Chapitre 17

Le petit matin se leva sur Skajja. Dans la maisonnette de la mère de Zeman, les voyageurs n’avaient pas dormi. Rassemblés autour de la cheminée où brûlait un bon feu, ils avaient passé la nuit à se raconter les uns aux autres les aventures extraordinaires qu’ils avaient vécues. Ils étaient fatigués, mais animés par une énergie phénoménale. Ils avaient traversé des mondes étranges et hostiles, affronté des dangers inimaginables, et réussi à vaincre leurs peurs et leurs ennemis.

 

Ils étaient tous là, enfin réunis après leurs interminables voyages, sains et saufs. Ils se sentaient forts et dispos pour partir tuer le dragon. 

 

Sous le porche dans la rue, Chizu et les soldats du gouverneur n’avaient pas dormi non plus. Ils avaient eu froid pendant la longue nuit passée dehors. Leurs pieds et leurs mains étaient glacés. Ils se sentaient raidis d’être restés debout et mouraient de faim et de soif. Ils virent la joyeuse troupe sortir de la maison et se diriger vers l’apothicairerie. Les hommes et la femme marchaient d’un bon pas, l’un d’eux tenait sa mule par la longe et la guidait dans les étroites venelles. Autour d’eux, le chien courait dans tous les sens. Comme s’il avait été piqué par un dard, Chizu sursauta et bondit en avant. Abandonnant les gardes déconcertés, il courut dans des ruelles parallèles et rejoignit la boutique de Zeman avant l’arrivée des voyageurs.

 

Izen aperçut le premier l’espion qui les attendait. Chizu se dirigea droit vers lui. Il avait le teint blême et les yeux creusés dans leurs orbites, signe de sa grande fatigue. Izen riait sous cape car il savait que Chizu l’avait espionné toute la nuit. Il fit semblant de n’en rien savoir. Zeman avait donné aux voyageurs des potions de régénération pour compenser le manque de sommeil. Chizu n’avait pas bénéficié de ces bienfaits.

 

– Bonjour, messeigneurs, articula Chizu un peu oppressé par la quantité de personnes qui entouraient Izen et le regardaient sans aménité.

– Bonjour, répondit le soldat en baissant légèrement la tête en signe de bref salut. 

– Quand désires-tu te rendre chez Dehner, le meilleur de nos forgerons ? s’enquit Chizu le plus aimablement possible malgré son hostilité.

– Tout de suite, répliqua Izen. Mes amis ici présents vont me suivre. Chacun d’entre nous devra être porteur d’une arme et d’une armure avant de partir pour le col où vit le monstre.

– Bien, fit Chizu. Alors je vous montre le chemin.

 

Ils le suivirent dans le dédale des rues de Skajja. Chizu se demandait comment une femme et un vieillard pourraient aider à tuer le dragon. Tout en marchant, il jetait des coups d'œil furtifs à Shu et à Spyridon sans jamais perdre Izen de vue. Décidément, ces gens étaient si étranges qu’il commençait à croire qu’ils pourraient peut-être réussir. 

 

Arrivés devant un énorme porche dont la porte était grande ouverte, ils pénétrèrent dans l’antre de Dehner. Déodat laissa la mule à l’extérieur et Memnon monta la garde près de Callixte. Pour parvenir au niveau des forges, ils descendirent une pente assez raide. Ils arrivèrent dans un endroit gigantesque creusé à même la roche. Au milieu de l’atelier de fonderie, se dressait un grand foyer rond entouré d’imposants soufflets. Diverses  enclumes de plusieurs tailles jouxtaient la cheminée centrale. Plusieurs forgerons travaillaient en même temps, chacun à son propre rythme sur ses propres pièces. Certains faisaient chauffer le métal jusqu’à le rendre malléable, d’autres façonnaient les pièces avec des outils. Derrière eux, des baquets remplis d’eau étaient disposés à proximité. Au bon moment, ils y plongeaient les armes et les pièces d’armures forgées pour les refroidir brutalement. Le bruit et la chaleur étaient intenses. 

 

Les experts portaient des tabliers de cuir et protégeaient leurs yeux par des masques percés de trous. Ils maniaient leurs pinces et leurs marteaux avec dextérité, estimaient la température de chauffe pour savoir quand le métal porté au rouge était prêt à être forgé. Autour d’eux, des apprentis nerveux et attentifs actionnaient les soufflets et fournissaient au bon moment les marteaux pilons, les poinçons, les griffes, les brosses demandés par le forgeron. Les pièces étaient ensuite savamment chauffées et retravaillées pour en modifier la plasticité jusqu’à ce que l’expert soit satisfait. Leurs gestes étaient précis et efficaces. Leur connaissance du métier et du métal les aidaient à gagner sur temps sur la fabrication tout en produisant des pièces de la plus haute qualité. Sous le foyer, le système de chauffe était alimenté par un feu de bois. Des troncs entiers brûlaient dans une fosse d’où s’échappait une épaisse fumée. Elle montait en tourbillonnant vers un orifice percé dans l’épaisseur du rocher.

 

Dans le fond, sur tout le pourtour de la caverne, les pièces terminées étaient entreposées sur des tables ou dans des râteliers. Elles attendaient le retour des commanditaires.   

 

Chizu s’approcha du maître de forge qui suivait le travail de ses hommes. Il intervenait fréquemment pour finaliser une pièce ou bien recevait les clients. Chizu parla à l’oreille de maître Petitjean mais dut hurler pour se faire comprendre dans le vacarme ambiant. Le propriétaire des lieux comprit rapidement la commande qui venait du gouverneur. Il haussa les épaules et se dirigea vers Izen. Il examina rapidement la cuirasse rouillée et les armes usées et secoua la tête. Tout était à refaire. 

 

Il fit signe à Chizu et aux voyageurs de le suivre et ils remontèrent à la surface. Après le porche, sous la voûte, il y avait une pièce fermée par une porte en bois sertie de fer. C’était là que maître Petitjean concluait ses affaires. Il introduisit une lourde clé de fer dans la serrure et la fit tourner sans difficulté. La porte s’ouvrit sur une pièce remplie d’armes, d’armures, de livres de commandes et de comptes. Il était plus facile de se parler dans cette salle qu’en bas dans la fonderie. Maître Petitjean expliqua que de nombreux acheteurs ne venaient jamais chercher les armes qu’ils avaient commandées. Ils avaient dû mourir entre-temps. Dans cet endroit, il remisait les invendus et les cédaient pour un bon prix à qui voulait bien les payer. Cet arrangement plaisait à Chizu car il garantissait que les voyageurs seraient dotés plus  rapidement. 

 

La négociation commença. En échange des vieilles armes et armure inutilisables, Maître Petitjean s’engageait à fabriquer lui-même une épée pour Izen et à faire faire une nouvelle cuirasse par son meilleur expert. Ils travailleraient toute la journée et toute la nuit s’il le fallait, mais l’équipement serait prêt le lendemain matin. Le coût était exorbitant, mais le gouverneur s’était engagé à le régler. Ensuite, le maître forgeron proposait aux autres voyageurs de choisir des armes déjà forgées dans la réserve. Il les guiderait pour que leur sélection soit la meilleure et la plus adaptée possible. 

