Chapitre 2

Dans les beaux bureaux en glace

Comme dans les couloirs d’école

C’est toujours l’effet de masse

Qui nous casse et nous isole

 

Maëlle

 

Lucie entra dans la salle de classe accompagnée du proviseur du lycée Voltaire, Monsieur Moulin. Tous les élèves se levèrent en même temps provoquant un capharnaüm. L’adolescente ne réagit pas mais semblait tétanisée. Ses cheveux blonds qui reflétaient la lumière du soleil aveuglaient Valentin qui avait du mal à distinguer le visage de sa nouvelle camarade. Il lui semblait qu’elle avait des yeux bleus azur. Se plonger dans le regard de Lucie équivalait à sauter dans la mer Méditerranée. Ils étaient d’un clair, mais des éclats plus foncé les rendaient plus profonds. L’adolescent voulait plonger, les yeux en avant, dans ce regard si intense. La jeune fille arborait une petite robe blanche, légère, sur laquelle étaient imprimées des fleurs, bleues, elles aussi. Valentin se mit à penser que le bleu devait être la couleur fétiche de l’adolescente. Le garçon avait d’ailleurs lu un roman graphique qui s’intitulait Le bleu est une couleur chaude. Après sa lecture, il s’était dit que le titre était très bien trouvé et que Jul Maroh, l’autrice, avait eu une brillante idée.

 

Par dessus sa robe, Lucie portait une veste en jean’s, bleue, ça allait de soi. Cependant, elle n’avait pas de sac à dos pour ranger ses affaires. A la place elle affichait un sac en cuir, marron, en bandoulière sur l’épaule droite. Valentin remarqua alors que la nouvelle élève ne regardait absolument pas l’assemblée devant elle. Elle semblait cherchait quelque chose ou quelqu’un. Ce fut à cet instant que Valentin remarqua qu’une troisième personne les accompagnait. C’était un homme âgé d’une quarantaine d’années, chauve, mais qui portait un bouc grisonnant. Discrètement, comme si de rien était, comme si sa présence n’avait pas besoin d’être expliquée, l’inconnu se mit contre le mur de la fenêtre, à gauche dans la pièce, juste devant la table de Ludo et Elsa, de façon à voir Lucie et Monsieur Moulin. Ce dernier prit la parole :

« Jeunes gens, asseyez-vous ! »

 

De nouveau dans un bruit assourdissant, les élèves reprirent place sur leur chaise. La jeune fille ne sembla pas perturbée par le chaos provoqué par ses nouveaux camarades. Valentin se rendit compte que Lucie regardait dans sa direction. Il ressentit comme une gêne car il était un garçon très timide. Mais il comprit que ce n’était pas lui que l’adolescente regardait mais l’inconnu qui n’avait pas quitté son bout de mur. Le garçon vit que le quarantenaire s’agitait. Ses mains s’appliquaient à faire des mouvements qui ne signifiaient absolument rien pour Valentin mais qui semblaient vouloir dire beaucoup pour Lucie. Avant qu’il n’ait eu le temps de comprendre, le proviseur reprit :

« Je vais faire vite car j’ai très peu de temps. Je vous présente votre nouvelle camarade, Lucie Barbier. Lucie est une adolescente comme une autre. Elle est sourde et ne communique que par écrit ou en Langue des Signes. C’est pourquoi un interprète l’accompagnera dans certains cours mais pas tous. Alors je compte sur vous pour l’aider. »

Sur ces mots, Monsieur Moulin quitta la pièce en indiquant aux élèves d’un signe de la main qu’il n’était pas nécessaire de se lever pour accompagner son départ.

 

Après cette brève présentation, traduite en langue des signes par l’interprète, et qui masquait tant bien que mal le mépris qu’éprouvait le proviseur envers la nouvelle élève, Monsieur Louis indiqua à cette dernière la chaise laissée vide juste à la droite de Valentin. Elle adressa un léger sourire à son professeur principal en guise de remerciement.  Lorsque Lucie passa devant les tables du premier rang pour rejoindre sa place, Valentin entendit quelques ricanements. Il savait très bien qu’il serait difficile pour la jeune fille de se faire accepter. Ses camarades n’étaient pas méchants, ils étaient juste adolescents et par définition, un peu bêtes.

 

Valentin ne put s’empêcher de regarder Lucie. Elle était incroyablement belle avec ses cheveux-soleils. Elle marchait avec calme et sérénité. Elle semblait à la fois effrayée mais aussi sûre d’elle. Sa façon d’avancer parmi les élèves montrait une certaine assurance mais les traits tirés de son visage trahissaient le fait qu’elle était visiblement mal à l’aise. Lucie s’assit à côté de Valentin qui remarqua que la jeune fille le regardait au moment de prendre place. L’adolescent tenta tant bien que mal de garder la face. Il ne voulait pas voir son armure se briser au bout de quelques secondes seulement.

