Chapitre 19 : Elena

Par Zoju
Notes de l’auteur : Bonne lecture :-)

Lorsque je raconte mon histoire, Hans reste profondément silencieux. Si bien que j’ai parfois l’impression de parler à moi-même. De temps à autre, il bouge pour changer de position tout en faisant bien attention à ne jamais croiser mon regard. Il doit appréhender que je puisse déceler ce qu’il ressent. J’ignore ce que j’y trouverais. Peut-être de la crainte, du dégout ou de la pitié. De tous les sentiments, c’est celui-là que j’exècre le plus. Il me renvoie ma propre faiblesse au visage. Je m’interromps dans mon récit. Je n’ai pas encore parlé à Hans de ce qu’il désire, mais il devra attendre. S’il veut connaitre ma mission, il doit savoir comment j’en suis arrivée là. Je ne comprends toujours pas pourquoi je lui raconte tout cela. Luna n’est même pas au courant. Je ne souhaite pas la préoccuper davantage. Elle ne laisse rien paraitre derrière son sourire, mais le maréchal lui en demande beaucoup trop. Tout ça parce qu’elle fait partie de l’élite. Élite, ce mot ne me dit rien. Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous ? Quand bien même je ne supporte pas ce terme, Luna appartient à ce milieu et cela lui cause déjà suffisamment de problèmes. J’aurais mauvaise conscience en lui rajoutant une source d’inquiétude. Je tourne la tête vers mon collègue qui vient de se lever. Il descend les marches des gradins puis me fait face, les mains sur les hanches.

- Je pense que tu peux t’arrêter pour le moment, Elena, me dit-il.

C’est étrange de l’entendre prononcer mon prénom. D’habitude, il s’adresse toujours à moi par mon nom de famille. J’ignore quand il a commencé à changer. Toutefois, je dois reconnaitre que cela me fait plutôt plaisir.

- Je peux continuer, affirmé-je.

- Inutile de te cacher. Je devine à ton intonation que tu tentes de maitriser ta voix.

Sa remarque me prend de court, surprise qu’il se soit rendu compte de ça. Je pensais avoir réussi à garder un ton neutre, mais à l’évidence pas comme je l’espérai. Toutefois, il a vu juste, c’est particulièrement éprouvant pour moi de me dévoiler autant.

- Si tu insistes. Reprenons ce soir, cédé-je avec soulagement.

C’est la première fois que je me confronte vraiment à mon passé. Jusqu’à aujourd’hui, je faisais tout pour l’oublier, pour ne pas avoir honte. J’ai toujours pensé que j’irais mieux si je faisais un trait sur ces évènements, mais je me leurrais. Ces choses font partie de moi. Cette histoire, je ne la raconte pas seulement pour Hans, mais également pour moi. Mon collègue fourre ses mains dans ses poches de son pantalon, mais ne part pas encore. Je ne sais pas ce qu’il attend. Je descends les gradins à mon tour pour arriver à ses côtés. Décidément, il est toujours aussi grand ou bien c’est moi qui suis trop petite.    

- Bon à ce soir alors, dis-je.

- À c’soir.

Je ne l’écoute déjà plus et me remets mon programme du matin en mémoire. Soudain, une main se pose sur ma tête et la frotte vigoureusement. Je me dégage et tout de suite après je reçois une chiquenaude au milieu du front. Évidemment, Hans est l’auteur de cette farce.

- Arrête de stresser ! Combien de fois dois-je te dire de te détendre ? me reproche-t-il avec un grand sourire.

Sur ce, il tourne les talons pour vaquer à ses occupations. J’ai le temps de lui crier : « À cause de tes sottises, je dois refaire ma coiffure ». Sans se retourner, il agite la main pour me saluer, mais je peux l’entendre s’esclaffer. Je regrette immédiatement ce que je viens de dire. C’est tellement futile. Dès qu’il a disparu, je murmure pour moi-même le sourire aux lèvres :

- Idiot.

 

Isis est assise dans un coin de mon bureau. Elle semble pensive et se balance d’avant en arrière. Pour ma part, je suis en train de classer les papiers de la semaine passée. Ces derniers jours, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour moi. La pièce est plongée dans le silence, seul le grincement de la chaise d’Isis se fait entendre. Mon aide de camp brise le calme :

- Tu as besoin de quelque chose ?

- Pas pour le moment, merci, lui répondis-je sans décoller le nez de mes dossiers.

Un soupir dépité me parvient.

- À quoi est-ce que je sers ? se lamente la jeune fille. Tu ne me donnes jamais rien.

On ne va pas encore avoir cette discussion, pensé-je.

- Je t’ai déjà expliqué pourquoi. Ce n’est pas que je ne veux pas, c’est que je ne peux pas.

- Pourtant Jan reçoit beaucoup de boulot.

- Qui est Jan ? demandé-je.

- L’aide de camp du colonel Bévier.

- Ah lui ! Je me souviens que Bévier avait aussi eu une faveur. Tu commences à en savoir plus que moi sur la base. Je devrais sortir plus souvent, ironisé-je. Sinon c’est quoi son job ?

