Alexie s’approcha à pas de loup de la porte donnant sur le chambre de Carl. Elle entendait ce dernier parler fort et se disputer avec Viktor. Son père aussi semblait énervé contre l’Allemand. La jeune fille tendit l’oreille.
_ C’est toi qui as poignardé les deux femmes dans la ruelle ?
Carl semblait surpris et irrité. Il n’était donc pas derrière les agressions, en conclut Alexie. Son père intervint.
_ Tu t’en es pris à ma fille ? Mais qu’est-ce qui te passe par la tête, bon sang.
Après plusieurs insultes, l’Allemand réussit à en placer une.
_ Tu m’as demandé de distraire les jumeaux et de leur faire peur pour qu’ils nous amènent la fille. J’ai su mettre un coup de pression, c’est tout.
_ Un coup de pression ? Mais tu réalises ce que tu as fait ? C’est un meurtre et...
_ Chut.
Viktor avait intimé le silence à ses deux interlocuteurs. Alexie n’entendait plus rien. La porte s’ouvrit alors en grand. L’Allemand lui faisait face. Le regard mauvais, il l'entraîna dans la pièce par le bras. Sa poigne était si forte qu’Alexie ne put lui résister et se laissa traîner en se tordant de douleur. Son père, qui était debout, se précipita sur Viktor et lui jeta son poing au visage. L’Allemand, surpris, lâcha le bras d’Alexie qui poussa l’homme afin qu’il perde l’équilibre et qu’il tombe. Elle prit ensuite la main de son père et l’entraîna vers la sortie.
Un bruit d’explosion se fit entendre puis, très rapidement, celui de la chair qui se déchire. Paul lâcha la main de sa fille avant de pousser un râle de douleur. Alexie se retourna, son père était par terre, à genoux. Une flaque écarlate grandissait sur le sol. La jeune femme ne réalisa qu’après avoir vu le pistolet dans la main de Carl. Viktor, toujours par terre, touchant sa lèvre rouge qui enflait, semblait abasourdi. Carl, lui-même, paraissait étonné de son geste. Il lâcha le semi-automatique au sol et se laissa tomber dans le fauteuil derrière lui.
Alexie se précipita sur son père. C’était impossible, pas encore. Tyméo venait de mourir. Son père ne pouvait pas subir le même sort. Elle allongea son père sur le dos et mit sa tête sur ses genoux. Il respirait encore et tenait sa hanche gauche de ses mains. Des filets de sang s’écoulaient entre ses doigts. Des yeux remplis de larmes se posèrent sur la jeune femme.
_ Alexie… Tu es devenue tellement belle, tellement grande. Je suis très fière de la femme que tu es. Je suis désolé de…
_ Papa, non, ne dis pas ça…
Alexie avait les joues trempées de larmes. Paul continua de parler.
_ Je suis désolé de t’avoir embarquée dans tout cela. Tu… Tu avais le droit de vivre ton rêve et je t’en ai voulu de partir. Je ne pouvais pas laisser ma petite fille partir aussi loin et encore moins à New York.
L’homme triste se tourna vers Carl. Il leva un peu sa tête avant de pousser un soupir de douleur.
_ Carl, nous n’étions pas obligés d’en arriver là. Tu… Je suis désolé d’être parti. J’avais une famille, je devais protéger ma fille de toute cette merde. Si j’étais resté, les fédéraux nous auraient retrouvés et nous n’aurions eu aucun moyen de nous en sortir.
_ Paul, nous étions unis. Nous étions une famille. C’était nous ta famille. Tu n’avais pas le droit de partir comme ça. Depuis ce jour, j’ai décidé de me venger. Et quand j’ai su que ta fille venait faire ses études ici, dans mon université, j’ai sauté sur l’occasion, c’était trop beau. En plus de me venger de toi et du mal que tu nous as causé, je pouvais détruire ta soi disant famille. Tu as détruit notre ruche, Paul.
Il cracha ces derniers mots, comme si sa vie avait dépendu de ce groupe d’amis et que Paul avait tout brisé. Ce dernier baissa le regard.