 

« Monsieur Bouvier, dit le professeur principal à Valentin, vous aurez la lourde tâche de photocopier vos cours et de les donner à Mademoiselle Barbier. Je compte sur vous pour que ces derniers soient parfaitement compréhensibles. »

Valentin acquiesça et entendit derrière lui quelques ricanements provenant du fond et il sut tout de suite que Jordan et sa bande de gorilles n’étaient pas étranger à cela. Comme à son habitude, il ne fit pas attention à eux et préféra se concentrer sur l’interprète qui traduisait les dernières paroles de Monsieur Louis. Le jeune garçon avait l’impression que les mains de l’homme face à lui se mouvaient telle une danseuse étoile répétant sa chorégraphie. Evidemment, Valentin n’y comprenait rien du tout mais sans qu’il ne puisse l’expliquer, il était totalement subjugué. Il remarqua aussi que les lèvres de l’interprète bougeaient au fil de ses gestes mais sans qu’un son ne sorte de sa bouche. L’adolescent comprit que Lucie devait savoir lire un petit peu sur les lèvres. Cela devait l’aider à communiquer pensa-t-il.

 

A 10 heures 30, la sonnerie retentit. C’était le signal pour le professeur principal de relâcher ses élèves pour une durée de quinze minutes. Ce fut à nouveau un vacarme sans nom lorsque les adolescents repoussèrent leur chaise. Valentin et ses amis descendirent dans la cour de récréation et s’installèrent sur le banc placé devant le CDI. Ce bâtiment était situé en plein milieu de la cour. Son banc était l’endroit préféré du groupe d’amis qui s’y retrouvait à chaque pause pour discuter, débattre ou bien rigoler. Au fil des années, ce banc avait vu passer de nombreux élèves et avait été le témoin de nombreux éclats de rire mais aussi de chagrins d’amour d’adolescents. Valentin avait conscience, et ce malgré son jeune âge, de l’importance de ce banc. Il n’aurait manqué pour rien au monde un rendez-vous autour de ce dernier.

De son côté, Justine préféra ne pas rejoindre ses amis mais plutôt bécoter Jordan dans un coin assez discret de la cour de récréation. Valentin avait remarqué que son amie venait de moins en moins avec eux et penchait plutôt pour retrouver son petit ami.

Elsa, Ludo et Valentin se retrouvèrent donc à leur lieu habituel. La jeune fille s’assit sur le dossier du banc et les garçons choisirent de rester debout. De toute évidence, la discussion tourna très vite autour de Lucie et de son arrivée surprise dans leur classe.

« - La pauvre, elle ne va pas se faire beaucoup d’amis si elle ne parle pas, commença Ludo.

- C’est clair, enchérit Valentin.

- Mais que vous êtes bêtes tous les deux, les réprimanda Elsa. Elle ne parle peut-être pas avec sa bouche comme vous et moi mais elle peut s’exprimer avec ses mains.

- Mais on ne comprend pas sa langue, lui répondit Valentin.

- Et alors ? On peut essayer d’apprendre la langue des signes. Et puis, elle sait probablement écrire, ajouta la jeune fille. »

Les deux garçons haussèrent les épaules. Ils savaient très bien qu’Elsa n’avait pas tort dans son raisonnement. Mais aucun d’eux n’avaient le courage de l’avouer. Comme pour changer de sujet, Valentin reprit :

« Je pense aller voir l’administration au sujet des photocopies de cours pour Lucie, commença Valentin. J’imagine déjà la réaction de mes parents si je leur annonce qu’ils vont devoir payer pour qu’une élève handicapée puisse suivre les cours dans une école publique, dit-il sur un ton sarcastique. »

Monsieur et Madame Bouvier étaient tous deux des cadres très importants dans une entreprise dont le fond de commerce était la vente d’énergie. Ils gagnaient très bien leur vie et ne faisaient que peu d’efforts pour s’en cacher. C’était en partie pour cette raison que Valentin ne voulait pas leur parler de cette histoire de photocopies. Ses parents faisaient partis de ces gens qui pensaient que l’école devait être gratuite et qu’elle devait surtout le rester. Mais au delà de ça, Monsieur et Madame Bouvier n’étaient pas du genre à dépenser pour les autres. Valentin était leur unique enfant et lui seul comptait à leurs yeux. Mais les parents du garçon n’étaient que trop peu présent pour lui. En effet, leur travail les obligeait à délaisser très régulièrement leur foyer faisant ainsi de Valentin l’unique pensionnaire de leur grande maison familiale.