 

Après quelques hésitations et un long marchandage assez inutile, Chizu accepta la somme demandée. Il confia les voyageurs à Maître Petitjean tandis qu’il partait sur le champ pour le Palais du Gouverneur. Il se dépêchait d’aller chercher l’or pour payer le forgeage spécifique pour Izen et les pièces déjà forgées pour les autres. Il reviendrait avec Ferrus pour se sentir moins seul face à la horde d’étrangers.

 

Pendant que Chizu courait dans les ruelles de Skajja, Maître Petitjean prit les mesures d’Izen pour estimer son envergure et sa carrure. Puis il invita les voyageurs à explorer le contenu de la réserve. Il fit venir un apprenti pour les accompagner et les aider à choisir leurs armes et armures, tandis que lui-même descendait dans l’atelier pour se mettre au travail et passer la commande urgente à son expert. Il avait assuré à Izen que sa cuirasse serait la plus légère qu’il ait jamais porté. Il aurait de l’aisance aux épaules grâce à une articulation en cuir et ne serait pas gêné pour tirer à l’arc.

 

L’apprenti guida les futurs combattants dans le dédale de la salle. Zeman qui les avait accompagnés ne voulait pas entendre parler d’armes ni d’armure, mais se joindrait au groupe pour les soigner pendant les affrontements. Izen remplaça son casque rouillé et percé. Martagon choisit une petite dague ciselée très fine, très solide et son fourreau de cuir. Shu trouva une cotte de maille légère, un bouclier de bois serti de fer et une petite épée pour une main nerveuse. Spyridon et Déodat se tâtaient. Ils utiliseraient la magie plutôt qu’un équipement de guerrier pour se battre et se protéger. Néanmoins, Izen leur conseilla de prendre chacun une dague ou un poignard, à l’instar de Martagon. Les choix étaient compliqués. Le pauvre apprenti ne savait plus où donner de la tête.

 

Chizu revint enfin avec les sacs d’or. Il était entouré de gardes et de Ferrus. Il descendit avec majesté dans la fonderie pour régler ses comptes avec Maître Petitjean. Lorsqu'il remonta délesté de son chargement, il s’approcha d’Izen. 

 

– Maître Petitjean confirme que tout sera prêt demain matin, dit-il. L’apprenti va nettoyer vos armes et armures et les graisser. 

– Fort bien, répondit Izen. Dès que nous disposerons de notre équipement, nous nous mettrons en route. Pourras-tu nous fournir les chevaux ? 

 

Chizu n’avait pas prévu d’équiper les voyageurs, mais c’était un problème facile à résoudre. Il se servirait dans les écuries de Mirambeau. Le gouverneur avait bien assez de montures et ne s’apercevrait pas de la disparition de quelques-unes, surtout si elles étaient de piètre qualité.

 

– Combien vous en faut-il ? demanda-t-il. 

– Il m’en faut six, fit Izen qui comptait le nombre de cavaliers. Shu, Martagon, Zeman, Spyridon, Déodat et moi-même.

 

Déodat fit un clin d'œil à Izen qui signifiait qu’il prendrait sa mule. Cela ferait un cheval supplémentaire pour porter le fourniment. Après ces échanges, l’affaire fut conclue. Les voyageurs regagnèrent la boutique de Zeman pour préparer leur départ.  Chizu et Ferrus les suivirent discrètement et se postèrent sous un porche pour les observer. Chizu avait très peur qu’Izen s’échappe pendant la nuit. Il envoya Ferrus constituer une troupe de gardes qu’il positionnerait autour de l'apothicairerie. Ainsi, toute velléité de fuite d’Izen serait aussitôt découverte et punie.

 

Mais Chizu perdait son temps. Izen n’avait pas l’intention de fuir, il n’était pas lâche. Aussitôt rentré, il s’endormit profondément sur une couche moelleuse tandis que les magiciens et guérisseurs remplissaient leurs besaces et leurs manches de fioles d'élixirs, de pots d’onguents et de flacons de potions. Martagon et Déodat révisèrent leurs formules dans les grimoires pour passer le temps qui leur semblait long. Zeman enfila des bagues et des amulettes qui amplifiaient ses sorts de soins. Quant à Shu, elle passa des heures à brosser ses longs cheveux et à appliquer sur sa peau une épaisse couche de crème protectrice contre tous les maux. 

 

L’obscurité tomba vite et la petite communauté se coucha tôt pour bénéficier d’une bonne nuit de sommeil. Dehors, Chizu resta éveillé et debout. Il claquait des dents et attrapa un rhume. Mais rien n’aurait pu le convaincre d’abandonner sa surveillance. Il avait trop le sens du devoir.

 

Au petit matin, les voyageurs surgirent de la maison reposés et dispos. Ils se dirigèrent séance tenante vers la forge. Chizu s’empressa de les rejoindre tandis qu’il envoyait Ferrus chercher les six montures. 

 

– Tu prendras les six bêtes les plus vieilles et les plus lentes des écuries, précisa-t-il. Et même les malades s’il y en a.

 

Ferrus avait monté le guet avec Chizu et n’avait pas dormi de la nuit. Il éprouvait une haine féroce envers l’espion qu’il trouvait lâche et servile. Il en avait assez de recevoir ses ordres alors qu’il ne dépendait pas hiérarchiquement de lui. Chizu ne connaissait rien aux chevaux. C’est pourquoi, pour se venger de ce conseiller stupide et de ses grands airs, Ferrus rapporta de bonnes montures déjà harnachées aux voyageurs. Chizu n’y vit que du feu, mais Izen eut un sourire quand il comprit ce qu’il en était. Il avait revêtu son armure toute neuve qui étincelait sous le soleil du matin. Son épée pendait sur le côté. Il avait passé une grande partie de la nuit à réviser son arc et à le réparer. Il l’avait glissé sur son épaule, ainsi que le carquois rempli de flèches. Il avait profité des moments de repos à Skajja pour tailler des hampes dans du bois et préparer les pointes. La plupart d’entre elles avaient été enduites de poison. Comme il était le plus lourd avec son harnachement, Il choisit le cheval le plus robuste susceptible de le porter et se hissa sur son dos. 

 

Tous les voyageurs grimpèrent sur leurs montures, y compris Déodat. Pour l’instant, Callixte portait le chargement, mais il rétablirait la situation une fois qu’ils seraient partis et que Chizu ne les surveillerait plus. Ils se mirent en route. Les sabots claquaient sur les pavés ronds. C’était un doux bruit à l’oreille d’Izen. Il n’avait pas éprouvé ce sentiment de puissance et de plénitude depuis qu’il avait été défait dans la grande bataille dans son pays. Du coin de l'œil, Shu l’observait et lui trouvait fière allure. Derrière eux, les autres compagnons chevauchaient au pas. Memnon les suivait en courant. Ils franchirent la porte de Skajja qui menait vers le septentrion.

 

Derrière eux, Chizu s’arrêta au pied de la forteresse. Il aurait aimé les poursuivre car il était inquiet. Rien ne le garantissait qu’ils partaient pour tuer le dragon comme ils s’y étaient engagés auprès de Mirambeau. Mais la présence de Zeman parmi les voyageurs le rassurait un peu. Le guérisseur voudrait sûrement regagner sa boutique et continuer à exercer sa profession après la quête. Il reviendrait à Skajja. Alors Chizu saurait la vérité. S’il le fallait, il saurait punir les contrevenants. Il poussa un lourd soupir et retourna à ses activités, avec la sensation d’avoir malgré tout accompli sa mission.

