Chapitre 18

Notes de l’auteur : Bonjour à tous !

Ce chapitre est le dernier du tome 1 de l'histoire de Léana. Des choses s'y concluent et d'autres démarrent sur les chapeaux de roues...

J'espère que vous avez apprécié ! N'hésitez pas à laisser un petit commentaire pour me dire ce que vous avez pensé de mon histoire :)

Merci d'avoir lu jusqu'ici !

Marc O’rren tournait en rond sous sa tente. Il attendait un messager, qui avait déjà trois heures de retard. Ça le mettait sur les nerfs. Six jours. Ça faisait six jours que O’membord avait commencé son espèce de siège, et rien n’avait bougé. Marc ne dormait presque pas. Il savait que c’était le cas de beaucoup de Capes Noires.

Même s’ils n’étaient pas vraiment assiégés, qu’ils pouvaient se nourrir, et qu’ils pouvaient même s’en aller s’ils le souhaitaient, Marc avait décrété que personne ne bougerait.

Ils s’étaient installés sur les Landes Maudites dix jours plus tôt. Il en avait fallu quatre à O’membord pour réagir et amener ses soldats jusqu’à eux. Le seigneur avait tenté de parlementer : il voulait leur faire payer un impôt. Mais avec quel argent auraient-ils pu se le permettre ? Marc en avait un peu, mais les autres ? Des misérables, des charmés rejetés, chassés de leur village. Pourquoi les riches Charmés rejoindraient-ils sa cause, puisqu’ils avaient la possibilité d’obtenir de l’aria et de cacher qui ils étaient ?

Marc s’arrêta. Son regard tomba sur un ruban rouge d’enfant, enroulé autour de la poignée de sa malle. Son cœur s’alourdit et la colère l’envahit. Mylen. Comme elle lui manquait ! Pas un jour ne passait sans qu’il ne pense à sa fille. La douleur l’empoigna par la gorge, lui coupant le souffle. Il se précipita à l’extérieur.

Le soleil l’éblouit un instant. Au loin, il apercevait le camp de O’membord. Il imagina sa femme et sa fille, prisonnières du seigneur. La rage lui fit voir rouge. Il se mit à trembler, tentant de contenir sa fureur, mais elle gronda sur tout le camp, s’étalant dans les Landes. Depuis qu’il avait appris la nouvelle, il n’avait qu’une idée en tête : entrer dans ce camp, écorcher vif Sole O’membord, et aller récupérer les femmes de sa vie. Il leur avait dit d’aller se réfugier dans la famille, qu’elles seraient en sécurité loin de lui. Que son combat n’était pas le leur.

Mais O’membord, avec l’aide de ce chien qu’était le seigneur Da’lounasse, les avait tirées de force sur le champ de bataille. A présent, ce n’était plus seulement pour les charmés, que Marc se battait. C’était aussi pour elles.

Se battre, c’était un bien grand mot. Ils restaient là, dans ce camp aménagé au sommet d’une crête, à voir les soldats de Pesée s’amasser. Marc avait refusé l’impôt de O’membord, il avait refusé de quitter les terres. Il avait renvoyé chaque messager, avait ri à chaque menace. Mais il savait que, lorsque les soldats se mettraient en route, il n’aurait rien pour les combattre.

Les Capes Noires étaient motivées, pleines d’une fureur de vivre, de se battre pour cette terre, mais ils n’étaient pas des guerriers. Ils ne pourraient rien faire face à une armée expérimentée. Leur véritable chance se trouvait dans une tente bleue et rouge du camp ennemi, que l’un de ses espions avait repérée. Et dans la réponse de ce fichu messager.

Le voilà.

L’annonce de la sentinelle le fit sursauter. Il se tourna vers le bas du camp. Effectivement, Rouget revenait. Le gamin soufflait comme un bœuf, gravissant les rochers qui menaient à la tente du chef.

« Alors ? » demanda Marc, impatient, avant même que le jeune l’ait atteint.

Rouget haletait, incapable de parler. Exaspéré, Marc heurta son esprit.

Alors ?

C’est fait. Calem part à Kaltane, à présent.

Calem leur avait rapporté de bonnes nouvelles de la capitale. Elle tissait leurs liens doucement, méticuleusement. Bientôt, grâce à son travail, ils auraient une influence que le roi ne pourrait imaginer.

Marc hocha la tête.

La tente ?

Elle devrait être vidée d’ici quelques instants.

Le gamin retrouva sa voix.

« Holmes se faufilait à l’intérieur la dernière fois que je lui ai parlé. J’étais trop loin, ensuite, pour l’entendre.

− Bien. »

O’rren, satisfait, se tourna vers le camp de O’membord. Les Capes Noires s’étaient installées en haut d’une petite montagne, surplombant ainsi toute la vallée des Landes Maudites. C’était risqué, car si la Pesée et Manz s’associaient, ils seraient encerclés, ou obligés de fuir dans le Royaume des Montagnes. Mais le roi n’avait apparemment que faire de leur combat. A part le large camp de O’membord, en bas de la crête, il n’y avait pas de menace.

Il laissa le gamin repartir. Alors qu’il reposait ses yeux sur la fameuse tente, un cri retentit à ses pieds.

« Chef ! »

Marc regarda l’homme qui grimpait à toute vitesse la colline, Bert. Pourquoi ces imbéciles n’utilisaient pas leur don de télépathie, au lieu de s’embêter à monter à chaque fois le voir ? Étendre la portée de son pouvoir ne demandait pas tant de travail.

« Quoi ?

− Ils bougent. »

O’rren regarda à l’extrémité du camp de O’membord. C’était vrai : les soldats s’agitaient, se mettaient en formation. Il sentit l’excitation le gagner.

« Préparez-vous, ordonna-t-il. Placez-vous comme prévu, et surtout, rappelle aux autres : on ne leur dévoile pas notre atout, pour l’instant. C’est clair ?

− Bien, chef. »

Bert était fermier, mais il avait été soldat des années auparavant. Il semblait inquiet.

« Combien de temps devrons-nous tenir ? »

O’rren regarda de nouveau la tente à la toiture bleu et rouge. D’ici, il vit une petite silhouette se faufiler à l’extérieur. Il tendit son esprit.

Holmes ?

Il attendit quelques instants. Très peu de ses compagnons avaient la puissance nécessaire pour parcourir une si grande distance. Mais lui en était capable. Il insista, fermant les yeux.

Holmes ?

Chef ?

Alors ?

C’est fait. Je m’éclipse.

Marc coupa le contact et regarda Bert.

« Douze heures, Bert. On doit tenir douze heures. »

La confiance s’installa en lui. Avec leurs archers et leur position élevée, ils tiendraient en respect les soldats de O’membord suffisamment longtemps pour que l’aria sorte de leurs veines. Ils en prendraient sans doute avant de partir, mais le jus de rave que Holmes venait de substituer à leur potion n’aurait aucun effet.

Et une fois que les esprits des soldats ne seraient plus protégés, la victoire des Capes Noires serait assurée.

 

* * *

 

« Tout le monde ne parle que de ça dans le palais.

− Mais… ils n'étaient que deux… comment ont-ils pu le raconter à tout le palais ? »

Léana était incrédule. Le lendemain du baiser, Rebecca l’avait rejointe alors qu’elle sortait de sa chambre, en direction du bureau du roi. La jeune femme rousse l’avait aussitôt félicitée.

Rebecca lui lança un regard navré.

« Princesse, ici, les ragots se répandent plus vite que le feu. Je suis persuadée qu'à peine dix minutes après qu'on vous ait vue embrasser Da'tenille, même la dernière-née des souris du château était au courant. »

Elles croisèrent trois nobles, qui la dévisagèrent sans faire mine de s’incliner.