« - Tu peux toujours imprimer les cours de Lucie lorsque tes parents sont absents, proposa Elsa.

   -Ouh là ! s’exclama son frère jumeau. Tu ne te rappelles pas la crise du père de Valentin lorsqu’il avait dû nous emmener exceptionnellement chez Sam pour une répète ? »

Valentin ne se souvenait que trop bien de ce jour là. La mère des jumeaux, Madame Roussel, venait de se faire opérer suite à une crise d’appendicite et était rentrée la veille de l’hôpital. Par conséquent, Monsieur Roussel avait dit aux jeunes gens qu’il préférait que pour une fois le petit groupe répète chez Sam, leur batteur, afin de laisser son épouse se reposer et se rétablir. C’est ainsi que Valentin demanda à son père s’il pouvait emmener ses amis en même temps qu’il le déposerait chez Sam. La réaction de monsieur Bouvier n’était pas vraiment celle que son fils aurait souhaité. Il y eut des éclats de voix ce jour là, comme souvent. Monsieur Bouvier voyait là le détour et par conséquent la perte de temps que cela allait lui causer. Et chez les parents de Valentin, le temps, c’était avant tout de l’argent. Comme son épouse, Monsieur Bouvier ramenait tout à l’argent, ce qui agaçait fortement son fils pour qui le bonheur ne se mesurait pas au nombre de billets dans le portefeuille. Valentin aurait préféré que ses parents travaillent à l’usine, qu’ils soient ouvriers si cela permettait qu’il puisse les voir tous les soirs.

« Oui c’est vrai, répondit Elsa. Vous avez raison tous les deux.

- J’irai voir les surveillants après les derniers cours de la journée, déclara Valentin. »

En repensant à sa nouvelle camarade de classe, le jeune homme se demanda où elle était. En effet, il l’avait aperçu sortir de la salle de classe mais l’avait aussitôt perdue de vue.

« Vous avez vu Lucie ? demanda-t-il à ses amis. »

Les jumeaux firent non de la tête.

« - On peut aller marcher un petit peu et peut-être qu’en chemin on la trouvera, proposa Elsa.

- Excellente idée, approuva son frère. »

Les trois adolescents partirent alors à la recherche de la jeune sourde. Ils parcoururent toute la cour de récréation sans l’apercevoir. Mais lorsqu’ils arrivèrent à proximité du préau ils entendirent de drôles de bruits. On aurait dit des cris de mouettes à l’agonie. Plus Valentin et les jumeaux se rapprochaient de la source de cette nuisance sonore et plus ils se rendaient compte qu’il y avait beaucoup d’élève sous le préau pour une matinée ensoleillée. Cet attroupement semblait assister à un étrange spectacle. La plupart de ces élèves riaient aux éclats. Curieux, Valentin parvint à se frayer un chemin et ce qu’il vit l’agaça. Il remarqua Lucie, paisible, en train de lire sur un banc, alors qu’elle se faisait embêter par trois copains à Jordan, Hakim, Thomas et Paul. Ces derniers imitaient des mouettes en hurlant et en battant des bras comme pour s’envoler et courant dans tous les sens. La nouvelle élève sembla ne pas se préoccuper de ces trois idiots. Valentin se doutait très bien que Lucie les avait remarqués mais elle avait fait le choix de les ignorer. Mais ce qui dégoûta le plus Valentin, ce fut de voir sa meilleure amie s’esclaffer sans même intervenir. C’en était trop pour le jeune homme. Soudainement, il sortit du troupeau d’élèves et poussa Paul. Ce dernier rendit le coup et bouscula Valentin qui se jeta immédiatement sur son camarade de classe. Le rocker en herbe n’était pas du genre à se battre avec le premier venu mais il détestait par dessus tout l’injustice. La situation dégénéra lorsque Ludo tenta de séparer les deux bagarreurs. Paul ne l’entendit pas de cette oreille et lança un coup de poing qui termina sa route en plein dans le nez du guitariste. C’est alors que Hakim et Thomas rejoignirent la bagarre. Les autres élèves étaient toujours ameutés, visiblement ravis par le spectacle. Leurs exclamations et la clameur générale attirèrent trois surveillants qui s’empressèrent aussitôt de séparer les cinq adolescents belliqueux. Ils n’étaient pas de trop tant la virulence des coups était intense.

Valentin était à terre, Paul au dessus de lui. Fabien, l’un des surveillants attrapa ce dernier pour qu’il lâche prise sur Valentin.

