Chapitre 18 — Rencontre numérique

— Gabrielle — 

J-13 dimanche, je suis un peu en déprime. J’ai eu un mail de mon éditeur. Il aime mon livre, mais voudrait changer plusieurs pages qui font partie de mes préférées. Mon petit voyageur de l’espace astral ne peut pas voyager comme il veut si moi je veux espérer l’imprimer un jour. Et comme je ne suis pas une professionnelle, ils ont sans doute raison. Je me sens écrasée par ce mail. Est-ce que j’ai bien fait ? Est-ce que je suis vraiment au niveau ? Qui voudra lire ça ? Soit c’est trop niais soit c’est trop sérieux pour des enfants. J’y ai mis beaucoup de moi et me dire que c’est à jeter aussi simplement pour tout changer c’est blessant. Mais je veux que mon personnage soit imprimé un jour alors je vais devoir me mettre de côté une fois encore. Je n’ai pas fait d’études littéraires et on me le fait gentiment sentir dans le mail.

La tortue s’est enterrée, et il y a un fort vent dehors. Je n’écoute plus les infos pour me préserver de la catastrophe mondiale qui se déverse dans mes oreilles à tout moment.

Du coup, je passe l’après-midi à dessiner dans le salon avec les bonnes vielles méthodes, crayon, papier, sans gomme, malheureusement pour reprendre ces quatre doubles pages un peu tristes. En même temps, qui peut s’attendre à des miracles au bout d’un an à travailler dessus ? C’est le « blues » est-ce que je ne suis pas juste bonne à animer des surfaces de bulles bleues dans une agence qui me sous-paye pour mon boulot ? Mais j’ai adoré ça pendant un an. Je ne vais pas lâcher maintenant. De toute façon je crois que je ne peux pas m’arrêter que ce soit mon esprit encapuchonné dans l’astral ou mon raton laveur dans sa forêt. Omar passe de temps en temps jeter un coup d’œil au-dessus de mon épaule sans rien dire. Je préfère parce que je ne me sens pas très légitime pour le moment.

La journée est dévorée par le temps. J’ai fait ma lessive et ai profité du vent pour l’étendre dehors. On ne fait jamais ça à Paris. Ça sèche pourtant plus vite. Et comme il y avait un caleçon dans mon tas de linge sale je les étendu faisant rempart contre toutes remarques pour mes petites culottes en dentelles noires et rouge à point.

Depuis que je suis confinée, il s’est passé autre chose aussi. Comme je ne vois personne j’ai eu la flemme de m’épiler, je suis chanceuse d’être rousse, mais ça ne me fait pas complètement échapper aux tortures féminines imposées par les goûts patriarcaux d’aujourd’hui. Libérée de ça depuis deux semaines, je fus étonné de penser à reprendre mon allure en prévision d’un simple appel Skype. J’en suis là en manque de contact humain ? À Paris je sors au moins un soir par semaine avec des amies. Je me maquille donc d’un simple trait noir aux bords des yeux et d’un rouge à lèvres, une crème contre les cernes. Je remarque que mes cheveux ont poussé. Mon carré plongeant a plus de mèches folles et est de moins en moins plongeant. Des boucles d’oreilles orientales assez longues qui grelottent d’un son de pluie métallique léger quand je penche la tête. Je me souris dans le miroir redonnant forme à mes sourcils clairs. Étrangement je me trouve belle.

Omar une liseuse dans les mains et plongé dans son texte numérique depuis le milieu de l’après-midi. Ce soir poêlé de légumes, par la fenêtre je regarde le soleil se coucher. Les nuages se teintent de mauve et de rose claire sous les rayons d’or dans le ciel azuré. C’est joli et ça n’a rien de niais. Presque poétique, avec cette touche de beauté naturelle qui n’a rien de féerique. Je coupe les carottes sans quitter le changement de nuances et les nuages qui s’allongent en moutons duveteux en prévision de la nuit.

— Oh ! Merde !! C’est l’heure…

Et ça continue à jurer en courant partout derrière moi. Visiblement, c’est le moment vidéo. Je pouffe discrètement en mettant les pommes de terre dans la casserole avec le chou.

Il manque de se prendre les pieds dans une des chaises du salon alors que le son caractéristique de l’appel Skype retentit. Je le trouve attendrissant avec sa maladresse. Qu’est-ce qu’il ne ferait pas pour sa famille dont je n’ai pas retenu tous les noms. Un si grand gabarit à la peau noire qui pourrait facilement passer pour un videur de casino de mon point de vue qui se courbe et s’adoucit pour toutes les voix qui s’empilent entre les grésillements de la mauvaise connexion. Ils parlent avec tellement d’animation et dans au moins quatre langues différentes que j’ai du mal à suivre sans les images. Cette joyeuse ambiance pétille bien plus que le ciel qui s’est éteint pour des quelques étoiles nocturnes que je voie.

Le repas est prêt, je n’ose pas passer dans le salon. J’aurais l’impression d’être une curiosité et surtout de couper leur conversation. D’autant qu’une fois sur l’image je ne serais pas quand partir ni quand parler, s’effacer encore à cause de ma timidité. Ça m’agace, mais je ne dis rien. Déplace mes esquisses pour les passer aux stylos, bleu faute de noir que je n’ai pas pris avec moi.

— Si, si ma colocataire est là. Bien sûr que je ne l’ai pas terrifié ! Mais puisque je vous dis qu’elle est vivante et… Gaby vient me sauver !!

Je lève le nez surpris qu’il utilise mon surnom, il a l’air en détresse. Ça me donne un peu pitié et ça m’amuse à la fois. Je le rejoins, mais c’est à mis salon que je remarque son regard. Il me dévisage étrangement. Une bouffée de panique me prend et je m’apprête à faire demi-tour. Quoi que ce soit j’ai l’impression qu’il regarde quelqu’un d’autre.

— Tu mens encore à tes sœurs Omar ? Je savais bien que tu étais invivable et…

Comment ça, invivable. Je me retourne à nouvelle marche jusqu’à l’écran, prends l’ordi dans mes bras et réplique avant de réfléchir :

— Il ne m’a pas du tout fait peur.

Avant de pâlir d’un coup. Voilà ma première rencontre avec la famille de mon colocataire. D’autant que je devais juste faire un passage histoire de tuer leur curiosité, pas leur parler. Omar se penche et se rassoit avant de me reprendre sa propriété. Il y a tellement de petites têtes sur l’écran :

— C’est bon tu peux le lâcher Gabrielle.

Ah oui mince. Je pense très fort le pardon, mais il ne sort pas. Lui râle à ma place :

— Et voilà, vous me l’avez terrifié, sœurs indignent franchement je…

— Elle est super mimi dit donc !

— Je suis d’accord, adorable, tu aurais pu le dire Omar.

Elles lui coupent toujours la parole comme ça ? S’ensuivent des remarques en anglais et d’autres dans une langue avec un accent si fort que je ne comprends rien. Je reste fixée, en arrière-plan à suivre un film qui va trop vite pour mon petit cerveau arrêter sur ma maladresse. Je ne me souviens même plus à quoi j’ai répondu sous l’avalanche de questions qui m’a engloutie. Ma vie de famille n’a jamais été aussi vivante et nombreuse à la fois. C’est comme être balancé dans un autre monde, moi fille unique de parents déjà assez vieux à ma naissance et mère célibataire aujourd’hui. La seule chose que je retiens de la soirée c’est qu’ils étaient très bruyants, mais très gentils et je me notais à moi-même d’appeler ma mère.

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