« Bonjour », aboya-t-elle, fâchée qu’on ne la salue jamais.

L’un d’entre eux bredouilla un bonjour en s’inclinant, tandis que les autres en profitaient pour s’éloigner à pas pressés. Elle entendit leurs murmures dans son dos et distingua très clairement le mot « agressive ». Elle poussa un soupir.

« Super... »

Rebecca s'arrêta près d'une fenêtre qui donnait sur les jardins. Elle désigna le ciel.

« C'est une belle journée, princesse Léana. Profitez-en. Da'tenille est un beau parti. »

Léana n'eut pas le temps de répondre que la jeune femme sortait déjà quelque chose de sa poche.

« Et regardez !

− Le collier ! » s'écria la princesse.

Un trèfle et une dague argentés pendaient au bout d’une chaînette. Léana haussa les sourcils. C’était le symbole de l’Aélie. Le trèfle signifiait la paix et la prospérité, et la dague la puissance. Quand Morgan le lui avait présenté dans un livre, elle y avait reconnu l’ornement de la boîte de son père. La fameuse boîte qui contenait le portrait de la reine et le mot de Jack, cachée dans les affaires de sa mère.

Léana prit le bijou et poussa un cri en recevant une décharge. Rebecca, surprise, l’observa.

« Intéressant. Je suppose que nous avons le bon objet.

− Comment avez-vous pu le prendre ? demanda Léana en observant le bisou. Je croyais que O'freme le gardait bien précieusement ?

− Ma soirée n’a pas fini comme la vôtre, sourit Rebecca. Caume et moi avons rejoint Jay et leurs autres amis. Bien sûr, il aurait voulu qu’on reste tous les deux, mais j’ai insisté pour me rapprocher de O’freme. Ensuite, eh bien… Jay le cachait sous ses vêtements, je n’ai eu d’autre choix que de le pousser à les retirer. »

Léana releva des yeux ronds sur Rebecca. Celle-ci se mit à rire.

« N’ayez pas l’air si choqué ! Il n’a même pas dû s’en rendre compte. Et s’il m’interroge, je dirais que je n’en sais rien, et que son page a dû le voler. »

Léana songea au pauvre enfant qui se ferait probablement renvoyer pour une faute qu’il n’avait pas commise.

« Mais vous alliez quelque part, il me semble ? s’enquit Rebecca.

− J’ai rendez-vous avec le roi, acquiesça Léana en se remettant en route. Enfin, bravo pour le collier. Je pensais que O’freme vous détestait !

− Jay est le genre de noble qui fait croire à tout le monde qu’il méprise les classes qui lui sont inférieures, mais qui ne peut pas résister au charme d’une « fille du peuple ». Et puis, je crois que ça l’amusait de mettre Caume en rogne.

− Et lui, comment l’a-t-il pris ?

− Oh, il ne sera pas jaloux, répondit Rebecca d’une voix légère. J’ai veillé à ce qu’il ne se doute de rien. J’espère juste que ces messieurs n’iront pas se raconter mutuellement leur nuit. »

Léana ne put s’empêcher de rire, bien que troublée. Rebecca avait donc couché dans la foulée avec deux amis, juste pour voler un bijou. Le fait qu’elle le lui avoue aussi facilement prouvait que ce n’était même pas quelque chose de dérangeant, dans ce monde. Elle fut obligée de constater que Louis avait raison : Rebecca s’était très vite adaptée à la vie au château.

 

Alors qu’elle parvenait au couloir qui menait au bureau du roi, Léana croisa Louis. L’homme avait l’air préoccupé.

« Princesse ! l’appela-t-il en s’inclinant. Je voulais vous parler. Avez-vous eu un problème avec Morgan O’toranski, récemment ? »

Léana sentit son ventre se nouer.

« Non, pourquoi ? Nous avons eu cours hier, ça s’est bien passé.

− Il m’a annoncé ce matin qu’il ne pourrait plus assurer vos cours. Je lui ai dit qu’il devrait demander au roi l’autorisation de se soustraire à son devoir. Il m’a tout de même dit qu’il ne pourrait pas vous voir cet après-midi. Je vous ferai donc la leçon à sa place. Avez-vous la moindre idée de ce qui pourrait expliquer son attitude ? »

Léana se sentit tituber. Elle cligna des yeux. Bien sûr, si tout le château le savait, Morgan aussi. Était-il furieux contre elle ? Refuserait-il de la revoir, de lui parler ? La panique envahit la jeune femme, lui nouant l’estomac. Il fallait qu’elle lui explique que ce baiser n’était rien.

« Princesse ?

− N-non, je… j’en parlerai à Morgan. Ce n’est probablement rien.

− Vous pouvez me parler, insista-t-il. Il est important que je sois au courant, et le roi aussi. Si Morgan a été inconvenant, ou qu’il y a une mésentente entre vous, nous pouvons comprendre. Il suffit que vous me l’expliquiez.

− Je ne vois pas, répondit-elle d’une voix plus ferme. Je suis déjà en retard, Louis, veuillez m’excuser. »

Il s’écarta pour la laisser passer, mais il n’avait pas l’air dupe. Léana se douta qu’il comprendrait très vite d’où venait le problème. Il fallait donc qu’elle le règle dès que possible.

 

Léana était si préoccupée par Morgan qu’elle ne remarqua pas immédiatement la personne assise dans un fauteuil, face au roi. Ce ne fut que lorsqu’il se leva qu’elle le reconnut.

« Ian ! »

L’homme lui sourit et s’inclina. Ses cheveux noirs grisés étaient bien coiffés. On lui avait donné des habits propres. Malgré ça, son visage était marqué par la fatigue. Le roi se tenait assis derrière son bureau. De l’autre côté de la pièce, debout, attendait Lorene, la chef des gardes. Léana la salua.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? s’enquit-elle. Êtes-vous libre ? »

Le roi lui fit signe de s’asseoir dans le fauteuil disponible. Elle s’installa à côté de Ian.

« Pas encore, expliqua Phelps. Lorene a enquêté, mais la piste n’a mené nulle part. Nous n’avons aucune preuve que Ian est coupable, et nous sommes persuadés que c’est parce qu’il ne l’est pas. Malheureusement », et il jeta un coup d’œil à la femme, « certaines personnes sont encore très remontées. Ils veulent un coupable, et tant que nous ne leur en donnons pas, il est compliqué de faire sortir Ian de prison.

− C’est ridicule, gronda Léana. Édouard O’membord n’a pas été inquiété, alors qu’il m’avait presque poussée dans les bras de Kaevin Raye. Tandis que rien n’accuse Ian, et qu’on le laisse quand même en prison ! »

Elle regarda l’homme assis à côté d’elle. Il lui sourit.

« Je suis ravi de vous voir prendre ma défense, ma reine, déclara-t-il. D’autant plus après notre dernière rencontre. »

Léana jeta un regard en coin vers le roi.

« Je suis au courant, confirma celui-ci. Et Lorene sait que tu es charmée. Léana, nous ne t’avons pas fait venir ici pour parler de l’emprisonnement de Ian. Il est temps que tu aies un réel cours, pour apprendre à maîtriser ton pouvoir. »

Le roi se leva.

« Je vais vous laisser. Malheureusement, comme nous venons de te le dire, Ian est encore officiellement un prisonnier royal. Lorene va donc rester ici, afin de s’assurer qu’il ne t’arrive rien. Même si j’ai entièrement confiance en lui. »

Les deux hommes échangèrent un regard. Ommone hocha la tête, le visage sérieux.

« Et votre confiance est bien placée, mon roi. »

Phelps acquiesça à son tour et contourna le bureau. Il posa sa main sur l’épaule de Léana au passage.