« Stop les mecs ! s’exclama Fabien. »

Le jeune homme pu se relever, non sans difficultés. Ses jambes étaient douloureuses et ses poings légèrement abîmés, mais tout cela était superficiel. Les cinq adolescents furent directement emmenés dans le bureau de la Conseillère Principale d’Education (CPE), Madame Leroy. Son bureau se trouvait juste à côté du préau. Il suffisait d’entrer dans le bâtiment, de tourner à droite, de pénétrer dans le bureau des surveillants et de tourner à gauche. Ensuite se trouvait un couloir avec quatre portes à droite. Le bureau de Madame Leroy était la deuxième d’entre elles. Mais celui-ci étant très étroit, elle choisit de les recevoir un par un. Elle entendit d’abord les trois amis de Jordan, puis ce fut le tour de Ludo et enfin vint celui de Valentin. Quand ce dernier entra dans le bureau, il pensa que c’était la première fois depuis qu’il était au lycée qu’il pénétrait dans cette pièce. Il n’avait jamais eu d’histoires auparavant.

« - Une bagarre dès la première récréation, vous faites fort Monsieur Bouvier. Racontez-moi ce qu’il s’est passé. J’aimerais avoir votre point de vue, lui demanda Madame Leroy.

- Je n’ai fait que défendre une camarade de classe. Ces trois idiots la harcelaient dès le premier jour, se défendit Valentin.

- Ces trois idiots comme vous dites m’ont chacun déclaré que c’est vous qui les avez agressés alors qu’ils ne faisaient que taquiner légèrement notre nouvelle élève.

- Vous n’allez tout de même pas me dire que ce n’était qu’un bizutage ? Ils lançaient des cris tout autour d’elle en sachant pertinemment qu’elle n’entend pas et ne parle pas. C’était de la méchanceté gratuite. »

Valentin ne se décourageait pas facilement, même face aux adultes. Il les savait capable d’injustice et de malhonnêteté. Mais la CPE ne lâcha pas le morceau.

« Admettons que vous ayez raison Monsieur Bouvier. Il reste un point que l’on ne peut accepter au Lycée Voltaire, c’est le recours à la violence. C’est la première fois que je vous vois dans mon bureau en deux ans et c’est le premier jour. Je ferme les yeux aujourd’hui. Je ne serai pas aussi clémente la prochaine fois.

- Et les autres ? demanda Valentin.

- J’ai fait preuve de la même clémence envers vos camarades y comprit votre ami. Tous ont été prévenus qu’au prochain débordement la sanction serait très lourde. Suis-je bien claire Monsieur Bouvier ?

- Oui Madame, répondit Valentin.

- A la bonne heure ! Avez-vous besoin d’aller à l’infirmerie ? »

Valentin observa ses mains. Ses phalanges étaient légèrement écorchées et la douleur supportable. Il secoua la tête de gauche à droite en guise de réponse.

« Très bien ! Reprit Madame Leroy. Je vais demander à Fabien de vous ramener en classe. Vous pouvez y aller. »

Valentin la remercia même s’il était légèrement dépité par l’absence de sanction envers Paul, Hakim et Thomas. Il ne trouvait pas cela très juste mais était soulagé que Ludo et lui s’en soient finalement plutôt bien sortis. Le jeune homme quitta la pièce tandis que Madame Leroy passait un coup de fil afin de demander à Fabien de raccompagner l’intéressé.

La classe le regarda avec inquiétude et un certain malaise s’installa tandis que Valentin regagnait sa place, à côté de Lucie. L’adolescent en profita pour jeter un regard noir en direction de Justine, sa meilleure amie. Il n’avait pas apprécié que celle-ci s’esclaffe devant les pitreries des potes de son petit copain. Quand il s’installa, la jeune sourde ne lui prêta aucunement attention. Pas un seul regard en direction de son camarade qui avait prit sa défense. Même s’il ne s’attendait à rien, Valentin était tout de même déçu. Après tout, rien ne l’avait obligé à venir en aide à la jeune fille. Il se rendit vite compte que sa pensée était égoïste car Lucie n’avait rien demandé à son tour. A ce moment là, elle était plongée dans sa lecture. Elle était dans son monde.

Monsieur Louis, le professeur principal, qui n’avait fait aucun commentaire sur le retour tardif de Valentin en classe, distribua les emplois du temps. Les réactions des élèves de la classe 2L furent nombreuses et diverses. Ils passèrent le temps qu’ils leur restait de la matinée à décomposer cet emplois du temps avec leur professeur. A midi, la cloche retentit à nouveau. Dans un boucan assommant tous les élèves du Lycée Voltaire se dirigèrent vers la cantine.

 

 

 

 

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