Le lendemain, monsieur Toupin eut la désagréable surprise de ne pas en avoir. Aucun élève n'avait trouvé l'effet de la flûte.
- Quelqu'un a-t-il au moins une piste ? interrogea monsieur Toupin, accablé.
- C'est probablement lié à la musique, annonça Philippine.
- Probablement ? répéta monsieur Toupin, plus amer que jamais.
- C'est forcément lié à la musique, intervint Amanda, car on ne peut pas enchanter un instrument de musique sans lier le pouvoir au son produit.
- D'où tu tiens ça ? lança Samuel.
- De la bibliothèque, répondit Amanda.
- Merci, Amanda, d'avoir fait l'effort de chercher, félicita monsieur Toupin. As-tu découvert autre chose ?
- La matière dans laquelle est faite la flûte n'est importante que parce qu'il s'agit de bois. L'espèce, à savoir l'érable, et son essence, n'apportent rien, continua Amanda.
Monsieur Toupin acquiesça d'un mouvement de la tête. Marlène fut épatée. Son amie semblait avoir vraiment fait un effort. Elle était retournée à la bibliothèque pour chercher ces informations complémentaires, sans s’arrêter aux premières trouvailles. Elle avait persévéré, certes sans succès, mais quand même.
- L'effet a donc un rapport privilégié avec la nature. Or, la musique peut influer de deux manières sur la musique : elle accélère la pousse des plantes ou elle permet de communiquer avec les animaux. J'ai essayé la flûte dans un parc, et n'ayant constaté ni l'un, ni l'autre, j'ai laissé tomber.
- Merci pour ta sincérité, souffla monsieur Toupin avant d'ajouter : mais c'est dommage, car tu n'étais pas loin. As-tu pensé à regarder la flûte plus attentivement ?
Amanda prit sa flûte et la regarda. Tous les autres élèves firent de même. Marlène ne vit rien de particulier.
- L'érable est un bois uni, expliqua monsieur Toupin. Il n'a pas vraiment de partie plus sombre et plus clair. Enfin, si, mais à peine. Or, quand on regarde cette flûte, on constate qu'elle comporte des rainures.
- C'est vrai ! s'exclama Samuel. On dirait des serpents !
- La flûte parle aux serpents ? souffla Marlène qui n'y croyait pas une seconde.
Ce cours l’ennuyait à mourir. Regarder les rainures sur la flûte pour trouver son effet ? N’importe quoi !
- Samuel n'était pas loin, dit monsieur Toupin. La flûte agit sur les vers de terre. Elle les fait s'agiter.
- Quel est l'intérêt ? lança Julie.
- Les vers de terre, en se promenant dans la terre et en se nourrissant, fertilisent les sols. Ainsi, quand on joue de cette flûte, la terre est de meilleure qualité. Crois-moi, les agriculteurs aimeraient bien être magiciens pour pouvoir se servir de ce genre d'objet, assura monsieur Toupin.
Julie rougit. Elle semblait honteuse de ne pas avoir compris cela elle-même. Marlène trouva ça tellement tiré par les cheveux qu’elle leva les yeux au ciel.
- La prochaine fois, continua monsieur Toupin, persévère un peu plus longtemps, Amanda, et tu obtiendras ton DM3.
Amanda rayonna de bonheur. La prochaine fois serait peut-être la bonne. Marlène le lui souhaita.
- L'objet suivant est… dit monsieur Toupin avant de le distribuer à chacun.
Marlène tenait une petite fourchette à trois pointes mais elle n'était pas en métal, ni en bois, ni en plastique. Marlène se saisit de l'objet. C'était froid, lisse et blanc.
- Bon, on insiste, cette fois ? proposa Julie.
- Tu avais dit ça pour la flûte et finalement, je me suis retrouvée seule à la bibliothèque hier… fit remarquer Amanda.
- Promis, cette fois, je suis avec toi. C'est une fourchette donc c'est lié à la nourriture.
- D'après toi, elle est faite en quoi ?
- En pierre, visiblement. Je ne sais pas. Du marbre ? Comment on va faire pour comparer ? Il y a une collection de pierre dans l'école ?
Les deux adolescentes se tournèrent vers la néomage.
- Pas à ma connaissance, admit Marlène.
Pour le bois, ça avait été facile, mais dans ce cas, l'environnement n'était plus d'aucune utilité et il ne faisait aucun doute que monsieur Toupin l'avait fait exprès. En regardant les autres élèves, Marlène constata que la couleur des fourchettes n'était pas identique pour tout le monde.
