La chambre est beaucoup trop classe. Corentin a même l'impression qu'elle est plus grande que l'appartement de sa mère. Il y a de la place pour marcher, voire même s'étendre autour du lit, et un écran géant accroché au mur. Sans compter une table, deux chaises, deux fauteuils, un mini-bar, une armoire, c'est juste hallucinant.
Pixie est en train de se laver dans la salle-de-bain. Iel lui a promis qu'ils prendraient un bain tous les deux s'il se tenait tranquille. Corentin n'ose pas s'assoir sur le lit. Il pourrait s'endormir immédiatement.
Il est complètement KO.
— Tu peux y aller.
Pixie est sortie, vêtue d'une épaisse sortie de bain, les cheveux recouverts d'une huile très odorante. Iel est en train de les recouvrir soigneusement d'un bonnet.
— Me regarde pas comme ça, je ne vais pas avoir l'occasion de soigner mes cheveux avant quelque temps, et ils avaient besoin d'un peu de soin.
— Tu les laisses pousser ?
Saon copaine hausse les épaules en s'installant sur le lit.
— Je ne sais pas. C'est beaucoup de travail et ça fait des années que je les rase dès qu'ils commencent à se voir. En plus avec les perruques ce n’est pas forcément pratique.
— Tu serais tellement belle avec une afro.
Visiblement sa remarque surprend complètement Pixie qui le regarde avec de grands yeux ronds, puis éclate de rire. Est-ce qu'il a dit une bêtise ? Mais Pixie lui prend la tête entre ses mains encore huileuses, et l'embrasse très fort.
— Tu es tellement mignon. Va vite prendre ta douche, et surtout, surtout, utilise le tube d'exfoliant que j'ai laissé sur le bord de la baignoire.
— Pourquoi ?
— Parce que même si je t'aime, ta peau est dégueulasse. Et une fois sorti de la douche, crème hydratante. Je l'ai achetée exprès pour toi.
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Sous la douche, alors que Corentin se frotte vigoureusement la peau avec l'exfoliant de Pixie, les mots tournent dans sa tête, comme s'il était dans une espèce de comédie romantique chelou.
« Je t'aime. »
Ok, c'était dit sur le ton de la blague. Ils ne se connaissent que depuis, quoi, une seule semaine ? Ils ont couché trois fois ensemble, limités essentiellement par des problèmes de confort et de logistique. Ils s'embrassent un peu, mais pas tant que ça.
Non, c'était juste des mots comme ça.
Et surtout, en fait, le problème est autre part. Le problème, c'est que Corentin, lui, aime... Sam ? Non ?
— Ah, bordel.
Il prend juste le temps de se rincer avant de couper l'eau. Pas de sortie de bain pour lui, ce sera son bas de jogging et un tee-shirt. Un coup de brosse dans les cheveux, il est beaucoup trop nerveux pour se les sécher correctement, tant pis, il aura des épis demain matin.
Là, il veut juste aller dormir.
Merde, la crème hydratante ! Il se déshabille à nouveau, se tartine, se rhabille, en profite pour se laver les dents et mettre une rasade de crème calmante sur le nez et sous son œil.
Ça va aller.
Non, en fait ça ne va pas du tout, parce que Pixie est assise en tailleur à un bout du lit, comme si une conversation extrêmement importante allait s'engager. Corentin déteste les conversations sérieuses, surtout quand elles parlent de sentiments. D'ailleurs il n'en a jamais. Même pas avec sa mère. C'est pour ça qu'il se sentait très con quand Samuel est arrivé en pleurs à Rennes, même s'il a tout fait pour le consoler.
— N'aies pas peur, je ne vais pas te manger.
Pixie doit bien voir qu'il est en train de paniquer. Mais il finit par s'assoir face à iel, sans trop savoir ce qui l'attend.
— Alors, fait Pixie au bout de quelques minutes de silence. Tu sais que je t'aime beaucoup, n'est-ce pas ?
Corentin hoche la tête.
— Ça peut te paraître un peu rapide, parce qu'on ne se connait pas depuis longtemps. Quand on s'est rencontré au spectacle la semaine dernière, j'ai eu un crush, mais je ne pensais pas que ça irait plus loin qu'un peu de flirt.
Jusque-là, il suit, même s'il ne savait pas qu'il avait eu cet effet-là sur Pixie dès le premier soir.
— Mais j'étais habillé comme un plouc, fait-il.
Pixie rigole :
— Il faut se faire à l'idée que j'aime bien les ploucs pas très à l'aise et qui ne savent pas quoi faire de leurs deux mains. Même si je sais que quand tu t'y mets, tu sais faire beaucoup de choses, et très bien même.
Corentin se sent rougir jusqu'à la racine des cheveux. Pixie continue :
— Une fois qu'on est parties ensemble avec Sam, je pensais laisser tomber, parce que les flirts quand on est enfermés dans une voiture toute la journée pendant potentiellement plusieurs jours voire semaines, ce n'est pas une bonne idée. Mais voilà, la chair est faible.
Là Corentin sent que Pixie est quand même nerveuse. Iel serre et desserre les poings sur ses genoux, et respire à fond avant de reprendre.
— J'ai envie de sortir avec toi et d'officialiser notre relation mais il faut d'abord que je t'explique ce que je suis.
Iel se mord les lèvres. Mais Corentin lea laisse continuer. Qu'est-ce que Pixie pourrait cacher qui lea rende aussi peu sûre d'iel ? Cela ne lui va pas du tout !
— Les gens prennent ça souvent à la légère, mais quand je dis que je peux aimer plusieurs personnes à la fois, c'est tout à fait vrai. Je suis polyamoureuse. Est-ce que tu sais ce que c'est ?
Corentin penche la tête sur le côté :
— Vaguement mais... Je préfère que tu m'expliques pour pas me tromper.
— Bien, c'est pour ça que je t'aime bien aussi. Alors, ça veut dire que je peux entretenir plusieurs relations sentimentales ou sexuelles en même temps, en étant tout à fait ouverte sur la situation avec mes différents partenaires. Pas de cachotterie, tout le monde le sait. Et si un de mes partenaires refuse, on rompt. D'ailleurs je tiens à m'excuser, parce que je ne t'ai pas prévenu tout de suite. Je ne le fais pas forcément avec des coups d'un soir mais là c'est différent. Pardon.
— Tu n'as pas à t'excuser.
Le cerveau de Corentin est en train de faire des nœuds dans sa tête.
— Je peux te poser une question ?
— Vas-y ?
— Tu as d'autres copains en ce moment ?
— Non. Je suis... J'étais tristement célibataire depuis plusieurs mois. C'était compliqué de gérer à la fois mon état mental et celui d'autres personnes. Je te raconterai peut-être un jour comment a été mon confinement mais... mais pas maintenant.
— D'accord.
— Donc, imaginons : est-ce que tu refuserai que je vois d'autres personnes ?
— Non. Enfin, j'ai eu une vie assez dissolue, j'ai déjà couché avec deux mecs en même temps, ou pas en même temps mais à la même soirée. J'ai même un de mes anciens copains qui aimaient bien regarder. Après, il n’était pas hyper sympa et il est parti avec le mec avec qui... Enfin bref, c'était assez pathétique.
— Là c'est différent.
— Ouais, c'est pas juste pour baiser. T'y mets de l'amour aussi, c'est ça ?
Le sourire que lui offre Pixie est à la fois doux et radieux.
Corentin va s'installer contre les coussins et fait signe à Pixie de le rejoindre pour lea prendre par l'épaule et lea serrer contre lui.
— Je réfléchis beaucoup depuis plusieurs semaines, mêmes plusieurs mois. J'aime sincèrement, et profondément Samuel.
— Holala, ce n’est pas le secret du siècle, ça !
— Hey ! C'est bon, je ne me confie pas souvent non plus.
Pixie tourne la tête vers lui et lui embrasse la joue :
— Pardon. Je l'aime aussi ce canard, il est tellement mignon.
— Voilà. Et je crois que j'ai crushé sur Théo aussi ?
— Il est viscéralement monogame.
— C'est pas le sujet ! Répond Corentin, vexé et déçu. Mais enfin, ce serait hypocrite de ma part de te critiquer si tu aimes d'autres personnes que moi.
— Et si je couche avec ?
— Ben...
Corentin hausse les épaules.
— Si je deviens con, tu peux m'engueuler et me jeter comme une vieille chaussette.
— C'est bon à savoir parce que si tu savais à quel point j'ai envie de niquer avec Alex.
— Quoi ?
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— Alors voilà on est ensemble.
Corentin observe attentivement la réaction de Samuel et Alexandre. Le premier a une tartine de fromage qu'il tient à mi-chemin de sa bouche, et l'autre manque de renverser sa tasse de café.
— Ben, on sait, finit par dire Sam. Je veux dire, j'ai failli, je vous ai surpris...
Pixie étouffe un éclat de rire. Corentin remarque quelques regards qui leur sont lancés des tables voisines. Eh oui, ils ne sont pas précisément le genre de public qui peut se payer une chambre au Hilton. Et ces gens-là ne doivent pas voir souvent non plus des mecs avec du vernis à ongle rose sur les doigts.
Pixie et lui se sont fait une petite séance de vernissage après leur discussion.
— En fait, explique Corentin. On voulait juste officialiser. Et puis... On est en relation ouverte. Enfin nan, c'est pas comme ça. Je veux dire, on va pas aller voir à droite à gauche pour...
— Oui, Pixie est poly, ça je sais, fait Alex. Mais toi, je ne m'y attendais pas.
Corentin hausse les épaules. Il ne pensait même pas qu'il en avait la possibilité. Il n'a pas envie de s'envoyer en l'air avec le premier venu, certes.
— Je me dis, j'ai des crushs autres que Pix.
Il lae sent qui lui serre fort la main pour l'encourager.
Sam le regarde en fronçant légèrement les sourcils, pas dégoûté non, mais peut-être perplexe ?
— Je veux dire, j'aime Pixie. Mais je peux aimer d'autres gens aussi.
— Eh, je les connais tes autres crushs ? Demande Sam.
Là, franchement, il ne sait plus du tout quoi répondre. Pixie vient aussitôt à son secours :
— Arrêtez de le torturer comme ça ! Et puis on a de la route jusqu'à Soissons aujourd'hui. Tout le monde va se préparer ! Hop ! Sam, viens avec moi, toi aussi tu as fortement besoin d'une bonne rasade de crème hydratante, tu as un énorme coup de soleil sur le museau.
Corentin et Alex restent à table pour finir leurs propres petits-déjeuners. Parce que si Pixie s'est nourrie d'une salade de fruit et de deux tasses de thé, et Samuel de tartines au fromage, d'un œuf dur et de café, les deux autres ont dévalisé le buffet. Corentin contemple les deux crêpes (sans beurre salée) et le petit pain au chocolat qui sont encore sur son plateau.
Au bout d'un moment, le silence d'Alex lui fait relever la tête.
L'autre le regarde avec un air étrange.
— Ça, ça t'embête ce qu'on a dit tout à l'heure ?
— Non, non.
Alex vide d'un coup son café avant de se lever de table.
— Ecoute, ça va être une journée compliquée pour toi et Sam. On en reparlera plus tard, ok ?
Corentin a envie de s'enterrer sous terre.