« Oh, et Da’tenille est un très bon parti. Ce n’est peut-être pas un noble-né, mais il était l’un des meilleurs de son école. C’est un homme d’honneur. »

Sur ces mots, il sortit de la pièce. Surprise, Léana le suivit du regard. Elle sentit soudain la présence de Ian, proche, trop proche. Elle se retourna brusquement, mais il était toujours assis à deux mètres d’elle, la fixant.

« Que faites-vous ?

− Je sonde votre mur. Vous n’avez pas pris d’aria ce matin, n’est-ce pas ?

− Non. Alors ma porte est encore fermée ? »

Ian avait les paupières closes.

« A vous de me le dire. Que ressentez-vous ? »

Léana décida de l’imiter et ferma les yeux. Elle se souvenait du moment où elle avait fermé son esprit à Tim et Jonat, les petits aziriens. La sensation d’être seule dans sa tête était ce qu’elle ressentait à présent. Elle était isolée du reste du monde, comme elle l’avait toujours été avant de venir en Aélie. La pièce et son cerveau étaient silencieux. Elle finit par hocher la tête, puis se souvint que Ian avait les yeux fermés.

« Je n’entends rien. Je suis seule. »

Alors elle le sentit. Elle savait que c’était lui : elle avait déjà été en contact avec Ian mentalement et physiquement. C’était comme reconnaître l’odeur d’une personne, en plus intense. Elle reconnaissait son esprit, son aura.

Elle ne le voyait pas, mais le sentit s’approcher. Ses oreilles lui disaient qu’il n’avait pas bougé de son fauteuil. Pourtant, il était près d’elle, son souffle dans son cou, son odeur mentale l’envahissant. Il frappa à sa porte, silencieusement. Elle sentit qu’il demandait quelque chose. Il voulait entrer. Léana était toujours dans le noir de ses paupières, mais son esprit se rapprocha de la porte. Elle perçut plus amplement Ian. Alors elle lui ouvrit.

Elle fut brusquement tirée en avant et se retrouva dans la cuisine de sa grand-mère, dans le même souvenir que la dernière fois. Ian était assis près de Claire et la regardait.

« Que faites-vous ?

− Vous m’avez laissé entrer. Alors j’entre.

− Mais je… »

La douleur la fouetta, les souvenirs de cette journée l’emplirent. La douleur, la colère contre la maladie qui avait emporté son grand-père. Et l’immense chagrin partagé avec sa grand-mère.

« Elle avait l’air de beaucoup aimer votre grand-père, fit remarquer Ian d’une voix douce.

− Arrêtez de me faire penser à ça ! »

Ian leva les yeux vers elle. Le réalisme était incroyable : elle avait vraiment l’impression d’être dans la cuisine de sa grand-mère. Elle percevait même son parfum.

« Forcez-moi à quitter votre esprit, si vous le voulez. »

Léana se rappelait ce qu’elle avait fait la dernière fois. Elle se jeta sur lui, mais Ian l’esquiva et se glissa avec aisance dans un autre souvenir.

Cette fois, Léana se trouvait aux États-Unis. Elle était dehors, dans la nuit, des larmes de rage coulant sur ses joues. Elle savait très bien ce qui venait de se passer : Carmen et elle avaient eu une violente dispute, la pire depuis leur arrivée en Amérique.

Léana avait couru dehors pour ne pas s’en prendre à sa mère. Elle avait marché durant des heures dans les rues mal éclairées, tâchant de se calmer, maudissant sa vie. Elle avait hésité à aller à l’aéroport pour rentrer en France. Mais pour cela, il fallait prendre le bus jusqu’à New York. A cette heure-ci, il n’y en avait plus aucun. En plus, elle n’avait pas ses papiers, ni l’argent pour payer l’avion.

« Tant de colère en vous, constata Ian. Tant de haine refoulée, de douleur transformée en méchanceté. Votre mère ne méritait pas ça. »

Léana le foudroya du regard. Elle sentait les larmes couler sur ses joues frappées par le vent.

« Vous ignorez tout de ce que j’ai vécu. J’avais des racines, et elle me les a arrachées.

− Ce qu’a fait O’toranski, et vous ne le haïssez pas pour cela. Vous l’avez même suivi de votre plein gré.

− C’est différent, répondit Léana, troublée.

− Si Paris et votre famille sont si chers à votre cœur, alors pourquoi avoir suivi Morgan sans rechigner ? Alors que vous avez fait des scènes à votre mère durant un an ? »

La colère envahit Léana. Elle s’approcha de lui, le repoussa en arrière. Mais ce n’était pas suffisant pour le chasser de son esprit.

« Arrêtez, demanda-t-elle. Laissez-moi tranquille.

− Vous ne pourrez pas demander aux Capes Noires de vous laisser tranquille s’ils prennent possession de votre esprit, princesse. Vous devez apprendre à vous barricader. A garder vos pensées en vous. »

La scène changea de nouveau. Léana se retrouva dans une chambre aux meubles anciens. Elle mit quelques temps avant de reconnaître la chambre d’hôtel à Tirinem. Pourquoi Ian l’avait-il amenée ici ?

« Si vous me laissez faire, je verrai tout. Si vous les laissez faire, ils s’empareront de votre âme, et la réduiront en lambeaux. Ils sont capables de vous pousser au désespoir. »

Des pas retentirent dans l’escalier. On frappa à la porte et Morgan entra. Léana sentit son cœur bondir. Elle savait ce qui allait se passer. Elle fut tentée de laisser la scène se reproduire, pour se retrouver de nouveau dans la chaleur des bras du jeune homme. Mais elle croisa le regard de Ian, posté près de la porte. Il avait un sourcil haussé.

Il était hors de question qu’elle le laisse assister à la scène. Alors cette fois, au lieu de le repousser, elle inspira profondément. Elle s’extirpa du souvenir. Songea à la plaine du charme. Ça fonctionna : elle s’y retrouva, Ian face à elle. Sa porte était grande ouverte, dans son dos. Léana recula d’un pas et la claqua.

Elle ouvrit les yeux dans le bureau du roi, le cœur battant la chamade et les larmes coulant sur ses joues.

« Princesse ? »

Lorene était accroupie près d’elle, l’air inquiet.

« Tout va bien ? »

Ian la fixait calmement.

« Pourquoi faites-vous ça ? demanda-t-elle d’une voix faible. Vous…

− Je dois vous montrer ce que vous risquez, princesse. Sinon, vous ne chercherez jamais à vous protéger. »

Lorene se releva et mit les poings sur ses hanches.

« Dois-je m’inquiéter, Ian ? Le petit Kelenit…

− L’enfant a dû être harcelé pendant des semaines, répondit Ian. Je vous l’ai déjà dit : s’il a voulu en finir, c’est qu’on a vraiment joué sur ses plus grosses frayeurs. Le roi veut que je forme la princesse, Lorene. Et c’est ainsi qu’elle doit être formée. Vous n’avez pas à vous inquiéter : Léana sait à présent fermer ses portes. »

Il regarda la princesse.

« Ou, du moins, elle va s’entraîner jusqu’à y arriver. Et quand ça sera le cas, personne ne pourra s’emparer de son esprit. »

Il fit une pause et soupira.

« Et dans le pire des cas, il suffit de boire de l’aria pour être protégé. »

Léana baissa les yeux sur ses mains. Elle était fâchée contre Ian, vexée qu’il l’ait ainsi mise à nue, pour la deuxième fois. Mais il avait raison : elle devait apprendre à fermer son esprit. Qu’il soit malintentionné ou non, ces exercices étaient en effet un bon moyen d’apprendre à se défendre. Elle releva les yeux vers lui, déterminée.