- Apporter le courrier, faire le café, nettoyer ses armes.

- Le fou, il ne le fait pas lui-même, m’exclamé-je involontairement.

- Pardon ?

- Ce n’est rien, me rattrapé-je. Et quoi ? Tu veux faire la même chose ? D’accord, fais-moi un thé avec deux sucres, s’il te plait.

- À vos ordres, cheffe !

Isis me fait un salut militaire avec un sourire espiègle. Elle s’empresse ensuite d’accomplir ma requête. Je dépose le dossier que j’ai en main et me frotte les yeux. Il commence à faire sombre. J’allume la lampe de mon bureau. J’ai encore du temps avant mon rendez-vous de ce soir. Isis me tend une tasse remplie de thé fumant. Ce n’est que lorsque je touche les bords que je remarque que mes doigts sont gelés. Je profite de la chaleur de la boisson pour réchauffer mes membres engourdis. J’avale une gorgée du breuvage brulant. Il est définitivement meilleur que celui de Luna. Je redépose ma tasse sur mon bureau et me remets au travail. Isis pour sa part retourne sur sa chaise. Après quelques feuilles, je laisse tomber. La paperasse ne me convient décidément pas. Je préfère encore être de garde. Je fourre le tout dans les classeurs et appelle Isis à l’aide pour les ranger. J’ouvre mon armoire et pousse les autres classeurs pour faire de la place. Cela me fait penser que je devrais demander de nouveaux emplacements. Après avoir bien tout tassé, je me dépêche de refermer. Je m’attends à avoir une mauvaise surprise la prochaine fois, mais ce soir, c’est le cadet de mes soucis. Nous sortons de mon bureau pour tomber nez à nez avec Liam Vanraad. Il recule, étonné, pour ensuite s’empresser de se mettre au garde-à-vous. Je n’y prête pas attention et lui demande sans plus de formalités :

- Que souhaites-tu, Vanraad ?

- Je voulais savoir si je pouvais vous emprunter votre aide de camp pour un moment.

Je me tourne vers la jeune fille qui me regarde, troublée, en se tortillant les doigts. Je sens bien qu’elle aimerait suivre Liam. Cela ne me plait pas trop de me séparer d’elle si elle n’est pas avec Luna ou Nikolaï, mais elle semble apprécier la compagnie du capitaine. Et puis, il lui est venu en aide quand elle a eu son problème avec Jobert, je peux donc faire une exception cette fois-ci.

- C’est à Isis de décider. J’allais lui donner quartier libre.

 Un sourire illumine son visage, mais disparait aussitôt.

- Tu es sûre que tu n’as plus besoin de moi ? me questionne-t-elle.

- Absolument. Allez, file ! ordonné-je en lui donnant une claque dans le dos.  

Ils s’apprêtent à partir lorsque j’interpelle Liam :

- Au fait, Vanraad, inutile d’être si poli avec moi. Cela ne te va pas du tout.

- Compris, Darkan, me répond-il en levant son pouce.

Ils tournent au fond du couloir et je me retrouve à nouveau seule. Je me remets en marche sans but précis. Je finis par arriver devant une porte qui nous amène dehors. C’est une espèce de sortie de secours, située à l’arrière de la base. De l’extérieur, l’entrée est invisible. Je pose ma main sur la grosse poignée de porte et reste un instant sans bouger. Je crains que l’alarme ne se déclenche si je l’ouvre. Prudemment, je l’abaisse. Un bruit me signalant qu’elle est ouverte m’arrive aux oreilles. Je cale mon épaule et donne un coup pour tenter de déplacer le lourd battant. Ce que je parviens non sans quelques difficultés. Contrairement à ce que je pensais, aucune alarme ne se fait entendre. Ne souhaitant pas m’éloigner, je reste sur le pas de la porte et contemple le paysage forestier qui s’offre à moi. Il ne neige plus et la nuit est déjà tombée. J’aperçois la barrière électrifiée qui entoure la base. Elle me rappelle douloureusement que je suis enfermée ici comme une prisonnière. L’air froid me pique le bout du nez, mais cela me fait un bien fou. Le silence est maitre en ses lieux. Pas un bruit ne le brise. Le village le plus proche est assez loin. Je me rembrunis à cette pensée. Dans le passé, je ne me rendais pas compte à quel point j’étais heureuse. À cette époque, j’étais tellement aveugle, je ne faisais que regretter ma mère disparue. Ce que j’étais stupide ! Cet amour, ma mère adoptive était prête à me le donner. Malheureusement, je ne l’ai remarqué que trop tard. C’est le jour où l’on m’a enrôlée de force. Je me souviens de son étreinte quand j’ai dû la quitter. Elle m’a promis de m’écrire, mais depuis 6 ans, je n’ai plus aucune nouvelle. Je suis persuadée que mon père intercepte tout mon courrier. Il veut éviter que j’aie tout contact avec l’extérieur. Il craint sans doute que je retombe dans mes mauvais travers. Je m’accroupis et attrape une boule de neige au sol. La matière est si froide. Je la contemple rêveusement quand soudain dans le silence de la nuit, un bruissement se fait entendre. Instinctivement, je porte ma main à mon épée tout en me relevant. Rien ne bouge. Je me détends, sans doute un animal. Cependant, je reste sur mes gardes. Je retourne à l’intérieur et regarde à travers l’œil-de-bœuf de la porte. Durant plusieurs minutes, rien ne change puis une silhouette humaine émerge de la neige pour disparaitre aussitôt dans les bois. Je suis presque certaine qu’il s’agit d’un rebelle. Il doit faire du repérage pour un assaut. Ce qui m’inquiète c’est qu’il est vraiment près de la base et la barrière ne parait pas l’intimider. Il semble connaitre cette entrée. Cette porte est blindée et ne peut être ouverte que de l’intérieur. Pour arriver jusqu’ici, il doit avoir été aidé par quelqu’un de la base. Il y aurait donc un traitre parmi nous ? Mes neurones réfléchissent à toute vitesse et les portraits de membres de la base défilent dans ma tête. Aucun ne m’interpelle en particulier. J’ai déjà accusé Hans d’en être un, mais je doute que ce soit lui. Soudain, une atroce supposition se faufile dans mon esprit, et si c’était un des aides de camp ? Je ne pense pas qu’Isis tienne ce rôle, elle semble trop pure et surtout trop naïve. Même si cela ne m’enchante guère, j’irai prévenir Tellin demain. Pour le moment, je dois me dépêcher de retrouver Hans.    

