Chapitre 19 : Le match

À son réveil, Ewin ressentit l’étrange sensation de ne pas reconnaître ce qui l’entourait. Il lui fallut plusieurs minutes pour se rendre compte qu’il n’était pas dans son lit à Litury, et encore d’autres minutes pour se rappeler qu’il était dans un hôtel à Yotr.

Il se remémora la soirée de la veille, les supporters à l’attitude folâtre et amicale, les tables remplissant la place, le repas et Natia. Il se rappela qu’elle lui avait proposé de lui faire visiter son quartier.

Il hésita, Magon devait avoir prévu de faire quelque chose avec lui aujourd’hui. Cependant, la tentation de revoir cette fille au sourire si malicieux se faisait ressentir. Il se promit de repasser la voir avant de partir, mais en attendant il profiterait de ces quelques jours de vacances avec son ami de toujours. Il savait qu’il ne le reverrait plus aussi souvent qu’avant. Lui était maintenant un membre du Conseil, et le travail que cela nécessitait lui paraissait chaque jour plus volumineux. Quant à Magon, il repartirait sur l’île du Crâne pour parfaire son apprentissage de militaire.

Après s’être passé un rapide coup d’eau sur le visage, Ewin toqua à la porte de la chambre de Magon. Un grommellement s’éleva derrière la porte, puis plus rien. Le garçon tenta alors d’ouvrir la porte. Elle était fermée.

-Magon ?

-Quoi ? Grogna une voix fatiguée.

-On fait quoi aujourd’hui ? Demanda Ewin.

Magon soupira si fort que le garçon put l’entendre de l’autre côté de la porte.

-Profite de l’hôtel, je te rejoindrais un peu plus tard.

« C’est-à-dire jamais ! » Pensa Ewin. Hier, son ami était rentré bien plus tard que lui de la fête et avait apparemment apprécié la boisson locale, sur laquelle il avait un petit peu abusé.

-Je vais plutôt visiter le quartier, répondit Ewin.

-Mmmmh.

Bon au moins, il l’avait prévenu. Le garçon descendit les étages et sortit de l’hôtel à toute allure. Il allait maintenant voir si Natia l’attendait à la Flèche, comme elle le lui avait dit la veille.

Il arriva très vite à la Flèche. Contrairement à la veille, la place était à présent vide, mais jonché de confettis et de tracts pour le match, qui allait se dérouler le soir même. Quelques supporters dormaient profondément sur les pavés de la rue. Ils n’avaient pas dû pouvoir rentrer chez eux après la fête. Ewin s’amusa des ronflements de certains et de la position des autres. « Dans ce quartier, on sait s’amuser, contrairement à Litury, où tout est si formel », pensa le jeune garçon.

Il chercha ensuite la jeune brune au regard mystérieux à travers la place et la trouva attablée à l’une des rares tables encore en place. Natia lisait tranquillement un livre. Elle ne se rendit pas compte de l’approche d’Ewin.

-Que lis-tu ?

Concentrée dans sa lecture, la jeune fille sursauta.

-Bonjour, elle semblait contente qu’il soit venu. Je ne pensais pas que tu viendrais.

-J’ai hésité à venir, lâcha-t-il.

Ewin se rendit compte à la réaction de Natia qu’il avait dit une bourde. Parfois, il ne réfléchissait pas avant de parler, et cela avait pu par moment lui jouer des tours.

-Je veux dire… Au début, je pensais que mon ami, Magon avait prévu de passer l’après-midi avec moi. Mais finalement, il ne peut pas, tenta alors de se rattraper Ewin.

-Ah, d’accord. Je suis donc la meilleure alternative, fit-elle, vexée.

-Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, se défendit le garçon qui commençait à s’emmêler les pinceaux.

-Oui, je comprends, ne t’inquiète pas pour moi.

Elle mit de côté la maladresse du jeune garçon pour s’improviser en guide. En compagnie de la jeune fille, Ewin commença par arpenter les larges avenues du quartier du Trèfle, mais ils se lassèrent très vite devant les gigantesques immeubles luxueux et décidèrent de se perdre dans les rues étroites du quartier de l’Arc.

-Ça change du Trèfle, remarqua Ewin.

-Oh oui, le Trèfle est l’un des quartiers les plus riches et l’Arc est le quartier le plus pauvre. Mais nous avons le quartier qui a su le plus gardé sa culture et son histoire, ajouta-t-elle. Regarde ces maisons, elles ont presque cinq cent ans.

Les maisons en question penchaient dangereusement d’un côté et semblaient vouloir s’affaisser à tout instant. Des fissures lézardaient sur les murs et les toits commençaient à s’effriter. Malgré cela, elles tenaient toujours debout des centaines d’années après.

-Et puis, nous avons le dernier cloché encore fonctionnel de Yotr.

-Celui que l’on a entendu hier ?

-Oui, on peut l’entendre dans la ville entière et c’est lui qui va annoncer le début de la compétition.

Ewin passa le reste de l’après-midi avec sa nouvelle amie. Ils déambulèrent au milieu des étalages d’un marché vendant tout et n’importe quoi, se couchèrent dans l’herbe grasse d’un parc, et finirent par visiter le fameux cloché. C’était un vieil édifice, construit en pierre rectangulaire. Le bâtiment, simple par son esthétisme, mais sophistiqué dans sa construction, résistait parfaitement à l’épreuve du temps. Les pierres ne montraient aucun signe d’usure et même les vitraux semblaient retrouver une seconde jeunesse avec la lumière éclatante du soleil. Et puis l’énorme horloge, qui donnait encore l’heure avec une précision chirurgicale malgré le mécanisme ancien de ses engrenages. « Dix-huit heures », affichait-elle. Dix-huit heures ? L’après-midi était passée si vite, il était déjà si tard et Ewin devait se dépêcher de rentrer à l’hôtel. Magon devait l’attendre depuis un bon moment déjà.

-Natia, je dois y aller. Magon doit sûrement être en train de me chercher, paniqua le garçon.

La jeune fille mit un court instant avant de comprendre que son ami devait se dépêcher pour assister au match de son équipe.

-Oui, vas-y. Bonne chance pour ce soir.

Ewin se hâta de rejoindre la Pyramide. Quand il arriva devant son hôtel, il vit une foule de supporters qui se réunissait déjà pour se rendre au Stade. Le garçon joua des coudes pour se faufiler à travers l’attroupement. Il aperçut au loin un visage singulier : Magon avec un volumineux chapeau coiffé d’un énorme trèfle.

-Magon, cria le garçon en levant sa main pour être vu.

Son ami tourna la tête de tous les côtés sans savoir d’où venait la voix.

-Magon, hurla Ewin encore plus fort.

Cette fois, il avait aperçu son ami et se dirigea vers lui. Ewin pensait que son retard allait lui être reproché, et il fut étonné de voir que Magon ne lui fit aucune remontrance.

-On va gagner ce soir ! Lança-t-il, tout excité.

Il semblait déjà dans l’ambiance du match et son enthousiasme était contagieux. Encadré par des tambours et des trompettes, le cortège de supporters se mit en marche en direction du Stade. Chaque match était un évènement ici. Avec la fanfare qui zigzaguait dans les rues en avançant vers le Stade, tout le monde était au courant que le match allait bientôt commencer. D’ailleurs, Ewin se rendit très vite compte que plus aucun magasin n’était ouvert, ils devaient tous être devant un écran pour assister au coup d’envoi.

En déambulant dans les rues, le cortège de supporters arriva très rapidement devant le stade. La demi-sphère, quoique gigantesque, ne pourrait jamais accueillir la masse de supporters qui était venue. Ewin ne pouvait voir la fin de la queue.

-Tout le monde ne pourra pas entrer, fit remarquer le garçon à Magon.

-Oh que si.

-Mais c’est impossible.

-Rien n’est impossible à Yotr, cria Magon. Et encore moins dans le Puits des Miracles.

Il montra la façade du stade. D’imposantes lettres formaient le nom du stade : « Puits des Miracles ». Ça ne ressemblait pas du tout à un puits, mais Ewin garda cette remarque au fond de lui, il verrait quand il serait à l’intérieur. En attendant, il continua d’avancer dans la file en gardant toujours son ami du coin de l’œil. Surexcité, Magon ne savait pas tenir en place : il doublait, s’arrêtait pour chanter ou pour parler avec d’autres supporters, puis revenait, voyant qu’Ewin ne suivait pas.

Juste devant le stade, un mur d’agents de sécurité fouillait les supporters. Ewin passa rapidement le contrôle, mais Magon, qui gesticulaient dans tous les sens et aboyait aux vigiles d’aller plus vite, dut en mobiliser trois avant de retrouver son ami. Ils franchirent ensuite l’une des portes et entrèrent dans le fameux Puits des Miracles.

Une fois de plus dans cette ville, Ewin se retrouva bouche bée. Devant lui, s’offrait un spectacle inattendu. Les gradins descendaient sur plusieurs centaines de mètres en-dessous de lui. Il se rapprocha de la rambarde pour admirer l’intérieur du stade. Tout en bas, il apercevait le terrain, avec des personnes, de la taille de fourmis, qui parcouraient le terrain en se passant des ballons minuscules. Ce devait être les joueurs qui s’entraînaient avant le début de la rencontre.

Alors qu’Ewin se demandait comment les supporters placés ici allaient voir le match. De larges vidéoprojecteurs s’allumèrent un peu partout dans le stade. Chacun pointait devant eux pour projeter un hologramme, en taille réelle, du terrain et des joueurs. L’hologramme était tellement réaliste, qu’il fallait y faire attention pour se rendre compte que ce n’était qu’une image.

-Allez dépêche-toi, nos places sont tout en bas, le pressa Magon en le poussant dans un grand ascenseur.

Arrivé en bas, Ewin pouvait voir l’étendue du stade, qui était maintenant entièrement rempli. Il se découpait en quatre parties, une pour chaque équipe. Le garçon fut vraiment impressionné par l’ambiance chaude qui y régnait. Le sol tremblait sous le pas des centaines de milliers de supporters, et leurs chants résonnaient dans le stade.

-Bonjour à toutes. Bonjour à tous pour cette 24e édition du Gorun, se fit entendre une voix à travers les haut-parleurs du stade. Aujourd’hui, pour la première phase de poule, nous accueillons les équipes de la Rose, du Hiboux, de la Chauve-souris et du Trèfle.

Une partie du stade grondait à chaque fois que le présentateur disait le nom de leur équipe. Chaque quartier voulait montrer qu’il était présent et qu’il supporterait son équipe à fond.

Le présentateur continua en présentant les quatre équipes, donnant leurs compositions et leur nombre de victoires dans la compétition. Le quartier du Hiboux avait un palmarès impressionnant, sur les vingt-trois éditions, il en avait remporté dix. Le Trèfle, lui était la seule équipe à n’avoir pas encore remporté le Gorun. Mais cette année, pour la première fois depuis plus de vingt ans, il était favori.

-Ce match va être difficile, très difficile, admit Dagan. La Chauve-souris est l’équipe que nous devons absolument battre. C’est l’une des grandes favorites de ce tournoi avec le Trèfle et la Colombe. Si notre équipe se retrouve en finale face à ces deux-là, elles vont s’allier contre nous et nous risquons de perdre.

Les arbitres du match foulèrent la pelouse du terrain. Un enfant s’approcha de l’un des arbitres, qui lui demanda de choisir entre quatre cartes. L’enfant choisit, d’une main innocente la carte la plus à gauche. En la retournant, l’arbitre dévoila une rose et il donna la balle au capitaine de la Rose, puis il siffla longuement pour indiquer le coup d’envoi.

Le Gorun était un sport d’une violente intensité. Cela se voyait que les joueurs attendaient cet évènement avec autant d’impatience que leurs supporters, et qu’ils se sont entrainés dur toute l’année afin d’être prêt pour ce jour. Dès les premières secondes de la rencontre, les défenseurs ne firent aucun cadeau aux coureurs, qui prenaient de pleins fouets les plaquages de ces mastodontes, aux bras plus larges que leur tête, s’ils n’arrivaient pas à les esquiver.

Le ballon se rapprocha dangereusement des cages du Trèfle et Ewin sentit l’inquiétude monter autour de lui. Un homme, deux rangs devant le garçon, commença à siffler et tout le monde le suivit. Cependant, les sifflements ne déconcentrèrent pas le coureur de la Rose, qui offrit une sublime passe au coureur de la Chauve-souris. Ce dernier tira de toutes ses forces vers les cages adverses, mais c’était sans compter l’agilité du gardien du Trèfle, qui bondit et capta la balle sans trop de difficultés.

-Pourquoi, le coureur de la Rose a fait une passe à un joueur de la Chauve-souris ? Demanda Ewin à son ami.

-Pendant un match de Gorun, la seule chose qui compte, c’est le score à la fin. Peu importe avec qui tu joues, il faut marquer et ne pas se prendre de but.

Drahar, dégagea la balle vers le coureur du Trèfle. Ce dernier réceptionna la balle et fonça vers les buts de l’équipe de la Chauve-souris. Ewin le regarda courir avec le ballon dans les mains. C’était donc lui le jeune prodige dont tout le monde parlait. Il se retrouva seul face aux trois défenseurs de la Chauve-souris. Sachant que les défenseurs ne pouvaient pas toucher le ballon, il le lança devant lui. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à passer le mur de défense, récupérer le ballon et marquer. Facile à dire, mais il se trouvait seul face à ces molosses qui le dépassaient d’une bonne tête, voire deux pour certains. Le premier défenseur commença à baisser la tête pour plaquer le joueur du Trèfle. C’est alors que, tel un kangourou, le coureur sauta par-dessus le premier défenseur. Les spectateurs s’enflammèrent autour d’Ewin et certains commencèrent à se lever. Le coureur ne s’arrêta pas là, il esquiva d’un bond de côté le deuxième défenseur, et enfin, il prit de vitesse le dernier avant de récupérer le ballon et d’adresser une frappe lourde du pied gauche. Le ballon flotta dans les airs avant de tromper le gardien.

Tout le stade explosa. Ewin se sentit emporté par la ferveur des supporters, tous debout, et se leva à son tour en laissant échapper sa joie. Il n’avait jamais ressenti une telle émotion, il se sentait appartenir à une équipe, à un groupe, et même si ce n’était que du sport, il lui sembla subitement que la victoire de son équipe devenait plus importante que tout le reste. Rekan, s’approcha de son public, et célébra son but en montrant le trèfle de son maillot.

Le match reprit et les buts s’enchaînèrent. Rekan en marqua une bonne partie et permis à son équipe de se qualifier aisément en remportant la rencontre. L’équipe de la Chauve-souris se qualifia aussi pour la finale, comme attendu.

Ewin était à peine sorti du stade, que le soleil éternel de Yotr baissa d’intensité, et une lune phosphorescente prit progressivement sa place. La lune se teinta de vert pendant près d’une minute, puis elle prit une couleur violette. Les couleurs des équipes qui ont gagné le match comprit Ewin. Après cela, le soleil revint réchauffer la ville de ses rayons.

-Quelle magnifique victoire !

Magon lui octroya une tape sur l’épaule, un peu trop forte au goût d’Ewin. Il affichait un sourire spontané et ne pensait plus qu’à une seule chose : fêter la victoire de son équipe toute la nuit. À peine arrivé à l’hôtel, Magon ne prit pas le temps de remonter dans sa chambre et se dirigea vers la salle des fêtes.

La salle, pourtant si grande, était bondée. Les nombreux barmans et serveurs ne savait plus où donner de la tête. Les dizaines de grands canapés étaient tous occupés et les jacuzzis surchargés de monde. La musique, à fond, mêlée au brouhaha des gens, obligeait Ewin à crier pour se faire entendre.

-Il y a beaucoup de monde, cria-t-il à son ami, qui regardait déjà le bar avec envie.

-Oui, tu as raison, hurla-t-il à son tour. Moi aussi, je vais aller me chercher à boire.

Ewin allait lui dire qu’il n’avait pas dit ça, mais l’apprenti-militaire était déjà parti se servir. Après tout, lui aussi avait soif. Il le rejoignit donc au bar et prit une boisson déjà servie. Il ne savait pas ce que c’était, mais ça avait l’air délicieux. Un quart de citron flottait autour d’une longue paille. Ewin sirota son verre. Un goût d’agrume vint lui emplir le palais. C’était tellement bon qu’il finit son verre d’une traite et en reprit un autre. Après trois verres, il sentait déjà sa tête tourner et décida de s’éloigner un peu du bar. Il chercha Magon, mais dans la foule, impossible de reconnaître qui que ce soit. En voyant qu’une piste de danse s’était formée au centre de la salle, il décida de s’y joindre.

Les danses et les verres s’enchaînèrent, si bien que le jeune garçon perdit toute notion du temps. Il suivait le rythme endiablé que lui imposait la musique, et peu à peu, il se sentit glisser vers un état second dans lequel il ne maitrisait plus rien.

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DraikoPinpix
Posté le 03/05/2020
Coucou !
J'aime comment Ewin est maladroit avec les gens de son âge, ça le rend plus attachant.
Ce chapitre est sympa, on est embarqué dans l'euphorie du match, l'ambiance est bien décrite, on s'y croirait.
À bientôt 🙂
clemesgar
Posté le 03/05/2020
Coucou ;)
Ca me fait plaisir de revoir tes commentaires ^^.
Oui cela est peut être dû au fait qu'il n'aie pas rencontré bcp de jeunes durant son enfance.
En tout cas, je suis ravi que tu aies apprécié l'ambiance sportive de Yotr ;)
A bientôt ^^
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