« On recommence. »

 

Ils s’entraînèrent toute la matinée : Ian pénétrait de force dans l’esprit de Léana, qui devait l’en chasser. Au bout de deux heures, elle arrivait à le faire ressortir et à claquer la porte, mais il revenait aussitôt sans aucun problème.

La princesse était désespérée. Ian lui expliqua que réussir à se protéger d’une véritable intrusion était difficile. C’était déjà une bonne chose qu’elle parvienne à cloîtrer ses pensées en elle, ne les dévoilant pas à tous les charmés de passage.

Il lui donna de l’aria puis l’envoya se reposer. Ils ne se reverraient pas avant deux jours, afin que son esprit prenne du repos. Léana retourna à sa chambre et s’endormit dès qu’elle toucha son oreiller.

Rô ne la réveilla pas pour le déjeuner, mais lui fit monter un plateau qu’elle dévora à son réveil. La princesse rejoignit ensuite Louis pour son premier cours de l’après-midi. Il lui transmit son emploi du temps. Comme il le lui avait expliqué, ses après-midis seraient consacrées aux cours. Un dîner devait avoir lieu la semaine suivante avec les seigneurs, afin de réaliser enfin l’intégration de la princesse à la cour.

Elle eut ensuite droit à un cours de géographie, puis d’économie. Alors que le premier la fascina, le second l’ennuya profondément. Elle attendit le dîner avec anxiété. Elle savait qu’elle y croiserait Morgan et Teyib, qu’elle devrait faire face à la cour. Elle aurait préféré se terrer dans sa chambre, mais le roi lui avait fait savoir qu’il dînerait avec elle dans la Salle aux Cheminées. Elle n’avait donc pas d’autre choix que d’affronter les ragots.

 

A sa grande surprise, Teyib vint la chercher peu avant le dîner. Il l’attendait, appuyé sur le mur face à sa chambre.

« Teyib ! s’exclama-t-elle. Je ne vous attendais pas. Je croyais que Rebecca serait là. »

Elle regarda autour d’elle, cherchant machinalement la jeune femme rousse. Mais il était clair qu’ils s’étaient mis d’accord sur la personne qui irait chercher Léana.

« Ce n’est que moi, j’en suis désolé, sourit le jeune noble. Puis-je vous accompagner au dîner, princesse ? 

− Bien sûr. »

Léana ne pouvait pas refuser. Elle prit le bras que lui tendait Teyib, un peu gênée.

« Je tenais à vous dire que je suis désolé, pour le baiser. Je ne voulais pas vous brusquer. Si vous ne désirez pas que nous continuions, je m’y résoudrai. Néanmoins, j’aimerais pouvoir rester votre ami. »

Elle le regarda, légèrement déroutée. Il était vraiment différent des autres nobles qu’elle avait croisés.

« D’accord, bien sûr, accepta-t-elle. J’ai été un peu surprise, effectivement. Mais je ne vous en veux pas. »

Pourtant, lorsqu’ils parvinrent aux couloirs principaux et se joignirent au flux de nobles qui allaient manger, elle sentit que c’était un mensonge. Son ventre se liquéfia, alors que tous les regards se posaient sur eux. Elle savait ce qu’ils devaient tous penser. Elle voulut retirer sa main du bras du jeune homme, mais il l’arrêta doucement.

« Ce serait pire si vous vous écartiez maintenant, princesse », lui murmura-t-il à l’oreille.

Les regards les suivirent jusqu’à l’estrade royale, où Teyib la lâcha enfin. Elle tremblait comme une feuille et n’avait qu’une envie : partir en courant. Ou se lever face à toute cette foule et leur dire d’aller voir ailleurs s’ils n’avaient pas quelqu’un de plus intéressant à fixer. Elle s’assit à côté du roi, qui lui souriait.

« Je vois que tu es bien accompagnée, remarqua-t-il. J’en suis très heureux. Tu es ravissante, ce soir. »

Léana le remercia. Son regard parcourut les tablées des nobles. Elle tomba sur les yeux sombres, furieux, de Mia. La jeune femme la fixait. Elle était seule : Morgan n’était nulle part en vue. Léana détourna le regard, mal à l’aise.

« Je tenais à te voir ce soir pour t’annoncer une nouvelle, commença Phelps. Demain, Nelan O’reissan va passer à la cour. Il y vient très souvent pour des affaires personnelles. Il va rester quelques jours, et sera accompagné de sa suite. Essaye de les éviter, tu veux ? »

Léana hocha la tête.

« Avec plaisir. De quel genre d’affaires parlez-vous ?

− Oh, Nelan fait un peu de commerce. Il possède des boutiques dans Kaltane et vient pour voir comment vont ses affaires. C’est quelque chose qu’il apprécie beaucoup. Il aurait dû laisser tomber tout ça en devenant roi. C’est pour cela que je pense que nous n’avons plus de souci à nous. Fais tout de même attention, et ne t’éloigne pas du palais sans ton garde.

− D’accord. J’aimerais quand même aller visiter Kaltane, ces prochains jours. »

Le roi hocha la tête.

« Bien sûr. Tu préviendras Lorene, elle te donnera une escorte. »

Léana se servit du rôti et des pommes de terre noyées dans la sauce. Discuter avec son grand-père lui avait redonné son appétit. A sa droite se trouvait Jazimir, l’intendant du roi. Léana lui sourit, toujours aussi fascinée par ses yeux verts-dorés. C’était un homme extrêmement discret : elle ne l’avait vue que très rarement depuis qu’elle était au château. Et pourtant, elle savait qu’il avait l’autorité suffisante pour diriger tout le personnel du palais.

C’est en reposant son regard sur les tables qu’elle le vit. Morgan pénétrait dans la Salle aux Cheminées. Il était trop loin pour que leurs regards se croisent, mais elle constata qu’il regardait dans sa direction.

Il rejoignit Mia. Celle-ci ne se tourna pas vers lui. Morgan lui mit la main sur l’épaule et elle se raidit, avant de s’écarter. Le jeune homme lança un regard gêné aux alentours. Puis il se pencha et murmura quelque chose à l’oreille de sa fiancée, qui se leva brusquement. Ils s’en allèrent tous les deux, suivis par les regards des nobles qui les entouraient. Que leur arrivait-il ? Léana sentit son ventre se nouer de nouveau.

« J’espère qu’ils vont se réconcilier, fit le roi, qui avait aussi suivi la scène. Ils sont bientôt censés se marier. »

Léana tressaillit.

« Bientôt ?

− Ça fait presque un an qu’ils sont fiancés. Avec la mission de Morgan en France, le mariage a dû être repoussé. Mais maintenant qu’il est revenu et que tu te débrouilles seule, ils peuvent enfin le faire. J’en parlerai à Morgan.

− Pourquoi ? »

Il la regarda, surpris.

« Je veux dire, euh… vous parlez de leurs relations amoureuses avec tous vos nobles ? »

Le roi se mit à rire.

« Bien sûr que non. Mais j’ai un entretien avec Morgan demain, à propos de ses missions, alors je lui en parlerai. A vrai dire, j’ai suivi cette relation depuis le début. Mia O’lumine était très convoitée quand elle est arrivée à la cour, il y a quatre ans. Il y a eu des bagarres entre certains nobles. La vie n’est pas toujours rose à la cour, mais je crois que cette pauvre fille en a vu de toutes les couleurs. Je lui en avais parlé, d’ailleurs, après une dispute qui avait mal tourné entre deux de ses prétendants. »

Il grimaça.