- Fais voir ta fourchette, demanda Marlène à son amie blonde.
Julie la lui tendit et Marlène l'observa attentivement.
- Qu'est-ce qu'il y a ? interrogea Julie.
- La mienne est franchement blanche, mais la tienne est plus… rose.
Julie compara les deux fourchettes et dut admettre que la couleur n'était pas exactement la même.
- Cachez les et regardez sans trop le montrer celle des autres, souffla Amanda comme si elles étaient trois agents secrets en mission.
- Il y a plein de coloris différents : noir, orange… murmura Marlène.
- Couleur de la pêche, acquiesça Amanda avant de continuer : argent, or, vert, bleu, violet. Il y a de tout !
- Quelle pierre peut bien avoir de tels coloris ? s'étonna Julie. Je ne pensais pas que c'était possible.
- En tout cas, la matière semble être très importante, en conclut Amanda.
Les trois amies cherchèrent jusqu'à la fin de l'heure la pierre dont il pouvait s'agir, en vain. Le cours d'étude de la nature porta sur le cuivre. Marlène le passa à classer son esprit afin de ne pas déranger ses amies par ses bavardages, si bien que Julie et Amanda purent écouter tranquillement.
Dimanche, les trois filles se rendirent sur des pistes de ski. Marlène découvrit qu'avec une gnosie pleinement opérationnelle, skier était beaucoup plus facile. Plus rien ne la surprenait, ni les bosses, ni les différences de rugosité de la piste. Elle s'amusa follement, ravie de profiter de ces derniers moments avec Amanda qui partirait bientôt.
Lundi, Marlène apprit à reproduire le son d'un tambour, classa ses connaissances puis médita pour regagner l'énergie perdue à tenter de jouer "Jeux interdits". Elle aida ensuite Amanda avec son devoir de français, pendant que Julie méditait après avoir perdu toute son énergie à créer un arc en ciel moche.
Mardi, ce fut au tour de la guitare d'être reproduite dans la gnosie. Le classement des bulles dans l'océan était très répétitif et malgré le plaisir de se trouver dans cet endroit chaleureux, Marlène s'ennuyait en cours de méditation.
- Ça y est ! Je suis enfin pleine ! Quatre-vingts um, il était temps ! s’exclama Julie en apparaissant en cours de magie intra mercredi matin.
"Quatre-vingts um". C'était tout ce que pouvait créer Julie. Son corps refusait d'en générer davantage par jour et le temps lui était compté. Marlène possédait plusieurs dizaines de kum. La différence lui fit encore froid dans le dos. Malgré son énergie, Julie ne parvint pas à reproduire correctement le spectre complet des couleurs. Elle désespérait d’y parvenir un jour. Marlène, elle, reproduisait le banjo sans difficulté.
Les filles retrouvèrent Amanda dans la classe de monsieur Toupin.
- À part que c'est lié à la nourriture, je n'ai rien trouvé, avoua Philippine.
- Personne n'a trouvé la matière ? interrogea monsieur Toupin, visiblement très déçu.
- C'est minéral, annonça Samuel. À part ça, rien.
- Amanda ? lança monsieur Toupin.
Amanda rougit. Visiblement, elle n’appréciait pas d’être interrogée. N’avait-elle pas cherché ? Marlène n’en savait rien.
- L'étude de la forme de l'objet ne t'a rien apporté ? insista pourtant monsieur Toupin.
- La forme, monsieur ? s'étonna Amanda. C'est une fourchette, qu'y a-t-il d'autre à dire ?
- Marlène ?
La néomage ouvrit de grands yeux. Pourquoi le professeur l’interrogeait-il ? Elle ne voulait pas participer à ce cours où elle n’allait que pour accompagner ses copines. Marlène secoua la tête pour montrer son ignorance.
- Ce n’est pas n'importe quelle fourchette, répliqua monsieur Toupin. Cette forme ne te dit rien ? Petite, avec seulement trois pointes ? De la part des autres élèves de la classe, qui sont majoritairement italiens, ça ne m'étonne pas, mais pour une française, en revanche…
En quoi sa nationalité importait-elle ? se demanda Marlène. Elle regarda un peu mieux la fourchette. En effet, elle avait déjà vu ce type de couvert mais il n'y en avait pas chez ses parents, elle en était certaine. Alors où en avait-elle déjà côtoyé ? Elle se plongea dans ses souvenirs et cela lui revint d'un coup.