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Sklaërenn
Posté le 14/01/2021
Je me dis que là ou elle parle avec Hans, personne ne finit par les écouter, tomber sur eux ? je doute qu'ils soient les seuls à utiliser cet endroit aux créneaux où ils y vont, non ? Je ne sais pas, mais j'ai tiquer dessus ce détail.

J'aime bien la fin de ce chapitre, j'ai l'impression que ça va tourner au vinaigre très prochainement.
Zoju
Posté le 14/01/2021
J'y ai pensé également, mais je me suis dit après qu'il n'avait pas vraiment du monde à 6h30 du matin ou à 20h à l'entrainement. Je vais y réfléchir. En tout cas, contente que ce chapitre te plaise ! :-)
Prudence
Posté le 18/11/2020
Coucou ^^

Ce chapitre m'a beaucoup plu. J'ai particulièrement aimé la fin, l'ouverture sur le monde que tu nous proposes et l'intrigue qui commence à se mettre en place avec les rebelles. Le décor, la nuit et le froid et leurs descriptions sont super bien faites.
L'interaction entre Hans et Elena est réaliste. Elle est donne une touche de légèreté au récit ^^

En revanche, en ce qui concerne les coquilles, j'ai relevé beaucoup de "e" qui manquaient à l'appel, ou qui étaient de trop. Du coup, on se pose la question si c'est Hans dont on parle ou d'Elena (par exemple, il manquait un e à "seul" alors que tu parlais d'Elena). Cela prête à confusion, mais je crois l'avoir déjà dit... ^^'

Ensuite, j'ai trouvé l'échange Liam-Elena drôle mais j'ai trouvé dommage que tu n'approfondisse pas le caractère de Liam et sa description physique... Mais, cela reste subjectif, hein ;-)

Dans le fond, je trouve l'histoire très intéressante et je me suis surprise plusieurs fois plongée dans le récit et lisant avec avidité.

Hâte de lire la suite, toujours ! :-D
Zoju
Posté le 18/11/2020
Ton commentaire me fait très plaisir ! :-) Je suis contente que ce chapitre t'ai plu et plus généralement que l'histoire continue à t'intriguer. J'espère que la suite te plaira. Pour les coquilles, je vais rapidement y remédier, mais on m'a déjà fait des remarques sur mes "e" manquant ou en trop notamment lorsque j'écris supérieure pour désigner Tellin.

Pour Liam, la correction que je suis en train de faire, je met plutôt des éléments descriptifs, par contre je prends note pour le caractère.

L'intrigue se met lentement en place, mais je préfère ne pas trop accélérer au risque de passer à côté de certains éléments.

En tout cas, cela me fait plaisir que tu continues à me lire ! :-)
annececile
Posté le 28/04/2020
Interessant chapitre ou il se passe plus de choses que Elena semble s'en rendre compte. Elle veut proteger sa soeur sans se rendre compte que finalement elle ne lui rend pas service en cachant des informations qui l'aideraient sans doute a mieux comprendre la situation ou toutes deux se trouvent. La reaction de surprise, presque d'indignation a l'idee qu'un autre colonel ne nettoie pas lui meme ses armes a sans doute sa raison d'etre, on comprendra plus tard (d'autant plus qu'Elena regrette d'avoir parle si vite). Et le mysterieux intrus (??) qui marche dans la nuit.... On a envie de savoir la suite!
u
Zoju
Posté le 28/04/2020
Merci pour ton avis sur ce chapitre. Effectivement, Elena ne rend pas du tout service à Luna de cette manière, mais je pense que tu commences à connaître le personnage. Est-ce bien ou mal, honnêtement je pense comme toi qu’elle s’y prend un peu mal. Toutefois, cet élément prouve qu’Elena tient à Luna.
Vous lisez