La vie de Richard et Magalie était bien loin de ressembler à une parfaite sitcom. Preuve en était : lorsque Richard émergea au matin alors que la tête du lieutenant avait glissé sur ses cuisses et que de la bave sortait de sa bouche, il avait non seulement une bonne gueule de bois, mais en plus il faillit avoir une crise cardiaque. Jenna se tenait debout devant eux, les mains sur les hanches. D’ordinaire, se réveiller à ses côtés n’était pas une partie de plaisir, mais ouvrir les yeux et tomber tout de suite sur sa tête c’était bien pire.
« Tu ne m’as pas rejoint cette nuit, fit remarquer Jenna à son époux à peine réveillé.
— Bien joué Sherlock, grommela Richie. T’en as d’autres des comme ça ?
— Ne te moque pas de moi Richard ! »
Voix aiguë. Suraiguë, même. Trop pour un matin, pour un réveil, pour une vie entière. Mais quel genre d’être humain pouvait parler comme ça, sérieusement ? L’architecte grogna, s’étira et repoussa Magalie sur le côté. La tête du lieutenant retomba lourdement sur le canapé, à l’endroit même où les fesses de Richard résidaient encore quelques instants auparavant. Elle ouvrit un œil, souffla, se retourna et remonta le plaid sur sa tête. Elle se rendormit. Une minute plus tard, des ronflements d’ogres et de la bave s’échappaient de sa bouche.
« Et tu pensais vraiment que je n’allais rien dire ? Hein ? Tu pars pendant des semaines sans raison, avec cette… chose, fit Jenna en montrant le lieutenant du bout des doigts, geste accompagné d’une grimace de dégoût. Mais tu pensais à quoi, Richard ? »
Que pouvait-il répondre à cela ? Plusieurs choix s’offraient à lui. D’abord, il aurait pu dire la vérité : il était parti sans réfléchir pour vivre, et principalement pour vivre loin d’elle. À bien y réfléchir, cette réponse aurait encore entraîné des réflexions de Jenna et Richard n’avait manifestement pas la force de les affronter tout de suite.
Tout en marchant en direction de la cuisine pour se servir du café — du pétrole préparé par la femme qui n’arrive à rien faire de ses dix doigts — Richard étudia les autres possibilités. Il aurait ainsi pu répondre à la question de son épouse en la flattant : il était parti pour essayer de faire quelque chose qui la rendrait fière de lui. Elle se plaignait tout le temps qu’il ne prenait pas assez son avis en compte, pour tout et n’importe quoi d’ailleurs. Une nouvelle télévision ? Ils ne s’étaient pas concertés et maintenant elle ne savait même pas prononcer le nom de la marque ! Renvoyer leur agent d’entretien qui ne faisait pas son travail et ne se pointait pas à l’heure, voire pas du tout ? Mon dieu, mais Richard voyons, tu aurais dû prévenir ta femme avant de réagir aussi excessivement !
Décidément, la vérité et la flatterie n’étaient pas les meilleures idées. Un entre-deux était-il possible ? Richard n’arrivait pas à se décider sur la manière de formuler sa pensée. Une gorgée de café, voilà ce qui l’aiderait. Il attrapa une tasse, manqua de la faire tomber et sentit une nouvelle fois son cœur rater un battement — ou deux, ou trois, il ne comptait plus. Jenna l’avait suivi et se tenait juste derrière lui, à côté de la cafetière. Elle l’empêchait d’atteindre le Saint Graal qui lui permettrait d’esquiver cette conversation.
« Réponds-moi, Richard.
— Mon café d’abord.
— Non.
— Si.
— Non. »
Ils pouvaient faire ça longtemps. Richard soupira. Il posa sa tasse avec force sur le plan de travail. Le tintement réveilla Magalie dans l’autre pièce. On l’entendit grogner, demander le silence, et réclamer qu’on éteigne les lumières. Or, on ne pouvait pas éteindre le Soleil…
« Richard, appela Jenna en claquant des doigts sous son nez. Je suis là. Alors, dis-moi, pourquoi tu m’as abandonnée comme ça ? Pourquoi t’as disparu ?
— Parce qu’une jeune fille qui travaillait pour moi a disparu.
— Et alors ? C’est son boulot, à elle, pas à toi que je sache. T’es architecte, t’as rien à faire dans l’espace à essayer de traquer je ne sais quel fou furieux qui a enlevé et tué une gamine.