- Chez mamie ! s'exclama Marlène qui faisait référence à la mère d'Henriette, n'ayant jamais connu l'autre. C'est une fourchette à huître !
- Exact, dit monsieur Toupin. Quant à la matière, c'est de la perle d’huître, du nacre, si vous préférez. Tout vous menait aux huîtres, de la matière, à la forme. Et vous n'avez même pas été fichu de trouver ça !
Les élèves se sentirent un peu honteux. Pour une fois, les indices étaient plutôt évidents. Marlène s’en voulut plus que les autres. Si elle avait fait un petit effort, elle aurait pu aider Amanda. Elle grimaça.
- Finalement, elle sert à quoi, cette fourchette ? interrogea Julie d'une petite voix peu assurée.
Monsieur Toupin ouvrit une glacière à ses pieds et en sortit une huître entière fermée. Il activa la fourchette puis tapota l’huître, qui s'ouvrit volontairement. Monsieur Toupin retira sans difficulté le couvercle de l’huître avant de la déguster tranquillement devant ses élèves, pour certains dégoûtés, pour d'autres intéressés.
- Pratique, n'est-ce pas ? lança monsieur Toupin. Plus besoin de s'embêter à ouvrir les huîtres. Elles le font pour nous. Encore un échec de votre part à tous ! Croyez-vous que l'un de vous va un jour trouver la fonction d'un objet ? Je vous rappelle qu'il vous suffit d'en trouver un, et un seul, pour valider cette capacité pour le DM3 alors, il serait temps que vous vous y mettiez sérieusement.
Un seul objet suffisait. Pas étonnant que monsieur Toupin ait été gêné en apprenant que le directeur de l'école avait aidé une élève. Le professeur distribua l'objet suivant : un morceau de cuir rouge avec des points noirs.
- Allons-y ! lança Marlène pour montrer qu’elle voulait aider son amie. Bon, déjà, la forme ne nous apporte rien. C'est juste un carré.
Julie et Amanda acquiescèrent.
- La matière. Que savez-vous des propriétés magiques du cuir ? interrogea Marlène qui, n’écoutant jamais en cours d’étude de la nature, n’en avait aucune idée.
- Ça peut être lié aux animaux, à la vie, ou aux vêtements, dit Julie.
- Si ça se trouve, souffla Koumada derrière, c'est un genre d'absorbant de couleur. Vous savez, le truc qu'on met dans la machine à laver et qui permet de mélanger le blanc et les couleurs sans risque.
- Qu'est-ce qui te fait penser ça ? répondit Jacob.
- C'est lié aux vêtements, et il est rouge vif, avec des points noirs. Sa couleur est forcément importante ! affirma Koumada.
- Bonne idée, allons à la buanderie pour vérifier ! proposa Jacob.
Monsieur Toupin donna l'autorisation au binôme de sortir.
- Qu'est-ce que vous en pensez ? demanda Julie.
- Pas la bonne piste, répondit Marlène.
Elle n'aurait pas su l'expliquer mais elle sentait que ça n'était pas ça. En revanche, Koumada avait fait une excellente remarque.
- Par contre, souffla Marlène, elle n'est pas bête, Koumada. La couleur doit avoir une importante. Un cuir de cette couleur là, ça ne court pas les rues.
- C'est moche, annonça Amanda.
- C'est indéniable, admit Marlène, mais ça ne nous avance pas. Rouge, à points noirs. La couleur a-t-elle des propriétés magiques ?
- Le rouge lie davantage le cuir à la vie, à cause du sang, se rappela Amanda. Quant au noir, non, je ne vois pas.
Les filles cherchèrent dans plusieurs livres à quoi pouvaient correspondre les couleurs mais elles ne trouvèrent rien de plus. Koumada et Jacob revinrent peu avant la fin du cours et leur déception était lisible sur leurs visages.
L'après-midi, les filles le passèrent à se relaxer sur les terrains de sport.
Jeudi midi, après le cours de magie intra, Julie et Marlène retrouvèrent Amanda à la cantine. Elle n'avait rien trouvé de bien intéressant en leur absence. Le cuir, qui était de la peau animale, était lié aux soins. Amanda avait pensé que peut-être, il guérissait les plaies mais le pansement sur son doigt démontrait le contraire.
Marlène sourit en imaginant la scène : Amanda, se coupant le doigt puis posant le carré de cuir dessus, l'activant, le retirant, pour constater que la blessure était toujours présente.
- Ce truc n'a aucun effet, maugréa Amanda.
- Tous les objets ont un effet. Tu as bien dû sentir une vibration dans la gnosie en l'activant, supposa Marlène.
- Évidemment, et comme d'habitude, je n'ai pas su l'interpréter, maugréa Amanda. J'en ai marre de ces trucs. Je n'y arriverai jamais !
- La peau, c'est le sens du toucher, dit Marlène. C'est sûrement lié à ce sens.
- Donne ta main, dit Julie.
Marlène tendit la main. Julie posa le carré de cuir sur sa paume, avant de demander :
- Tu sens quelque chose ?
Marlène dut admettre que non. Si le toucher était concerné, elle ne sentait rien. Amanda soupira, probablement parce qu’il était évident qu’elle avait déjà essayé.
- Ça ne veut pas dire que ça n'est pas lié au toucher… précisa Amanda. Peut-être que ça fait quelque chose, mais qu'on ne s'en rend pas compte.
Julie et Marlène hochèrent la tête sans être réellement convaincue. Soudain, Amanda souffla :
- Chut ! Écoutez ! Frédéric ! Il a trouvé quelque chose !
Grâce à la gnosie, les trois amies écoutèrent aisément la conversation du jeune homme et de ses amis, pourtant à plusieurs dizaines de mètres d'eux, séparés par d'autres élèves bruyants.
- Vous vous souvenez qu'on s'était dit que peut-être ça touchait seulement les animaux, parce que c'était du cuir, murmurait Frédéric, croyant être à l'abri des oreilles indiscrètes, mais tous les élèves du cours de monsieur Toupin l'espionnait.
- Tu as réussi à attraper le chat de madame Juliette ? souffla Jasper, qui n'y croyait visiblement pas.
Frédéric montra ses avant-bras, couverts de griffures.
- Ça n'a pas été sans mal. Sale bestiole !
- Que s'est-il passé quand tu as mis le cuir sur lui ? interrogea Jasper.
- Il s'est mis à hurler. Il a craché, m'a griffé et il s'est barré en courant. Apparemment, ça lui a fait mal alors, ne comptez plus sur moi pour ce genre d'expérience. Ce chat a beau être super chiant, je refuse de faire mal à des animaux.
Jasper avait soudainement pâli.
- Frédéric, si on avait pensé une seule seconde que Toutouche en souffrirait, on n'aurait pas envisagé de le faire ! s'exclama Antoine, le troisième de la bande de copains.
- N'empêche ! La pauvre bête a vraiment hurlé. Ça m'a fait mal au cœur…
Tous les élèves détournèrent les yeux et décidèrent de se concentrer sur leurs assiettes plutôt que la conversation des trois adolescents.
- Tu crois qu'il a dit la vérité ? souffla Julie.
- Que veux-tu dire ? demanda Marlène sans comprendre.
- Frédéric n'est pas bête, dit Julie. Il sait bien qu'on l'écoutait. Il a peut-être dit ça seulement pour qu'on arrête d'écouter.
- Ses griffures étaient bien réelles et semblaient profondes, fit remarquer Amanda. En plus, il semblait vraiment bouleversé. Ou alors, il est drôlement bon comédien.
- J'ai la sensation qu'il disait la vérité. Regarde, il ne mange pas et il est toujours pâle.
Julie et Amanda vérifièrent d'un regard et ne purent que constater que leur amie avait raison.
- Je pense qu'on peut assez sûrement considérer que cet objet fait souffrir les animaux, continua Marlène.
- Pourquoi monsieur Toupin nous aurait-il donné un objet magique faisant souffrir le règne animal ? s'exclama Amanda.
- Et puis, l'être humain est un animal, argua Julie. Pourquoi cela ne nous fait-il pas souffrir, nous aussi ?
Marlène et Amanda haussèrent les épaules. Elles n'avaient pas la réponse à cette judicieuse question. En allant se coucher, elles n'avaient toujours pas la solution mais ne l'avaient pas non plus cherchée. Désespérées par leur incapacité à trouver la moindre utilité, elles avaient préféré jouer aux cartes toute la soirée.
Vendredi, Marlène dut reproduire le son d'une flûte traversière. Cela lui posa quelques difficultés car elle ne savait pas en jouer. Or, pour reproduire un son dans la magie intra, il fallait d'abord l'entendre. Pour le xylophone et le piano, il suffisait d'appuyer. Pour la guitare, qui avait été accordée, Marlène s'était contentée de pincer des cordes sans savoir la note mais peu importait, seule la capacité à la refaire importait. Pour la batterie, un simple coup avec une baguette et le tour était joué.
Là, c'était autrement plus complexe. Elle avait demandé à maître Gourdon d'aller voir le professeur de musique, qui officiait tous les après-midi mais elle refusa, demandant à un élève qui participait au cours de musique d'en jouer pour Marlène.
La classe entière fut stoppée pour écouter le récital de Fannie et elle fut applaudie. Ne pouvant pas créer le son elle-même, Marlène dut se contenter de ce qu'elle avait retenu du récital et ce fut très compliqué. Marlène n'osa pas déranger Fannie, en plein travail, pour le demander de lui rejouer quelque chose si bien que le résultat ne fut pas probant. Ainsi, Marlène dut recommencer le lendemain pour enfin réussir mais avec un résultat assez peu agréable.
Samedi matin annonça à nouveau le cours de monsieur Toupin et aucune des trois filles ne savait à quoi pouvait servir le carré de cuir rouge à points noirs.
- Quelqu'un connaît-il l'effet de cet objet ? interrogea monsieur Toupin.
La main de Koumada se leva. Monsieur Toupin supposa que la jeune femme n'avait que des pistes. Il ne fut donc pas très enthousiaste en lui donnant la parole.
- C'est un épilateur magique, annonça Koumada. On le met sur une zone avec des poils, comme les jambes par exemple, et quand on active l'objet, les poils sont retirés, depuis la racine. Ça fait aussi mal qu'une épilation à la cire, sauf qu'on n'utilise pas de cire. C'est très rapide et très pratique.
Il était évident que Koumada l'avait testé sur elle. Monsieur Toupin en fut muet de stupeur et la classe siffla d'admiration.
- Oui, oui, exactement, bredouilla monsieur Toupin qui n'en revenait pas. Comment… comment as-tu découvert cela ?
- J'ai eu de la chance, annonça Koumada. Frédéric, Antoine et Jasper ont décidé de tester le cuir sur un animal parce qu'ils pensaient que ça ne s'appliquait qu'aux animaux. Ils ont mis le cuir sur Toutouche, le chat de madame Juliette.
- Quoi ? s'exclama monsieur Toupin. La pauvre bête ! Où est-il ?
- Justement, continua Koumada. Il s'avère que j'adore les chats et depuis la rentrée, Toutouche dort régulièrement avec moi. Il est venu dimanche après-midi, apeuré. Il réclamait des câlins. Quand il est monté sur moi, j'ai constaté qu'il avait été maltraité. Toute sa fourrure sur son dos avait été arrachée. Je l'ai amené à l'infirmerie et sa fourrure lui a été rendu mais j'étais en colère. À la cantine, j'ai entendu Frédéric expliquer à ses camarades sa mésaventure avec Toutouche, et je peux vous assurer que Frédéric s'en voulait énormément.
- Il va bien, alors ? bafouilla Frédéric, pâle et triste.
- J'ai décidé de ne rien t'en dire jusqu'à aujourd'hui, histoire d'être sûre que tu ne recommences pas ! expliqua Koumada.
Frédéric hocha la tête et Koumada se tourna vers monsieur Toupin.
- En déduire la fonction du carré de cuir n'a pas été très compliqué et je l'ai testé sur moi, avec succès.
- Naturellement, Koumada, je ne te donnerai pas l'objet, annonça le professeur. D'abord, parce que tu as reçu de l'aide pour trouver sa fonction et ensuite, parce que je vous rappelle que le but est de déterminer l'action d'un objet sans l'activer. Ce n'est qu'à cette condition que cette capacité pourra être validée en vue du DM3.
- Monsieur, intervint Marlène. Je pense que Koumada mérite de gagner l'objet, même si son diplôme n'est pas validé. Elle le mérite juste pour son comportement envers le pauvre Toutouche.
La classe entière approuva et monsieur Toupin céda. Koumada ne cacha pas sa joie. Elle était aux anges. Après avoir expliqué à ses élèves comment ils auraient pu déterminer l'action du carré de cuir rouge à points noirs, monsieur Toupin leur distribua le suivant : un stylo.
Emportée par l’élan général de la classe, Marlène le tourna et le retourna dans sa main, mais il était plutôt banale : un stylo bille. En revanche, ça n'était pas un outil bon marché. Il n'était pas en plastique, mais en métal. Il était lourd et d'excellente facture.
- Cette fois, s'il vous plaît, demanda monsieur Toupin, essayez d'en trouver l'effet sans l'activer. C'est tout de même le but !
Les élèves grognèrent pour signifier leur mécontentement mais obéirent au professeur. Tous voulaient obtenir leur DM3.
- Une idée ? murmura Julie à son amie.
- Il n'écrit pas, annonça Marlène qui avait tenté de tracer un trait avec sur une feuille blanche.
- Il écrirait probablement si tu l'activais, proposa Amanda.
- Tu crois que c'est aussi simple ? Monsieur Toupin ne nous aurait pas fait une telle faveur.
- Monsieur ? s'exclama Philippine. Je pense que le but de cet objet est d'écrire. Quand on l'active, on peut écrire avec.
- Qu'est-ce que tu fais penser cela, Philippine ? interrogea monsieur Toupin.
- C'est un stylo, annonça Philippine.
Monsieur Toupin attendit la suite, qui ne vint pas car c'était là le seul argument de la jeune femme.
- L'effet de ce stylo n'est pas de produire de l'encre quand on l'active, soupira monsieur Toupin, plus las que jamais.
Philippine fit la moue.
- Ça valait le coup d'essayer, souffla Julie.
Amanda sourit avant d'annoncer :
- Le but n'est pas non plus de donner des effets au hasard. On ne joue pas aux devinettes. On est censé se servir des propriétés de l'objet, de sa matière et de sa forme.
- Elle s'est servi de sa forme : c'est un stylo, répliqua Julie.
- Je n'en suis pas si certaine, dit Amanda. Il n'écrit pas.
- Le stylo quatre couleurs dont monsieur Toupin s'est servi pour nous apprendre à nous servir des objets dissociés non plus n'écrivait pas avant d'être activé, fit remarquer Marlène qui ne comprenait pas comment on pouvait déduire quoi que ce soit d’un bout de métal.
Marlène appuya machinalement sur le bout du stylo, faisant rentrer le bout dans le ventre en métal.
- C'est étonnant, murmura Marlène. D'habitude, un stylo de cette qualité a un bouchon, pas un système pour faire rentrer la mine à l'intérieur. En plus, normalement, dans ce genre de stylo, on peut ouvrir et récupérer les éléments à l'intérieur. Combien de fois je me suis amusée à monter et démonter mon stylo bille dans mon précédent collège ? Je m'amusais avec le ressort présent à l'intérieur.
Julie acquiesça. Elle se saisit de son stylo pour constater qu'en effet, il ne présentait aucune ouverture. Fait d'un seul bloc, on ne pouvait pas le dévisser pour en sortir la mine.
- Du coup, comme il n'est pas transparent, on ne sait pas où en est le niveau d'encre, continua Marlène.
- En même temps, si l'effet de l'objet est de créer de l'encre, on n'a pas besoin de savoir où… commença Julie.
- Monsieur Toupin a dit que ça n'était pas son effet, rappela Amanda.
Amanda se leva et alla voir monsieur Toupin puis revint, un stylo bille en plastique très banal en main. Tous les écoliers avaient ça dans leur trousse.
- Que vas-tu faire avec ça ? demanda Julie.
- Je voudrais savoir s'il y a de l'encre dans le stylo en métal, expliqua Amanda. Pour ça, j'ai besoin de la signature de la vraie encre.
Les filles testèrent et les trois arrivèrent à la même conclusion : il n'y avait pas la moindre goutte d'encre dans le stylo en métal. Amanda rendit celui en plastique à monsieur Toupin avant de retourner à côté de son amie.
- Clairement, ce n'est pas un stylo, dit Amanda. En quel métal est-il fait ?
- Aucune idée, annonça Julie. C'est très lourd, brillant, lisse. Ça pourrait être de l'aluminium…
- Trop léger, contredit Amanda.
- De l'argent, du fer, continua Julie.
- Il existe des dizaines de métaux différents.
Les filles soupirèrent. C’était peine perdue ! Sous l’impulsion d’Amanda, tout le groupe chercha tout de même et leur conclusion fut sans appel :
- C'est un alliage. Nous avons ressenti la présence de fer, de nickel, de carbone, de chrome, de manganèse et de pleins d'autres éléments inconnus, énuméra Amanda.
- C'est pas encore aujourd'hui qu'on trouvera l'effet d'un objet magique… maugréa Julie.