_ Nous étions des étudiants, peut-être un peu trop ambitieux. Je te demande pardon, à toi aussi Viktor.
Celui-ci, qui s’était relevé entre temps, s’assit sur le bord du lit. Il toisa Paul avec un regard froid et haineux.
_ J’ai fait de la tôle. Pendant que tu te la coulais douce en France et que Carl se payait les meilleurs avocats pour y échapper.
Carl lâcha un petit rire.
_ Si tu n’avais pas jeté tout le fric dans l’abus, tu aurais pu te les payer.
Paul avait réussi à s’asseoir. Alexie, qui se sentait impuissante, souleva le pull de son père pour regarder la blessure. Elle semblait peu grave, mais il devait voir un médecin rapidement s’il ne voulait pas se vider de son sang. Alexie remarqua alors une tache noire dans le dos de son père, en se rapprochant elle aperçut les contours d’un vieux tatouage représentant une abeille, semblable à celle de Viktor. La jeune fille passa ce détail et lança un regard implorant vers Carl.
_ S’il vous plaît, laissez-moi appeler les urgences.
_ Impossible. Ils voudront poser des questions, c’est une blessure par balle.
Alexie jeta son regard autour de la pièce, elle se précipita vers le lit où était assis Viktor. Celui-ci se sentit menacé et sortit son couteau de sa botte. Alexie recula par réflexe. Elle remarqua le sang séché sur la lame.
_ Tim…
Elle avait murmuré dans un soupir mais l’Allemand entendit et un sourire malsain se dessina sur son visage.
_ Laissez-moi découper du tissus dans les draps pour arrêter l'hémorragie.
L’Allemand se retira et laissa passer la jeune fille. Elle tira sur le tissu qui se déchira. Avec un morceau elle appuya sur la blessure, ce qui eu pour effet de faire grogner son père. Puis avec un autre, plus long, elle banda le pansement improvisé.
Pendant toute cette opération, Viktor avait rangé son couteau et s’était approché de Carl. Alexie n’entendait pas ce qu’ils se disaient et s’en fichait. Elle soignait son père. Par la porte encore ouverte, elle vit Mathéo approcher. Il lui fit le signe de se taire en mettant un doigt sur sa bouche. Il n’était pas visible pour les deux hommes mais il voulait rester discret. Ses lèvres bougèrent pour former des mots.
_ Je ne sais pas lire sur les lèvres.
Elle avait chuchoté mais son père avait entendu.
_ Quoi ?
Cela attira l’attention de Carl qui surprit le regard de Paul vers la porte. Alexie se leva et ferma la porte rapidement. Intrigué, Carl se dirigea vers la porte et l’ouvrit. Il regarda dans le couloir. Comme Alexie l’espérait, Mathéo avait eu le temps de se cacher. L’homme se tourna vers la jeune femme et son père.
_ Qui était derrière la porte ?
Les deux restèrent silencieux. Il se tourna alors vers son compagnon.
_ Viktor, fouille les chambres.
L’Allemand jura dans sa barbe avant de s’exécuter. Alexie l’entendit ouvrir les portes une par une. La dernière il dut utiliser sa clé pour l’ouvrir. Mathéo s’était enfermé dans la chambre près du corps de son frère. Viktor revint avec le jeune homme par le bras.
_ Il n’y a que lui. Il était dans une chambre fermée.
Carl fit signe à Viktor de le ramener mais Mathéo avait eu le temps de croiser le regard d’Alexie. Cette fois la jeune fille comprit les intentions de son ami. Mathéo profita d’un moment d'inattention lorsque l’Allemand reçut les instructions de Carl pour lui faire un croche pied. Surpris, Viktor s’écroula par terre. Il reprit vite ses esprits et sortit son couteau. Mathéo l’avait prévu, il put alors le désarmer facilement avec un coup de pied dans la main. Il récupéra le couteau et menaça l’Allemand avec.