— Ne dis pas ça.
— Quoi donc ?
— Que je ne suis qu’un architecte. »
Pas de café ? Bien, il allait lui dire la vérité. Tant pis pour elle, elle l’avait poussé à bout.
« Tu n’as jamais voulu que je fasse autre chose, enchaîna Richard. Tout ce à quoi tu pensais, c’est qu’avec l’argent que je me ferais en tant qu’architecte, tu pourrais avoir tout ce que tu voudrais et ne jamais rien foutre de ta vie. T’as juste eu de la chance qu’à l’époque je sois amoureux de toi. Aujourd’hui, tout est différent.
— Tu ne m’aimes plus ?
— Je n’ai pas dit ça.
— Non, mais tu as dit que tout était différent. Et qu’à l’époque tu étais amoureux de moi, comme si c’était terminé, lui fit-elle remarquer, les larmes aux yeux.
— Ne pleure pas Jenna. »
La voix était ferme. Richard n’en pouvait plus. Il voulait son café, il voulait dormir, et surtout il voulait fuir cette conversation. Mais il n’aurait aucun des trois.
« Richie… Tu ne peux plus disparaître comme ça. Tu n’es pas ton père. Tu es quelqu’un de bien, je le sais. Je l’ai toujours su. Tu n’as pas besoin de partir pour te prouver que tu peux faire quelque chose d’autre. Ou me le prouver à moi.
— Jenna, je…
— Non, laisse-moi terminer, l’intima-t-elle. Je me rends bien compte que je ne suis pas l’épouse parfaite, et que tu t’attendais à autre chose. Mais regarde tout le chemin que nous avons traversé ! On ne peut pas s’arrêter là.
— Je n’ai pas fait tout ça pour prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Je l’ai fait pour quitter toute cette vie un instant, souffler. Et tu sais quoi ? Tout ça, il parlait en faisant de grands gestes, ça ne m’a pas manqué. Pas une seconde. »
Le menton de Jenna tremblait. Elle commençait à comprendre où il voulait en venir, mais elle ne voulait pas l’admettre. Elle s’écarta de la cafetière. Richard tendit la main pour se servir un café. Il abandonna cependant l’idée, laissa sa tasse sur le bord du meuble, et sortit de la cuisine. Il attrapa ses clés. Jenna, restée dans la cuisine, sursauta lorsqu’elle entendit la porte d’entrée claquer puis le moteur de la voiture se mettre en route. Elle se dirigea vers la grande fenêtre du salon, bouscula le canapé où dormait Magalie en passant, et jeta un œil dehors. Il avait disparu.
« Quelle heure est-il ? »
Magalie s’était redressée dans le canapé. Elle se frottait les yeux et regardait en direction de la fenêtre, vers la silhouette qu’elle peinait à distinguer. La personne ne lui répondait pas. Pensant qu’il s’agissait de Richard, elle tâtonna jusqu’à trouver un petit coussin qu’elle lança en sa direction.
« Aïe ! Non, mais c’est pas vrai, ma parole ! Sortez de chez moi ! »
Magalie ouvrit grand les yeux, les oreilles en sang à cause de la voix de Jenna. Elle se mordit les lèvres pour ne pas rire.
« Pardonnez-moi, Jenna.
— Madame MacHolland, s’il vous plaît.
— Ah non, hein ! Vous n’allez pas vous y mettre aussi ! »
Jenna pencha la tête sur le côté, sans comprendre.
« Toujours est-il que vous devriez partir de chez moi.
— Je ne voulais pas vous faire mal avec… un coussin super moelleux, mais effectivement je devrais m’en aller. Où est Richard ? J’ai besoin de son aide pour me repérer dans cette ville.
— Il est parti.
— Où ça ?
— Si je le savais, je vous le dirais. Maintenant, fichez-moi la paix et sortez de chez moi ! »
Magalie n’insista pas plus longtemps. Elle se leva et sortit rejoindre ses collègues dans le vaisseau. Alors qu’elle avait à peine passé le pas de la porte, Maggie entendit la clé tourner dans la serrure. Jenna venait de fermer à double tour.
« Bah putain, tu parles d’un réveil. »
Ils n’étaient plus que quatre. Sans Richard, le vaisseau paraissait bien vide, calme surtout. C’était étrange. L’équipe entière s’était habituée à ses jacassements incessants, à sa mauvaise humeur constante, à son humour glaçant et à ses questions idiotes.
