Certaines victoires qu'on ne peut atteindre
(Camille, Romain)
Le vent avait poussé la fenêtre pour laisser la fraîcheur prendre ses aises dans la chambre. A travers le rideau, la lumière éclatait en copeaux sur le drap blanc. Camille se rapprocha du ciel d’un pas paresseux et respira à pleins poumons. S’en suivit un long soupir de soulagement tellement son besoin de se vautrer dans ce nid d’air pur était intense.
Par chance, l’hôpital bordait l’immense bois du Chacrin avec sa variété d’arbres, son ruisseau et ses petites cavités bien cachées. La dépouille de Sonia s’y trouvait-elle encore ? Sa retraite ne lui permettait pas de s’en informer. Elle aurait pu avertir la police, bien évidemment, mais il était de toute façon trop tard et Camille était un sauveur, pas un justicier. Un sauveur… Vraiment ?
On frappa à la porte, c’était Romain. Il lui apportait son repas de midi. Elle n’avait pas faim, c’était devenu une habitude. Romain arbora une petite moue et s’assit face à elle.
–– Camille, il faut que tu manges.
Il ajouta un « wesh » pour la faire rire et cela fonctionna.
–– Je sais. C’est devenu difficile. Pourtant j’adore bien manger, « wesh », répéta-t-elle.
Et elle se remit à rire aisément tant cette complicité lui était précieuse.
Leurs sourires se rencontrèrent à mi-chemin entre le regard brillant de Camille et celui bienveillant de son ami. Elle entama ses pâtes au pesto même si ce n’était pas son plat préféré. Romain se leva pour quitter la pièce.
–– S’il te plaît, reste. C’est déjà pas facile de manger mais seule, encore moins.
–– Oui, tu as raison, dit-il en se grattant la tête.
Il reprit sa place.
Que ce soit en mastiquant ou en plongeant sa fourchette dans son assiette, Camille n’émettait aucun son. On aurait dit qu’elle n’était pas là. Romain avait rapidement observé cette capacité qu’elle avait d’agir sans faire de bruit. Il lui était déjà même arrivé de sursauter parce qu’il ne l’entendait pas venir.
La pause dans leur conversation mit Romain mal à l’aise. Il avait toujours besoin de meubler l’absence, peu importait sa nature. Surtout depuis le départ d’Amélie partie vivre chez son grand-père. Elle lui manquait plus que les mots pouvaient l’exprimer. Les premiers temps suivant le déménagement de son épouse, il était tombé dans le caniveau de ses tourments. Il connaissait à présent le sens de la phrase: « Le ciel lui est tombé sur la tête ». Parce que c’est bien ça qu’il avait ressenti: le ciel qui s’effondrait sur lui et la terre qui s’ouvrait sous ses pieds.
Des heures durant, il avait espéré entendre le grincement du plancher, un pas dans l’escalier, la sonnerie du téléphone, jusqu’à rêver qu’Amélie lui glissa un mot sous la porte même si cela ne ressemblait absolument pas aux coutumes de sa compagne. Que du contraire ! Amélie éprouvait un mal fou à parler de ses sentiments y compris à s’exprimer lors de leurs conflits. Elle préférait la fuite plutôt que d’affronter la situation. Elle lui avait toujours dit que c’était sa façon d’éviter que la dispute monte en escalade. Selon Romain, ce qu’elle n’ajoutait pas c’était qu’elle craignait également de montrer ses émotions et que cela devienne incontrôlable. Ce n’était pas contre lui, c’était pour elle, avait-elle affirmé. Romain s’en voulait d’avoir parfois manqué de discernement, trop centré sur sa petite personne. Il voulait gagner en patience et en maturité. Il espérait qu’Amélie en fasse autant.
