiche totalement de ton incompétence, miss stupide, répliqua-t-il avant de sortir.

Marlène n’en revenait pas. Il venait de l’envoyer promener. Elle gémit et sanglota. À trois reprises, sa tête tomba et elle hurla de douleur. À la quatrième, elle dormait tout en lançant ses vers énergétiques.

Lorsqu’elle s’éveilla, elle était reposée mais affamée. Le faux vendeur lui apporta un plateau délicieux.

- T’as réussi à dormir finalement, miss stupide. Tu vois. Quand tu veux, tu peux.

À ces mots, il augmenta la demande en magie d’un cran et une douleur fulgurante parcourut la colonne vertébrale de Marlène. Elle augmenta encore la quantité d’énergie créée pour ajuster, sans trop savoir comment, mais cela fonctionna.

Marlène cessa de compter les repas et les sommeils. Ils ne signifiaient rien. Elle pouvait tout aussi bien manger toutes les deux heures ou dormir un jour sur deux. Elle eut l’impression qu’une année s’était écoulée. Combien de magie ces gens lui avaient-ils volé ? Sortirait-elle un jour de cet endroit ?

Elle pensait souvent à ses parents, mais aussi à Julie et Amanda. Ses amies devaient s’en vouloir terriblement. Et maître Gilain ? La perte de sa précieuse néomage serait une catastrophe pour son économie. Des gens cherchaient-ils à la secourir ? Pouvaient-ils seulement la retrouver ?

Elle se trouvait tellement stupide. Tout était de sa faute. Pourquoi avoir activé un objet magique sans se soucier au préalable de son effet ? Monsieur Toupin ne répétait-il pas à longueur de cours que c’était dangereux ? Marlène soupira. Elle n’écoutait pas vraiment en cours d’utilisation d’objets magiques. Elle trouvait cette matière inutile et sans intérêt pour elle qui serait une grande magicienne.

Marlène sanglota. Son orgueil, sa vanité et sa prétention lui valaient d’être là. Elle méritait le surnom que ce connard lui donnait. Elle avait indiqué à voix haute, en plein centre commercial, l’étendue de ses réserves, alors même que Julie lui serinait à quel point cette information devait rester secrète et que maître Gilain lui avait dit de tenir sa langue.

Marlène se sentait coupable jusque dans la moelle de ses os. Elle n’avait rien écouté, ni ses professeurs, ni le directeur, ni ses amies. Elle observa les murs vides, la poussière et les toilettes sans lunette et pleura.

- Marlène ?

La néomage se tourna vers la voix féminine pour découvrir maître Gourdon à côté d’elle.

- Arrête de créer de la magie, ordonna le professeur.

- Non ! s’écria l’adolescente. Le collier… Ça fait trop mal !

La porte s’ouvrit pour dévoiler le faux vendeur. Maître Gourdon leva les bras en signe de protection et grimaça. Elle souffrait, c’était une évidence.

- Marlène ! Nous ne pouvons pas lutter contre ta puissance. Nous avons besoin d’une brèche pour entrer ! Arrête de créer de la magie le temps de nous laisser agir !

- Ça fait trop mal ! pleurnicha Marlène.

Sans la gnosie, Marlène ne voyait rien. Probablement le faux vendeur attaquait-il l’intrus avec la magie inter, mais l’adolescente ne voyait rien. Maître Gourdon tomba à genoux. Excellente magicienne, elle l’était, mais ses réserves étaient faibles. L’autre se servait directement dans la tête de Marlène. L’issue du duel ne faisait pas de doute.

Marlène regarda le professeur qui l’avait aidée et guidée, qui avait pris soin d’elle, puis le faux vendeur qui la faisait souffrir. En larmes, elle cessa de créer de la magie et un monde de douleur l’envahit. Le collier la transperçait de partout. Elle hurlait d’une voix qui n’était plus la sienne. Elle n’était plus que souffrance.

- Tu peux recréer de la magie, Marlène, entendit-elle maître Gourdon lui annoncer.

Elle produisit tout ce qu’elle put et enfin, la douleur cessa mais elle resta prostrée, lovée en boule, à pleurnicher. Il y avait des gens dans la petite pièce et sur le sol, le cadavre du faux vendeur.

- Il est spécifique, annonça maître Gourdon qui manipulait le collier. Seul celui qui l’a activé peut le couper.

Marlène regarda le corps du faux vendeur. C’était fini. Le collier serait là à vie.

- C’est lui qui l’a activé, n’est-ce pas ? demanda maître Gourdon en désignant le corps et Marlène, le visage couvert de larmes, hocha la tête. Contactez Stratsky et Houglanoff. Dites-leur qu’on a besoin d’eux et que leur prix sera le nôtre. C’est urgent.

Des hommes disparurent.

- Ça va aller, Marlène, la rassura maître Gourdon. On va t’enlever ce collier. Tu arrives à tenir la création de magie ?

Marlène hocha la tête.

- La vache ! Tu as vu à quelle vitesse les réservoirs de grès de cet endroit se remplissent ! dit un homme portant l’uniforme du CIM.

Maître Gourdon jeta un coup d’œil vers le couloir et plissa les lèvres.