Léopold, Grégoire et Magalie étaient assis à leurs places. On aurait pu entendre une mouche péter. Cette réflexion, de très mauvais goût, aurait pu être faite par Richard ; mais il n’était pas là, alors personne ne la fit.
« On s’emmerde, quand même.
— Nan sans déconner Grégoire ? T’es sacrément perspicace quand même ! répondit ironiquement le brigadier.
— Bon, ça suffit les gamins. »
Magalie soupira. Ils n’avaient même pas décollé. Elle ne savait pas quoi faire ni où aller. Oui, d’accord, son instinct — et les remarques faites par Richard la veille — lui disaient bien qu’il fallait fouiller du côté du petit-copain-pas-tout-à-fait-officiel de Sindy. Mais vers qui se tourner pour avoir des informations ? Selon la terrienne, les parents de la disparue appréciaient le garçon, or les connaissant ils ne voudraient jamais répondre à des questions le concernant. Après tout, ils se devaient de garder l’intégrité de leur fille, et celle-ci était officiellement fiancée à Kyle. Oh, et puis ce n’étaient pas les deux boulets de service qu’elle se traînait qui l’aideraient à faire quoi que ce soit ! Elle se fit la réflexion que, peut-être, elle devrait faire un rapport sur leur incapacité, une fois toute cette histoire terminée pour de bon. Puis elle comprit que si elle faisait un rapport, ils en feraient un aussi. Dans ce cas, ils seraient tous les trois foutus à la porte. Tu parles d’une bonne idée…
Bon. Ils n’avaient plus trop le choix.
« On doit retrouver Richard. »
Les deux autres acquiescèrent. Bon plan ! Mais, c’était quoi le plan, au juste ? Magalie se prit la tête entre les mains. Elle tira sur ses cheveux, arrachant quelques mèches. Si elle continuait comme ça, elle finirait ou avec les cheveux blancs, ou chauve ! Super affaire.
« Mais quelle journée de merde, grogna le lieutenant.
— Ah ! s’exclama Grégoire. Sur ce point, nous sommes tous d’accord.
— Et si t’ouvrais ta bouche pour dire quelque chose de constructif pour une fois ?
— Du calme Léopold. Cependant, Grégoire, je dois avouer qu’il a raison, releva Maggie. On a besoin d’idées pour trouver notre consultant. Je vous rappelle qu’il a un petit peu disparu sans donner d’indication à personne. En plus de ça, si on ne le retrouve pas, je ne sais pas comment on va faire pour retrouver Sindy.
— Et si, avança Léopold, on abandonnait MacHolland et qu’on allait plutôt voir son pote, là, Tristan-je-sais-pas-quoi ? »
Sur le papier, ce n’était pas si bête que ça. Magalie se surprit à réfléchir un instant à la proposition. Effectivement, peut-être que Tristan leur mettrait moins de bâtons dans les roues. De plus, il connaissait bien la ville et aurait sûrement eu des idées pour retrouver Richard. Euh, Sindy ! Voilà que les pensées du lieutenant s’entremêlaient…
« Il ne voudra jamais laisser son entreprise sans personne aux commandes, idiot ! ricana le pilote.
— Oui ! »
Les deux hommes froncèrent des sourcils. Pourquoi Magalie avait-elle parlé sur un ton aussi enjoué ?
« Enfin, euh, “oui”. C’est vrai. Et puis, il nous faut Richard, se rattrapa-t-elle, parce que si on engage quelqu’un d’autre, je ne donne pas cher de notre peau auprès du chef.
— Hum hum. »
Le brigadier, tout comme le pilote, n’avait pas l’air franchement convaincu par l’excuse donnée. Ils ne la relevèrent cependant pas. Magalie les en aurait bien remerciés, si elle n’avait pas eu une image à tenir.
« Et donc, vous avez une idée d’où pourrait se trouver Richard ?
— Bah…
— Euh…
— Merci de votre aide, grogna le lieutenant. »
Elle s’enfonça dans son siège, les bras croisés sur l’abdomen.
« On veut retrouver Richard n’est-ce pas ? Bon. Si on veut trouver un Richard, il faut penser comme un Richard ! Et où peut-il aller en premier, à neuf heures du matin ?
— Au bar ! cria Léopold, content comme s’il venait de gagner un million de dollars.
— Exactement ! Alors, Grégoire, cap sur le bar préféré de MacHolland, s’il te plaît.