Pendant ce temps, Alexie s’était jetée sur le pistolet de Carl et tenait ce dernier en joue. Elle n’était pas vraiment sûre de ce qu’elle faisait. L’adrénaline lui donnait cependant un air menaçant. Carl leva les mains en l’air.
_ Alexie, voyons, tu ne sais même pas t’en servir.
La jeune fille répliqua d’une voix froide.
_ Ça ne doit pas être plus compliqué que dans les films.
Et fouillant dans sa mémoire, elle retira la sécurité du semi-automatique et appuya sur la détente en visant le plafond. Comme elle s’y attendait, la force de l’arme la fit reculer mais elle ne montra aucun trouble. Le plafond s'effrita un peu au-dessus du lit. Le regard de Carl était à présent empli de peur. Il leva les mains plus haut, montrant qu’il se rendait.
_ Donnez-moi votre téléphone, Carl.
A ce moment-là, la porte vola en éclat. Plusieurs hommes portant des gilets par-balles entrèrent. Ils étaient environ sept, compta Alexie. Lorsque trois d’entre eux pointèrent leur arme sur elle, elle lâcha la sienne loin d’elle et de Carl avant de lever les mains, le plus rapidement possible. L’homme le plus proche d’elle lui prit les mains et avec violence la menota. Elle entendit alors un bruit de verre qui se brise.
Dans un moment désespéré, Viktor avait échappé à la vigilance des policiers et avait couru vers la fenêtre. Il s’était jeté à travers et avait sauté dans le vide. Plusieurs cris de passant remontèrent vers la fenêtre brisée. Alexie tourna alors son regard vers le centre de la pièce.
_ Papa !
Deux hommes étaient en train de l’évacuer. Mathéo avait les menottes aux poignets lui aussi. Carl parlait avec un policier.
_ Ces jeunes gens ont tiré sur mon ami, Paul. Ils m’ont menacé pour de l’argent. Je ne suis qu’une victime.
Il montra la mallette devant lui. Le policier l’ouvrit, elle était remplie de dollars. Alexie n’en crut pas ses oreilles. Elle se débattit pour se libérer de l’emprise de l’homme mais celui-ci tenait ses menottes fermement. Elle ressentit le métal froid entamer ses poignets. Cela ne l’importait peu.
_ Il ment ! Il ment ! C’est lui que vous devez emmener, pas moi, ni Mathéo. Il ment !
Elle continuait de crier pendant que le policier l’emmenait dans une camionnette de la police de New York. Mathéo fut assis à ses côtés. Il semblait plutôt calme. Il regardait les secours sortirent le corps de son frère sur un brancard, couvert d’un drap blanc. Un peu plus loin, un autre corps était évacué de la même façon. C’était Viktor. Il n’avait pas survécu à la chute.
Alexie pleurait de colère et de peur. Mathéo se rapprocha d’elle. Le regard noir et l’ordre aboyé par le policier, qui s’installait au volant, l’en dissuada. Il se contenta de paroles rassurantes.
_ Alexie, tout va bien se passer. Ton père est maintenant en sécurité et nous n’avons rien fait de mal.
La jeune fille renifla bruyamment pour retenir ses larmes. Des yeux rougis et bouffis se posèrent sur le jeune homme.
_ Je suis tellement désolée Mathéo.
_ Mais pourquoi ?
Ces simples mots eurent pour effet de la faire pleurer de nouveau.
_ Par ma faute… Tyméo… Ton frère…
Cette fois, Mathéo ne s’occupa pas des ordres du policier et s’approcha d’Alexie. Il se colla à elle comme il le pouvait avec ses mains dans le dos.
_ Alexie, ce n’est en rien ta faute. C’est nous qui avons décidé de venir te secourir. A aucun moment je regrette mon choix. Tim est mort pour toi, ça aurait très bien pu être moi et il te dirait la même chose.
La jeune fille posa sa tête sur l’épaule de son ami et continua à pleurer silencieusement. La voiture avait démarré et se dirigeait à présent vers le commissariat.
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