- Cette gamine a une sacré production ! continua l’homme en uniforme.

- De quoi attirer les convoitises, dit son collègue.

- Et l’autre qui n’a pas été foutu de la protéger ! Quand on a un trésor comme celui-là, on le surveille comme le lait sur le feu !

- Heureusement, il n’y a pas eu de perte de notre côté. Super travail Amel.

Maître Gourdon ne répondit rien. Elle observait Marlène, attentive à ses réactions.

- Tu as faim ? Tu veux manger ?

Marlène secoua la tête. Non, ça allait.

- Putain ! Elle crée 1 kum par minute et elle n’a pas faim. C’est un monstre !

Les larmes refusaient de cesser de couler. Quatre hommes apparurent dans la pièce. Deux d’entre eux s’approchèrent de Marlène et s’intéressèrent au collier, l’observant sans le toucher. Ils discutèrent entre eux mais Marlène, ne comprenant pas le russe, ne sut ce qu’ils disaient. Après de nombreux échanges avec les hommes du CIM, l’un des russes toucha le collier et le retira, comme si ce fut la chose la plus simple au monde. Comment avait-il réalisé ce miracle ? Marlène n’en avait aucune idée.

- Tu peux arrêter de créer de la magie, s’il te plaît ? demanda maître Gourdon. Ils ont besoin que le bracelet soit inactif pour te le retirer.

Marlène cessa. Le collier disparu, elle ne ressentit aucune douleur mais toujours seule au milieu de sa réserve vide, elle se sentait mal. L’autre russe retira le bracelet, apparemment sans difficulté non plus puis ils disparurent.

- Tu peux récupérer ta magie qui se trouve dans les réservoirs de grès de cet endroit. Elle est à toi après tout, indiqua maître Gourdon.

Marlène créa une once de magie, juste assez pour activer sa gnosie, y voir la magie et l’aspirer et nul ne l’en empêcha. Enfin, elle se sentit pleine et entière. Elle en pleura de joie. Cela faisait tellement de bien ! Elle prit la main tendue de maître Gourdon et se retrouva dans l’infirmerie de l’école. L’endroit était vide.

- De nombreuses personnes veulent te voir, annonça maître Gourdon. Je les tiens à l’écart le temps que tu reprennes tes esprits mais je ne pourrai pas les éloigner très longtemps.

- Puis-je voir mes parents ? réclama Marlène.

Maître Gourdon hocha la tête et la porte s’ouvrit. Henriette et Didier coururent vers leur fille et la serrèrent dans leurs bras.

- Nous avons eu tellement peur ! Oh ma chérie !

Elle pleura longuement et le câlin dura longtemps.

- Monsieur, madame, vous devez partir maintenant. Nous prendrons soin de votre fille, indiqua maître Gourdon.

- Comme vous l’avez fait jusque là, c’est ça ? gronda Didier.

Marlène se sentit mal. La responsable, c’était elle.

- Il est hors de question que Marlène continue à étudier dans cette école incapable de protéger ses élèves ! rajouta Didier.

- Marlène ? Souhaites-tu rester au Mistral ? demanda maître Gourdon.

- Oui, maître. S’il vous plaît. Je ne veux pas me faire renvoyer. Je vous en prie ! Je veux continuer mes études.

- Renvoyer ? s’écria Didier. Non ! C’est nous qui partons !

- C’est ma faute, papa, pleura Marlène.

- Tu n’es qu’une enfant, répliqua Didier.

- Une enfant stupide, murmura Marlène tandis que son père vociférait dans l’infirmerie. Stupide…

Deux policiers du CIM firent sortir Didier et Henriette le suivit, dépitée.

- Tu n’es pas stupide, Marlène, dit maître Gourdon.

- Sors, Amel. Je dois parler à mademoiselle Norris.

Marlène constata que le directeur de l’école était là.

- François ! Elle est encore sous le choc !

- Sors, Amel, répéta maître Gilain d’un ton ferme.

Maître Gourdon s’exécuta et Marlène se retrouva seule face au directeur.

- S’il vous plaît, maître, ne me renvoyez pas.

- Combien de fois monsieur Toupin a-t-il répété qu’il ne faut jamais activer un objet magique sans en avoir vérifié la fonction ?

Marlène s’en pétrifia de honte.

- Combien de fois, Marlène ? cracha-t-il, sa colère plus que transparente.

- Tous les jours, maître, pleura Marlène.

- Ne t’avais-je pas dit de tenir ta langue ?

Marlène contemplait le parquet, n’osant croiser le regard du directeur qui poursuivit :

- Te sortir des griffes de ces voleurs a coûté 8 milliards d’um au CIM, qui se retourne contre moi. Il est hors de question que cette école paye, que les tarifs des autres élèves augmentent pour contrebalancer ta bêtise. Ce montant sera rajouté à ta facture et je suis gentil, je ne demande pas de dédommagement pour la baisse de réputation de mon école.

- Merci de me garder, maître. Je paierai, bien sûr, je rembourserai tout, je vous le promets !