« Elle était bouleversée par l’évènement et s’est répandue en excuses, comme si elle était responsable de la bêtise de ces hommes. Quelques jours plus tard, elle s’est reprise. Elle a déclaré à toute la cour qu’elle était intéressée par Morgan O’toranski et qu’il était inutile de continuer à se battre pour elle. Je crois que Morgan a été le plus surpris d’entre tous. Ils étaient amis, mais il ne faisait pas partie de ses prétendants. De ce que je sais, il a mis quelques temps avant d’accepter. Je suis ravi qu’il ait pris cette décision : ils forment un très beau couple. »

Léana se tourna vers la porte derrière laquelle Morgan et Mia avaient disparu. Elle était secouée par les paroles du roi. Morgan avait-il un jour réellement aimé la femme à qui il était fiancé ?

« Que se serait-il passé s’il avait refusé ?

− Disons qu’il n’était pas en position de refuser. Mais ça ne l’engageait à rien, tu sais. Il n’était pas obligé de la demander en mariage. »

Elle comprit qu’elle avait sa réponse : oui, Morgan avait dû aimer Mia. Sinon, pourquoi vouloir l’épouser ? Elle poussa un léger soupir. Les règles de la cour étaient bien difficiles à comprendre.

 

Elle rejoignit Teyib, Rebecca et Caume dans un petit salon après le dîner. C’était la première fois que Léana y venait, mais elle apprécia tout de suite l’ambiance. De jeunes nobles y jouaient aux cartes et à un jeu étrange avec des cailloux. D’autres discutaient simplement, certains buvaient. Le sol était couvert de tapis niumban, des pièces de tissu résistantes et surtout très colorées. Des tables étaient installées, ainsi que des fauteuils et des canapés à l’air moelleux.

Lorsqu’ils pénétrèrent dans la pièce, des yeux se tournèrent vers eux. Certains nobles échangèrent des regards gênés. Seuls trois d’entre eux se levèrent pour saluer la princesse. Teyib entraîna rapidement ses amis vers un coin de la salle, pour éviter d’augmenter le malaise.

« Je suis désolé, princesse, soupira le niumba.

− Ce n’est pas votre faute. »

Léana s’installa face à la salle. Elle aperçut O’sitel, assis non loin de là. Leurs regards se croisèrent. Le jeune noble la fixa, le visage sombre, puis se leva et s’en fut. La femme qui lui tenait compagnie le suivit avec de multiples coups d’œil à Léana.

Les aéliens lui apprirent à jouer au fameux jeu avec les pierres, qui reposait principalement sur le hasard. Elle venait de gagner une manche lorsque Jay O’freme pénétra dans la pièce, suivi des sœurs O’kom et d’autres jeunes nobles. Il regarda leur petit groupe, puis prononça quelques mots qui firent rire son entourage. Il sourit à Léana.

« Je vois que vous tentez de vous intégrer, princesse. Bon courage. »

Il s’inclina à moitié, puis tourna les talons avant que Léana ait pu réagir. Son départ créa un silence dans la salle. La princesse vit quelques nobles attablés échanger des regards, puis finir par se lever et quitter la pièce.

Teyib se redressa alors. Il surprit Léana en déclarant d’une voix forte :

« Pour ceux que ça intéresse, la princesse serait ravie de vous accueillir à sa table pour faire plus ample connaissance. »

Il se rassit et sourit à Léana. Celle-ci s’attendait à ce que tout le monde s’en aille, mais elle vit avec stupeur quelques nobles s’approcher. Parmi eux se trouvait l’un des nobles qui avait suivi O’sitel, lorsqu’il avait insulté Léana. Il s’inclina.

« Princesse Léana. Si vous nous l’autorisez, dame Lore et moi-même serions ravis de nous joindre à vous.

− Bien sûr, répondit Léana avec un sourire. Ce serait avec plaisir. »

Elle reconnut la jeune femme blonde : elle faisait partie des enfants du Soulèvement que le roi lui avait indiqués. Elle ne lui en parla pas : c’était le moment de se sociabiliser, d’avoir l’air normale. Trois autres nobles rejoignirent leur table.

Ils jouèrent aux cartes dans une ambiance bon enfant, tout en discutant des histoires de la cour. Aucun ne fit mention du baiser entre Teyib et Léana, mais Morgan n’échappa pas aux ragots. Léana se crispa légèrement quand Lore prononça son nom.

« … de la tension, disait-elle. Morgan et Mia ont l’air d’avoir mis le nez dans un nid de paitards.

− Ne vous a-t-elle rien dit ? interrogea Rebecca. Je pensais que vous étiez amies.

− Mia préférerait mourir que d’avouer que son couple a des problèmes. »

Comme si elle avait entendu son nom, Mia fit soudain irruption dans la pièce. Son regard croisa aussitôt celui de Léana, qui frémit. La jeune femme hésita un instant. Mais Lore aussi l’avait vue, et elle l’interpella :

« Mia, viens avec nous ! »

Mia pénétra dans la pièce. Morgan la suivait. Il se figea lorsqu’il avisa leur petit groupe. Léana jeta un coup d’œil vers Teyib. Celui-ci se pencha vers elle et lui murmura à l’oreille :

« Voulez-vous partir ? »

Mia était déjà en train de s’installer sur une chaise. Morgan la suivit lentement. Léana secoua la tête.

« Non », marmonna-t-elle.

Lore tourna un regard ravi vers les fiancés. Ses courts cheveux volaient autour de sa tête.

« Alors, ce tailleur ?

− Des mains d’ange. Le costume de Morgan, en particulier, sera somptueux. »

La voix de Mia était légèrement mielleuse. Léana sentit ses poils se hérisser. Elle regarda le jeune homme, mais il évitait son regard.

« Un costume ? demanda-t-elle d’une voix qu’elle espérait égale.

− Pour le mariage. Il devrait avoir lieu dans un mois.

− Déjà ! s’exclama Caume. Ça va vite arriver.

− Nous avons décidé qu’il ne servait à rien de le retarder davantage. »

Mia posa son regard sur Léana, qui le soutint. Toute trace d’amitié avait disparu de ces yeux sombres. Était-ce du défi, que Léana y lisait ?

« Votre sortie précipitée de table a fait parler, déclara Lore en baissant la voix.

− Tout va bien, rétorqua Mia. Pas vrai, mon amour ? »

Elle saisit la main de Morgan. Le jeune homme lui sourit.

« Tout à fait. »

Léana sentit son cœur rater un battement. Sa gorge se noua. Elle dut poser ses mains sur ses genoux pour éviter qu’elles ne tremblent.

Teyib glissa discrètement sa main sur la sienne.

« Mais vous deux ! s’exclama Mia. Je dois avouer que vous nous avez tous surpris, princesse. »

Léana se força à lever les yeux vers elle. Son regard croisa celui, noir, de Morgan. La chaleur envahit sa gorge, son ventre, ses joues.

Le soulagement l’envahit lorsque Teyib s’exclama :

« Et O’morane et la fille d’écurie, vous en avez entendu parler ?

− Oui ! s’exclama Rebecca. Apparemment, ils l’auraient fait dans une stalle, derrière un cheval ! Pouah ! »

Une conversation enjouée sur le sujet s’entama aussitôt. Léana regarda de nouveau Morgan. Un frisson la parcourut quand elle constata qu’il la fixait. Elle était incapable de lire à travers ce regard émeraude.

Brusquement, le jeune homme se leva.

« Excusez-moi, dit-il. Je viens de me souvenir que Louis m’avait demandé de le retrouver.

− Morgan ! protesta Mia. Je croyais que…

− Désolé. A plus tard. »

Elle leva la tête vers lui, s’attendant clairement à ce qu’il l’embrasse. Le jeune homme se tourna vers Léana et s’inclina rapidement.

« Princesse. Bonne soirée. »

Léana eut à peine le temps d’ouvrir la bouche qu’il s’était déjà retourné et s’en allait. Mia paraissait furieuse.

« Que lui arrive-t-il ? demanda Rebecca.

− Il est tout le temps « occupé », en ce moment. Je le vois presque aussi peu que quand il était dans l’autre monde. »

Elle lança un regard accusateur à Léana.

« Il exagère, gronda Lore.

− Peu importe. Je vais aller me coucher. »

La jeune femme se leva et sortit à son tour de la pièce. Léana se remit à respirer correctement.

Que venait-il donc de se passer ?

 

Le lendemain matin, Léana se réveilla tôt. Elle décida d’aller chercher ses amis pour une sortie dans les jardins. Elle se rendit à l’aile des nobles, escortée de Ciandre. Le garde la laissa pénétrer seule dans le bâtiment. Elle fut de nouveau époustouflée par la beauté du marbre blanc et des statues qui ornaient le hall.

Alors qu’elle tournait sur elle-même, elle entendit des éclats de voix en provenance d’un petit salon. Elle allait s’éloigner quand elle reconnut le timbre de Morgan. Le cœur battant, elle hésita une micro-seconde.

Elle finit par s’approcher de la pièce et y glissa un œil. C’était une petite salle de jeux. Morgan était assis sur un canapé, un plateau de petit-déjeuner devant lui. Mia se tenait debout, les bras croisés. Elle semblait furieuse.

« Je te dis que j’ai rendez-vous avec le roi. J’ai des devoirs, Mia, tu te rappelles ?

− Faire des yeux doux à la princesse, c’est ça que tu appelles un devoir ? »

Le jeune homme eut l’air excédé.

« On en a déjà discuté cent fois. Léana est avec Teyib Da’tenille, au cas où tu n’aurais pas remarqué. Et je suis désolé, oui, je suis un homme, mes yeux se perdent parfois quand je vois une jolie fille.

− Tes yeux devraient se perdre uniquement sur ta fiancée ! » rétorqua la jeune femme d’une voix aiguë.

Morgan se leva.

« Je n’ai jamais voulu tout ça », répondit-il d’une voix sombre avec un geste de main englobant Mia et la pièce.

Puis il s’éloigna vers une porte dans le fond du salon, laissant son petit-déjeuner et sa fiancée en plan. Léana se dépêcha de ressortir de l’aile de nobles, avant que Mia ne la surprenne dans le hall. Elle était chamboulée. Que signifiait cette dispute ? Et les derniers mots du jeune homme ? Parlait-il du mariage ?

« Vous n’avez pas trouvé vos amis ? l’interrogea Ciandre alors qu’elle s’éloignait à grands pas.

− Euh, ils n’étaient pas là. J’enverrai un page les chercher. »

Elle ignora s’il la crut, mais il ne fit aucune remarque. Alors qu’ils traversaient la cour principale, Léana vit un attroupement près de l’entrée. Elle crut que c’était dû au marché, mais elle fut vite détrompée lorsqu’on l’appela.

« Princesse Léana ! Quel plaisir de vous voir. »

La voix de Nelan O’reissan la fit frissonner. L’homme sortit du groupe de nobles. Il fit quelques pas vers elle. Une femme était accrochée à son bras, la même que lors de leur dernière rencontre.

« C’est donc vrai, vous êtes de retour. Je suppose qu’une vie de reine ne se refuse pas. »

Nelan était richement vêtu d’un pourpoint rouge brodé d’or. Il lui sourit, mais elle ne fut pas dupe.

« J’entends nombre de rumeurs sur vous, dans mon domaine, mais j’ignore lesquelles sont vraies. Certaines disent que vous avez failli vous faire tuer en Serre, d’autre prétendent que vous y avez trouvé la bénédiction du Seigneur O’trakla. Connaissant Achille et le passé qu’il a avec les O’legan, j’avoue que j’ai du mal à le croire. Et connaissant le caractère de votre père, qu’il vous a apparemment légué, je trouve cette idée tout bonnement ridicule. »

Il y eut quelques approbations derrière lui.

« C’est vrai, continua O’reissan d’une voix plus forte. Jack O’legan avait le don de se faire haïr. J’espère qu’il ne vous a pas transmis ce pouvoir, princesse Léana, sinon vous repartirez bien vite pleurnicher dans les jupes de votre mère. »

La foule se mit à rire. Léana regarda autour d’elle : personne ne semblait vouloir l’aider, prendre son parti. Ciandre, désolé, ne pouvait rien dire pour elle. La colère envahit la jeune fille.

Elle fut tentée d’y céder, mais savait que ça n’atteindrait pas cet homme. Elle redressa donc le menton et afficha un magnifique sourire sur son visage.

« Quelle charmante salutation, seigneur O’reissan ! Je trouve qu’elle sied parfaitement à votre réputation. Je n’ai pas entendu grand-chose à votre propos, mais je constate que le peu que je sais est vrai. Vous vous permettez de me provoquer parce que vos courtisans vous soutiennent. Mais je me demande ce qui se passera lorsque c’est moi, qu’ils suivront. »

Elle parcourut la foule du regard et croisa le regard vert de Morgan. Son cœur fit un bond. Il ne fit pas un geste pour intervenir, mais elle n’en avait pas besoin. Son regard suffisait pour lui redonner confiance en elle.

« J’espère que vos affaires seront bonnes, conclut Léana noblement. Je suppose que nous nous reverrons au déjeuner. »

Elle inclina la tête. O’reissan n’eut d’autre choix que de s’incliner, à moins de vouloir s’afficher publiquement comme irrespectueux. Il paraissait surpris de sa réaction. Satisfaite, Léana leur tourna le dos et pénétra dans le château.

« Vous êtes impressionnante, princesse, s’exclama Ciandre d’une voix ravie. Vous vous en êtes sortie comme une reine. Il est rare que Nelan O’reissan ait le bec cloué.

− Il était temps qu’il comprenne qui je suis vraiment, répondit Léana. Je ne peux pas les laisser se moquer de moi pour toujours. »

En prononçant ces mots, elle se rendait compte qu’elle y croyait vraiment. Oui, elle réussirait à se faire accepter par la cour, à leur faire oublier qu’elle était la fille du prince Jack.

Elle avait à peine pénétré dans sa chambre qu’on frappa à la porte. Rô étant partie à la laverie, Léana alla ouvrir.

Elle se retrouva nez-à-nez avec Morgan.

« Oh, murmura-t-elle. Salut.

− Salut. Je peux entrer ? Je voudrais te parler. »

Elle s’écarta pour le laisser passer. Son parfum de bruyère la saisit. Le jeune homme s’arrêta au milieu de sa chambre, fit lentement un tour sur lui-même. Elle se souvint qu’il n’y était jamais venu. Un silence embarrassé s’installa, jusqu’à ce qu’il la regarde enfin.

« Tu as très bien réagi, avec O’reissan. Je savais que tu arriverais à prendre sur toi. Bravo.

− On m’a bien conseillée », répondit-elle doucement.

Alors qu’il avait l’air agité, elle se sentait étonnamment calme. Elle était contente de pouvoir enfin lui parler, en privé. Morgan hocha la tête, mais ne sourit pas.

« Alors, Da’tenille et toi ? Je suppose que des félicitations s’imposent. »

Léana secoua la tête.

« Je ne suis pas avec Teyib. Il m’a embrassée, oui, mais on est seulement amis. »

Les yeux verts de Morgan semblèrent s’éclairer.

« C’est vrai ? » demanda-t-il, la voix rauque.

Elle hocha la tête, puis demanda :

« C’est pour ça que tu as demandé à Louis de te remplacer, pour notre cours ?

− Oui, avoua-t-il.