Depuis qu’elle lui avait parlé du « point de non-retour », il s’était enfermé dans ses souvenirs pour conjurer sa solitude. Il se remémora la première fois que leurs corps s’étaient rencontrés quand elle l’avait emmené au-dessus d’une colline d’où on pouvait admirer la mer. A lui seul, le paysage racontait l’étendue de la passion d’Amélie et le regard qu’elle avait déposé sur ses lèvres en était l’aveu. Dans un champ de lavande qui offrait un horizon interminable, la naïveté de ses gestes et la façon dont elle s’était livrée à cet acte avait laissé croire à Romain que s’il n’était pas son premier amant, il était son premier amour.
Romain avait toujours pensé que si aimer Amélie n’était pas de sa responsabilité, le lui dire l’engageait à se mettre au service de ses sentiments. Parler étant agir, à aucun moment, il ne s’était jeté dans des propos creux. On ne consomme jamais assez d’honnêteté quand on tient le cœur d’une femme…
Le visage d’Amélie le suivait partout, elle était dans tout ce qu’il faisait. L’organe de son amour avait fini par périr sous la torture de son silence. Et si, un jour lointain, pour rompre l’ennui ou apaiser le feu de ses sens, il aurait envie de culbuter une autre femme, il devrait user de subterfuges car il ne pouvait vraiment désirer que sa femme. La pauvre inconnue serait alors abusée par ses leurres de beau parleur et ne pourrait jouir que d’un cœur pareil à une momie.
Il partait souvent dans des angoisses monstres. Surtout quand il entendait encore son Amélie lui dire qu’elle laisserait la porte ouverte aux rencontres. Tantôt il était concentré sur la peur de ne plus la revoir, tantôt il la voyait avec un autre. Ses affabulations s’appliquaient minutieusement à cette tâche. Etait-ce possible qu’elle veuille d’autres mains, d’autres yeux, un autre amour ? Oui, ça l’était. Pourquoi pas ?
Il pensait à tous ces mots doux que l’on répète avec tant de sincérité pour qu’elle finisse par s’égarer dans de nouveaux bras. S’égarer ou se retrouver, en effet, il fallait le reconnaître. Il y avait tant de scénarios possibles. Il devait cesser de copiner avec son imagination et rompre avec sa mémoire parce qu’à force d’être infidèle au présent, il risquait de pactiser avec la folie.
Rien n’aurait pu le consoler. Rien, sauf peut-être Camille…
A la suite de quelques entrevues nocturnes, elle dans son lit, lui dans le sien, il se sentait un peu mieux. Il s’est mis à faire un tas d’activités différentes: peindre, courir, jouer au volley-ball, en plus des heures supplémentaires au boulot. Il s’agissait d’hâter l’écoulement du temps. Du moins, c’est de cette façon qu’il avait pensé au début. Toutefois, au fil des rêves en compagnie de Camille, il s’était rendu compte que le temps ne fait pas son oeuvre mais que c’est nous qui faisons notre oeuvre dans le temps. En tout cela, sa nouvelle amie l’y aida beaucoup! Elle avait insufflé un vent de courage dans son coeur et son esprit. Malgré lui, il la voyait un peu comme un ange gardien.
Pourtant Camille n’avait rien à recevoir ni à rendre au divin. Si son dévouement pouvait être perçu comme un acte admirable que certains qualifieraient de « beau », c’est parce qu’il était utile et malencontreusement rare. Camille était convaincue que le geste n’en serait pas moins « beau » si chacun apportait rituellement un peu d’intérêt bienveillant envers toute vie croisée sur sa route.
Rien de beau ne devrait être rare.
Tandis que Camille terminait son repas, Romain s’était machinalement relevé, avait croisé et décroisé les bras, porté sa main à sa bouche pour la passer ensuite dans ses cheveux, le tout en faisant les cent pas. Il eut un rire nerveux. Taraudé par cette question qui le démangeait depuis des jours, il serrait les dents quand il remarqua que Camille l’examinait. On pouvait imaginer les rouages de son cerveau tourner à plein régime. C’était souvent l’image qu’elle donnait.
La poche de Romain se mit à vibrer. Il était attendu en réunion. Il déglutit et se mit à tousser. Il reviendrait plus tard.
Camille se doutait de cette question : entrait-elle vraiment dans les rêves ? Elle savait ce qui le tracassait et elle craignait plus que tout une nouvelle erreur. La dernière c’était avérée fatale. Seulement, même si elle l’avait souhaité, elle ne pouvait s’empêcher de se réveiller dans le sommeil de quelqu’un d’autre.
Rêver à nouveau, était d’ailleurs un soulagement incommensurable.
Peu importait ce que pouvaient bien penser les psychiatres, psychologues et toute la clique, peu importait leurs théories sur ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Elle était une page blanche imprégnée du parfum des âmes en sueurs. Le pire comme le meilleur était venu s’y inscrire à ses dépens.
Elle ferait de son mieux tout en sachant, désormais, qu’il y a des victoires qu’on ne peut atteindre.
déçu
je pensais trouver des réponses à toutes mes questions
si un truc qui m'a bien fait rire
alors qu'elle aime encore son mari( ex mari), lui dit de ne pas ...
alors qu'elle pense le contraire
qu'elle aimerai que Romain
vienne la chercher...en homme
je vois un espéce de Gabin
lui dire
ça suffit petite fille tu arrette tes caprices et tu me suis!
eh bien non, trop obéissant il lui dit qu'il la comprend
et la laisse vivre sa vie...
Quel con ! Quelle conne !
Mais romain va t'il retrouver Camille ?
que ces incertitudes m'emmerdent !
Mais quand on écrit si bien on a le droit de torturer le lecteur!
Encore une fois, je ne sais pas ce que tu cherches... alors oui tu peux être déçu...
mais il me faudra attendre un autre livre
et non , je ne suis pas vraiment déçu
juste comme un marcheur qui s'attend à atteindre le sommet au virage et qui s'apperçoit qu'aprés la pente derriérre ça remonte....
(troisième fois que j'essaie de poster mon commentaire, j'arrête pas de me faire déconnecter...).
J'aime beaucoup la relation que tu créés entre Camille et Romain. C'est très doux, attachant aussi. Romain est un personnage qui semble pouvoir être sauver. Peut-être qu'il peut aussi sauver Camille d'une certaines manière.
J'ai envie de croire à une belle fin pour eux, surtout après tout ce que nous avons pu lire et que tu nous rappelles d'une simple invocation.
Chaleureusement
Je trouve très attendrissant la relation entre Camille et Romain, tu les rends tous deux très attachants.
Si je ne m'abuse le prochain chapitre sera le dernier, extrêmement curieux de voir comment tu comptes terminer cette histoire.
Quelques remarques (tu prends ce que tu veux comme d'hab) :
"S’il te plait, reste." -> plaît I
"l avait toujours besoin de meubler l’absence, peu importait sa nature." On comprend ce que tu veux dire mais je trouve l'expression "meubler l'absence" un peu bizarre meubler le vide marcherait très bien
"jusqu’à rêvé qu’Amélie lui glissa un mot" j'avoue que je ne suis pas sûr mais spontanément j'aurai écrit rêver et glisse
"en effet, il fallait le reconnaitre." -> reconnaître
Toujours un plaisir de te lire,
A très bientôt !
Merci beaucoup pour ta lecture, ton commentaire et tes suggestions 😊
Il y a 21 chapitres et un épilogue, pour finir 😉
A bientôt !
J’aime la manière dont tu décryptes Romain et sa relation avec Camille, beaucoup de sensibilité. On ressent toutes les émotions. Bravo !
Juste deux suggestions :
- peu importe sa nature : importait ?
- les rouages de son crâne : cerveau ?
À très bientôt !
Merci infiniment pour ta constance et ton commentaire encourageant!
Pourvu que la suite ne te déçoive pas.
A très bientôt!