Le directeur s’éloigna en marchant, laissant Marlène seule, anéantie. 8 milliards d’um en plus du prix de base. Elle en aurait pour… Elle ne compta pas, pas maintenant. Ça lui faisait trop de mal. Elle sanglota longuement puis s’endormit.

À son réveil, elle se décida à sortir de l’infirmerie pour rejoindre sa chambre. En chemin, les élèves murmuraient et la montraient du doigt en ricanant. La notoriété, elle l’avait. Tout le monde se moquait de la néomage incapable.

Sur son lit, elle trouva le traducteur et le guide. Ses affaires n’avaient pas bougé. En revanche, le côté de Julie était vide. Elle demanda au guide où se trouvait son amie. Chambre 114, annonça-t-il. Ainsi, elle avait requis un éloignement. Logique. Qui voudrait rester près d’elle ? Surtout pas Julie pour qui la réputation comptait plus que tout. Si elle viré Paul pour un simple blâme, que dire de Marlène ?

Marlène passa le traducteur, l’activa puis sortit. Elle voulait reprendre les cours au plus vite. Elle avisa qu’elle ignorait le jour. Le guide le lui révéla : 21 janvier. Elle avait passé plus d’un mois aux mains de ses ravisseurs. Marlène pleurait toujours lorsqu’elle passa la porte du cours de maître Gourdon où seulement trois élèves travaillaient, dont Julie.

- Non pas que ta présence me dérange, murmura maître Gourdon, mais je préférerais autant que tu ailles d’abord refaire tes protections mentales avec maître Beaumont. Ton esprit est un livre ouvert. Ça me met mal à l’aise.

- Bien, maître, répondit Marlène que Julie ignorait superbement.

La blonde travaillait les formes et plus les couleurs. Forcément, en un mois, elle s’était améliorée. Marlène rejoignit le cours proposé, non complet également.

- Il y a moins de monde après Noël, précisa maître Beaumont en réponse au regard surpris de Marlène. La moitié des élèves sont partis. Installe-toi.

Marlène découvrit sa digue dévastée. Il n’en restait rien, pas même un petit caillou. Elle dut tout rebâtir de zéro. Cela lui prit tout l’après-midi.

Durant tout le dîner, Marlène sentit les regards peser sur elle. On la montrait du doigt, on l’observait, on riait. Plus seule que jamais, elle sortit et s’enferma dans sa chambre.

- Je voudrais parler à Amanda, demanda Marlène au guide.

- Plage horaire dépassée. Permission seulement accordée entre 8h et 19h, répondit le guide avant de tressaillir et la communication se lança.

- Merci, maître Gourdon, dit-elle car il ne faisait doute aux yeux de la néomage que la professeur de maniement de la magie venait d’intervenir.

- Marlène ! s’exclama Amanda. Ça me fait tellement plaisir de te parler ! J’ai eu tellement peur ! Comment vas-tu ?

- Bien, répondit Marlène. Julie… Elle… m’évite.

Amanda ne répondit d’abord rien puis elle murmura :

- Ça a été tellement dur. On t’a vue disparaître avec le vendeur. On est restées figées de stupeur. On ne comprenait pas. On a fini par appeler à l’aide mais c’était trop tard. La marque de téléportation avait disparu.

Marlène n’avait pas la moindre idée de ce dont elle parlait.

- Ils nous ont interrogées, continua Amanda. On s’est fait engueuler. On a été tellement nulles ! On aurait dû te protéger et au lieu de ça… Je m’en veux tellement, Marlène !

- C’est moi qui suis stupide.

- On l’a été toutes les trois. Nous n’avons rien vu. On a tellement l’habitude de l’école où tout est sécurisé. Monsieur Toupin essaye de nous confronter à la réalité en nous proposant de temps en temps des objets douloureux, mais ça n’est rien comparé à…

Amanda laissa sa phrase en suspens.

- Pardonne-moi, Marlène, je t’en prie, continua Amanda après un long silence.

- C’est moi qui suis stupide, répéta Marlène.

- Non, tu…

La néomage coupa la conversation. Toute la nuit, elle créa de la magie tout en dormant, sachant désormais le faire. Le lendemain, elle se sentait bien mieux. À la cantine, elle se décida à aller vers Julie. Elle s’assit devant elle mais la blonde fit mine de se lever pour s’éloigner.

- Julie, s’il te plaît ! Je ne t’en veux pas. C’est moi qui aies été stupide, stupide d’activer ce truc alors qu’on nous répète de ne jamais faire ça. S’il te plaît ! Ne pars pas.

Julie attrapa son plateau et partit s’asseoir à l’autre bout du réfectoire. Marlène comprenait. Pour Julie, les réseaux primaient sur tout. Tout le monde venait d’apprendre qu’elle était amie avec une néomage, sauf qu’au lieu de lui apporter la gloire et la célébrité espérée, elle n’avait reçu que des insultes et des moqueries, des railleries et des blâmes. Marlène comprit surtout que Julie plaçait la popularité au-dessus de l’amitié. La néomage ne pourrait plus jamais être amie avec elle. Elle se retrouvait seule.

Marlène petit-déjeuna en silence sous les regards appuyés de tous les élèves de l’école.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez