Chapitre 17

Par Bow

Léa est assise sur son lit. Elle vient d’appeler Marine pour tout lui raconter. Elle a aussi pris un rendez-vous chez le médecin. Avec un peu de chance il l’autorisera à retourner
au lycée. La sonnette retentit. Elle sait que c’est Quentin, il avait dit qu’il viendrait. C’est son dernier jour ici, alors il voulait qu’ils se voient une dernière fois. Elle court lui ouvrir.
— Salut Quentin, alors on va marcher ?
Il sourit.
— Oui, on va y aller. Mais avant, j’ai quelque chose à te montrer.
Il lui tend une enveloppe.
— J’ai trouvé ça dans un vieux sac ayant appartenu à mon arrière-grand-mère. Ça vient de Louise.
Avec émotion, Léa saisit l’enveloppe, non timbrée, sur laquelle est écrit « Lucie ». Elle l’ouvre et lit la belle écriture de son arrière-grand-mère.

Lucie,
Cela faisait longtemps que le couple ne gardait plus aucun courrier. Alors, par la fraiche après-midi de vendredi dernier, je m’y suis rendue. C’est là que j’ai vu ta lettre. Et je tenais à te dire qu’elle m’a beaucoup déçue. Comment peux-tu avoir trahi cet horrible secret ? Comment peux-tu mettre sur les épaules d’une enfant de dix ans le poids de cette sanglante révélation ? Au cours de notre vie, j’ai toujours essayé de te comprendre. De nombreuses fois je me suis remise en question, j’ai pris sur moi afin de me mettre à ta place et de relativiser nos désaccords. Mais cette fois, je t’assure que je n’y arrive pas. Nous nous étions mises d’accord pour ne jamais dire la vérité aux enfants. Et tu as beau me dire qu’elles ont le droit de connaitre leurs origines, je ne partage pas ton avis. Je ne veux pas que Félicie ait une quelconque inquiétude pour plus tard, pour la survie de ses enfants à elle. La prophétie ne survivra pas, il est inutile d’en avoir peur. Aussi, je souhaite que nos deux filles cessent de se voir. Une enfant de dix ans ne sait pas garder un secret, et je ne veux en aucun cas que Thérèse dévoile la vérité à Félicie. J’espère être claire sur ce point.
Je ne sais à quelle réaction tu t’attendais de ma part, peut-être seras-tu blessée en apprenant ma colère, mais sache que je le suis tout autant.
Louise

Léa replie la lettre, une pointe de tristesse dans son visage.
— Ça me fait bizarre, je n’ai pas l’impression que c’est mon arrière-grand-mère qui a écrit ça. Elle était toujours si gentille…
Quentin hausse les épaules en guise de réponse. Léa continue.
— Je trouve ça triste qu’elles se soient disputées comme ça.
— Oui, et le plus triste c’est qu’elles sont restées en conflit toute leur vie, elles ne se sont plus jamais reparlé.
— A propos, tu m’avais dit que Lucie avait envoyé une carte postale à Louise dans laquelle elle lui proposait de faire la paix. Et bien je l’ai cherchée, dans toute ma maison. Mais je ne l’ai pas trouvée. Quant à toi, tu es sûr que Louise n’a pas répondu ?
Il hoche la tête.
— Certain. Mon arrière-grand-mère m’a toujours dit que sa plus grande déception était de ne pas avoir pu renouer les liens avec son amie d’enfance. Elle était vraiment triste de ne jamais avoir reçu de réponse. Quand ma grand-mère s’est mariée, Lucie lui a laissé sa maison et a déménagé dans le village voisin. Mais elle répétait sans cesse qu’elle avait écrit sa nouvelle adresse sur la carte postale, et que donc Louise aurait pu lui écrire.
Le regard de Léa se perd dans le lointain. Elle aurait aimé que l’histoire des deux femmes se termine bien. Après un temps, Quentin reprend sa vivacité.
— En tout cas, la lettre de Louise que nous venons de lire nous apprend quelque chose : le couple était en fait un genre de garde-courrier. Elle le précise bien, ces deux personnes devaient être les gardiens de leurs lettres, et cela explique pourquoi aucune enveloppe n’est timbrée.
Léa sourit, heureuse que le mystère soit résolu.
— C’est vrai, tu as raison. Ceci dit, j’ai du mal à imaginer pour quelles raisons elles avaient besoin de confier leurs lettres à deux personnes qui, rappelons-le, vivaient dans la forêt.
Son ami hausse les épaules en riant.
— C’est vrai que c’est bizarre, mais je pense qu’il ne faut pas chercher à comprendre. C’est du passé… Et d’ailleurs, si on profitait du présent en allant la faire, cette petite promenade ?
Elle acquiesce avec empressement. Les deux amis sortent donc au grand air, heureux de marcher. Ils se rendent dans la forêt. En arrivant dans la première clairière du bois, Léa désigne un chemin sur la droite.
— C’est ça, le chemin dont parle Louise dans son journal. Le chemin qu’elles empruntaient.
— Oui et ce chemin a dû beaucoup les marquer, elles en parlent tout le temps.
Un frisson parcourt Léa.
— Quentin, c’est dans cette forêt qu’ils ont été tués ?
— Oui. C’est glauque, mais pourtant c’est vrai.
Elle essaye de refouler ses pensées. Elle voudrait fuir ce lieu chargé d’histoire, mais pourtant le chemin lui semble joli, et elle aurait bien envie de le suivre.
— Et si on passait par ce chemin ?
Son ami sourit en la regardant d’un air de défi.
— J’allais te le proposer.

Les deux amis suivent le sentier en admirant la nature florissante. Ils profitent de ce moment pour discuter.
— Au fait, ma grand-mère a dénoncé les parents de Jérémy. Je ne sais pas quelle sera la suite des événements, mais tout va rentrer dans l’ordre.
Léa hoche la tête, heureuse de l’entendre.
— D’accord. Ça me fait un peu mal pour Jérémy, il m’avait suppliée de le pardonner. Mais en même temps, je ne pardonnerai jamais à ses parents le mal qu’ils ont fait. Et puis au moins on est sûrs que tes parents resteront sains et saufs.
— Oui, je crois que dans ma famille tout le monde est soulagé.
Léa reste pensive. Elle se demande s’il réalise la chance qu’il a d’avoir encore ses parents. Il semble le remarquer.
— Mais toi, qu’est-ce que tu vas devenir ?
Léa hausse les épaules.
— En fait je n’en sais rien. Je vais continuer à vivre seule, et puis ma voisine est là en cas de besoin. J’espère pouvoir retourner au lycée, je m’ennuierais moins. Je ne sais pas encore si l’ASE va prendre mon cas en considération. Peut-être que j’irai en famille d’accueil, et peut-être que je vais rester là. Je n’en sais rien. On verra.
— Quoi qu’il en soit, on gardera contact.
Elle hoche la tête.
— Oui, maintenant que mon téléphone marche on va pouvoir s’appeler. Mais quand même, tu vas me manquer…
— Tu vas me manquer aussi. Mais je reviendrai bientôt, c’est promis.

Après quelques minutes de marche, Léa aperçoit un tas de cailloux. Curieusement, il attire son attention, car il n’est pas commun. Elle s’arrête pour reprendre son souffle, et en profite pour observer ce qui l’entoure. Une végétation luxuriante entoure un cercle déboisé d’environ cinq mètres de diamètre, créant une sorte d’aire verte et apaisante au coeur de la forêt.
— C’est beau ici.
Les mains sur les hanches, Quentin pivote sur lui-même, admirant lui aussi la petite parcelle dans laquelle ils se trouvent.
— C’est vrai. Regarde ces arbres, ils sont étranges.
Léa se tourne dans sa direction. A quelques pas de là, deux arbres collés l’un à l’autre s’étendent verticalement sur des dizaines de mètres, enroulés ensemble. Elle sourit.
— C’est drôle. On dirait que ces deux-là s’aiment bien.
Quentin hoche la tête.
— Effectivement, c’est un beau couple d’arbres.
Léa répète silencieusement tout en réfléchissant.
— Un couple…
La forêt, le « chemin habituel », les cailloux, le secret. Brusquement Léa comprend tout. Elle et Quentin se regardent au même moment, un éclair de lucidité traversant leurs regards.
— Léa, c’est ça le couple, on a trouvé !
Elle hoche la tête, surexcitée et trop heureuse. Quentin, qui a l’air plus que satisfait, la prend dans ses bras, plein d’entrain. Après un long moment, il s’écarte un peu, sans lâcher son amie, et déclare plus calmement :
— Ces arbres ont l’air amoureux.
Léa hoche la tête dans un souffle.
— Oui, très amoureux.
Et lentement, dans le calme apaisant de la forêt, les lèvres de Quentin rejoignent celles de Léa. Ils s’embrassent pendant un long moment, avant de se relâcher en souriant. Puis ils se rendent main dans la main tout près de l’arbre. Léa est intriguée et curieuse à la fois.
— Alors c’est là qu’elles cachaient leur courrier…
Quentin dévisage la plante.
— Oui il faut croire, mais je me demande bien où.
Léa oriente son regard vers le bas. A la première intersection des deux arbres, elle aperçoit une faille. L’un des arbres possède un trou, ce qui créé une petite cavité.
— Là-dedans, peut-être.
Sous le regard intéressé de Quentin, Léa glisse sa main dans l’espace étroit. Elle adresse alors un regard stupéfait à son ami.
— Il y a une enveloppe dedans.

Léa n’a jamais rien ouvert aussi vite. Elle n’en revient pas de ce qu’elle vient de trouver, une lettre qui n’a jamais été lue, une lettre oubliée. Quentin a l’air aussi excité qu’elle. Cette enveloppe sur laquelle est écrit « Lucie » ne leur est pas adressée, mais ils sont sûrs que la défunte ne leur reprochera pas de l’avoir lue à sa place. Avant même de lire, Léa essaie de considérer la valeur de l’objet qu’elle tient entre les mains, de ce lien avec le passé, de ce retour en arrière, de ce plongement dans l’histoire. Elle ne sait pas ce que cette lettre contient, et personne ne l’a jamais su. Quentin et elle seront les premiers à le savoir.

Ma très chère Lucie,
Je te prie de m’excuser pour le caractère si tardif de ma réponse à ta jolie carte postale qui m’a beaucoup émue. Je sais que cela fait déjà deux ans que tu n’habites plus ici et j’ignore si tu continues à venir en ce lieu. Je sais bien que pour être certaine que tu reçoives bien cette lettre, il aurait été plus prudent de la poster et de l’envoyer chez toi, mais je tenais à la déposer ici, dans cet arbre, dans le couple, symbole de notre enfance et de notre complicité. Il est vrai que le temps a passé et que notre jeunesse est désormais loin derrière nous, mais j’espère de tout coeur qu’un jour tu auras l’occasion de revoir cet endroit et de trouver ce message.
Venons-en au fait, ta proposition de réconciliation m’a beaucoup fait réfléchir. Je n’ai toujours pas dévoilé la vérité à Félicie, et je ne le ferai probablement jamais. Elle est mariée maintenant, et semble parfaitement heureuse. Je ne voudrais pas la perturber dans sa nouvelle vie rayonnante qui commence seulement. Cependant, le temps agit toujours sur les émotions, qu’on le veuille ou non. Parfois, c’est plutôt une bonne chose. Les années ont estompé ma rancoeur, elles m’ont fait prendre conscience que mon attitude n’avait pas été la meilleure. Je me suis ainsi rendue compte que j’avais eu tort, tort de m’emporter comme cela, tort de ruiner notre amitié, qui était pourtant si belle. Et il est vrai que les années font remonter des souvenirs à la surface, c’est pourquoi il m’arrive de plus en plus souvent de penser au passé, à notre enfance, à cette forêt, au couple, aux cailloux. Tu as toujours été ma meilleure amie, Lucie. Et je réalise aujourd’hui que j’ai eu beaucoup de chance d’avoir une personne comme toi dans ma vie. Je regrette mon comportement, je regrette notre dispute et j’aimerais, moi aussi, que tout redevienne comme avant. Que nous soyons à nouveau amies, en oubliant tout ce qui a pu se passer de mauvais.
Avec toute l’affection que j’entretiens depuis notre tendre enfance,
Louise

 

 

 

 

 

 

FIN.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez