Chapitre 19 : infernal

Par Drak

Rapport d’incident : 

Un scientifique est porté disparu. Nous suivons des traces suspectes de canidés : il semblerait qu’il s’agisse d’un animal bipède. Suspectons un ennemi Porteur de l’A-Y.

Enquête en cours.

Archives de l’Apsû, branche du Groenland, 1882

 

Des crans de sureté cliquettent lugubrement dans notre dos, alors que les agents armés viennent souligner la demande de leur supérieur.

Celui-ci a sa main tendue dans notre direction, patient, mais l’expression sérieuse.

Cependant, il se fige d’autant plus quand un talkie-walkie grésille au revers de son uniforme : « Mouvement à la porte principale : une dizaine d’individus suspects sont dans le parking. Ils se dirigent vers l’ascenseur. »

Après un temps, Danièle prend l’appareil pour répondre, mais conserve sa main tendue vers nous, toujours attendant.

« …Surveillez les attentivement. Je veux être tenu au courant de la moindre évolution. »

« …L’un d’eux prépare un matériel de mécanicien et plusieurs ont des pistolets. » l’interrompt son interlocuteur, une note alarmiste envahissant sa voix. 

« Envoyez des agents en uniformes de personnel de la sécurité. » réponds prestement l’homme, avant d’enfin baisser la main pour donner ses instructions, « Messieurs, mademoiselle, je m’excuse, mais il va falloir faire votre choix promptement, j’ai plus important sur les bras présentement… »

Une explosion coupe la parole au refus que j’allais lui cracher au visage, rapidement suivit d’un fracas métallique à l’autre bout du couloir dont nous venons.

« Porteur de l’A-Ph ! Il a fait sauter l’ascenseur ! »

Tous mes poils se hérissent quand ce cri parvient à mes oreilles à travers le talkie-walkie.

Il est là.

Il est ici.

La silhouette de son profil à la lueur des flammes s’impose à mon esprit.

Le crépitement du feu rongeant ma maison et celle d’Hector se rappel à mes oreilles.

Ma main droite se crispe en un poing rageur tandis que je me retourne, comme en transe.

La porte est ouverte alors que les agents de l’Apsû pointent leur arme vers un nuage de fumée, visiblement causé par l’impact de la cabine qui s’est écrasé au sol.

« Feu ! »

Les balles fusent.

La voix grésillant du talkie-walkie crachote quelque chose contenant les mots « pas humains », mais je ne les entends pas vraiment, un homme entouré de flammes émergeant de la fumée sous mes yeux, ignorant les coups de feu qui fusent…

Avec son gilet rouge, ses cheveux bruns en pics, son bouc surmonté d’un sourire extatique et railleur… je le reconnais sans mal : le pyromane.

Mais surtout, ce sont ses yeux bruns qui me choquent : rivé droit dans les miens.

Il lève la main droite, où je vois un Anneau briller à son pouce… et un torrent incandescent se déverse.

« À terre ! »

Il faut l’intervention de Sacha pour que je me réveille et n’achève pas mon séjour parmi les vivants en étant rôtie vivante, à l’instar de certains membres de l’Apsû !

J’ignore combien de secondes ou de minutes nous demeurons au sol, avant qu’enfin cette mer ardente ne s’arrête, ce dont la porteuse de l’Anneau de Loki profite pour nous faire nous mettre à couvert derrière un moniteur informatique… ou plus exactement : traine le poids mort que je suis !

C’est un cauchemar : le son des flammes me tétanise, je me sens comme prisonnière de mon propre corps.

Mathieu nous a rejoints, je ne sais comment, et il échange avec son amie sur la stratégie à suivre, mais je ne parviens pas à trouver la volonté pour les entendre.

Seuls les crépitements obsédants du feu accaparent mes sens.

Et une gifle me cueille.

« Ok, la sous roi Arthur, maintenant tu vas arrêter de te la jouer poupée traumatisée pendant juste cinq putains de minutes… ! On a absolument besoin du pouvoir de TON Anneau, donc tu vas écouter ma voix et rien d’autre, ou je jure que c’est plus l’autre timbré que tu vas craindre, mais bien moi ! »

Je dévisage la gender-fluid avec consternation, ma main sur ma joue brulante du coup qu’elle m’a si impitoyablement infligé.

« Mais… »

« Pas de "mais" ! Tu la fermes et, pour une fois, tu fais ce que l’on te dit ! Donc primo, tu vas prendre ta foutue épée. Et que ça saute ! Si tu écoutes les flammes, je jure que je te mets une droite. »

Ma paume trouve le sol métallique, pendant que Sacha continue à me saturer les oreilles avec ses remarques acerbes.

Mes doigts rencontrent une sérieuse résistance, la terre et la pierre se trouvant loin sous cette couche d’acier, mais ils finissent par s’y enfoncer et je me saisis du pommeau qui vient se loger naturellement dans ma main…

À la seconde où je tiens l’arme, une vague puissante de confiance et de force afflue à travers mon bras jusqu’à envahir mon cerveau !

Ma respiration est désormais apaisée, le bruit du feu ne me semble plus être qu’un écho désagréable à la lisière de mes sens… j’ai presque l’impression de revivre !

« …Merci, ça va mieux. »

« Tu m’en vois ravie, microbe. Est-ce que maintenant tu pourrais creuser le sol pour nous pratiquer une voie de fuite ? Ce serait sympa… Et ose seulement me dire que tu ne peux pas et je te la mets vraiment, cette droite que j’évoquais plus tôt. Tu as un Anneau qui peut faire des saloperies de séismes, donc je pense que faire un bête tunnel : ça doit être dans tes capacités ! »

« Je ne l’ai jamais fait… imagine que je… »

Elle lève son poing où brille lugubrement son Anneau.

« Tu sais à quel point un gorille peut frapper fort… ? »

Pas non plus folle à ce point, je ferme ma bouche et me concentre sur ma mission.

Sans moi, nous sommes des adolescents morts… Notre survie dépend littéralement de ma capacité à user d’un pouvoir que je ne me soupçonnais pas il y a moins de dix minutes !

Les doigts dans le nez…

 

*

Ambroise piétine les débris calcinés des installations de l’Apsû.

Avec des morts carbonisés et des créations de Lucien pour seule compagnie, il peste encore et encore.

Un cercle de terre fraichement retournée est la seule trace qu’il a trouvé du passage des trois jeunes gens.

« …Je les tenais, bordel… »

Une musique rock brise le silence, en provenance de sa poche.

« Et aller, voilà le gros qui vient aux nouvelles… »

Et en effet, c’est précisément ce que fait son chef, à peine, décroche-t-il.

« Alors ? Dis-moi que tu as enfin réussi un truc de tes dix doigts cramés ! »

« Alors la gosse a passé une étape dans la maitrise de son Anneau. Elle creuse des saletés de tunnels d’évasion, maintenant ! »

« Mais tu ne sers donc vraiment à rien, bougre d’incapable juste bon à faire flamber des maisons vides !! »

Le Porteur de l’Anneau du Phénix ne fait pas remarquer que la veille encore il l’encensait auprès de Bertille, mais attends patiemment que son enrobé de supérieur ait achevé de cracher son venin pour reprendre : « En revanche, j’ai rasé une base de l’Apsû. »

« Voilà au moins une bonne nouvelle… »

« Avec nos gars, tes bestioles sont en train de traquer des survivants. » ajoute le pyromane, alors qu’il jette un œil aux créatures qui furètent de-ci de-là.

« …En effet, de ce que je vois par leurs yeux tu as fait un beau bazar. »

« …On ne peut pas continuer à traquer ces gosses au petit bonheur la chance, par contre. J’aime la chasse, mais là ça commence doucement à me souler. »

« Parce que tu as un meilleur plan, peut-être ? Vas-y, surprends-moi avec tes trois neurones flambés. »

« …Démerdons-nous pour qu’ils viennent à nous : tout simplement. »

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