Vendredi 23 mai : La petite culotte rebelle et la rançon de la gloire
Au réveil, à mon mal de jambe habituel, s’ajoutent des courbatures et des tiraillements dans le bas ventre. Je reconnais ces signes et les attendais dans les prochains jours. Un passage aux toilettes me confirme mes craintes ; c’est le début de mes menstruations. Il est temps d’enfiler à nouveau une petite culotte. En effet, depuis l’accident, je n’en porte plus. Le défi consiste à parvenir à faire passer mon pied droit au travers de l’ouverture. J’essaie diverses techniques :
· assise, je me penche le plus possible pour essayer d’atteindre mon pied. Mais la douleur de la tension exercée est trop forte, je ne peux toucher que le milieu de mon tibia.
· toujours assise, je tente la technique du lasso : je lance mon sous vêtement en direction de mon pied es espérant qu’il se fasse « attraper » et par la bonne ouverture. Après trois tentatives infructueuses, j’abandonne.
· debout cette fois, la culotte à plat par terre, je positionne ma jambe droite à la verticale du trou adéquat. Je tente alors maladroitement de glisser mon pied à l’intérieur. Mais, ce dernier étant immobilisé par l’attèle, je n’arrive à aucun résultat.
Epuisée par la concentration nécessaire à tous ces exercices vains, je retourne me coucher, en emportant un essuie pour protéger mon sofa. Je me sers alors de celui-ci comme d’une grosse couche culotte que j’attache à la taille par une ceinture. Je ne peux pas rester ainsi jusqu’au passage de l’infirmière ce soir. Je décide d’appeler Paul à la rescousse ; il aura ainsi encore une occasion de se moquer de moi.
« Allô ?
- C’est moi. Est-ce que tu pourrais venir me mainfortiser lors de ta pause de midi ?
- Peut-être. Tout dépend de la définition de « mainfortiser ». Si c’est violent ou douloureux, ne compte pas sur moi.
- Non. C’est me prêter main forte, m’aider, si tu préfères.
- Bien sûr, pour quoi faire ?
- Je t’expliquerai. Bisous.
- Je t’aime, ma muse. »
Il est 12 h 05 quand Paul sonne.
« Que se passe-t-il ?
- Entre, je vais t’expliquer. »
Dans le salon, je sens que je rougis au moment de prendre la parole.
« Si je te dis que les anglais ont débarqué. Tu sais ce que ça signifie pour une femme ?
- Non je ne parle pas bien cette langue.
- Et l’armée rouge, ça te parle plus ?
- Encore des soldats !
- Bon ... tu sais …. tous les mois, les femmes sont de mauvais poil, irritables, susceptibles pendant trois ou quatre jours.
- Susceptible ! C’est plutôt permanent chez toi.
- Arrête de plaisanter. Je ne suis pas d’humeur.
- Tu vois que tu es susceptible ! Cesse de tourner autour du pot, tu as tes règles, c’est cela ?
- Oui. Ce sont les expressions qui t’ont mis sur la voie ou la référence au changement d’humeur ?
- Non, c’est la grosse tache que tu arbores à l’arrière de ta chemise de nuit.
- C’est vrai ? C’est affreux. Je suis totalement incapable d’enfiler une petite culotte. J’ai essayé pendant une demi-heure ce matin. Ils devraient inventer des slips avec un système de scratch sur les côtés pour les personnes dans ma situation.
- Je pense que ça existe. Ca s’appelle des couches.
- A propos, je suis en panne de serviettes hygiéniques. Tu pourrais aller au supermarché ?
- Bien sûr, lesquelles dois-je prendre ?
- Peu importe.
- Je me dépêche. »
Il revient avec un sac plastique rempli
« Il y avait plusieurs modèles alors j’ai pris une boîte de chaque !
- Tu ressembles à un représentant avec ses échantillons. »
On se met alors à rire tous les deux comme des baleines.
« Les meilleures sont les longues à ailettes. Passe-moi une culotte, je vais en fixer une. »
Cachée par la couverture, je retire mon lange modèle d’avant guerre. Je demande alors à Paul d’enfiler mes pieds dans le slip. Il me le remonte jusqu’aux genoux.
« STOP ! Ne va pas plus haut !
- Mmm. Je pourrais profiter de la situation. Tu es sans défense.
- Pervers. Tu abuserais d’une pauvre jeune fille grièvement blessée ? Et n’oublie pas que j’en ai maté un plus coriace que toi cette semaine ! »
Donc, masquant toujours mon intimité sous ma couverture, je termine l’installation.
« Je n’ai jamais eu aussi honte de ma vie !
- Tu t’en sors dignement. Il faudrait te changer aussi. Je t’apporte tes vêtements. »
Paul se retourne, le temps que je retire ma chemise de nuit pour enfiler un T-shirt. J’en profite pour cacher mon essuie souillé en boule dedans.
« Tiens, jette ça dans la machine, s’il te plaît. Ah, la galère mensuelle ! Ca a commencé le jour de mon treizième anniversaire. La féminité en cadeau. Maman a su tout de suite quoi m’offrir. Comment tu as appris l’existence de ces petits désagréments féminins ? Tu es tombé sur une boîte de serviettes de ta mère ?
- Non, elle a toujours été très discrète. Tu te sens mieux ?
- Beaucoup mieux. Tu as eu le temps de manger ?
- Non, je suis venu tout de suite. Il me reste une demi-heure.
- Tire deux plats du congélateur et réchauffe-les. C’est Maman qui les a préparés samedi dernier. Tu pourras ainsi goûter la cuisine de ma mère.
En dix minutes, nous avons chacun une délicieuse assiette à déguster.
« C’est succulent. Félicite ta Maman.
- C’est plus léger que ce que Martha cuisine.
- Oui, c’est pas facile de garder la ligne avec elle.
- Tu n’as qu’un bedon naissant. Rien de catastrophique. Un peu de sport le fera fondre.
- Je veux bien mais, en ta compagnie.
- Tu devras patienter encore au moins trois mois.
- J’ai tout mon temps … (il regarde sa montre) à part maintenant ! Ne t’occupe pas de la vaisselle. Je la ferai tout à l’heure. Repose-toi, ma muse. »
Il m’embrasse et sort précipitamment.
Depuis hier, je suis un entraînement intensif pour être au top de ma forme pour ce soir au boulot :
· dormir entre 13 et 14 heures chaque jour
· limiter les sorties au strict minimum
· réduire le temps des stations debout
· surélever ma jambe
· manger sainement
· laisser Paul s’occuper des corvées ménagères
Dix minutes avant vingt heures, Paul me dépose et j’entre, rayonnante, dans le café. C’est Didier qui m’accueille.
« Salut, la vedette.
- Pourquoi tu me dis ça ? C’est le foulard autour du cou qui fait chic, n’est-ce pas ?
- Non, on t’a vue dans le journal. Et un reporter est venu poser des questions. Il nous a expliqué ce qui t’est arrivé lundi. Je te félicite pour ton sang froid
- (patron) Tu peux encore nous faire de la pub, ça attire les clients.
- Qu’est-ce que j’y gagne en retour ? Un œil au beurre noir, un genou comme un ballon de foot et une cicatrice (en baissant le foulard)
- (Didier) La vache ! S’il avait appuyé plus fort, on venait te voir au cimetière.
- Eh oui ! Mais je suis toujours là, fidèle au poste.
- (patron) Arrête de te pavaner et va servir ! »
En une semaine, j’ai un peu perdu la main (ou plutôt le pied) pour avancer avec une seule béquille. Dans mon programme, il faudra que je prévoie quelques séances d’entraînement. Mais ce soir, l’ambiance est détendue. Les gens ne me stressent pas en criant : « Et ma commande, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? » ou encore : « Ils sont arrivés après nous et vous les avez servis avant, c’est inadmissible ! ». Non. Ce soir, quand j’arrive près d’une table, les gens me sourient. Quand je m’éloigne, j’entends chuchoter dans mon dos. J’ai même droit à de beaux pourboires. C’est sûrement l’effet de l’article de J.-F. Tout le monde semble au courant mais personne n’ose me poser de questions ; à part un homme d’une quarantaine d’années. Je ne l’ai jamais vu ici. Je m’avance à sa table.
« Qu’est-ce que je peux vous servir, Monsieur ?
- Excusez-moi, Mademoiselle. Je suis peut-être curieux mais … est-ce vous qui avez été victime d’une agression cette semaine ?
- Oui, ça se voit tant que ça ?
- Et tout s’est déroulé comme décrit dans l’article ?
- Bien sûr.
- Je pensais qu’on ne voyait cela que dans les films !
- Ca m’a peut-être influencée inconsciemment … et sauver la mise.
- Je vois que vous avez été blessée (en désignant ma jambe).
- Non, ça c’est un accident. L’agresseur m’a juste amoché le visage et le cou.
- Et vous n’avez pas pris un peu de repos ? Vous le méritez.
- Non, mon patron n’a pas jugé cela nécessaire.
- J’aimerais vous offrir un verre. Asseyez-vous, je vais chercher les consommations au bar. Que buvez-vous ?
- C’est impossible, merci. Nous ne sommes que deux pour le service.
- C’est dommage.
- Donc … qu’est-ce que je peux vous servir ?
- Non, rien. Je vais partir. Je n’ai pas vraiment soif. Tenez … pour le temps que je vous ai volé. »
Et il me dépose un gros billet sur le plateau avant de s’en aller. Waouw ! C’est plus que mon salaire du week-end. Je pourrais m’asseoir et payer quelqu’un pour assurer mon service avec cet argent. Ca me donne une idée : je vais demander l’aide d’Aurore demain soir et c’est moi qui la rémunérerai. J’éviterai ainsi de suer sang et eau samedi et d’hurler à la mort dimanche matin. Cette perspective m’enchante et je continue à prendre mes commandes à mon rythme. Le boss essaie pourtant de me faire presser le pas : « Allez, vite … dépêche-toi … le client attend …. Ça va refroidir ». Mais je n’entre pas dans son jeu.
Vers 23 heures, un habitué vient s’installer dans ma salle. C’est lui qui me surnomme Bip Bip.
« Bonsoir, comme d’habitude ?
- Même si toi, tu ne l’es pas … comme d’habitude. C’est soirée pirates ? Jambe de bois et œil poché ?
- Pas vraiment. Disons plutôt que je me suis faite rattrapée par le coyote et qu’il n’a pas été tendre avec moi.
- Je peux en savoir plus ?
- Vous devriez lire le journal à la rubrique « faits divers ».
- Pour m’éviter de longues recherches, tu pourrais me faire un résumé ?
- D’accord. 5 mai : accident de la circulation, un piéton, ou plutôt une piétonne, en l’occurrence moi, est renversé par une voiture. 16 mai : une serveuse agressée sur son lieu de travail par un client. 17 mai : arrestation de l’agresseur. 19 mai : séquestration de la serveuse dans sa propre maison par le même agresseur.
- Oh ! Et le coyote est en fuite ou en cage ?
- Celui de l’accident court toujours et l’autre est derrière les barreaux, du moins je l’espère.
- Quelle épopée ! Je devrais venir plus souvent.
- Comme d’hab’ ?
- Oui, Bip Bip.
- Il faudra revoir temporairement le surnom.
- J’y travaille. »
Quand je lui apporte son verre, il me répond :
« Merci … Capitaine Fracasse.
- Plutôt, la fracassée ! Non ? »
A minuit vient la délivrance. Je vais retrouver mon canapé qui m’appelle. Il se languit de ma présence et attend de me soutenir. Ma rue est toujours aussi difficile à monter. La pause à l’abribus est devenue une étape obligatoire. Il est évident que ma jambe me fait souffrir mais la douleur se limite au niveau 4 malgré les heures passées debout à courir de gauche et de droite. Mon régime repos a donc porté ses fruits.
Cher lecteur, je ne publierai pas la suite car mon roman est publié chez Edilivre depuis peu. Si l'histoire vous a accroché et vous désirez connaître la suite des tribulations de Delphine qui sont nombreuses (il reste plus de 100 chapitres), rendez-vous ici : http://www.edilivre.com/jambe-en-l-air-1c382568ce.html
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Petit reportage télé : https://www.youtube.com/watch?v=a1Fit2wOqBw
Merci pour tous vos commentaires et vos lectures.