Chapitre 17

Notes de l’auteur : Bonne lecture ! ^^

chapitre réécrit

D’aussi loin que je me souvienne, le monde des rêves a toujours été mon terrain de jeu préféré. Que ce soit en parcourant ceux des autres ou les miens, les aventures que j’y vivais m’émerveillaient quand la réalité me paraissait trop sombre. Et c’était parce que le monde des rêves m’emportait à des lieues de mon monde monotone qu’il me plaisait tant de m’y perdre.

Ce soir-là en revanche, le sommeil me porta vers un monde que j’aurais préféré ne jamais revoir.

Tout était sombre autour de moi. Si sombre que je ne voyais pas même le bout de mon nez. Un silence apaisant régnait, à peine troublé par le tourbillon incessant de mes pensées. Et alors que je me laissais porter par cette atmosphère délicate, un son se fit entendre. Le discret murmure des vagues.

Une irrésistible envie de les rejoindre me vint, me poussant à avancer dans le néant. Et plus je progressais, plus le chant de la mer se faisait puissant à mon oreille. J’étais persuadée que si d’aventure je me retournai, je me retrouverais face à l’océan, à son bleu si vaste.

Je m’apprêtais à le faire lorsqu’une odeur me parvint. Ce parfum familier, mélange de sucre et d’iode. Jamais je ne pourrais l’oublier et le sentir à cet instant me pétrifia sur place.

— Adaline… entendis-je alors.

— Non… marmonnai-je à moi-même. Non… pitié, pas ça… pas encore…

Parce que je reconnaissais cette voix. Et aussi sûrement qu’il m’avait manqué de l’entendre prononcer mon nom, mon cœur se serra douloureusement dans ma poitrine. La chair de poule me parcourut tout entière à mesure que les souvenirs de cet affreux jour me revenaient. Je ne voulais pas revivre pareille épreuve, je ne voulais pas…

Alors que je relevai piteusement les yeux vers ce qui m’attendait, ce ne fut pas le visage de mon frère disparu que je découvris mais un papillon aux ailes bleues bordées de noir. Asling… songeai-je aussitôt et je tentai de rattraper le papillon. S’il était là, s’il était vraiment là…

— Je vous en prie ! Je vous en supplie ! m’exclamai-je désespérée. Je ne veux pas revoir ça ! Je ne le supporterai pas ! Je ne…

Mais déjà le papillon s’enfonçait dans les ténèbres jusqu’à disparaître complètement. Et aussi brutalement que les souvenirs explosaient dans ma mémoire, le monde autour de moi tangua jusqu’à voler en éclat. Je me sentis chuter une éternité avant d’ouvrir les yeux sur un monde foisonnant et bruyant. Mes jambes flageolaient, mon cœur battait la chamade alors que mon regard passait d’un visage inconnu à l’autre.

Il me fallut un moment, le temps que ma vision s’accoutume à la soudaine lumière qui m’entourait, avant que je ne réalise. Perdue au milieu d’une foule grouillant de gens aux costumes aussi colorés qu’excentriques, je n’eus plus aucun doute sur ce qui m’attendait, et ma panique n’en fut que décuplée. Pourquoi ? ne cessai-je de me répéter en regardant autour de moi les yeux exorbités. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?!

Pourquoi Asling me faisait-il ça ?

La ville était splendide, décorée de milles et une banderoles aux couleurs de la mer. Des lanternes décoraient chaque arbre, chaque balcon. Des guirlandes de perles et de coquillages agrémentaient les façades ternes des bâtiments. Même les Temples de la Nuit et des Rêves avaient revêtu leur tenue d’apparat, les pierres d’obsidienne et de lavande décorées de peintures de vagues et d’écume.

La Première Vague avait toujours été un évènement à Argencour. Sans doute à cause de sa proximité avec la mer et les Terres de Typhon. Je me souvenais de l’enthousiasme avec lequel nous nous étions tous préparé ce jour-là, de la joie qui avait envahi Bellenuit et toute la capitale à cette occasion.

Je me souvenais avoir paradé avec ma famille dans ces mêmes rues, je me souvenais de ces décors somptueux, de cette musique entrainante. Tout le monde était déguisé aux couleurs des enfants de la mer, arborant des tenues couvertes de nacres, de coquillages et de perles sur des soies aux teintes outremer. Mes sœurs s’étaient changées en sirènes, leurs joues décorées de dessins d’écailles argentées, leurs longues jupes à froufrous parsemées de fausses écailles. Mère était alors encore en bonne santé, rayonnante de joie et de beauté au bras de père. Meryl ne quittait pas leurs bras. Accrochée à eux comme une moule à son rocher, elle observait tout ce qui l’entourait avec des yeux grands ouverts, comme cherchant à graver à jamais dans sa mémoire tout ce qu’elle voyait. Les jumelles n’osaient trop s’éloigner d’Elora qui nous suivait avec bonheur, tout habillée de bleu et d’argent. Elles s’accrochaient fermement à la gouvernante, leurs chapeaux de méduses bringuebalant sur leurs petites têtes.

Tout ce qui m’entourait me fascinait, de ces coiffures extravagantes que je pouvais croiser à ces décorations de bateaux et de créatures marines qui illuminaient chaque allée de leur beauté. Chaque coin de rue offrait son lot de merveilles, des artisans aux artistes proposant autant de spectacles grandioses et savoir-faire magistral qui ravissaient les yeux de tous les passants. Bientôt la parade traverserait Argencour à son tour, faisant défiler ses chars animés. Des pirates, des sirènes et des monstres de la mer juchés sur ces merveilles d’artisanat lanceraient alors perles et bonbons aux foules de spectateurs déguisés dans la joie la plus grande.

Les images se mélangeaient si bien que je peinai même à différencier rêve et souvenir. Ma tête tournait, ma respiration se fit laborieuse. Je n’aimais pas ce rêve, je n’aimais pas…

— Adaline ! cria-t-on derrière moi.

La surprise me pétrifia presque autant que le souvenir qui l’accompagnait. Parce que je reconnaissais cette voix. Même après toutes ces années il m’était parfaitement impossible de l’oublier. Je me retournai lentement, le cœur battant. Et aussitôt les larmes me brûlèrent les yeux.

Mon grand frère me faisait face, paré de son costume aux couleurs de la mer décoré d’autant de coquillages, de nacres et de perles. Une cape en filet de pêche lui couvrait l’épaule alors que des écailles turquoise décoraient ses pommettes, les écailles que je lui avais dessinées. Ses cheveux étaient en bataille, comme toujours, et son regard bienveillant me transperça le cœur.

J’ouvris la bouche pour lui répondre mais n’eus plus de souffle. Il semblait si… réel. L’instant sembla durer une éternité alors que nous nous fixions en silence et tout me sembla alors terriblement terne et fade en comparaison.

— Rihite… parvins-je à articuler dans un souffle.

Et alors que je sentais mon cœur sur le point d’exploser dans ma poitrine, des pas précipités se firent entendre. L’instant d’après, une petite silhouette me traversa, littéralement, pour sauter dans les bras de Rihite. Ce dernier la réceptionna avec un grand sourire et ce fut comme si tout mon monde s’effondrait.

Dans les bras de mon frère, je me reconnus, petite fille de douze ans joliment habillée de son costume de fille des profondeurs. Rihite embrassa la mini-moi avant de la déposer au sol. Sa grande main prit la mienne et ils commencèrent à se détourner, s’enfonçant dans la foule si dense.

Ce ne fut qu’à cet instant que je réalisai. Mon cœur s’emballa, les larmes redoblèrent.

— Non… Non, n’y va pas ! Je t’en prie, n’y va pas !

Je m’élançai à leur poursuite, désespérée. Les larmes coulaient pour de bon à mes joues alors que je les voyais s’enfoncer toujours plus profondément dans la foule. Et comme dans tous mes cauchemars, mon corps se fit lourd et lent, incapable de suivre leur rythme.

L’instant d’après, un cri atroce me vrilla les oreilles. J’eus à peine tourné la tête que le monde changea à nouveau autour de moi. Et mon cœur se brisa.

Mes jambes flageolèrent alors que je tentais d’approcher et finalement je m’effondrai. Je n’entendais même plus les hurlements de Calista non loin, portai à peine attention à la bouffée de flamme qu’avait soufflé Marietta au visage de l’assassin, pas plus que je fis attention à ses cris d’agonie alors qu’il fuyait vers la plage. Je ne vis pas le ciel se couvrir de nuages menaçants ni la pluie tomber. Je n’entendis pas les cris de mes parents, mes propres larmes d’enfants alors que je m’effondrais au côté de mes sœurs.

Tout ce que je voyais, c’était le corps sans vie de mon frère étendu sur la chaussée, son sang qui ne cessait de s’étendre autour de lui, son teint à présent livide et ses si beaux yeux outremer qui ne brilleraient plus jamais de cette étincelle que j’aimais tant. Tout ce que je voyais, c’était la mort emporter mon frère adoré bien trop tôt et les larmes qui en résultèrent.

Car la réalité était ainsi. Rihite avait été tué le premier jour du règne de Typhon, lors de cette Première Vague qui avait si bien commencé. La grande parade aurait dû être le clou du spectacle, le dernier grand hommage des familles de pêcheurs au Dieu des Océans. Jamais je n’aurais pu imaginer que, comme dans un rêve où se glisse une ombre, tout pouvait ainsi virer au cauchemar.

Le chagrin me submergea comme un raz-de-marée et brusquement, le monde tangua autour de moi. Lorsque l’orage éclata pour de bon au-dessus de nos têtes, le néant m’engloutit.

Tout n’était plus qu’obscurité. Je ne sentais rien. Je ne voyais rien.

Je flottais. Où ça ? Aucune idée. Mais il y avait du courant, un léger courant qui me berçait tendrement, comme les bras d’une mère. Je me recroquevillai sur moi-même, savourai cette sensation de plénitude qui m’envahit, chassant cet impitoyable chagrin qui me broyait le cœur. J’aurais voulu rester ainsi pour toujours. J’aurais voulu m’abandonner à cette sensation de réconfort. J’aurais voulu m’oublier, tout simplement.  

Ce qui me poussa à ouvrir les yeux ? Je ne le sus jamais. Une impression ? Un pressentiment ? Aucune idée. Tout ce que je sais, c’est que je finis par ouvrir les yeux, battis lentement des paupières.

Tout était flou. Je baignais dans un camaïeu de bleu apaisant. Une forme s’en découpait devant moi. Elle était sombre. Une ombre ? Bizarrement, je ne craignais pas de voir Ciaran. Je me sentais tellement bien… en paix. Anesthésiée.

La forme se précisa à mesure que ma vision s’accoutumait aux ténèbres. Une silhouette. Elle me semblait familière.

Un long battement de cil plus tard, elle me rejoignit. Elle était grande, son contour brumeux. J’en reconnaissais le regard, d’un bleu océan. Mon frère. Rihite… Je sentais mes yeux brûler, comme pour pleurer. Mais mes larmes se mêlèrent à l’eau salée, invisibles. J’aurais presque préféré les sentir couler sur mes joues. Rihite

Je plongeai dans son regard céruléen. Ses yeux étaient si beaux… il me manquait tant…

Mon frère me sourit.

Je tendis la main vers lui. Je voulais le toucher, savoir qu’il était vraiment là même si c’était impossible. Je voulais qu’il prenne ma main, qu’il me serre dans ses bras comme lorsque j’étais petite. Je voulais qu’il me rassure comme avant… Je voulais sentir son parfum autour de moi, je voulais l’entendre chanter dans la tempête à nouveau, je voulais danser sous la pluie avec lui comme autrefois.

— Rihite…

L’eau s’engouffra dans ma bouche. J’étouffai et la panique me submergea. Je me débattis, cherchai désespérément de l’air. Brusquement, je ne voulais plus baigner dans cette eau si douce, je voulais en percer la surface, remplir mes poumons d’air frais, cracher le sel que je sentais brûler mes bronches.

Rihite continuait à me sourire mais, plus je m’agitais, plus il s’éloignait.

Non ! Non, non, non ! Ne me laisse pas ! RIHITE ! hurlai-je en moi-même. Mais j’eus beau nager, crier sous la surface, mon frère ne m’entendait pas et continuait de s’éloigner, s’enfonçant toujours plus profondément dans les abysses. J’avais l’impression de me noyer ; dans mon chagrin ou dans l’océan, je ne le savais même plus.

Je me réveillai en sursaut. La sueur perlait à mon front. Les images de mon cauchemar me revinrent comme un coup de tonnerre et je fondis en larmes. Les souvenirs rejaillissaient dans ma mémoire dans un flot ininterrompu, aussi vivaces qu’au premier jour.

Au dehors, comme un écho à mon chagrin, la tempête faisait rage. Des éclairs zébraient le ciel et l’orage grondait.

— Est-ce toi qui fait ça, Rihite ? demandai-je piteusement en regardant le ciel se déchaîner au dehors.

Seule la pluie me répondit.

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Tac
Posté le 11/09/2022
Yo !
Je trouve que dans ce chapitre la réflexion de Rhen prend tout son sens : est-ce un message d'Asling sous la forme de cauchemar, ou un "simple" cauchemar de CIaran ?
D'ailleurs un truc qui m'interroge depuis le début : Rihite a soi-disant été puni pour son trop grand pouvoir. Mais c'est pas de sa faute à lui, s'il a un grand pouvoir. Ce sont les dieux, qui les accordent. Donc, le même dieu qui a accordé son pouvoir à Rihite l'a puni pour avoir reçu son don ? A moins que Rihite ait fait quelque chose ? Tel que je le comprends jusque à présent, Rihite a été puni pour... exister.
Entre les deux deniers chapitres courts, le premier m'a laissé un peu de marbre, j'ai trouvé qu'il n'apportait pas grand-chose de neuf, quant à celui-ci, je lui trouve du potentiel, à voir comment c'est utilisé dans la suite !
Plein de bisous !
Le Saltimbanque
Posté le 24/08/2022
Tu connais mes opinions sur les flashbacks de Rihite...

En plus, je suis un peu plus déçu par le fait que le dernier chapitre avait un quasi-cliffhanger menaçant. Adaline s'endort, est-ce le début d'un autre rêve mouvementé ?

voili voilou
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