— Tout de suite, lieutenant. »
Utiliser le vaisseau qu’on ne pouvait pas garer en plein milieu de la ville parce que, petit indice, c’était un poil plus gros qu’une voiture, ce n’était encore une fois pas l’idée du siècle. Magalie commença à se dire que la logique, c’était MacHolland qui l’avait. Sans lui, ils étaient perdus. Ça lui rappelait une vieille blague sur des bébés steaks hachés perdus dans la forêt et dont la mère est à la recherche… Bah, z’étiez steak haché où ? Pour sûr, elle devrait la raconter à Richard, celle-là ! Pour une fois qu’elle en avait une bonne. Enfin, une pas trop mauvaise, quoi. Juste, une blague…
Une fois arrivé en plein cœur de Chicago, le vaisseau resta en vol stationnaire au-dessus d’un grand immeuble à deux pas du bar de MacHolland. Maintenant, il fallait descendre. En fait, ils auraient mieux fait de laisser le vaisseau dans l’allée des MacHolland et faire le chemin à pieds, ça aurait pris moins de temps. Manifestement, aujourd’hui les cerveaux n’entraient pas en fonction. À vrai dire, ça ne changeait pas beaucoup de leur habitude.
Après être descendue sur le toit d’un immeuble, suivie par Léopold, et avoir dévalé les marches jusqu’à arriver dans la rue, Maggie se retrouva dans l’entrée du bar. Elle reconnaissait à peine les lieux. L’établissement en lui-même n’avait en rien changé, cependant le lieutenant n’avait plus son regard alcoolisé sur les choses, et il faisait bien jour. Bien qu’ils se trouvaient dans une rue aux immeubles tous plus grands les uns que les autres, la lumière pénétrait à grands rayons à travers les fenêtres. Les quelques clients qui se trouvaient à l’intérieur étaient réunis par petits groupes. Une femme — dont Léopold se souvenait pour avoir fichu une grande baffe à MacHolland devant le Club Illusion — les accueillit. Son t-shirt se réduisait à un morceau de tissu couvrant sa poitrine démesurée. Un piercing était apparu à son nez depuis la dernière rencontre avec Richard. Elle mâchait un chewing-gum à la fraise. Quand Magalie le sentit, son estomac se souleva. Bon dieu, ce qu’elle pouvait détester la fraise !
« Pouvez-vous jeter ce que vous avez dans la bouche ? Furent alors les premiers mots prononcés par le lieutenant, avant même un “Bonjour”.
— Pardon, mais vous vous prenez pour qui ? demanda aussitôt l’autre, sur la défensive, puis, après avoir regardé Léopold, elle fronça les sourcils. Eh ! On se connaît non ? On s’est déjà vus. »
Magalie se tourna vers son brigadier. Ce dernier haussa les épaules et secoua la tête — il était trop tôt pour qu’il puisse se souvenir de quoi que ce soit, son esprit était encore embrumé par l’alcool ingéré la veille, et une bonne partie de la nuit avec Grégoire. La barmaid resta donc sans réponse de la part de Léopold, mais en obtint une silencieuse du lieutenant qui abattit son insigne sur le bar. Elle soupira et cracha son chewing-gum dans une serviette en papier.
« Bien. Et donc, que puis-je faire pour vous, lieutenant Pierce ?
— Nous sommes à la recherche d’un homme qui vient régulièrement ici. Richard MacHolland. L’avez-vous vu aujourd’hui ?
— Je veux bien que Richard soit un alcoolique en plus d’être un sacré connard, mais il ne boit pas si tôt que ça dans la journée. Pourquoi est-ce que vous le cherchez ?
— Il est censé nous aider dans une enquête concernant la disparition d’une jeune fille du coin.
— Une qu’il a sautée dans les toilettes du bar ? »
Magalie manqua de s’étouffer. Elle connaissait bien la réputation de coureur de jupons de l’architecte, et savait qu’il avait déjà trompé sa femme plus d’une fois, mais elle ne pensait pas qu’il en était à ce point !
« Hum. Non. Une jeune femme qui travaillait pour lui, une étudiante.
— Comme si ce détail aurait pu le gêner ! »
Cette fois-ci, ce fut la barmaid qui manqua de s’étouffer. De rire.
« Il saute littéralement sur tout ce qui bouge, affirma-t-elle. Mais uniquement le soir, et trois fois par semaine. Je suis désolée, mais je ne peux pas vous aider à le retrouver, lieutenant. En tous cas, je peux vous citer un deuxième endroit où il ne se trouve pas : son boulot. Bon, je dis ça comme si c’était une surprise, mais il se vante souvent de ne jamais aller bosser. »
Magalie grinça des dents. La barmaid venait de lui retirer sa seconde et dernière piste. Où pouvait-il se trouver, alors ? Elle la remercia et se dirigea vers la sortie. Avant qu’ils ne passent le pas de la porte, la jeune femme l’interpella :
« Eh, lieutenant, la fille que vous cherchez, elle s’appelle comment déjà ?
— Sindy Grassier.
— Connais pas.
— Et Luna Peyton ?
— Ah ouais ! Une gamine aux cheveux violets, nan ? Elle vient boire une bière toutes les semaines, c’est vrai que ça fait un moment qu’on l’a pas vue. Elle va bien ?
— On l’espère.
— Alors je croise les doigts pour que vous retrouviez Richard, s’il peut vous aider à retrouver la gosse. »
Un client lui commanda un café et elle ne vit pas le lieutenant et Léopold partir après lui avoir fait un signe de la main.
De retour dans le vaisseau et après s’être éloignés du centre-ville de Chicago, les trois membres de l’équipage se concertèrent. Ils évoquaient tour à tour chaque idée qui leur passait par la tête.
« Piscine ?
— Nan. Musée ?
— Ça m’étonnerait. On pourrait tenter un autre bar ? Ou un hôtel ?
— C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin…
— Ouais, mais une aiguille d’un mètre quatre-vingt et bien gaulée.
— Piscine ?
— Tu l’as déjà proposé Greg.
— Et s’il était sorti de la ville ?
— Pour aller où ? »
Ils soupirèrent. Soudain, Magalie se souvint de quelque chose. Elle cria eurêka !
« On est de la police interstellaire, non ?
— Ouais, enfin, c’est pas nouveau ça, lieutenant.
— Laisse-moi finir Léopold ! fit-elle d’un ton bien trop enjoué. Je disais : on est de la police interstellaire. Donc, cracha-t-elle en appuyant bien sur ce mot, nous avons accès aux caméras de surveillances de toute la ville et des grandes routes, on est d’accord ?
— Hum. Et vous voulez faire quoi avec les caméras ?
— Chercher la voiture de Richard ! Un modèle comme la sienne, c’est pas courant. Et en plus, je suis certaine d’avoir son numéro de plaque dans son dossier ! Léopold, va me chercher mon ordinateur et le dossier sur Richard, ordonna-t-elle. Grégoire, prépare-toi à voler. »
Le pilote hocha la tête et partit s’asseoir en silence dans son siège. Léopold revint le plus vite possible avec tout ce que Maggie lui avait demandé. Il resta debout juste derrière elle tandis qu’elle lançait la recherche, vieux souvenirs de l’école de police.
« Léopold ?
— Oui, lieutenant ?
— Tu pourrais bouger s’il te plaît ? Tu m’angoisses à rester derrière moi comme ça. Assieds-toi au moins.
— Oui, lieutenant. »
Après quelques minutes, le logiciel de reconnaissance fit savoir à Pierce qu’il avait établi une correspondance. La plaque d’immatriculation de Richard avait été enregistrée à un péage à une sortie au sud de la ville. Ensuite, sa voiture avait été détectée lorsqu’elle avait pris la sortie en direction de Dixmoor, à une vingtaine de kilomètres de Chicago.
« Bingo ! »
Puis, après une seconde de joie, la réalisation :
« Mais, il fout quoi dans un coin aussi paumé ?
— J’en sais foutrement rien, jura Grégoire, mais au moins je pourrais m’y poser. Et faire le plein, avec un peu de chance.
— Alors cap sur Dixmoor ! »
Le voyage ne dura pas bien longtemps. Le vaisseau avalait les kilomètres dix fois plus vite qu’une voiture, alors même que le pilote ne mettait pas pleins gaz. En bref, en moins de cinq minutes ils se retrouvèrent à Dixmoor. Le village était pittoresque — un euphémisme. Une grande partie des maisons et bâtiments dataient du XXe siècle, si bien que la plupart tombaient en ruines. Grégoire parvint à se garer non loin de la seule pompe à essence du coin.
« Heureusement que nos ingénieurs ont un peu de jugeote et qu’ils ont mis une rallonge pour le plein, grommela-t-il en voyant la vétusté des appareils. »
Magalie et Léopold lui faussèrent compagnie sur ces mots. Ils firent rapidement le tour du village et repérèrent la voiture du disparu devant une maison qui, malgré les années, était plus récente que les autres du même quartier. La devanture bleu canard, un peu passée aux endroits où le soleil frappait, était charmante. Une petite clôture blanche à la peinture écaillée entourait un terrain où poussaient de gigantesques pieds de tomates et des fleurs dont les pétales colorés commençaient à tomber. La voiture était garée dans l’allée. Magalie poussa le portail qui geignit à l’ouverture, comme un vieillard gémit à cause des rhumatismes lorsqu’il se lève.
Ils avancèrent jusqu’à la porte d’entrée, après avoir gravi quelques marches menant vers le porche en bois blanc, jauni par le temps. Magalie toqua. Une voix masculine cria quelque chose depuis l’intérieur, des mots indistincts. Un court moment après, ce fut Richard MacHolland en personne qui, tout sourire, leur ouvrit.
« Oui, maman, attends je vais ouv… »
La vue de Magalie et Léopold sur le porche de sa maison d’enfance le coupa net et lui arracha son sourire.
« Vous faites quoi ici ?
— Bonjour à vous aussi, Richard, et merci pour cet accueil on ne peut plus chaleureux, grinça Maggie. On peut entrer ?
— Richie ! cria une femme âgée depuis l’intérieur de la maison, qui c’est ?
— C’est rien maman, j’arrive, ne t’inquiète pas ! »
On entendit la mère de Richard grommeler quelques mots, puis se lever et venir à petits pas vers la porte. Une femme d’une soixantaine d’années, aux cheveux grisonnants et au visage marqué, apparut derrière Richard. Elle le poussa sur le côté d’un coup de coude. Elle s’exclama :
« Oh ! Mais qui sont ces gens ? Ce sont tes amis ? Tu les connais ?
— Euh…
— Oui, nous connaissons Richard, madame MacHolland, répondit Magalie en sautant sur l’occasion. Je m’appelle Magalie Pierce. »
Léopold se présenta à son tour, sous le regard furibond de Richard. La mère de ce dernier les invita à entrer et, après les avoir menés jusqu’au salon où elle et son fils regardaient une vieille série policière avant qu’ils n’arrivent, partit préparer du café. Richard lui demanda d’apporter du sucre pour Magalie, deux carrés.
« Vous n’avez pas répondu à ma question, lieutenant.
— Et vous Richard, vous ne m’avez toujours pas dit bonjour.
— Ouais, bonjour. Maintenant, dis-moi ce que vous fichez ici.
— On vous cherchait.
— Pourquoi ?
— Parce que vous avez disparu ce matin sans dire à qui que ce soit où vous alliez, alors que nous avons une enquête en cours et que vous nous aidez à y voir plus clair, peut-être ?
— Ouais.
— Ce n’est pas vraiment une réponse, mais bon, soupira Maggie. Peut-être pourriez-vous me dire pourquoi vous êtes parti comme ça ?
— Jenna.
— Ah.
— Ouais. »
Les deux, Magalie et Richard, se regardèrent droit dans les yeux. L’homme finit par esquisser un sourire. Au fond, il était content qu’ils soient venus le chercher. Il se sentait apprécié.
« Comment vous m’avez retrouvé ?
— On a localisé votre plaque d’immatriculation, expliqua Léopold.
— Pas bête, remarqua l’architecte.
— Des fois, on essaie de réfléchir, Richard. »
La mère de Richard revint avec un plateau. Elle distribua les tasses de café qui se trouvaient dessus et tendit les deux sucres demandés par son fils au lieutenant Pierce. Elle s’assit face à la jeune femme.
« Dites-moi, Magalie — je peux vous appeler Magalie, n’est-ce pas ? — Richard m’a dit qu’il vous aidait sur une enquête, mais il n’a pas voulu me dire de quoi il s’agissait. Pardonnez ma curiosité, mais je voudrais comprendre pourquoi mon fils me fait tant de mystères.
— Oh, mais ne vous inquiétez pas madame MacHolland !
— Appelez-moi Annie, voyons. »
Enfin une femme qui ne la reprenait pas ! Et qui lui disait de s’adresser à elle en utilisant son prénom ! Magalie jubilait.