 

Les chevaux étaient nerveux et véloces. La petite troupe avançait à bonne allure dans la campagne au nord de Skajja. Au loin apparaissaient déjà les montagnes qui abritaient le dragon. Elles étaient pour l’instant brumeuses et à peine visibles à l’horizon. La perspective de cette expédition dangereuse n’était pas accueillie de la même manière par tous les compagnons. Mais tous avaient compris que la réalisation de cette quête était un passage obligé avant de songer à leur avenir. Aussi l’acceptaient-ils avec plus ou moins de bonne grâce. 

 

Chevaucher à l’air libre était une sensation qu’ils avaient tous oublié. Pour l’instant, ils traversaient les dernières plaines cultivées avant les contreforts de la chaîne montagneuse. La route était droite devant eux. Elle était parcourue dans les deux sens par des charrettes et des cavaliers. Elle passait dans des villages typiques, à faible distance de grosses fermes riches. Au fur et à mesure qu’ils remontaient vers le nord, la température fraîchit. La végétation se raréfia. Les landes de bruyères et de saules nains remplacèrent les champs de blé. Le relief était accidenté, composé de gros rochers couverts de mousses et de lichens affleurant à la surface du sol. La route se réduisit à un chemin moins fréquenté qui sillonnait entre les aspérités.      

 

Puis la pente s’amorça. D’abord elle fut douce. Ils franchissaient des ponts de pierre qui enjambaient de minuscules ruisseaux. Memnon gambadait autour des chevaux, heureux de retrouver la nature sauvage. Au loin, ils apercevaient des troupeaux de ruminants à grandes cornes. Il n’y avait presque plus personne sur la route, à peine quelques paysans qui descendaient en ville ou qui remontaient vers leurs hameaux. La plupart étaient sidérés de voir la troupe à cheval sur ce sentier isolé. Ils saluaient les cavaliers qui les saluaient en retour et poursuivaient leur route. Il n’était pas question de perdre du temps à bavarder avec les autochtones. Cependant, certains d’entre eux les avertissaient de la présence du dragon et du terrible danger qu’il représentait. Les voyageurs restaient évasifs sur leur destination pour ne pas provoquer davantage de bavardages inutiles.  

 

Izen avançait en tête. Il était enfin seul devant. Il ne regardait pas les autres et se concentrait sur son art de la guerre. Il avait l’intention d’effacer la honte de son dernier combat dans son pays en tuant lui-même le dragon.

 

Tandis qu’ils trottaient l’un à côté de l’autre, Martagon et Zeman échangèrent quelques propos. Le guérisseur, très sensible et à l’écoute des gens, sentait que le sorcier était d’une grande tristesse. Habilement, il orienta la conversation pour amener Martagon à s’épancher davantage. Zeman éprouvait une immense admiration pour cet homme qui ressemblait tant à un arbre et qui avait traversé le monde pour retrouver la mère de ses enfants. Il aurait aimé que Martagon lui décrive davantage les portes de l’enfer. Mais le sorcier voulait  oublier la traversée de la forêt suintante et l’aventure qui s’ensuivit. Son esprit le ramenait désormais sans cesse à Guillemine. Lorsqu’il avait vu Spyridon, un maelstrom de sentiments remontés du plus profond de son inconscient l’avait submergé. Il tentait de se souvenir du visage de sa femme mais n’y parvenait plus.

 

– Je suis resté éloigné de Guillemine pendant trop longtemps, murmura-t-ll. Cela fait des années que je suis parti. J’ai oublié jusqu’à ses traits. Je n’arrive même pas à respirer son parfum, et pourtant elle avait une si douce odeur de fleurs et de terre. 

– Je te donnerai ce qu’il faudra pour que tu puisses la guérir du malédictopon, dit Zeman. Quand tu la retrouveras, vous pourrez enfin être heureux.

– Je l’espère, répondit Martagon

 

Tous ses regrets et ses remords surgissaient en même temps que ses souvenirs. Il avait besoin de parler. Zeman l'écoutait avec attention. Derrière eux, Spyridon parlait peu. Il observait tout ce qui se passait autour de lui. Il se concentrait pour recouvrer sa mémoire qui avait été si défaillante. Il savait qu’il devrait avoir récupéré la maîtrise de nombreux sorts pour combattre le dragon avec les autres compagnons. 

 

Shu exhibait fièrement son jaseran dont les mailles lustrées étincelaient. Elle ne songeait à rien d’autre qu’à sa liberté et à Izen. Son esprit avait été embrumé pendant si longtemps qu’elle aspirait à le laisser dériver vers des pensées agréables. Elle profitait de ce voyage comme elle n’avait profité d’aucun autre. Le bonheur lui semblait au bout de la route. Elle n’avait aucune envie de revenir dans son pays. Elle était bien certaine que les envahisseurs qui avaient pris le pouvoir ne l'accueilleraient pas en princesse. Elle avait enfin trouvé son havre de paix et elle comptait bien y rester. 

 

La mule n’avait pas porté les équipements pendant longtemps. Déodat avait changé de monture très rapidement et chevauchait Callixte derrière Shu. Bien qu’il soit très heureux de cette expédition, il avait de la peine car il se rendait compte que sa mule était très fatiguée. Elle était vieille maintenant, et le long voyage l’avait épuisée. De temps en temps, il caressait son encolure pour l’encourager, mais il sentait qu’elle n’irait pas beaucoup plus loin.  

 

Quand Zeman s’éloigna de Martagon, Spyridon s’approcha du sorcier pour lui parler. Il guettait ce moment. Martagon était perdu dans ses pensées et se laissait porter par son cheval sans réfléchir. Spyridon avait raconté beaucoup de choses sur leur voyage mais très peu sur la famille dans la maison prison. Il avait le sentiment qu’il devait en dire davantage au père des enfants. Spyridon se mit à évoquer la vie à Astarax. Sa mémoire lui revenait par bribes. Il narra l’arrivée de Filoche et de Guillemine avec les bébés. Tiré de sa méditation, Martagon écouta d’abord distraitement, puis il tendit l’oreille. Il comprit qu’il avait été manipulé par Filoche. Elle n’avait pas eu confiance en lui et ce sentiment le blessa. Mais elle avait eu raison de vouloir protéger la famille en l’emmenant dans un lieu sûr. Cependant, il fut horrifié lorsqu’il entendit Spyridon raconter les conditions de vie dans la grande maison. Alix lui fit l’effet d’une horrible sorcière. Spyridon expliqua que Maggie, la mère de Guillemine était une créature d’Alix, capable d’enfanter. Alix n’était pas réellement la mère de Maggie, mais elle avait mis un peu d’elle-même pour concevoir Maggie. C’est pourquoi Maggie avait pu donner naissance à une fille qui pouvait transmettre le don d’ubiquité. Car Alix avait cette capacité. 

 

– Mais d’où viens-tu, Spyridon ? demanda Martagon. Tu es le seul homme dans cette étrange famille.

– C’est bien simple, répondit Spyridon. Quand Alix a voulu vérifier que Maggie pouvait avoir des enfants, elle a fait appel à moi pour nous unir. J’habitais dans le quartier des sorciers à Astarax. Elle me connaissait de vue. Maggie et moi nous sommes tout de suite bien entendu et avons pu procréer. Guillemine est venue au monde. Cette naissance comblait la vanité d’Alix qui avait pu créer un être capable de se reproduire. Mais Alix s’est interposé entre Maggie et moi et tout est devenu insupportable. Alix a pris peur. Elle ne voulait pas que Guillemine ait des enfants qui puissent un jour devenir plus puissants qu’elle. Alors elle a bridé Guillemine pendant toute son enfance et son adolescence. C’est pourquoi Guillemine a fui et t’a rencontré. Alix m’a ensorcelé à partir du moment où j’ai mis le pied chez elle. C’est seulement maintenant que je commence à me débarrasser de son emprise et des sorts qu’elle m’avait jeté. Grâce à Déodat qui m’a sauvé quand j’avais presque sombré totalement dans la folie et la misère. 

– Alix est folle, murmura Martagon, songeur. Elle est aussi mégalomane que Jahangir.

 

Ce n’était pas facile pour Martagon de digérer toutes ces informations, lui qui était resté si longtemps sans aucune nouvelle des siens.

 

– Alix a connu Jahangir, dit Spyridon. Ils ont suivi les mêmes enseignements de magie maléfique prodigués par de puissants maîtres. Pour ces sorciers ambitieux, le seul objectif à atteindre est la domination du monde. Mais Alix n’était pas assez douée. Elle n’avait pas de vision. Elle est retournée à Astarax pour exercer son autorité sur sa maison, son propre univers. C’est tout ce qu’elle était capable de faire.

– La destination choisie par Filoche n’était pas la meilleure, fit Martagon avec tristesse. La famille a beaucoup plus souffert que si elle était restée dans la maison champignon. Et tu dis que Guillemine est toujours là-bas ?

– Comment savoir ? soupira Spyridon. Je suis parti depuis si longtemps.

– Je ne sais pas si je la reverrai un jour, répondit Martagon. Zeman me donnera la potion pour la guérir du malédictopon. Après tant de temps, pourrons-nous un jour nous retrouver et vivre en paix ? 

– Avant de penser à quoi que ce soit, il nous faut d’abord tuer ce dragon, dit encore Spyridon en accélérant l’allure.

 

Devant eux, le soir tombait sur les montagnes qui devenaient sombres dans le couchant. Ils s’arrêtèrent pour monter le campement. Et soudain, tandis qu’ils mangeaient une maigre pitance cuite sur un brasero, ils virent dans le ciel strié de vives couleurs la silhouette noire du dragon qui volait au-dessus des pics. Il déployait ses ailes avec majesté et son corps dessinait des arabesques sur l’azur. Lorsque celui-ci devint bleu marine, quand l’obscurité s’installa, le dragon se fondit dans les ténèbres. Avant de disparaître tout à fait dans les profondeurs de la nuit, le monstre lança des flammes et des jets d’acide. Les projections laissèrent des traces floues en retombant. Memnon était déchaîné. Il aboyait de colère.

 

– Nous approchons, s’écria Izen avec émotion. 

 

Une certaine excitation s’empara de la petite troupe. La mission devenait réelle, palpable. Ils n’avaient pas encore réfléchi à la manière d’attaquer un monstre qui volait. Dans son coin, Spyridon se concentrait sur ses souvenirs pour trouver la meilleure contre-attaque. Izen savait déjà qu’il devrait faire tomber le monstre avec ses flèches, à moins que l’un des mages puisse le paralyser et le faire chuter par un sort. Il s’ensuivrait un combat au corps à corps où il utiliserait sa nouvelle épée. Cependant il était inquiet pour son ami. Il espérait qu’un jet de feu n’atteindrait pas Martagon et l’embraserait comme une torche. Plus ils approchaient du lieu de l'affrontement, plus il réalisait que tuer le dragon serait une très rude bataille et que tous n’en reviendraient pas. 

 

Ils passèrent une bonne nuit malgré l’intense froid nocturne. Au-dessus de leurs têtes, le ciel était parfaitement dégagé, découvrant une myriade d’étoiles scintillantes. Dès l’aube, ils avaient sellé les chevaux et s'étaient mis en route. Il était temps d’aller combattre le monstre, car l’hiver arrivait. Bientôt il serait installé et la neige recouvrirait les montagnes. Leur expédition serait alors visible de très loin et ils auraient du mal à se déplacer dans la poudreuse ou sur la glace. Le dragon aurait l’avantage de l’altitude. Izen força un peu l’allure car il sentait la neige venir. 

 

Tandis qu’ils avançaient dans la nature sauvage, presque invisibles au milieu de la végétation, Déodat sentit sous lui Callixte se dérober plusieurs fois. Il comprit qu’elle n’en avait plus pour longtemps. Elle était au bout de son chemin. Elle s’écroula au moment où ils atteignaient une petite crête. Il y avait un bois un peu plus loin. Malgré l’urgence de la mission, Déodat voulut l’enterrer correctement afin qu’elle ne soit pas dévorée par les bêtes sauvages. Tous les compagnons s’arrêtèrent et aidèrent Déodat à creuser un trou profond. Ils le tapissèrent de pierres plates et y déposèrent le corps de la pauvre bête. Ils comblèrent  avec un mélange de cailloux et de terre. Martagon sema quelques graines pour qu’au printemps des fleurs poussent à cet endroit. 

 

Déodat était ravagé par la perte de son amie, mais il savait qu’ils avaient de grands desseins à accomplir. Ils avaient perdu du temps à ensevelir Callixte, il fallait désormais repartir au plus vite pour atteindre l’objectif. La tristesse au cœur, il monta sur le dos du cheval qui portait le chargement.

 

La journée était bien avancée. Ils durent faire une nouvelle étape ce soir-là. Les montagnes paraissaient maintenant toutes proches. Ils atteindraient probablement le col le lendemain. La tension avait monté d’un cran entre les protagonistes. L’imminence du combat contre le dragon exacerbait les peurs et les susceptibilités. Quelques remarques d’agacement fusèrent puis les voyageurs s’endormirent. Ils se relayèrent toute la nuit pour monter la garde.

 

Le ciel était gris quand ils s’éveillèrent au petit jour. La lumière était pâle et les nuages bas. Leur visibilité serait réduite. Izen sentait au plus profond de ses os que la neige allait arriver. Dans sa tête, c’était le pire des scénarios.

 

Ils se préparèrent et entamèrent la dernière partie du voyage. Ils étaient tout près désormais. La pente du chemin devenait très raide. Les rochers étaient de plus en plus accidentés. Les montagnes paraissaient très proches. Autour d’eux l’espace se raréfiait au fur et à mesure qu’ils approchaient du col. L’environnement portait les traces des passages du dragon. Tout était noirci et carbonisé. La faune et la flore, brûlées par les jets de feu répétés, étaient en cendres. Les giclées d’acide avaient façonné des crevasses partout dans les pierres. C’était la pire des désolations. Izen arrêta la colonne. 

 

– Avant d’aller plus loin, dit-il, il nous faut avoir davantage de visibilité sur la région du col. Y a-t-il un éclaireur parmi nous ?

– Je peux y aller, répondit Déodat. Je suis le plus jeune et le plus souple. Je peux me faufiler entre les rochers jusqu’à la gorge.

– Aucun d’entre nous ne maîtrise le sort d’invisibilité, soupira Martagon. Tu devras te débrouiller pour ne pas te faire voir.

– J’ai l’habitude qu’on ne me remarque pas. J’y vais, fit Déodat qui s’élança.

 

La petite troupe s’était arrêtée. Ils se dissimulaient tant bien que mal, derrière les derniers troncs d’arbustes calcinés qui tenaient encore debout et quelques grosses pierres déformées. Izen suivit des yeux la progression de Déodat. Vêtu d’habits de laine sombre, il se confondait presque avec l’environnement. Il avait sa dague à la main et se faufilait habilement entre les blocs disparates. Il se cachait dès qu’il le pouvait, s’aplatissait, rampait et courait lorsqu’il était à découvert jusqu’au prochain abri. Puis il disparut. L’attente de son retour parut longue aux cavaliers. Il n’y avait aucun bruit, sauf les chants des oiseaux. Quelques aigles tournoyaient dans les airs en glatissant et les vocalises modulées des tétras lyre montaient de la vallée. La tension était palpable. Izen leva les yeux et vit tomber les premiers flocons.

 

– Il revient, murmura Shu.

 

Tous suivirent son regard. Déodat apparut un peu plus haut. Comme précédemment, il se déplaçait avec précaution. Il les rejoignit en quelques bonds. L’impatience était à son comble. Le sol était déjà recouvert d’une mince couche de poudre blanche.

 

– Alors ? L’as-tu aperçu ? s’écrièrent-ils presque tous en même temps.

– Je ne l’ai pas vu, répondit Déodat. Je me suis avancé contre la paroi quand j’ai atteint le col. Au delà de la gorge se trouve une zone plate accidentée. D’après un très rapide coup d'œil, il n’y a aucun endroit pour se dissimuler. Dès que nous aurons franchi le passage, nous serons vulnérables.

– Quelle faisabilité pour traverser  le col ? questionna Izen.

– S’il envoie un jet de feu dans le défilé, nous sommes morts, dit Déodat.

– Nous allons laisser les chevaux ici, fit Izen. Inutile de risquer leur vie. Il nous faudrait un bouclier pour avancer jusqu’à la gorge.

– Je peux créer une bulle de protection, hasarda Martagon. Mais sera-t-elle assez robuste pour résister aux gerbes de feu ou d’acide du dragon ?

– Il faut essayer, affirma Izen. Chacun de nous devra avoir sa propre bulle de protection, celà nous rendra plus mobiles.

– Pour le perturber, je rendrai certaines bulles réfléchissantes, elles renverront les rayons lumineux, et j’en noircirai d’autres. Ainsi il ne saura pas où donner de la tête.  

– Mais s’il est rapide, objecta Shu, il pourra tourner la tête et lancer un jet continu qui nous atteindra tous, où que nous soyons dispersés.

– La traversée du col sera complexe, reprit Izen. Comment passerons-nous ?

– Au moins deux personnes peuvent avancer de front, répondit Déodat. Avant la gorge, ceux qui attaquent à distance peuvent escalader les rochers et se positionner sur l’escarpement qui surplombe le passage et le cirque. Ce serait le meilleur endroit pour cibler le monstre.

– Mais on ne sait pas où se trouve l’antre du dragon, contesta Shu. Il pourrait surgir de nulle part et nous surprendre. Si deux d’entre nous se perchent sur des rochers, ils seront visibles de loin et attaquables.

– J’ai peut-être un début de réponse, intervint Déodat. J’ai remarqué dans la paroi rocheuse de la montagne qui se trouve en face du défilé, à une certaine distance et en altitude, un énorme trou noir. Ce pourrait être l’entrée d’une grotte où il a son repaire.

– C’est une pure conjecture, intervint Zeman. Tu n’en as aucune preuve.

– Il faudra faire le guet jusqu’à ce qu’il entre ou sorte pour voir d’où il vient. La nuit ce sera encore plus compliqué. Il est peut-être nyctalope. Et il connaît suffisamment bien les lieux pour se déplacer dans l’obscurité. Dernière possiblité, être un oiseau pour voler jusqu’au trou noir et l’inspecter, murmura Martagon. Mais est-ce utile si une simple observation suffit ?

– Une chose est certaine, convint Izen, c’est que l’entrée de son repaire doit être grande. Il n’est pas impossible qu’elle se voie de loin. Et le fait qu’elle soit en hauteur lui permettrait de surveiller le défilé.

– Alors il a peut-être déjà repéré Déodat, soupira Shu.

– Je pourrais essayer de voler jusqu’à la grotte, dit soudain Spyridon. J’ai la capacité de me transformer en animal. Jusqu’ici je ne l’ai fait qu’une fois. Sous le coup d’une énorme émotion, je suis devenu un loup noir. Je n’ai jamais tenté de devenir un oiseau. Je ne sais pas si j’en suis capable. Et je suis vieux. Si je puis me métamorphoser en oiseau, aurai-je la force de voler très loin ?

– Nous n’avons pas de stratégie, gémit Shu. Comment pouvons-nous mener un combat si nous ne savons même pas comment nous y prendre ? Nous sommes sur le seuil du champ de bataille et nous n’avons pas la moindre idée de savoir comment faire. Et il neige maintenant.

– Ce n’est pas vrai, répliqua Izen. Nous commençons à élaborer notre plan d’attaque.

– Pourquoi ne l’avons-nous pas fait plus tôt, rétorqua Shu qui devenait hystérique. Nous aurions pu nous préparer avant d’arriver ici.

– Nous ne connaissions ni le terrain ni l’ennemi, fit Izen pour la calmer. Maintenant, nous en savons davantage.  

– Soit, jeta furieusement Shu. Malheureusement, il neige et le vent s’est levé. Les conditions atmosphériques sont contre nous.

– Spyridon, ajouta Izen en se tournant vers le vieux sorcier, puisque tu le proposes, peux-tu essayer de te transformer en oiseau ? 

– Je vais lui donner une potion pour augmenter ses capacités, fit Martagon en sortant une fiole de ses manches.

– Et moi je vais lui lancer un sort de rajeunissement temporaire, compléta Zeman. Il sera rassuré sur son aptitude à voler jusqu’à la grotte et à revenir.

 

Spyridon tremblait. Il but la mixture que lui tendait Martagon. Il s’apprêtait à faire ce qu’il n’avait jamais osé faire de sa vie, se surpasser. Il se sentait porté par une émotion infinie. Il n’avait pas souffert de l’escalade dans la montagne car il était à dos de cheval. Mais il commençait à prendre peur. Il se rendait compte du danger qu’il courait et qu’il ne possédait pas les conditions physiques dont il avait besoin. Alors il se remémora l’aventure de son voyage avec Déodat. Cela le rasséréna. Il avait été capable de survivre dans des conditions très difficiles. Il pouvait surmonter cette nouvelle épreuve. Il profiterait des pouvoirs que ses amis lui conféreraient. Comme ce monde aventurier était différent de celui qu’il avait connu dans la maison prison ! Cette pensée l’électrisa et sans même s’en rendre compte il psalmodia la formule magique en se concentrant sur l’image mentale d’un aigle. Il se sentait redevenir puissant, comme autrefois. Il ne se rendit pas compte que Zeman avait lancé le sort de rajeunissement. La métamorphose fut très rapide. Il intégra les deux sorts en même temps. Brusquement il ouvrit ses ailes et piétina sur le sol avec ses serres aux longues griffes acérées.

 

Les compagnons considéraient le grand oiseau avec respect. Ils avaient assisté sans y croire à la transformation du vieil homme en un rapace majestueux. 

 

– Tu connais ta mission, lui dit Izen. Maintenant vas-y !     

 

Ils entendirent alors un grondement terrible tout près d’eux et les battements d’ailes gigantesques. Avant qu’ils aient eu le temps de réagir, le dragon surgit au-dessus du défilé et les survola. Ce fut le sauve-qui-peut général. Pris par surprise, ils ne perdirent pas de temps à réfléchir. Par instinct, chacun d’eux chercha un abri pour se protéger. Ils se jetèrent derrière les rochers, à plat ventre sous les pierres en surplomb, comme ils pouvaient. Memnon ne quitta pas son maître. 

 

Le monstre s’éloigna et traça un arc de cercle pour revenir vers eux. Martagon incanta le sort de la bulle de protection sur le groupe. Seuls les chevaux trop écartés ne purent être couverts par l’enveloppe. La présence du gigantesque animal les avait terrorisés. Ils galopaient dans tous les sens sur le sol couvert d’aspérités, se tordaient les chevilles et les genoux en posant leurs pieds n’importe où. Certains étaient déjà tombés. Ils étaient blessés et gémissaient de douleur. Le dragon s’approcha. Ses énormes naseaux lancèrent une gerbe de feu. Le jet brûlant carbonisa toutes les bêtes mais épargna les voyageurs. La bulle avait résisté, cependant la chaleur intense avait provoqué des points de fusion à plusieurs endroits.  Elle ne supporterait pas un second passage. 

 

Le monstre était lourd et son vol pesant était lent. Quand il repassa au-dessus de la bulle tête baissée, Izen avait eu le temps de bander son arc. Il décocha plusieurs flèches en visant les yeux. Le dragon fixa Izen debout sous la mince protection transparente. Aucun projectile ne sembla l'atteindre. Il repassa le col et disparut. À peine eut-il quitté les lieux que Spyridon s’éleva très haut dans les airs. Il prit la même direction que le dragon et franchit à son tour le défilé. Il n’avait laissé à personne la possibilité de l’arrêter.

 

Tous déploraient le départ précipité de Spyridon et la mort atroce des chevaux, mais ils n’avaient pas le temps de s'appesantir. Ils devaient bouger. Ils n’avaient plus de plan. Martagon créa une nouvelle bulle pour décider ensemble de la prochaine action. Ils se rassemblèrent pendant quelques instants. La neige tombait abondamment. Elle recouvrait déjà les corps des chevaux d’une fine pellicule. Le vent soufflait fort et les rafales commençaient à soulever les plaques de neige. 

 

– Ses yeux, murmura Izen. Il m’a regardé droit dans les yeux. Il en a fait une affaire personnelle. Les siens sont rouges et étincelants comme des rubis. Mes flèches ne peuvent pas les transpercer. Ils sont faits d’une matière dure comme l’airain. Si je veux l’avoir, je dois trouver son point de vulnérabilité. Il en a forcément un. Martagon, fais-moi une bulle protectrice et je grimpe sur les rochers à l’entrée de la gorge. Je dois être à sa hauteur pour tenter de l’atteindre.

– Et nous, nous passons le col, ajouta Déodat. Nous aurons de la place pour nous disperser de l’autre côté avant de l’attaquer au corps à corps.

– Seulement s’il tombe, dit Shu qui restait réaliste.

– J’aurai du mal à vous soigner si vous êtes trop éloignés les uns des autres, intervint Zeman. Je ne pourrai pas courir de l’un à l’autre.

– Alors restons plus groupés, je recréerai autant de fois la bulle de protection qu’il le faudra. 

– Il faut le faire tomber, répéta Izen. C’est le seul moyen. Alors nous pourrons l’achever au corps à corps.

– C’est un début de stratégie, ironisa Shu.

 

Martagon lança le sort sur Izen. Il avait ajouté des termes dans la formule pour renforcer l’épaisseur de l'enveloppe de protection. Izen maîtrisait les déplacements sous la bulle. Il s’élança pour escalader la paroi rocheuse qui surplombait le défilé. Sans attendre, tous les autres se précipitèrent pour traverser le col sous la nouvelle enveloppe. Ils débouchèrent sur le plateau décrit par Déodat. Il formait comme un cirque de pierre, ceint de parois rocheuses. Au fond à gauche, un autre passage semblait s’ouvrir vers de nouvelles régions. Devant eux, les montagnes noires dressaient leurs pics menaçants. La caverne évoquée par Déodat était à peine visible dans le brouillard de neige. Le sol était désormais couvert d’une épaisse couche de poudreuse. 

 

En faisant le tour du cercle, ils aperçurent un renfoncement dans le mur de pierre et se glissèrent derrière. Une sorte de grotte y était creusée, dont la faible profondeur était masquée par l’excroissance du roc. Cette cavité providentielle pourrait être un refuge pour s’abriter pendant le combat. Le soir tomba brusquement. Shu pensait avec angoisse à Izen, seul sur son escarpement, dans le froid et en plein vent. Sa position était très risquée et Zeman ne pourrait pas le soigner s’il était blessé. 

 

Tous les compagnons étaient tendus. Ils n’arrivaient pas à se parler. Memnon ne quittait pas les jambes de Martagon qui avait enfin un peu de temps pour réfléchir. Il faisait nuit noire désormais. Seule la réverbération des rayons de lune sur le sol blanc de neige éclairait les lieux. 

 

Il y eut soudain le bruissement mécanique d’un battement d’ailes. Le déplacement d’air fit voltiger les flocons tandis que le long corps oblong du dragon traversa le cirque de pierre à basse altitude. Depuis l’abri, Martagon, Shu, Déodat et Zeman purent voir de près les écailles lustrées sur la carapace. Elles reflétaient la lumière qui intensifiait leurs couleurs sombres, noires et bleues. S’il n’avait pas été une bête cruelle et tueuse, le monstre aurait eu une certaine beauté. Dans les circonstances de la traque, elles faisaient horreur à tous les compagnons. 

 

Juché sur son promontoire, Izen vit surgir du noir l’énorme animal. Il banda son arc et s’apprêta à décocher une pluie de flèches empoisonnées. En vain, elles rebondirent sur les écailles sans pénétrer la chair. Le monstre recula la tête et cracha un jet de feu sur le soldat, heureusement abrité sous sa bulle protectrice. Les flammes détériorèrent l’enveloppe transparente qui se déchira en maints endroits et se mit en lambeaux. La chaleur était intense et l’air irrespirable. Izen s’extirpa du voile qui ne le protégeait plus. Il était à nu contre son ennemi. Le dragon fit demi-tour pour revenir vers sa proie. Izen sut alors qu’il allait mourir. L’animal approchait, ses yeux rouges le fixaient intensément. Il avait un unique objectif, détruire sa proie. Il ouvrit la gueule. Izen pensa vivre ses derniers instants. Mais avant que le monstre ait le temps de cracher son venin, deux puissantes serres empoignèrent les épaules d’Izen et le soulevèrent. La giclée d’acide vert rasa la roche sans atteindre le soldat. Le dragon poussa un cri de rage épouvantable qui résonna dans le cirque de pierres et bien au-delà.    

 

Spyridon s’était envolé dans les airs en portant Izen. Les griffes de l’aigle s'enfonçaient dans l’articulation en cuir des épaules. Le soldat harnaché était lourd mais les forces du sorcier étaient décuplées grâce à la potion de Martagon. D’abord époustouflé par son enlèvement spectaculaire, Izen réagit très vite. Il hurla à Spyridon de le déposer sur le dos du dragon. Spyridon était abasourdi par le courage d’Izen. Il était plus léger et plus rapide que le dragon malgré son excédent de charge. Il vola et vint se positionner à la verticale au-dessus du dragon, en adaptant sa vitesse pour s’y maintenir. L’animal agitait violemment la tête à droite et à gauche. Il cherchait un angle pour cracher un jet mortel. Spyridon descendit lentement jusqu’à ce qu’Izen puisse se glisser sur le dos du monstre. Dès l’impact, Spyridon le lâcha et le soldat s’assit à l’arrière de l’imposante tête. Il se débarrassa de son son arc devenu inutile, et enfonça profondément ses jambes sous les énormes écailles pour se caler et se stabiliser. Spyridon reprit son envol et s’éloigna à tire-d’ailes.

 

Dégainant son épée, Izen attaqua le cou de son adversaire avec la lame tranchante. Mais l’encolure était très épaisse et les écailles solides. Il ne parvenait pas à entamer la chair. Rendu fou par la présence de son ennemi sur son dos, le dragon entra en transes. Il se secouait dans tous les sens en fouettant l’air de sa queue pour déséquilibrer l’intrus et se débarrasser de lui. Bien arrimé, Izen ne tomba pas. Ne réussissant pas à blesser le cou, il changea de stratégie. Il s’en prit plutôt à l’endroit où l’aile se rattachait au corps. C’était une zone plus fragile, mobile et vulnérable. S’il réussissait à atteindre l’articulation, il pourrait rendre l’aile inopérante. Il fourragea si bien avec le fil de son épée sous les écailles que bientôt la lame transperça la chair. Après quelques efforts pour attaquer davantage le membre en profondeur, le dragon se mit à battre de l’aile. Il tangua fortement. Déstabilisé, déséquilibré, il n’arrivait plus à voler ni à contrôler sa direction. Brusquement, son aile se désolidarisa et se mit à pendre sur le côté. Le monstre essaya aussitôt de se poser sur le  plateau, le seul endroit à proximité où il pouvait atterrir en urgence. 

 

Souffrant horriblement, il réussit à poser ses pattes sur le sol glissant. Il patina d’abord en faisant des grandes enjambées. Puis il enfonça ses griffes sous la neige pour râcler les pierres et freiner sa course. Épuisé par son vol contrarié et ses blessures, il s’écroula par terre. Il avait encore de l’élan, il ne put ralentir complètement sa course et vint heurter la paroi en face, rebondit comme une balle et continua à déraper sur la couche de neige. Il finit par s'immobiliser au centre du cirque, en légère déclivité. Aussitôt, Izen se désengagea et sauta à terre pour continuer à le combattre. Mais le monstre, au prix d’un effort incommensurable, tournoya sur lui-même grâce à sa vitesse résiduelle et, levant une patte puissante, plaqua Izen au sol sous ses énormes griffes.  

 

Martagon sortit de derrière le renfoncement pour voler à son secours en lançant un sort de protection. Zeman le suivit pour tenter de soigner le soldat. Mais il était impossible d’approcher Izen. Le dragon l’avait embroché au bout d’une griffe et tournait sur lui-même en exhibant le corps du soldat. Pour se défendre, il crachait alternativement du feu par les naseaux et de l’acide par la bouche. Alors Martagon lança le sort qui arrêtait la course du temps. Tout s’immobilisa dans le cirque de pierre, sauf Zeman, Déodat et lui-même. Ils s’avancèrent vers le monstre et détachèrent Izen. Ils le traînèrent derrière l’abri pour le soigner. Shu et Zeman tentèrent tout ce qui était possible pour le sauver, mais c'était trop tard. Izen avait déjà succombé à ses blessures. Shu était en larmes mais tentait de rester forte pour poursuivre la bataille.

 

Abandonnant Izen pour qui ils ne pouvaient plus rien faire et avant que le monstre ne se réveille, Déodat, Martagon et Memnon se précipitèrent pour l’attaque au corps à corps. Déodat ramassa l’épée d’Izen qui gisait à terre. Il se mit à frapper le ventre du monstre de toutes ses forces sans discernement. Martagon donnait des coups d’estoc dans le cou pour percer la gorge et Memnon mordait où il pouvait. Renvoyée par Zeman pour aider au combat, Shu arriva bientôt en courant sous sa bulle et s’attaqua aussi à la gorge. Du sang noir et épais se mit à couler sur la neige sale. Puis le dragon sortit de son sommeil. Il se mit à pivoter comme une toupie pour désarmer ses adversaires en s’aidant de ses pattes et de sa queue. Martagon, Shu et Memnon couraient tout contre lui pour éviter ses crachats de feu et d’acide tout en transperçant sa chair de coups de dague. Mais Déodat, encombré par la lourde épée, ne pouvait pas suivre le rythme. Il dépara brusquement, glissa et fut entraîné à l’extérieur de la trajectoire. Il reçut un violent coup de queue qui l’envoya en l’air comme un fétu de paille. Il retomba pesamment sur l’arête pointue d’un rocher. Sous le choc, sa tête se fracassa contre la pierre. Tout à leur combat, les autres ne le virent pas disparaître. 

 

Zeman n'avait pas voulu céder. Il avait tout tenté pour ranimer Izen mais c’était inutile de s’acharner. Alors il avait fini par capituler. il s’était précipité en courant vers les combattants et glissé au milieu d’eux. Il les soignait à coups de sorts et de potions de guérison. Il était si occupé à panser les griffures et soulager les blessures de ses compagnons qu’il lui fallut du temps pour réaliser que Déodat n’était plus là. Cependant, il n’avait pas le loisir de réfléchir. Martagon, Shu et Memnon avaient été brûlés par le feu et l’acide. Ils étaient couverts d'écorchures, d'ecchymoses et de plaies qui suintaient déjà. Leurs visages étaient tuméfiés et leurs mains enflées et parsemées de cloques. La fourrure de Memnon avait disparu par plaques et la peau était à vif. A l’abri sous sa bulle, Zeman prodiguait son art et son expertise pour maintenir ses amis en vie. Il devait se soigner lui aussi. La lutte continuait, terriblement dévastatrice.

 

Cependant, les forces du dragon diminuaient. Il faiblissait et son tournoiement ralentit. A ce moment, Spyridon put se poser sur l’arrière de la tête du monstre et s'agripper avec ses griffes acérées aux écailles ramollies par les blessures. Il donna des coups de becs dans les orbites des yeux rouges. Il essayait de les percer mais c’était impossible, leur matière était trop dure. Il n’arrivait même pas à les rayer. Alors il s’attaqua au crâne qui était plus fragile qu’il paraissait. Il finit par briser la calotte osseuse et piqua sauvagement ce qui se trouvait  en dessous. Le monstre était si primitif que l’attaque de son cerveau ne l'empêcha pas de continuer à se battre.

 

L’assaut dura toute la nuit. La neige avait cessé de tomber mais nul n’y avait prêté attention. Le petit jour se levait. Une clarté glauque éclairait la scène de carnage.

 

La résistance du monstre s’amenuisait de minute en minute, ses jets étaient peu puissants désormais. Il bougeait de moins en moins et ne tarda pas à s’immobiliser. Il avait encore des sursauts mais il ne faisait plus de mal. Enfin il abandonna, il n’était plus en mesure de lutter. Sa tête et sa queue retombèrent sur le sol. Il agonisa pendant quelques minutes puis expira.

 

Les compagnons s’arrêtèrent, à bout de forces. Ils reculèrent et se regardèrent, stupéfaits d’avoir vaincu la bête malfaisante. Ils restèrent deux ou minutes à contempler le cadavre immobile. Le sang noir coulait de la multitude des plaies ouvertes sur tout le corps. Les yeux rouges étaient devenus ternes. Ils avaient perdu leur éclat comme un lampion éteint.  Quand elle reprit conscience après la sidération et la fatigue, Shu se précipita vers la grotte où reposait Izen. Le dragon l’avait tellement malmené que sa tête avait été écrasée et avait fondu dans le casque. La vision était cauchemardesque. Zeman s’approcha d’elle.

 

– Ça s’est passé trop vite, murmura le guérisseur. Je n’ai pas pu intervenir à temps. Je n’ai rien pu faire, il était déjà parti.

– Je n’oublierai jamais son visage avant et maintenant, répondit Shu.

 

À cet instant, Martagon pénétra dans la cavité, Memnon tout décrépi sur ses talons. Son expression était grave.

 

– Déodat est mort, dit-il d’une voix gutturale. Lui aussi a été tué par le monstre. Il a été projeté sur un rocher où il s’est fracassé. Puis il a reçu un jet de feu qui l’a à moitié consumé.

 

Délaissant Izen quelques instants, ils suivirent Martagon et se dirigèrent vers le rocher où se trouvait le corps calciné de Déodat. Ses traits étaient si déformés qu’il était méconnaissable. Seule sa besace avait résisté à la puissance des flammes. Elle était faite d’un cuir magique. Martagon la ramassa et resta debout devant le supplicié. L’aigle se posa sur le sol à côté d’eux et redevint Spyridon. Le vieux sorcier tendit la main et réclama la besace que Martagon lui donna. Par terre, Zeman aperçut une bague qui avait roulé dans les cendres. Il s’en empara et la contempla avec stupéfaction.

 

– Cette bague n’a pas l’air d’avoir de valeur, expliqua-t-il, mais c’est faux. Elle a un chaton qui contient une poudre de résurrection. Si j’avais connu son existence, j’aurais pu sauver Izen ou Déodat.

– Mais comment aurais-tu fait pour choisir celui qui pouvait survivre et celui qui pouvait mourir ? dit Martagon. Ç’aurait été un terrible dilemme et puis tu n’avais pas de temps pour réfléchir. C’est la fatalité. Telles étaient les destinées de nos amis, nous n’y pouvions rien. Garde cette bague pour un meilleur usage dans l’avenir. 

– Déodat avait trouvé cette bague dans la nécropole que nous avons traversée, intervint Spyridon. Il n’a jamais su son pouvoir.

– Ce sera ma bague secrète, fit Zeman qui empocha l’anneau. Elle me rappellera sans cesse cette aventure et le prix que nous avons dû payer pour vaincre le dragon. 

 

Shu sanglotait à fendre l’âme.

 

– J’avais enfin rencontré celui avec qui j’avais envie de vivre ma vie, gémissait-elle. Malgré nos nombreuses disputes et mes remarques ironiques, Izen avait toutes les qualités que j’attendais d’un homme. Il était droit, juste, respectueux, courageux. Il était un roc. Nous venions du même pays, si lointain. Et voici qu’il est mort et que je me retrouve seule, déracinée. Mais je ne veux pas quitter ces montagnes. Je veux rester ici en mémoire de lui. J'espère trouver la paix à la longue.

– Nous devons ramener un trophée à Mirambeau pour qu’il honore la vaillance d’Izen, dit Zeman.

 

Ils ramassèrent une griffe acérée arrachée à la patte du monstre et les pierres des yeux extraites par le bec de l’aigle. Zeman avoua qu’il avait envie d’étudier cette matière si dure qu’il ne connaissait pas.

 

Les compagnons enveloppèrent les corps d’Izen et de Déodat dans des couvertures et les portèrent l’un après l’autre à l’endroit où ils avaient enterré Callixte. Ils creusèrent un nouveau trou et déposèrent leurs amis ensemble dans la terre recouverte de pierres plates. Ils ajoutèrent la cuirasse, le casque et l’épée d’Izen, et la besace de Déodat. Comme pour la mule, ils les recouvrirent de terre mêlée de cailloux. Martagon lança des graines d’arbres sur toute la surface de la tombe. Ainsi, dès la fonte des neiges, les nouvelles pousses se multiplieraient. Personne ne viendrait jamais déranger les morts qui reposeraient là pour l’éternité. Martagon portait le poids de la mort d’Izen. Par ce geste, il laissait un peu de lui-même près du seul ami qu’il ait jamais eu.

 

Puis ils rassemblèrent les affaires qui leur restaient et qui avaient résisté au combat. La neige avait recommencé à tomber. Avant qu’ils ne quittent le champ de bataille pour redescendre dans la vallée, elle avait déjà recouvert d’un manteau blanc le cadavre du dragon et le sang qui maculait le sol. La masse informe reposait au milieu du cirque de pierre et formait un monticule. Désormais, le silence régnait sur le col désert. 

 

Ils jetèrent un dernier coup au théâtre de tant d’événements et se mirent en route. Tout en marchant, Zeman continuait à prodiguer des soins, en particulier au chien. Memnon avait beaucoup souffert et la pauvre bête avait du mal à se déplacer. Martagon le portait sur ses épaules pour le ménager.

 

Spyridon était attristé par la mort de Déodat qui l’avait sauvé des griffes de la folie. Mais il l'avait déjà presque oublié. Sa mémoire se jouait à nouveau de lui. il se sentait très diminué. Le combat l’avait épuisé. Devenir un aigle et voler avait été l’expérience la plus étonnante de toute sa vie. Mais il s’était usé à participer à ce combat. Il faiblissait. Il n’avait presque plus de force pour avancer. Il ne tiendrait plus longtemps. Zeman le vit chanceler et lui administra aussitôt une potion de régénération. Spyridon retrouva momentanément suffisamment d’énergie pour se redresser et suivre les survivants.

 

En chemin, Shu les abandonna. Elle avait l’intention de s’établir dans un village sur la route, proche de l’endroit où Izen avait été inhumé. Elle pourrait lui rendre hommage souvent et se souvenir de lui et de son combat héroïque. Elle répandrait la bonne nouvelle de la mort du dragon aux habitants de la vallée. La vie allait changer pour tous ces gens qui ne craindraient plus les caprices du monstre.

 

Martagon, Spyridon, Zeman et Memnon poursuivirent le sentier en direction de Skajja. Ils iraient donner la griffe de l’horrible bête à Mirambeau, en hommage à Izen et pour rétablir sa réputation. Puis ils réfléchiraient à ce qu’ils voudraient faire ensuite. 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez