C’était le deuxième jour des Sélénites et je ne pouvais m’empêcher de me demander si la tempête se calmerait d’ici demain soir. Il aurait été si triste que la nuit de clôture fut annulée à cause de l’orage…
Dans l’après-midi, nous nous étions rassemblés dans le grand salon. Les jumelles jouaient aux Douze Cours avec grand-père Wendel qui avait spécialement quitté sa cabane pour fêter les Sélénites avec nous. Mère brodait tranquillement, Calista jouait au piano tandis que Meryl lisait un nouveau livre. Père était parti en ville dans la matinée voir avec le Maire s’il maintenait la fête du lendemain soir. Dans un coin de la pièce, Rhen observait la scène. Nos regards ne cessaient de se croiser. Je souris.
— Typhon doit être de sale humeur, lança Vitali en aidant Elora à servir le thé. Je n’avais pas vu de tempête pareille depuis des années !
Je regardai par la fenêtre les trombes d’eau qui s’abattaient sur les terres. Par beau temps, nous pouvions voir la mer d’ici. Aujourd’hui, seul un épais rideau de pluie était visible. Mais… était-ce vraiment la colère de Typhon ou Ciaran y était-il pour quelque chose ?
— Tante Vitali, tu peux nous raconter une histoire sur Rihite ? demanda tout à coup Liam en bondissant de mes genoux.
Il y eut un silence, puis des exclamations de joies se répandirent dans toute la pièce. Meryl leva les yeux de son livre, les jumelles abandonnèrent leur partie.
— Oh, oui, tante Vitali ! s’enthousiasma Gemma. Tu sais si bien raconter !
— Très bien, très bien, sourit-elle.
Marietta et moi nous regardâmes, un sourire aux lèvres, alors que notre tante prenait place sur une méridienne près du fauteuil de mère. Les jumelles vinrent s’installer de part et d’autre de Vitali, laissant à notre grand-père le soin de ranger le jeu de cartes. Liam s’installa confortablement sur des coussins juste devant notre tante alors qu’Elora prenait place dans un coin. Dans son fauteuil, mère regardait tout le monde paisiblement, sa broderie sur les genoux.
— Laissez-moi réfléchir une minute… Oh, je sais ! Vous souvenez-vous de la fois où Rihite a piqué une colère telle qu’il a inondé le grand salon ?
Les plus jeunes secouèrent la tête tandis que Marietta, mère et Elora affichaient des sourires pleins de nostalgie. Calista, qui venait de s’installer dans un fauteuil non loin, semblait vouloir se fondre dans le décor.
J’eus beau fouiller dans ma mémoire, je peinais à me souvenir de cet incident. Une histoire de pluie dans la maison, me semblait-il.
— Calista avait repéré une veste couleur de nuit dans l’armoire de Rihite et s’en était entichée, raconta Vitali. C’était une très belle veste d’un satin bleu foncé avec des boutons et de splendides broderies d’argent. Votre frère l’aimait beaucoup et avait décrété, le jour où on la lui avait offerte, qu’il ne la porterait que pour les grandes occasions ! Il était si fier de parader devant nous avec, s’amusa notre tante.
Vitali prit le temps de boire une gorgée de thé avant de poursuivre.
— Calista, petite roublarde de l’époque, dit-elle avec un clin d’œil pour la concernée dont les joues rosirent, se faufila un jour dans la chambre de son frère et déroba la fameuse veste. Rihite ne s’en rendit pas compte tout de suite et Calista eut tout le temps de modifier à sa guise le beau vêtement. Celui-ci était bien trop grand pour elle, alors elle entreprit d’en raccourcir les manches et de le cintrer à sa taille. Sa création était splendide. Mais, quand elle se mit à parader dans le manoir avec, quand Rihite reconnut sa veste, il explosa de colère !
À côté de Marietta, Calista se renfonça dans son siège, se faisant toute petite.
— Mais elle allait si bien avec ma robe argentée… marmonna-t-elle tout bas.
Il y eut quelques rires, puis tante Vitali reprit.
— Comme vous le savez, Rihite est né sous l’égide de Typhon, et comme le Dieu des Océans, notre Rihite a hérité de grands pouvoirs. Aussi, lorsque sa colère fut au plus haut, un orage éclata ! Mais, à la surprise générale, le ciel resta d’un bleu céruléen. Seul le manoir connu l’orage. Car, ce ne fut pas à l’extérieur que la tempête éclata, mais bien à l’intérieur. Quand il se mit à pleuvoir dans toutes les pièces, votre père se précipita dans le grand salon d’où il entendait les cris de ses enfants. Tout le monde était trempé et la petite Calista pleurait à chaudes larmes alors que Rihite l’enguirlandait. Au-dessus de leur tête, des éclairs zébraient le plafond et le tonnerre semblait se faire entendre dès que Rihite ouvrait la bouche.
Elle reprit une gorgée de thé. Au-dehors, le vent soufflait de plus en plus fort.
— Finalement, au prix de longues heures de négociation, votre père parvint à calmer Rihite qui fit cesser l’orage. Le manoir était détrempé et il fallut plusieurs jours pour que tout sèche. Quant à la veste bleue, Calista n’osa plus jamais la mettre en présence de son frère qui se fit offrir plus tard un nouvel habit tout aussi beau.
— Elle n’a pas été punie ? demanda Georgia avec un sourire de chat.
— Non, répondit tante Vitali en croquant dans un biscuit. Votre père a jugé qu’elle en avait eu pour son grade. Tout le monde savait qu’il ne valait mieux pas énerver Rihite. Ce fut d’ailleurs l’une de ses très rares colères.
— C’était pour quoi les autres ? demanda Liam, avide d’histoires.
— Ça, mon petit, ce sera pour un autre soir.
Au même instant, il y eut un grand coup de tonnerre qui fit sursauter tout le monde. Les lumières vacillèrent et la porte d’entrée s’ouvrit dans un grand fracas. Les jumelles crièrent, bondissant presque sur les genoux de Vitali alors que tout le monde se retournait. Émergea du chaos notre père, trempé jusqu’aux os. Celui-ci nous sourit en se débarrassant de sa cape détrempée.
— Eh bien, quelle assemblée ! s’exclama-t-il en recevant avec gratitude la serviette que lui tendait Gideon. Ai-je raté quelque chose ?
— Juste tante Vitali qui nous vantait les exploits de Calista en matière de vol de veste, lança Meryl, taquine.
Tout le monde rit alors que Calista s’enfonçait un peu plus dans son siège. Il me sembla la voir se cacher derrière ses cheveux.
— Ah, oui, je m’en souviens, répondit père avec nostalgie en embrassant notre mère. Sacré Rihite. Lui aurait sans doute pu nous dire d’où vient cette effroyable tempête.
— Que veux-tu dire ? questionna Vitali, l’étonnement faisant briller ses prunelles azurées.
— Qu’elle n’est localisée que sur cette partie des Terres de la Nuit. Et elle semble stagner là, alors même qu’il y a un vent à décorner les bœufs là-dehors.
Je me tournai vers Rhen, soudain inquiète. La gravité de son expression reflétait la mienne. Nous pensions à la même chose.
Ciaran.
Donc c’était bien lui le responsable… Quelles catastrophes nous réservait-il encore ? Était-il vraiment allé jusqu’à provoquer la colère de Typhon ?
Le reste de la soirée fut tout aussi joyeux et festif alors que nous nous rappelions Rihite. Pourtant, et même alors que j’étais heureuse de parler de mon frère aîné, mon esprit ne cessait de divaguer. Les paroles de père tournaient en rond dans mon esprit tout comme les images de mon cauchemar. L’angoisse me nouait la gorge.
En regardant par la fenêtre la tempête qui faisait rage, j’en vins à redouter la fête du lendemain. Si fête il y avait.
Ciaran a le pouvoir sur les éléments, lui aussi ? Pas que sur les rêves et cauchemars ? D'instinct je m'y attendais pas du tout. Dans ma tête chaque divinité ayant sa spécialité, ael n'agissait que sur ce domaine là.
Calista joue du piano ! Elle sait donc faire quelque chose de sympa !
J'ai bien aimé ce moment familial. On les voit toustes se fritter pendant 18 chapitres, c'est agréable de constater que l'union est aussi possible !
Plein de bisous !
Certes, Rihite m'irrite, mais là c'est passé comme un lettre à la poste. Déjà, c'est nouveau : on n'a plus Adaline qui déprime toute seule dans son coin. Toute sa famille participe. Aussi, le ton est plus engageant, on a une histoire plus imaginative, qui revient au côté "conte", très intéressant. Callista intervient, et on a jamais vu son rapport avec ce fameux grand frère, donc ça ajoute une originalité.
Enfin, et surtout, le ton est complètement différent. Ici, c'est de pas juste du tire-larme, mais une histoire familiale permettant de bien se moquer de Callista tout en faisant un portrait doux-amère de Rihite. On se rappelle des (relatifs) bons moments avec lui, pour justement célébrer la famille qu'on a toujours. J'ai trouvé ça très beau, plus efficace que pratiquement tous les autres flash-backs sur le personnage.
Et puis Ciaran est (un peu) de retour pour me calmer. Le garder comme une menace floue au loin est terriblement efficace. L'attente est horrible. Et en plus il énerve les autres dieux ?
Voili voilou