« D’accord, Annie. Je suis lieutenant dans la police interstellaire, votre fils vous l’a peut-être dit — la femme fit signe que oui, J’enquête donc sur la disparition d’une jeune fille, une étudiante, qui était stagiaire à la T&RCorporation. Richard nous aide à comprendre ce qui est arrivé à cette fille, comme elle travaillait pour lui et qu’il connaît bien les environs. En plus, il avait déjà côtoyé les parents de Sindy, ç’aurait pu être un avantage.
— Et qu’est-il arrivé à cette jeune fille ?
— Nous essayons justement de le comprendre, madame Mac… Euh, Annie.
— C’est tellement triste. »
Annie but une gorgée de café, rapidement imitée par toute la pièce. Elle regardait Léopold de travers, ne comprenant pas tout à fait pourquoi elle pouvait voir le motif fleuri de son canapé à travers le brigadier. Elle reposa sa tasse. Magalie suçotait son sucre.
« Quel âge a-t-elle, Sindy, c’est ça ?
— Une vingtaine d’années, elle étudie encore, maman.
— Eh bien, à son âge, j’aurais bien voulu disparaître aussi ! gloussa Annie. Enfin, à vrai dire je l’ai fait. Vous n’êtes jamais partie de chez vos parents, vous, Magalie ?
— Non, jamais. Que voulez-vous dire par-là ? Pourquoi auriez-vous aimé disparaître ?
— Oh ! Mais à cet âge-là, on tombe facilement amoureux. Quand j’avais vingt-trois ans, alors que le père de Richard et moi nous venions de rompre, quelques mois avant qu’on ne décide de se marier — quelle histoire, d’ailleurs !
— Maman, fit Richard.
— Oui, oui pardon, je vais essayer de ne pas m’égarer. Donc, reprit-elle, j’avais vingt-trois ans et c’était l’été. En travaillant dans une supérette pas loin de chez mes parents, j’ai rencontré un garçon un peu plus vieux. Il venait de terminer ses études, c’était un professeur ! Il parlait français… C’était merveilleux. Il travaillait là pour gagner suffisamment d’argent avant de partir pour l’Europe à l’automne. Il voulait enseigner là-bas. Il était incroyable… Je me croyais bien amoureuse de lui ! Un jour, après une grosse journée de travail, il m’a invitée à boire un verre. On a discuté longtemps. Et puis, ce qui devait arriver arriva ! Après ça, je ne voulais plus le quitter. Quelques jours avant la fin de l’été, nos contrats étaient terminés. Sans prévenir qui que ce soit, nous sommes partis quelques jours à l’autre bout du pays ! C’était merveilleux. »
La matinée défila ainsi, entre cafés et souvenirs remémorés, racontés par Annie. Sur les coups de treize heures, Magalie décida qu’il était temps de partir. Richard les suivit, elle et Léopold, après avoir juré à sa mère de la tenir au courant s’ils retrouvaient Sindy. Elle prit Magalie à part avant qu’ils ne partent.
« Vous savez, à votre âge, je craquais sur les hommes plus vieux, moi aussi. »
Magalie ne répondit rien, elle baissa la tête.
« Enfin bref ! En tous cas, merci pour ce que vous avez fait. Je n’avais pas vu mon fils épanoui depuis des années. »
Puis elle referma la porte, laissant Magalie incompréhensive sur le porche.
Le lieutenant rejoignit les deux garçons qui l’attendaient dans la rue. Le portail grinça derrière elle. Ils retrouvèrent Grégoire au vaisseau dont il avait finalement réussi à faire le plein. Le pilote avait même été leur chercher à manger : de bons vieux cheeseburgers avec des frites ! Installés en silence, ils dévorèrent leur repas. Alors que Magalie venait de terminer sa portion de frites, elle eut sa énième révélation de la journée.
« J’ai tout compris.
— Quoi ? demanda Richard.
— Je sais ce qui est arrivé à Sindy. »
La blague des steaks hachés mais d’où tu la sors ?
D’accord il est tôt mais Magalie a été super longue avant de penser aux caméras de surveillances.
Je serai Richard, je ferai un test de paternité.
Je suppose que Magalie suppose qu'elle a fait une fugue.
Alors pour le coup c’est une vieille blague que je connais depuis des années, je me devais de la caser quelque part !
Mieux vaut tard que jamais 😉 Et tu sauras très vite le dénouement de toute cette histoire !