Chapitre 3

Oh Lucie

Qu'est-ce qui t'amène?

(…)

Le reste n'est qu'histoire ancienne

Tu connaissais déjà la fin

 

Daniel Balavoine

 

 

« - On l’a échappé belle hein Valentin ? ironisa Ludo. 

- Il n’y a rien de drôle vous avez surtout eu beaucoup de chance, le réprimanda sa soeur jumelle. »

Valentin ne répondit rien. C’était à peine s’il daigna lever la tête. Il n’avait quasiment pas touché à son repas. La purée fade et les cordons bleu flasques de la cantine ne lui avaient absolument pas manqué. Il se sentait vide. Tout d’abord parce que Justine ne lui avait pas adressé un mot depuis la bagarre sous le préau. L’adolescente mangeait en compagnie de Jordan et de ses amis. Valentin les observait depuis sa table en train de se marrer. Sa colère ne retombait pas. Il aurait tellement aimé que Hakim, Paul et Thomas soient sévèrement punis pour ce qu’ils avaient fait quitte à ce que lui aussi soit puni. Mais il en était rien et cela le mettait en rogne.

La deuxième raison au malêtre de Valentin était le fait que Lucie ne lui avait pas jeté un seul regard lorsqu’il avait rejoint la classe. Le garçon avait espéré un simple Merci griffonné sur un bout de papier. Cela lui aurait amplement suffi. Il voulait tant établir le contact avec la jeune sourde mais il ne savait pas de quelle manière s’y prendre. Tous les chemins mènent à Rome pensa-t-il. Il devait forcément y avoir un moyen de briser la glace. Comme aucune solution ne lui venait à l’esprit, le guitariste jugea que ce n’était pas à lui de faire le premier pas vers Lucie, mais à elle de venir à lui. Comme elle ne parlait pas la même langue que tout le monde, c’était à elle de faire l’effort de se faire comprendre de tous. C’est idiot déclara-t-il à lui-même. Mais l’adolescence n’était pas considérée comme la période de l’âge bête pour rien.

Alors qu’il relevait la tête pour prêter un minimum d’attention à la discussion des jumeaux, il vit Justine s’installer juste en face de lui. Elle fixait Valentin qui en réponse soutint son regard.

« - Qu’est-ce qui t’as pris tout à l’heure ? T’es devenu cinglé ou quoi ? hurla Justine.

- Et toi ? T’es fière de glousser devant les pitreries de tes nouveaux potes ? répondit Valentin.

- Mais c’était juste pour rigoler, se défendit la jolie blonde.

- Ca n’avait rien de drôle, c’était blessant et cruel, renchérit le garçon.

- Pff tu ne la connais même pas cette fille.

- Et alors ? C’est une raison pour se comporter comme ça ? »

Justine se leva, regarda Valentin er rajouta :

« Tu as perdu ton sens de l’humour Val’, je n’ai plus grand chose à faire avec toi dans ce cas. »

Et sans que l’adolescent puisse répondre quoi que ce soit, elle partit retrouver Jordan.

C’est ça ! Casse-toi ! pensa Valentin. Il remarqua que désormais tous les regards étaient tournés vers lui.

« Vous voulez sa photo ? s’énerva Ludo. »

Mais le jeune chanteur ne se souciait guère des regards sur lui. Il demeurait préoccupé par la nouvelle venue et l’indifférence qu’elle dégageait envers lui l’intriguait. Soudain, sans prévenir qui que ce soit, Valentin se leva, prit son sac et laissa ses amis finir leur repas. Elsa le héla pour qu’il revienne s’asseoir, sans réussite. L’adolescent était déjà parti déposer son plateau. Une fois ses déchets triés, l’adolescent se dirigea vers la sortie. Il passa devant la table où étaient assis Justine et Jordan. Ces derniers jetèrent un regard noir et accusateur à Valentin qui ne leur prêta nullement attention. Le jeune musicien poursuivit sa route. Ce fut à cet instant qu’il la vit à nouveau. Lucie. Elle était seule à une grande table, elle avait fini son repas et avait repoussé son plateau. A présent, elle lisait un livre. Valentin n’arrivait pas à déterminer de quel livre il s’agissait. C’était un format poche et il ne parvenait pas à reconnaître la couverture.

Le jeune homme s’arrêta. Il prit une grande inspiration et relâcha son diaphragme en douceur. Il prit son courage à deux mains et tira la chaise vide qui faisait face à Lucie. Il s’installa et fixa du regard la nouvelle élève. Cette dernière, bien qu’elle eut probablement senti la présence de l’adolescent, choisit de l’ignorer. Elle demeurait plongée dans sa lecture.  Elle posa ses avant-bras sur la table redressant ainsi le livre et permettant à Valentin de voir le titre du roman. A la Croisée des Mondes put lire l’adolescent. Il connaissait la série TV adaptée de l’œuvre de Philipp Pullman mais ne l’avait jamais lue.

Lucie semblait si sérieuse quand elle lisait. Ses cheveux blonds ondulaient en retombant sur ses maigres épaules. Certains trouvèrent un chemin sans embûches jusqu’à son léger décolleté qui suggérait subtilement sa poitrine.  Le jeune garçon cherchait désespérément à plonger une nouvelle fois dans les yeux magnifiquement bleus de Lucie. Il dévora du regard ses minces lèvres. « Qu’est-ce qu’elle est belle ! » ne put s’empêcher de penser l’adolescent. Valentin voulut lui dire « Salut » avant de se rappeler que cela serait inutile. Il désirait plus que tout lui parler, la connaître. Sans détourner ses yeux de son bouquin, Lucie mit une de ses mèches dorées derrière son oreille laissant ainsi apparaître une prothèse auditive. Valentin avait déjà entendu parler de ce type d’appareils mais il pensait à tort qu’ils étaient destinés aux personnes âgées.

L’adolescent désirait crever l’abcès et briser ce silence assourdissant, mais il semblait démuni, il n’intéressait guère la jeune sourde. Alors qu’il était sur le point de repartir, Valentin sentit son téléphone vibrer. C’était un SMS d’Elsa.

« Prends un papier et un stylo ! Écris-lui »

Valentin se sentit honteux de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il se baissa en direction de son sac à dos laissé par terre et y sortit une feuille et un stylo. Il griffonna aussitôt un « Salut », et fit glisser le papier en direction de sa nouvelle camarade de classe. Cette dernière vira ses yeux  de son livre pour la première fois. Cependant elle ne jeta aucun regard à Valentin. A son tour, elle chercha de quoi écrire dans son sac en bandoulière et répondit également « Salut ». L’adolescent s’attendait à ce genre de réponse mais il ne s’avouait pas vaincu pour autant, bien au contraire. Ce premier mot échangé avec Lucie lui donna du baume au cœur. Ne voulant pas en rester là, il écrivit :

« - Il est bien ton livre ? 

   - Oui. »

Décidément, Lucie n’était pas très bavarde. Valentin insista.

«  De quoi ça parle ? »

Lucie regarda la feuille mais la rendit aussitôt à son émetteur qui enchérit :

« J’essaie d’être sympa avec toi et toi tu ne fais aucun effort… »

Cette fois, la jeune fille reprit son stylo. Elle écrivit avec une telle énergie que Valentin pensa qu’il avait dû l’énerver. Son souffle était lui aussi plus rapide. Le jeune homme ne s’était pas trompé.

« Être sympa avec moi ? Mais qu’est-ce que tu crois ? Parce que je suis handicapée tu penses que j’ai besoin qu’on soit sympa avec moi ? Je n’ai pas besoin de ta pitié ! »

Valentin eut à peine le temps de lire le dernier message que Lucie avait déjà remballé ses affaires. Elle jeta un dernier regard rempli de dégoût et de colère et quitta la table. Valentin se retrouva seul. Néanmoins il ne profita pas longtemps de cette solitude. Les jumeaux le rejoignirent aussitôt. Elsa s’assit à côté de lui, prit la feuille, lut la conversation puis la repoussa pour la donner à son frère installé face à Valentin.

« - C’était très maladroit Val’, dit avec douceur l’adolescente.

   - Tu m’étonnes ! s’exclama Ludo.

   - N’en rajoutes pas toi !

   - Mais elle n’a pas dit un mot elle aussi, se défendit Valentin.

   - Mets toi aussi à sa place. Elle vient d’arriver dans un lycée où elle ne connaît personne. Et en plus elle t’a vu te battre y a trois heures à peine, répliqua la jeune bassiste. Laisse-lui un peu de temps. »

Valentin se rendit compte qu’il s’était comporté comme un idiot depuis le début avec sa nouvelle camarade; Il leva les yeux vers son amie et lui sourit. Il savait au fond de lui qu’elle avait raison. Les trois jeunes reprirent leurs affaires et quittèrent la cantine. Ils se dirigèrent vers leur banc habituel. Valentin était bien décidé à laisser le temps qu’il faudrait à Lucie.

Alors qu’ils discutaient de tout et de rien, Ludo remarqua une affiche collée sur une vitre du CDI, juste derrière leur banc. Il jeta un coup d’œil et appela aussitôt ses deux amis à venir jeter un coup d’œil. Le poster évoquait des auditions pour un concert sur une grande scène régionale.

« - Ça se tente ça, non ? suggéra Ludo.

   - Faudrait en parler à Sam mais moi je suis partant. Et toi Elsa ?

   - Aussi mais on ne peut pas décider sans l’approbation de notre batteur, répondit l’intéressée.

   - On lui en parlera ce soir à la répétition, déclara Valentin. »

Les jumeaux hochèrent la tête pour indiquer leur accord. La sonnerie retentit pour indiquer aux adolescents de retourner en classe. Les cours allaient enfin commencer.

« - On a quoi comme cours là ? demanda Valentin.

   - Français, lui répondit Elsa. »

Lorsqu’ils entrèrent dans la salle de classe Valentin remarqua que Lucie était déjà là avec son interprète. Madame Dombier, la professeure de français était elle aussi présente. Elle discutait avec un autre homme que Valentin n’avait jamais vu auparavant. L’adolescent s’installa à côté de Lucie, il la regarda mais cette dernière resta stoïque. Elle fixait son interprète.

« Installez-vous dans le calme, déclara Madame Dombier. Bien ! Ce premier cours ne sera pas tout à fait classique. Je vais laisser Monsieur Marchais se présenter. L’homme qui se tenait à droite de l’enseignante était grand et mince. Il avait des cheveux noirs qui lui arrivaient jusqu’aux épaules. Il devait avoir entre trente et quarante ans et avait une barbe de trois jours. Mais cet homme qui avait tout physiquement de quelqu’un de solitaire, d’après Valentin, était toutefois très solaire. Son sourire dégageait beaucoup de sympathie.

« Bonjour à tous, Je m’appelle Olivier Marchais et je suis professeur de Langue des Signes Française. Avec Monsieur Moulin nous avons pensé que ce serait une bonne initiative d’apprendre à ceux qui le souhaitent dans cette classe à communiquer avec Lucie, votre nouvelle camarade. »

Cette déclaration provoqua quelques ricanements chez certains élèves. Valentin se retourna et vit Jordan et Thomas pouffer. Mais ce qui surprit qu’à moitié ce fut le fait que Justine rigolait avec eux. L’adolescent ne comprenait pas ce qui ne tournait plus rond chez sa meilleure amie. Cette dernière leva la main pour prendre la parole que lui accorda l’enseignant :

« - Pourquoi on apprendrait la Langue des Signes ? On peut très bien écrire sur un bout de papier ce qu’on veut lui dire.

   - Alors oui c’est envisageable dans un premier temps, répondit Monsieur Marchais. Imaginez Mademoiselle, que vous partez vivre dans un autre pays et que vous ne connaissez pas la langue, il vous faut l’apprendre pour pouvoir échanger et communiquer avec la population locale. Pour Lucie c’est pareil, sauf que votre langue elle la connaît mais ça ne suffit pas. Elle a dû apprendre une autre langue pour s’en sortir. Vous comprenez ?

   - Oui Monsieur, répondit Justine.

   - Parfait ! Je vous le rappelle cela n’est pas obligatoire et les cours auront lieux trois fois par semaine sur le temps de midi. Lundi, mercredi et vendredi. Je vais faire passer une feuille sur laquelle les intéressés inscriront leur nom et leur prénom. Je vous attendrai lundi pour votre premier cours. »

La liste de noms circula de rangées en rangées et arriva sur la table de Valentin. Ce dernier sentit le regard de Lucie. Elle devait se demander si le jeune homme allait avoir envie de connaître sa langue. Sous pression, l’adolescent passa la feuille à Elsa, sans inscrire son nom, contrairement à son amie qui écrivit également celui de son jumeau. Valentin se souvint aussi de comment Lucie l’avait traité à la cantine et finalement ne ressentit aucun regret à ce qu’il venait de faire.

Monsieur Marchais quitta la salle, la liste sous le bras. Le cours pu alors commencer. Mais Valentin n’était pas très concentré. La situation avec la jeune sourde le préoccupait. Il tenta de penser à autre chose. Il se mit à songer à la répétition  avec le groupe qui l’attendait après les cours. Cette pensée joyeuse lui redonna espoir. Il n’avait plus que quelques heures à attendre.

 

 

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