− Et hier soir…

− C’était trop, de vous voir tous les deux. J’ai cru que j’allais exploser. »

Il y eut un moment de silence, puis Léana déclara :

« Je t’ai entendu te disputer avec Mia, tout à l’heure. Je suis désolée que vous soyez fâchés à cause de moi. »

Il soupira.

« Ce n’est pas ta faute. Enfin, pas seulement. Mia est… extrêmement possessive. Elle me fait cette scène à chaque fois que je pose les yeux sur une fille.

− Alors ce n’est pas parce que tu es intéressé par moi ? »

Elle s’en voulut de sentir une pointe de déception dans sa voix. Morgan lui sourit enfin, avant de murmurer :

« Oh, Léana. Bien sûr que si. »

Il semblait vraiment le penser. Elle garda les yeux sur lui.

« Et le mariage, alors ? Je ne veux pas briser ton couple, Morgan. Vous avez acheté vos tenues ! Mia était très énervée, quand tu es parti hier. Vous vous mariez dans un mois ! »

Il eut l’air choqué, et secoua la tête.

« Je… écoute, les choses se sont… précipitées. Je…

− Tu l’aimes ? »

Il n’hésita pas un seul instant.

« Non. Je ne l’aime pas, Léana.

− Alors pourquoi vas-tu l’épouser ? Le roi m’a raconté comment vous vous êtes mis en couple, comment Mia a déclaré à toute la cour que c’était toi qu’elle voulait, pour calmer les guerres entre ses prétendants. Il m’a dit que tu avais été… surpris.

− Je ne l’ai jamais vraiment aimée. A cette époque, j’étais plongé dans l’étude de ton monde, et je… je me fichais des femmes. J’ai été flatté par sa déclaration, bien sûr, et je l’aimais bien, mais… il n’y a jamais eu de flamme. »

Il s’approcha et lui saisit les mains sans prévenir. Elle sentit tout son corps s’embraser, son cœur se mit à battre la chamade.

« Pas comme avec toi, murmura-t-il.

− Alors pourquoi l’avoir demandée en mariage ? Pourquoi t’être fiancé ? »

Il la lâcha, l’air triste.

« Je n’ai pas vraiment eu le choix. Elle m’avait fait sa proposition, et je… le mieux était que j’accepte. »

Léana mit quelques temps à comprendre.

« Le mieux ? Le mieux pour qui ? »

Il eut soudain l’air mal à l’aise.

« Écoute, c’est très compliqué.

− Je ne vois pas ce qui est compliqué. Tu voulais l’épouser, oui ou non ?

− Non, avoua-t-il.

− Alors qui t’a forcé à le faire ? »

Il la regarda, le regard suppliant.

« On ne m’a pas forcé. Disons que… qu’il était plus convenable que je le fasse. Mia aurait fait un scandale, il y aurait eu de nombreux problèmes, de nouveau, à la cour. Et puis, c’était une opportunité pour moi, d’épouser une femme d’une vraie noblesse. »

Alors elle comprit. La fureur l’envahit.

« C’est le roi ? C’est lui qui t’a dit d’accepter ? »

Morgan se mordit la lèvre.

« Et toi, comme un bon petit chien, tu as obéi ? Tu fais tout ce qu’il te demande, pas vrai ? Morgan, épouse cette femme que tu n’aimes pas. Morgan, va dans l’autre monde, mais je ne t’explique pas pourquoi. Morgan, ramène la princesse, et protège-la, surtout, même si tu dois mourir ! »

Elle avait crié ces derniers mots. Elle n’arrivait pas à croire qu’il se laisse faire.

« Tu ne comprends pas, se défendit le jeune homme. C’est comme ça que ça marche, Léana ! Si je veux ma place au palais, je dois faire ce que mon roi m’ordonne. Ça a toujours été comme ça. Phelps Tan’O’legan m’a donné ma noblesse, je lui suis redevable.

− Je n’accepterai jamais qu’il me force à épouser un homme que je ne veux pas. Et tu ne devrais pas non plus ! »

Il secoua lentement la tête.

« Je n’ai pas le choix.

− Alors va-t’en. »

Elle s’écarta et lui montra la porte, tremblante de rage.

« Autant réparer les choses avec elle, non ? Pourquoi es-tu venu me voir, Morgan ? Pourquoi me faire des avances, puisque de toute façon ce sera elle, que tu choisiras ? »

Il avait l’air désespéré. Léana s’approcha de lui et s’arrêta à quelques centimètres de son visage.

« Hein ? insista-t-elle d’une voix suppliante. Si tu ne comptes pas te soulever contre ce mariage, alors pourquoi es-tu encore ici ? »

Elle s’apprêtait à se retourner, mais il lui saisit le bras et l’attira à lui. Elle croisa son regard brûlant juste avant qu’il ne se penche pour l’embrasser.

 

C’était bien plus doux qu’elle ne se l’était imaginé. Elle sentit son corps entier s’embraser, s’envoler, emporté par la passion et un bonheur pur. Le baiser était à la fois tendre et fasciné. Morgan finit par s’écarter pour reprendre son souffle, un sourire rayonnant sur le visage. Il posa son front contre celui de Léana.

« Parce que je t’aime, fit-il d’une voix rauque. Et que je ne supporte pas d’être loin de toi. »

Elle se mit à rire, sans pouvoir s’en empêcher. Il la regarda, surpris.

« Tu es un imbécile, Morgan, déclara-t-elle d’une voix joyeuse. Mais je suis ravi que tu le sois. »

Elle l’embrassa de nouveau, passa ses bras autour des épaules du garçon. Il la serra contre lui, fort, comme s’il craignait qu’elle s’échappe.

Léana ignorait combien de temps s’était écoulé lorsque la porte s’ouvrit à la volée.

« O'toranski, éloignez-vous de la Princesse Léana. »

La magie du moment disparut. Ils furent brutalement ramenés à la réalité. Le roi Phelps se tenait dans l’entrée, encadré par deux soldats. Morgan s’écarta de Léana d’un bond, mais celle-ci se tourna vers le roi.

« Je connais ce regard, siffla le roi. Épargne tes mots, Léana. Ce n’est pas à toi que je vais m’adresser. »

Il dévisagea Morgan. Celui-ci se tenait droit, le regard baissé vers le sol.

« Morgan O’toranski, je vous avais ordonné de vous comporter avec la princesse de la manière qui sied à vos positions respectives. Vous avez désobéi, de votre plein gré. Pour cela, vous serez envoyé un mois dans la prison de Jeme'tarene. »

Morgan inclina la tête. Léana comprit alors, en le voyant se soumettre ainsi, qu’il ne se défendrait pas. Le roi contrôlait sa vie.

« Je vous en prie, intervint-elle d’une voix qu’elle tentait de maîtriser. C’est moi qui l’ai embrassé, Sire. Morgan ne le voulait pas. »

Le roi la regarda et secoua la tête.

« Je sais que c’est faux, Léana.

− Comment avez-vous su ? osa demander Morgan.

− Tu sais que rien n’est secret, dans ce château », répondit le roi d’une voix calme.

Ils échangèrent un regard. Un message muet sembla passer entre eux.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Léana tremblait de fureur.

« Pourquoi êtes-vous là ?

− Je venais te voir, fit simplement le roi. Je suis tombé au bon moment. Emmenez-le », ordonna-t-il aux gardes.

Mais Léana bondit en avant, se plaçant face à Morgan.

« Non ! cria-t-elle en français.

− Léana, murmura Morgan d’une voix paniquée. Ne fais pas de bêtise…

− Ou quoi ? Vous allez m’envoyer en prison, moi aussi ? »

Léana foudroya le roi du regard. Le vieil homme la toisait, les bras croisés. Les soldats attendaient leurs ordres, l’air aussi neutre que s’ils avaient été de simples statues.

« Ou bien vous pouvez m’envoyer en exil, comme mon père, me renvoyer chez moi ! Vous savez quoi, c’est peut-être une bonne idée. Là-bas, au moins, personne ne décide de ma vie sexuelle ! »

Le roi semblait hors de lui, les joues rouges et les yeux brillants de colère.

« Tu ne peux pas me faire de menaces ainsi, Léana, rugit-il en français. Tu t’es engagée dans ce monde, tu ne peux pas revenir en arrière. Tu savais ce que tu acceptais quand tu as décidé de suivre Morgan en Aélie.

− Non, je ne le savais pas, rétorqua-t-elle. Je pensais que les gens pouvaient choisir qui ils aimaient. Je pensais que votre mentalité était évoluée, presque plus que dans mon monde. Je me suis foutrement trompée.

− Tu ne te rends donc pas compte de ce que provoquerait votre relation ? Outre le fait que Morgan est fiancé, et que rompre un tel serment est considéré comme un sacrilège ; et si on oublie le fait que Mia est une femme qui a de l’influence sur la cour ; la relation de la princesse et d’un noble comme Morgan ne serait jamais acceptée. »

Léana le dévisagea. Elle tremblait sous le coup de la colère.

« Pourquoi ? Morgan est un vrai noble, c’est un O’toranski. Teyib Da’tenille a été anobli.

− J’ai grandi à Garôn, expliqua Morgan d’une voix plate. Je ne suis rien, Léana, même pas l’ombre d’un noble.

− Il dit vrai, siffla le roi. J’ai rendu à Morgan sa liberté et sa noblesse, malgré la trahison de ses parents. »

Ils se regardèrent de nouveau. La jeune fille perçut clairement l’autorité qu’imposait le roi sur Morgan. Alors, sous les yeux ébahis de Léana, ce dernier s’agenouilla.

« Je ne suis rien, sans vous, mon roi, déclara-t-il. Je vous prie de m’excuser pour cet égarement. J’assumerai les conséquences de mes actes, je purgerai la peine que vous m’imposerez. Je suis votre fidèle serviteur, roi Tan’O’legan. »

Léana n’avait plus de mots. Elle ne comprenait pas ce qui se passait devant ses yeux. Pourquoi Morgan acceptait-il de se soumettre ainsi ? Ne pouvait-il pas quitter la cour, s’il le souhaitait, et aller vivre sa vie dans une des autres régions ? Pourquoi avait-il l’air de croire réellement qu’il devait sa vie au roi ?

« Emmenez-le », ordonna Phelps alors que Morgan se relevait.

Les soldats s’approchèrent, empoignèrent le jeune homme. Celui-ci ne lança pas de dernier regard à Léana. Cela la blessa bien plus que sa soumission.

« C’est le prix à payer pour être la fille de Jack, Léana, conclut le roi d’une voix dure. Tu as accepté d’assumer la suite de ton père. Tu ne peux pas revenir en arrière. »

Il sortit, la laissant seule, dévastée.

 

Léana dormait. Son sommeil était perturbé de pensées douloureuses. Les souvenirs qu’avait fait remonter Ian ces derniers jours se mêlaient à sa douleur face au départ de Morgan. Alors que l’effet de l’aria qu’elle avait pris la veille s’estompait, elle sentit la présence inquiète de Ian à ses côtés.

Princesse…

Elle ouvrit les yeux et se retrouva allongée dans de l’herbe haute. Le ciel bleu s’étalait au-dessus d’elle, infini, piqueté de nuages blancs. Léana tourna la tête et vit Ian, allongé à côté d’elle. Il observait des oiseaux qui tourbillonnaient, un sourire aux lèvres.

« Voir le ciel me manque, avoua-t-il. J’aimais marcher, avant, vous savez ? Votre père et moi avions l’habitude de sortir une fois par semaine, faire une longue promenade à cheval. Nous venions souvent par ici. »

Il se redressa. Léana l’imita. Ils étaient en haut d’une petite montagne couverte d’arbres. En bas, dans la vallée, s’étalait la ville de Kaltane. Le château paraissait minuscule, vu d’aussi loin.

« Où sommes-nous ?

− A la limite du Nord, là où naissent les montagnes. D’ici, tout parait ridicule. Nous nous allongions à cet endroit précis et nous pouvions oublier tous nos soucis. »

Il la regarda. Léana comprit pourquoi il l’avait amenée ici.

« Je peux m’imposer dans vos pires souvenirs, princesse, mais je peux aussi vous inviter dans les miens. Je sais ce qui vous tracasse. J’ai pensé que vous amener ici vous ferait du bien.

− Le roi n’est pas la personne que je pensais, murmura Léana. Je pensais qu’on se comprenait, mais… je ne l’ai pas reconnu, aujourd’hui.

− Le roi Phelps a de nombreuses responsabilités, princesse. Et veiller à l’honneur de la famille royale en fait partie.

− Mais je l’aime », répondit-elle d’une voix brisée.

Ian l’observa un moment, ne se méprenant pas sur l’objet de sa phrase.

« Parfois, faire son devoir est plus important que de se laisser porter par son amour », fit-il.

Elle perçut alors l’ampleur de sa peine, du chagrin qu’il gardait enfoui tout au fond de lui. Elle se rendit compte qu’elle l’avait déjà senti. Le jour où il l’avait sauvée, quand Kaevin Raye l’avait blessée et qu’elle avait pénétré pour la première fois dans la plaine du charme. Ian l’avait prise dans ses bras pour l’aider à ne pas s’y perdre. Elle l’avait alors senti, son désespoir. Mais elle eut beau réfléchir, elle ne se rappelait pas ce qu’elle avait vu. Ce qu’il avait laissé échapper.

« Ça vous est arrivé », dit-elle.

Il hocha la tête.

« J’ai laissé derrière moi l’amour de ma vie, par fidélité envers mon roi. Et je n’ai jamais regretté mon geste, princesse.

− Pourtant, vous… »

Elle ne finit pas sa phrase. Ils s’étaient brusquement retrouvés dans la plaine du charme. Ian se tenait devant sa porte, les yeux écarquillés.

« Qu’y a-t-il ? » s’inquiéta Léana.

Mais l’homme ne regardait pas vers elle.

« Que faites-vous ici ? Gaele ? » demanda-t-il.

Léana ouvrit la bouche, avant de comprendre qu’il ne lui parlait pas.

« Vous n’avez rien à faire ici. Où est le garde ? »

Ian disparut brusquement. Léana resta seule, surprise. Elle constata que la porte de l’homme était restée entrouverte, alors elle s’en approcha. L’inquiétude la saisit à la gorge, tandis qu’elle faisait un pas dans l’esprit de Ian. Elle vit la prison et la porte de la cellule ouverte. Une femme et deux hommes se tenaient au-dessus de la couchette de Ian.

« Il est hors de question que tu sortes d’ici, Ian », déclara la femme.

Léana sentit que Ian s’apprêtait à parler, mais le poing d’un des hommes le heurta à la mâchoire. La douleur envahit Léana. Elle se redressa brusquement en lâchant un cri. Son cœur battait la chamade, elle haletait. Les agresseurs avaient disparu. Elle était assise dans son lit confortable. En sécurité.

Elle mit quelques secondes à réaliser ce qui venait de se passer.

Ian !

 

FIN DU TOME 1

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Bianca
Posté le 26/07/2023
Coucou,

Brevo pour être arrivée au bout du premier tome. J'ai beaucoup aimé suivre l'histoire de Leana et j'ai hâte de découvrir la suite si jamais tu as prévu de te lancer dans l'écriture du tome 2 :)
MarieSch
Posté le 29/07/2023
Salut Bianca, merci à toi d'avoir lu jusqu'au bout ! :D
Vous lisez