L’après-midi avait déjà bien été entamé. Dans le calme du salon, j’étais confortablement installée dans le canapé moelleux d’Owen avec mon livre Assoiffés posé sur mes genoux. Le premier tome de cette série fantastique m’a tenu en haleine toute la journée, étant à chaque page impatiente de me replonger dans l’intrigue envoûtante.
Les haut-parleurs de la télévision diffusent une mélodie envoûtante et me transportent dans mes pensées. Je relève les yeux de mon livre et observe Owen assis confortablement à mes côtés, la manette de jeu en main, plongeant dans l’univers d’Assassin’s Creed. Toute la l’ambiance de la dernière fois a disparu et aucune sensation étrange n’est apparu dans mon bas ventre. Je n’ai pas eu envie de l’embrasser une seule fois de toute la journée alors que nous sommes à côté dans son canapé. La dernière fois, il s’agissait d’une baisse de tension, je n’avais pas mangé assez de sucre.
Mon meilleur ami est absorbé par le jeu, ses yeux sont fixés sur l’écran tandis que ses doigts manient la manette avec précision. De son côté, il incarne Ezio Anditore, si j’ai bien suivi, il s’agit d’un maître assassin, dans le cadre historique de la Renaissance italienne. Pendant quelques secondes, je prends le temps de regarder son écran et d’observer les ruelles pavées de Florence s’étendant dans cette autre réalité. Son personnage avance doucement tandis que les détails architecturaux de la cathédrale Santa Maria del Flore se dressent majestueusement.
Son aisance est tel que je ne peux pas lâcher l’écran du regard. Owen saute de toit en toit, utilise les ombres pour se cacher et déjoue ses ennemis avec une habileté impressionnante. Je suis chaque mouvement, chaque frappe. Plus le temps passe, plus je suis captivée par l’histoire se déroulant devant moi, une histoire d’intrigues, de trahisons et de luttes pour la justice. J’avance doucement dans ma lecture, mais à chaque cinématique, mon esprit vagabonde et se trouve à fixer les graphismes réalistes.
Je retrouve rapidement mon livre et je m’approche doucement de la fin tout en sentant l’odeur familière des pages neuves. Les mots imprimés semblent vibrés d’une énergie propre comme s’ils attendaient d’être découverts. L’auteure a réussi à créer une atmosphère envoûtante où les mystères semblent flottés dans l’air. Je suis plongée dans un monde de magie, de romance et de danger. Au moindre rapprochement entre Jaxon et Grace, ma concentration est exacerbée. Je vis pour ce roman et l’histoire qui se déroule devant moi. La peur est aussi présente, l’incompréhension, je ressens toutes les émotions des personnages, leurs doutes, leurs peurs et leurs désirs. Dès qu’un personnage m’agace où que la pression devienne trop intense, je ferme le livre me forçant à faire une courte pause pour ne pas balancer mon livre à l’autre bout de la pièce.
Le salon d’Owen semble s’effacer autour de moi tandis que je plonge une nouvelle fois dans l’intrigue. Je suis hypnotisée par les pages qui tournent, les noms des chapitres hilarants et la romance entre les deux protagonistes. La peur commence à m’envahir, je ne sens pas du tout ce qui va se passer. Le silence avait été présent durant tout l’après-midi, cependant avec les dernières pages qui arrivent à grands pas, je ne peux m’empêcher de souffler, de lever les yeux au ciel et de prononcer des mots monosyllabes. Il reste bien trop de pages pour que ce soit un happy ending sans cliffhanger, en plus c’est une série.
Soudain, un frisson me parcourt l’échine. Le livre me tient en haleine, je tourne les pages frénétiquement. L’immersion est si profonde que j’ai l’impression d’être avec les personnages, vivant leurs aventures avec eux. Mes yeux ne veulent pas comprendre ce que je viens de lire.
Ce n’est pas possible !
- NON !
La bulle de silence vient d’éclater.
- CA NE PEUT PAS SE TERMINER COMME CA !
Je ferme mon livre rageusement et je suis prête à le lancer au milieu de la pièce. Avant de commettre l’inévitable et sans me regarder, Owen me prend le livre que j’ai dans les mains et le repose doucement sur mes genoux. C’est bien mieux comme solution, après tout c’est moi qui l’ai payé. Owen continue calmement de jouer alors qu’un bruit retentit dans son jeu. Il est de son côté à deux doigts de l’échec. Sa prise se resserre sur sa manette tout comme sa concentration. Avec une série de mouvements habiles, mon meilleur ami réussit à vaincre ses adversaires, ce qui lui donne accès à une porte secrète lui permettant de poursuivre son chemin.
En attendant son avancée, je reprends mon livre et relis les dernières pages.
Oui.
Je décide de vivre dans le déni.
Ma relecture me confirme que je n’ai pas halluciné. MERDE.
Je souffle et bougonne, tandis que j’entends le bruit de la Xbox qui s’éteint.
- Tu ne joues plus ?
- Non dit-il en posant la manette sur la table basse en face de nous.
Je remonte mes jambes vers ma poitrine pour me détendre les muscles, tout en remettant le plaid à sa place.
- Mais tu viens de battre des méchants et cela te permet d’atteindre un nouveau niveau ! Qu’est-ce qu’il a de plus important ?
- Tu as l’heure ? dit-il en s’étirant à son tour.
- 19h35, tu commences à avoir faim ?
- Mets tes chaussures, on ne va pas avoir beaucoup de temps.
Sans m’expliquer pourquoi, il met ses chaussures et sa veste en cuir. Sans pour autant courir partout, Owen se presse pour se préparer à sortir. Je le vois mettre ses papiers dans ses poches, diantre, qu’est-ce que je donnerais pour avoir des poches aussi grandes dans mes jeans.
- Manon, je ne te vois pas te préparer. Si tu n’as pas tes chaussures dans dix secondes et demi, tu sors dans la rue pieds nus.
Il regarde sa montre, comme si chaque seconde comptait. Son impatience me pousse à me dépêcher, cependant, je ne suis pas capable de me presser sans courir partout et me disperser. Le stress, ce n’est pas fait pour moi. Je me retrouve avec ma chaussure droite sur le pied gauche et inversement. Je trébuche en allant prendre ma veste et mon sac ouvert et posé sur le sol.
- Tu ne vas pas inverser tes chaussures ?
- Nous sommes pressés, je le ferais lorsque l’on arrivera à l’endroit !
Il ricane tout en ouvrant la porte et en me laissant passer. Juste avant qu’il la verrouille, je me rends compte de l’immense oubli que je viens de faire :
- MON TELEPHONE dis-je en courant et en poussant la porte.
De nouveau, je cours à travers l’appartement de Wenou et me prends les pieds dans mes pieds. Je me rattrape au dernier moment à la table et récupère mon précieux. Je repars dans la direction inverse en hurlant de nouveau :
- JE SUIS PRETE !
C’est essoufflé que j’arrive à la porte. La course ne s’arrête pas, Owen me pousse doucement dans le dos pour me diriger vers l’escalier. Pourquoi il habite en troisième étage déjà ? Il prend de l’avance, mes jambes n’arrivent pas à le suivre. Le hall est pour moi une délivrance, c’est fini. Pourquoi se dirige-t-il vers la porte menant au parking ? Ne me dites pas que je dois encore descendre des marches. Mes jambes vont partir loin, très loin. Et ne plus jamais revenir. Owen revient en arrière et remonte des escaliers pour être en mon niveau.
- Tu penses y arriver ou tu as besoin d’aide ?
- Gnagna, lui dis-je tout en tentant de conserver mon souffle.
La vision de sa voiture est la délivrance ultime. Je mens, c’est quand je m’assois sur le siège passager que je respire de nouveau. Je lance mon sac par terre et ouvre la fenêtre.
- Maintenant que j’ai couru partout, tu peux me dire où nous allons ?
- Laisse-moi me concentrer sur ma conduite, nous n’avons que 15 minutes pour faire un chemin de 20 minutes.
J’hoche la tête et vérifie ma ceinture. La voiture fend l’air, avalant les kilomètres de route à une vitesse soutenue, je surveille le tableau de bord et l’heure qui défile. Je profite de cet instant de repos pour procéder à l’échange de mes chaussures. Les immeubles défilent puis laissent place à des rues plus calmes, puis une rangée d’arbres annonçant l’approche du centre-ville. L’enseigne lumineuse de la librairie “Cultura” apparait au loin, éclairant la rue. Je sens Owen appuyer légèrement sur l’accélérateur, désireux d’arriver à temps.
Je me retourne comprenant où il m’emmène. Je me retourne dans un bond et le fixe, attendant qu'il répond à ma question silencieuse :
- Je n’allais tout de même pas te laisser passer une nuit sans la suite de ton roman. Un cliffhanger pareil ne devrait pas exister.
Comme si c’était possible, mon visage s’éclaire encore plus.
- Tu es le meilleur ! je m’exclame.
Owen se gare au parking à quelques pas de la librairie et nous en descendons rapidement.
- Il nous reste deux minutes avant la fermeture. On fonce ! dit-il en sortant et en claquant la porte.
Je cours à sa poursuite :
- Tu viens avec moi ?
- Je ne vais pas te laisser dans une mission si importante.
En entrant dans le magasin, une sonnerie tinte doucement au-dessus de nos têtes. Je regarde Owen avec détermination, sachant que nous ne pouvons pas perdre une seconde. J’ai arpenté cette libraire des centaines de fois, je sais où je dois me rendre. Mon meilleur ami me suit à la trace tandis que chaque minute semble s’étirer et à la fois s’évaporer rapidement. Je me fouille dans les allées, cherchant le rayon jeunesse.
Je tombe sur le rayon que je souhaite, il est l’heure de chercher en fonction de l’ordre alphabétique, il ne sera pas sur l’ilot central, il est sorti il y a bien trop longtemps. Wolff, où es-tu ?
- Comment s’appelle ton roman ? On va se séparer les étagères propose Owen.
- Foudroyés par Tracy Wolff, la couverture est noire avec une sorte de crystal couverte de sang.
Je souffle en voyant des romans qui ne devraient pas être rangés dans le rayon jeunesse. Sérieusement, d’où Gild est ici ? Ce n’est pas un livre qui devrait être dans le rayon jeunesse. Trouvé ! Mission accomplie ! Remplit de joie, je saute dans les bras d’Owen en lui montrant le roman. Il me sourit tandis qu’une musique se répand dans le magasin.
- Votre magasin Cultura va bientôt fermer. Nous prions nos chers clients de bien vouloir se rendre aux différentes caisses.
- Suis-moi, je sais où nous devons aller, lui dis-je en le prenant par la main tout en sautillant.